REFLEXes

Des bombes conçues pour tuer

23 avril 2002 International, Les radicaux

Six vagues d’attentats commis en Autriche à la lettre piégée ont été revendiqués par une organisation d’extrême droite inconnue de la police, la Bajuwarische Befreiungsarmee[1](BBA).

Première vague : décembre 1993

Elle correspond au premier procès de Gottfried Küssel, dirigeant de la VAPO, condamné à 10 ans de prison[2]. En tout, 10 lettres piégées ont été découvertes[3], quatre ont explosé, blessant le maire de Vienne, Helmut Zilk, la secrétaire d’un avocat chargé de dossiers sur l’immigration, un pasteur qui s’occupait de réfugiés du Kosovo et une journaliste croate.

L’enquête s’est tout d’abord engagée sur une fausse piste, celle d’extrémistes serbes, puis à la lumière des revendications signées «Comte Rüdiger von Starhemberg»[4], la police a orienté ses recherches vers la scène néo-nazie violente et cinq membres de la VAPO ont été arrêtés. Gerhard Endres qui assurait l’intérim de la présidence de la VAPO depuis la condamnation de Küssel, Peter Binder, arrêté en possession d’armes et de nitroglycérine, Alexander Wolfert qui est allé jouer les mercenaires en Croatie, Hans-Georg Ley qui a été impliqué dans des activités terroristes au Sud-Tyrol et dont la femme, policier, a été surprise en train de copier des informations détenues par la police sur les antifascistes, et enfin Franz Radl, l’expert autrichien en anti-antifascisme qui avait déjà fait 15 ans de prison pour propos négationnistes. Au final, Peter Binder et Franz Radl, seuls inculpés pour les lettres piégées, ont été acquittés en décembre 1995, mais tout de même condamnés à respectivement 5 et 3 ans de prison pour activités néo-nazies.

Deuxième vague : octobre 1994

Elle a accompagné le deuxième procès de Küssel[5] et celui de Günther Reinthaler, condamné en juillet 1993 à 4 ans de prison. Il y a eu à nouveau quatre lettres piégées visant un éditeur de livres slovènes de Klagenfurt (Carinthie), un centre de conseil pour étrangers, une usine de papier employant principalement des immigrés et une école bilingue slovéno-autrichienne : seule la dernière bombe citée n’a pu être désamorcée à temps et a blessé un policier.

Cette fois-ci, la police a enquêté sur les connexions internationales de ces attentats. Des liens ont été établis entre les néo-nazis autrichiens et Peter Naumann, ingénieur-chimiste de Wiesbaden et membre du Nationalistische Front allemand aujourd’hui interdit.

février 1995 : les attentats d’Oberwart et de Stinatz

Dans la nuit du 4 au 5 février 1995, quatre Roms ont trouvé la mort à Oberwart en tentant d’enlever un écriteau portant l’inscription raciste suivante : «Tziganes, retournez en Inde». Le lendemain, une bombe du même genre a blessé un éboueur à Stinatz. Ce dernier attentat a été revendiqué par la BBA dans une lettre qui réclamait le départ des Croates d’Autriche vers la Dalmatie. Malgré cela, la police a défendu pendant un temps la thèse du réglement de compte pour Oberwart, et de l’accident pour Stinatz. Devant le tollé général, elle a fini par admettre qu’il s’agissait d’attentats racistes.

Troisième vague : juin 1995

Deux lettres piégées ont explosé à Linz et à Munich, blessant deux jeunes femmes : l’une des lettres était destinée à Arabella Kiesbauer, une animatrice télé d’origine ghanéenne. L’enveloppe de Linz portait comme expéditeur le «comte Rüdiger von Starhermberg», tout comme les lettres piégées de 1993.

Quatrième vague : septembre-octobre 1995

Au moment où commençait le procès de Radl et Binder, les néo-nazis arrêtés dans le cadre de la première vague de lettres piégées de 1993, il y a eu trois nouvelles lettres piégées : l’une, adressée à une gynécologue d’origine sud-coréenne, a été désamorcée à temps. Les deux autres ont blessé un médecin d’origine syrienne et une assistante sociale très engagée dans l’aide aux réfugiés. La police a relié ces attentats, dirigés cette fois-ci uniquement contre des étrangers, aux précédents.

Cinquième vague : décembre 1995

Quatre lettres piégées ont été découvertes à Graz (Styrie) près d’un bureau de poste. Deux d’entre elles, dont une était adressée au Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR), ont explosé prématurément en blessant une employée de la poste. Cette nouvelle série de lettres piégées correspondait au procès de Radl et de Binder.

Sixième vague : décembre 1996

Une lettre piégée a été adressée à la belle-mère du ministre de l’Intérieur autrichien, mais a aussitôt été détruite par la police. Les officiels autrichiens étaient en effet sur le qui vive depuis que, début octobre, le magazine profil avait communiqué aux autorités une lettre codée de 20 pages en provenance de la BBA.

Les vagues successives d’attentats à la lettre piégée montrent chez les néo-nazis autrichiens une capacité à réagir et à se réorganiser malgré les arrestations d’individus et les interdictions d’organisations. Leurs liens manifestes avec la police leur sont également très utiles comme le montrent en particulier leurs connaissances en matière de renseignement politique (listes noires, etc.) ainsi que l’agression policière dont a été victime Wolfgang Purtscheller, journaliste d’investigation spécialisé sur l’extrême droite, le 22 septembre 1994, agression qui l’a conduit à l’hôpital.

  1. Armée de Libération bayouvare, du nom des anciens Bavarois.[]
  2. Une campagne de soutien unitaire a été mise en place. Voir CRIDA, Rapport 1995, pp. 21-24[]
  3. Soit une lettre pour chaque année de prison à laquelle Küssel a été condamné. Cette «loi du talion» se retrouve dans les autres vagues d’attentats, que l’on peut rattacher, la plupart du temps, à des procès de militants néo-nazis.[]
  4. Celui qui résista aux Turcs à Vienne en 1683 ou bien celui qui, avant de devenir vice-chancelier pendant la période austro-fasciste, participa à la tentative de putsch de Hitler à Munich en 1923 : les deux son aujourd’hui des symboles pour les néo-nazis.[]
  5. Le premier ayant été annulé pour vice de procédure, Küssel a été condamné en deuxième instance à 11 ans de prison.[]
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