REFLEXes

Extrême droite : les pro-serbes

9 décembre 2006 Les radicaux

(Article publié en juin 1993 dans le n° 39 de la revue REFLEXes)

La Serbie, comme la Croatie, aura été un bon champ d’entraînement pour les extrêmes droites françaises. Les positions sont loin d’être uniformes. Si certains soutiennent les Serbes comme le montre l’article ci-contre, d’autres, comme nous pouvons le lire dans Présent et les articles d’Alain Sanders, défendent les Bosniaques contre les « post-communistes » représentés par Milosevic ; il n’en demeure pas moins que les différentes organisations : FN, Nouvelle résistance, PNFE et autres groupuscules, auront eu beaucoup d’activités et de prises de contacts dans cette région. En Serbie, l’extrême droite a fait près de 30% des voix et son leader Vojislav Seselj est devenu un allié précieux pour Milosevic. Quant aux résistants anti-guerre et aux mouvements politiques démocratiques, ils sont la cible des nationalistes et des fascistes comme le démontre la manifestation réprimée début juin. Draskovic, le responsable du Mouvement serbe pour le renouveau (SPO), emprisonné, voit son regroupement menacé d’interdiction.

La communauté internationale, si prompte à réagir quand il a fallu « récupérer » le Koweit, a laissé la Bosnie-Herzégovine disparaître en tant qu’État. Les casques bleus et l’aide humanitaire ont accompagné la purification ethnique jusqu’à son terme, voire parfois l’ont encouragée (voir No Pasaran  n° 7). Le Nouvel Ordre Mondial s’accommode très bien de ce type de conflit local opposant des peuples entre eux. Les tensions nationalistes dans les Pays de l’Est ou du Sud marquent le retour de conflits que l’on croyait dépassés, mais qui ne peuvent que servir les intérêts des espaces dominants que sont l’Europe, le Japon et les États-Unis.

La reconstruction d’un mouvement transnational entre les peuples et les individus à partir de communautés d’intérêts autour de problématiques sociales devient urgente pour contrer la barbarie qui se développe dans tous les pays du monde.

Fin janvier, l’Événement du Jeudi s’est fait l’écho d’un meeting parisien tenu dans une dépendance de l’ambassade yougoslave. Appelé par l’Association de solidarité serbe de Serbie Herzégovine, son objectif était de mobiliser la communauté serbe de France autour de leurs compatriotes de Bosnie. De telles réunions ne sont pas rares, et chaque communauté fait de même. La nouveauté réside en l’apparition à la tribune de vieux briscards de l’extrême droite française, alors même qu’on les croyait jusqu’alors attachés à la défense inconditionnelle de l’État croate contre les « communistes serbes ». Retournement tactique_? Défense des théories nationales-bolcheviques ? Besoin de publicité ? Et qui étaient les participants ?

D’abord Yves Bataille, venu de l’organisation Lutte du peuple et de l’OEuvre française, qui a collaboré aux cahiers du CDPU de Michel Schneider, aux GNR (Groupes nationalistes révolutionnaires) de Duprat puis écrit dans les revues Solidarités et de celles de la Nouvelle droite. Créateur des revues Lettre de la Francité et Seconde révolution,

Nicolas Tandler lui, vient du groupe « national-européen » Jeune Europe, influencé par Thiriard, puis d’Ordre nouveau. À la fin des années 1970, il est le bras droit de Georges Albertini à la tête de l’Institut d’histoire sociale. Il a été aussi orateur lors des cycles de l’Institut de formation nationale du FN sur les questions sociales.

Arnaud Hautbois, journaliste au Choc du Mois, est également directeur de publication de Patrie-Liberté, le bimensuel de l’Alliance populaire.

Le dernier orateur, Jean-François Touzé, est justement le président d’Alliance populaire. Il faisait auparavant partie du Comité central du Front national, avant d’être exclu avec le groupe Espace nouveau.

Ces quatre activistes qui ne sont pas des débutants ont un point commun : tous collaborent à la revue Nationalisme et République, d’orientation nationaliste-révolutionnaire, récemment disparue.

Les orientations qu’ils ont développées au cours du meeting n’ont rien de nouveau, si l’on excepte le cas d’Arnaud Hautbois qui a failli s’engager dans les forces croates. Prenant appui sur des bases nationalistes françaises, et non européennes, ils partent d’un constat : « Les Serbes sont le peuple le plus francophile d’Europe (…) avec une France française, c’est renouer avec notre glorieux passé et nos amitiés traditionnelles » (Yves Bataille).
Sur le plan géopolitique, l’analyse est la suivante : l’Allemagne réunifiée est en train de recréer une Mitteleuropa dont elle serait l’élément dirigeant en germanisant la Slovénie et en croatisant le sud Slave. La Serbie serait refoulée dans les Balkans.

Dans le même temps, poussée par les États-Unis, la Turquie aurait l’occasion de jouer un rôle dans les Balkans, et de renouer avec les nostalgies de l’Empire ottoman.
Après avoir servi de tampon au sud-est de l’OTAN, elle se voit dévolue une double mission : utiliser l’Islam (défense des musulmans de Bosnie) pour empêcher l’Iran intégriste d’en avoir l’exclusivité ; développer une force régionale aux ordres sur l’Orient européen et l’ex-Asie centrale soviétique, la synthèse turco-islamique succédant au communisme slave dans les Balkans et le sud de l’ex-URSS.

La guerre en Yougoslavie serait donc orchestrée par l’Allemagne et alimentée par les USA via la Turquie qui ne demande pas autre chose pour étendre son influence.

Conclusion logique : si la France et l’Europe doivent naturellement résister à l’Empire américain, « la France abaissée » dans l’Europe par le poids de l’Allemagne doit se relever et défendre ses alliés naturels : les Serbes.

Si Tandler, Bataille, Hautbois et Touzé justifient l’impérialisme américain, le pangermanisme et le panturquisme, l’impasse est faite sur la politique d’extension de la Grande Serbie, appliquée par Milosevic avec la bénédiction de l’Académie de Belgrade, qui l’a théorisée. La géopolitique a pris le pas sur l’idéologie tripale. Ils se séparent ainsi des visions purement « théoriques » du reste de l’extrême droite. Le quotidien Présent et le Front national, en effet, sont plus préoccupés par la guerre d’agression et l’extension de ces nouveaux « bolcheviks » sur la Bosnie. L’hebdomadaire Minute, pour sa part, s’il se sentait proche des catholiques croates, ne voit pas de raison de se mêler à une guerre de Bosnie entre « communistes » et « musulmans ».

Le mouvement Nouvelle résistance, scission majoritaire de Troisième voie, a développé aussi ses propres vues. Très inspirés par Nationalisme et République, avec lesquels ils ont développé des liens très forts, les tercéristes s’en séparent par une vision géopolitique ayant pour centre l’Europe nation, et non plus la France en tant qu’État-nation. Leur parti pris de base pour l’autodétermination des peuples, l’ethno-différentialisme et l’Europe des régions (Nouvelle droite, nous voilà !) leur ont immédiatement fait soutenir la Croatie. En écrit (« Liberté pour la Croatie ! » titrait Lutte du Peuple n° 1) comme en acte (NR revendique une trentaine de combattants sur le front).

Mais les différents contacts qu’ils ont eus depuis en Europe ont fait avancer leurs positions. Les Russes de la revue Denet la branche « eurasiatique » du nouveau front de salut national, rassemblant des bruns et des rouges néo-staliniens, ont été prédominants. Dans une interview publiée dans Lutte du Peuple d’octobre 1992, Alexandre Douguine précise leur position : « … Actuellement, l’ennemi géopolitique numéro un des atlantistes est l’Orient, donc les Serbes. L’ennemi numéro deux est les forces Mitteleuropa. Quelle est alors la manière de répliquer au plan atlantiste, qui joue les Croates (donc les Allemands) contre les Serbes (donc contre les Russes) ? Il est nécessaire de proposer un projet eurasiatique avec toutes les priorités que cela comporte. Il est nécessaire de soutenir les Serbes en premier et les Croates en second, en comprenant les raisons des uns et des autres. Mais pour arriver à un résultat positif, encore faut-il mettre en avant l’unité géopolitique de l’Eurasie. Ainsi, la revendication impuissante et ridicule de la création d’états ethniques, qui peuvent uniquement être asservis au Nouvel ordre mondial, doit être dénoncée. »

Nouvelle résistance fait l’impasse sur la Bosnie. Pas par anti-islamisme, mais par volonté national-laïque de ne pas cautionner un état islamique que le président bosniaque Izetbegovic avait prôné au début des années 1980.
Guerre sainte contre le communisme, soutien de francophiles pour une France plus forte, défense prioritaire de ceux qui sont le mieux à même de garder l’équilibre dans le futur empire… Après quelques temps d’hésitation, les orientations classiques des droites radicales se sont adaptées à l’événement yougoslave. On pourrait se féliciter de voir ce petit monde s’étriper allègrement dans les Balkans, si au milieu ne se trouvaient pas les civils de tous bords et les combattants envoyés malgré eux dans l’enfer. À ce sujet, notre position reste très claire :

- soutien aux dizaines de milliers de déserteurs de l’espace yougoslave (aux autres aussi évidemment !)

- soutien aux démocrates pacifistes et aux médias libres qui n’ont pas cessé leur combat, pour que vive une société multiculturelle, en particulier le quotidien Oslobodjene de Sarajevo qui continue à le payer très cher.

Résistants à la guerre de tous les pays, unissons-nous !

Encart

Bosnie réagir !

« L’indifférence est une complicité. Il nous faut réagir et ne pas joindre le désarroi intellectuel à la confusion politique. Quelques faits bruts : depuis plus de deux ans, la coalition serbe au pouvoir en Serbie et au Monténégro a mené une guerre de conquête et de séparation « ethnique », sur les territoires slovènes, croates et bosniaques. Cette guerre non conventionnelle menée par le double rideau des milices et de l’armée « fédérale », accomplit un projet abject de « purification ethnique » afin de parvenir à dominer un espace continu « ethniquement pur ». Cette politique est la conséquence d’un travail de mobilisation idéologique nationaliste et populiste mené en Yougoslavie depuis dix ans, quand les Serbes commencèrent une politique d’apartheid au Kosovo où vivent 80% d’Albanais, et amplifiée par Milosevic depuis 1986. L’évidence comme l’importance de ces faits nous sont masqués par un traitement de l’information reprenant souvent purement et simplement la propagande du régime de Belgrade. Au nom de la prétendue complexité de la situation actuelle et de l’histoire des Balkans, l’Occident joue les Ponce Pilate bienveillants, ferme les yeux sur des atrocités sans nom et excuse son impuissance en affirmant la fatalité du conflit et la responsabilité de tous. Or, l’actuel conflit n’est pas une guerre civile, puisque la Bosnie est un état reconnu par la communauté internationale ; ce n’est pas une guerre ethnique, puisqu’une partie des Serbes de Bosnie luttent avec Musulmans et Croates au nom de l’idée bosniaque. »

L’éditorial de cette brochure Bosnie : réagir marque le ton des articles. Informations, réflexions et analyses sur cette guerre permettent de mieux en comprendre les enjeux et les conséquences.

Prix 30 F (disponible à REFLEX).

Mis en ligne le 9 décembre 2006

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