REFLEXes

Histoires et anecdotes connues et méconnues de l’antifascisme international

24 avril 2002 International

Le Groupe 43

Ce qui s’est passé à Londres peu de temps après la Seconde Guerre mondiale constitue à bien des égards un chapitre étonnant et unique dans l’histoire du mouvement antifasciste : en effet, une organisation antifasciste, le Groupe 43, a mis à bas un mouvement fasciste puissant et bien établi après la guerre.

Dans l’Angleterre d’avant-guerre, la principale organisation fasciste, la British Union of Fascists, dirigée par Oswald Mosley, était tristement connue pour la terreur qu’elle faisait régner chez les Juifs et chez les ouvriers à Londres et dans d’autres villes de Grande-Bretagne. Les membres de cette organisation se heurtaient à une résistance antifasciste, ce qui conduisait souvent à des affrontements dans la rue, comme par exemple à Londres, dans l’East End, où, en 1936, des fascistes se sont fait laminer lors des affrontements de Cable Street.

Après la guerre, Mosley et ses camarades (dont la plupart avaient été emprisonnés pendant la guerre) ont très vite repris leurs anciennes activités. Ils se sont organisés d’une façon plus secrète, en évitant soigneusement d’utiliser ouvertement des mots d’ordre ou des symboles fascistes. Cependant, leur message n’avait pas changé le moins du monde.

La Grande-Bretagne d’alors leur offrait de multiples opportunités en terme d’apparitions publiques. Les lois relatives à la liberté d’expression et celles, héritées de la guerre, concernant le maintien de l’ordre public empêchaient presque complètement de contrer leurs initiatives. Le conflit en Palestine renforçait l’antisémitisme latent de l’opinion publique et livrait une actualité susceptible d’alimenter ces idées antisémites. Plus d’une douzaine de manifestations fascistes avait lieu chaque semaine à Londres.

De plus, les fascistes avaient leurs propres librairies, leurs cercles de discussion ainsi que onze journaux dont ils assuraient la vente à des endroits stratégiques de la ville.

Le gouvernement préférait ignorer la plupart de ces faits, car il ne souhaitait pas intervenir à ce sujet, même après que ces manifestations eurent fait l’objet de questions au Parlement et aient été évoquées par la communauté juive. En conséquence, une association de vétérans juifs commença une série de manifestations à la fin de l’année 1945.

Il s’agissait d’un groupe restreint, mais dont les membres, des anciens soldats, jeunes et presque tous juifs, étaient très décidés. Ils formèrent le Groupe 43, une organisation dont le but était de mettre à bas le mouvement fasciste qui émergeait et de faire pression sur le Parlement pour que la haine raciale devienne un délit. De 43 membres au départ, le groupe est vite passé à 300 militants, Juifs et non-Juifs. Le Groupe 43 adopta une stratégie et des principes d’organisation d’inspiration militaire. Les membres se répartissaient entre différentes équipes spécialisées, en général selon l’endroit où ils habitaient. Il y avait également un groupe de renseignement qui rassemblait les informations concernant les activités fascistes et dont le reste du groupe avait besoin.

Avec ses informations, le groupe établissait son propre programme d’actions et mobilisait ses troupes en fonction. Les équipes élaboraient toutes leurs propres plans d’attaques de réunions publiques, mais la plupart du temps, ils utilisaient la tactique suivante : faire beaucoup de bruit dans la rue aux alentours de la réunion publique, utiliser ensuite le désordre obtenu pour attaquer directement la tribune où se trouvait l’orateur fasciste. C’est par ces «actions directes» que le groupe parvint à empêcher que se produisent la moitié des manifestations fascistes ainsi qu’un bon nombre de ventes de journaux fascistes à Londres.

Le Groupe 43 réussit également à placer des taupes à l’intérieur du mouvement fasciste, ce qui leur permit de mettre à jour les contacts existant entre les néo-nazis anglais et allemands, dont certains se cachaient en Angleterre depuis la fin de la guerre. En outre, ils ont découvert beaucoup de choses cachées au sein-même du British Movement : le carnet d’adresses de Mosley, les rivalités internes concernant la direction du BM, la préparation des campagnes à venir, etc.

Le Groupe 43 publiait une lettre d’information intitulée On Guard dans laquelle on trouvait des articles sur les mensonges que les fascistes tentaient de répandre. De courageuses militantes avaient pour habitude de vendre On Guard pendant les manifestations publiques des fascistes. Selon les gens qui s’occupaient du renseignement dans le groupe 43, Mosley et l’ensemble des dirigeants du mouvement fasciste, lisaient On Guard. Le Groupe 43 refusa de se lier à un quelconque parti politique ou même à une idéologie quelle qu’elle soit. Ils accueillaient toute personne désireuse de rejoindre la lutte contre le fascisme. Beaucoup de ses membres étaient juifs ; pour eux, le fascisme représentait une menace physique directe. Pour s’opposer aux attaques menées par les fascistes contre les synagogues ou contre les habitants des quartiers juifs, le groupe 43 organisa des rondes de surveillance. Des membres de la communauté juive apportèrent leur contribution (financière ou professionnelle) au groupe quand cela était nécessaire.

Le Groupe 43 était principalement basé à Londres, mais il travaillait avec d’autres groupes antifascistes britanniques qu’il soutenait par ailleurs. Les relations du Groupe 43 et du Jewish Defence Committee[1]  étaient difficiles : les deux organisations étaient certes antifascistes, mais leurs idées et leurs pratiques étaient radicalement différentes.

Le Groupe 43 a cessé d’exister en 1949 après presque quatre ans et demi d’activité antifasciste. Il est parvenu à mettre à bas le mouvement fasciste de Mosley, et ce n’est que vingt ans plus tard qu’il y a eu une réémergence du fascisme en tant que mouvement politique en Grande-Bretagne.

R. Hérisson

«Je ne sais pas exactement quel jour nous avons décidé de ne plus nous taire face à la haine, mais les images horribles qui nous sont venues d’Auschwitz, de Dachau, de Buchenwald et d’autres camps ont poussé ce qui restait de la population juive européenne à se défendre. Ce sont des histoires comme celle de Mordechai Anielewitz et des quelques milliers de personnes qui ont participé au soulèvement du ghetto de Varsovie qui ont nourri notre engagement. C’étaient de jeunes Juifs qui avaient combattu les nazis avec l’enthousiasme de David combattant Goliath et qui sont morts pour préserver leur dignité.

«Plus jamais ça !», ces quelques mots devinrent pour nous plus qu’un slogan, une devise : le Groupe 43 était né. Quarante-trois vétérans juifs, hommes et femmes, parmi lesquels beaucoup avaient reçu les plus hautes distinctions en combattant dans les rangs des forces britanniques, et qui ne voulaient pas que les fascistes reprennent la rue à Londres. Ils furent rejoints par des amis non-Juifs qui avaient également vu les horreurs qui s’étaient produites en Europe. Voilà comment tout commença. Nous avions tendu l’autre joue pour la dernière fois, et, jeune recrue de 17 ans seulement, j’étais fier de participer au Groupe 43.»

Vidal Sassoon, membre du Groupe 43

  1. Organisation officielle de soutien politique et de pression en faveur de la communauté juive anglaise.[]
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