REFLEXes

Le GUD tente de renaître de ses cendres

5 février 2003 Les radicaux

Vous êtes un beauf en quête d’un animal d’attaque ? Ne vous encombrez pas d’un pittbull, adoptez plutôt un gudard. Comme animal de compagnie, ses capacités restent limitées (tendances aigües à la mythomanie) mais pour protéger le jardin (du Luxembourg) son aspect hargneux donne le change au simple quidam. Cependant, si celui-ci connaît bien la psychologie de la bête, il la maîtrisera aisément.

Le Groupe Union Droit, futur Groupe Union Défense (GUD), est né des cendres du mouvement Occident, groupe nationaliste ultra-violent dissout en 1968. Un an plus tard, le GUD se présente aux élections universitaires parisiennes et obtient plus de 10% à Clignancourt, Saint Maur, Nanterre et… Assas.

C’est le début d’une longue histoire. D’inspiration nationaliste-révolutionnaire et tercériste («ni Trust ni Soviet»), le GUD voit apparaître un rival : le Front National de la Jeunesse (FNJ), crée en 1974 par Jean-Marie Le Pen. En décembre 1977, le GUD empêche ce dernier de tenir un meeting sur Assas. Le 15 décembre 1980, une descente à Nanterre se termine en débâcle : plusieurs centaines d’étudiants repoussent le commando du GUD, un de leurs militants est gravement blessé et 21 autres remis à la police. S’ensuit une manifestation spontanée de trois mille étudiants dans les rues de Paris. Mai 1981 marque la victoire de la gauche aux législatives. Ç’en est trop : le 17 juin 1981, le GUD s’autodissout. Commence une traversée du désert – les rats noirs préservent difficilement leur bastion d’Assas – qui s’achève le 29 décembre 1988 avec le dépôt, à la préfecture de police de Paris, des statuts de l’Union et Défense des Étudiants d’Assas (UDEA), étiquette légale et électorale du GUD. À Paris II-Assas, aux élections de 1991, l’UDEA totalise 167 voix sur 17 588 inscrits, ce qui lui donne un élu et un local (la porte 417 du 92 rue d’Assas). Ses pratiques ultra-violentes (cf. chronologie) et la faiblesse de son discours politique ne l’empêchent pas de se maintenir électoralement en 1994. Mais pour survivre, le GUD a dû abandonner son indépendance relative vis-à-vis de la principale formation d’extrême droite : le Front National (FN) qu’il fustigeait en 1977. Les rats noirs en sont devenus les auxiliaires.

Jusqu’à la fin des années 1980, les thèmes de prédilection du GUD restaient l’anticommunisme et l’anti-capitalisme. L’idéal anticommuniste se manifestait principalement par les actions violentes contre toute représentation universitaire de gauche et par un discours conséquent. «Nous devons tous ensemble œuvrer à liquider les derniers restes d’infection marxiste (ndlr : les syndicats étudiants)» propose le GUD lors des élections d’Assas du 24 janvier 1984. Quant à l’anti-capitalisme, il est caractérisé par le discours anti-américain : «L’Europe doit refuser d’être le 52e état américain» (tract de 1984).

Même si ces thèmes restent présents – l’une de leurs dernières apparitions légales anti-américaines date de la manifestation contre Euro-Disney du 21 février 1992, où les gudards chantaient «que crèvent les marxistes, les juifs capitalistes, au son des hauts tambours des lansquenets» (vaste programme…) -, c’est désormais le discours anti-immigrés qui prévaut, à l’image du FN, devenue la maison-mère. Preuve en est le tract qui fait office de plate-forme pour les élections au Conseil Régional des Oeuvres Universitaires et Sociales (CROUS) de 1994 : «Il convient d’instituer un numerus clausus (ndlr : ils ont appris un nouveau mot !) à l’entrée des facultés à l’égard de tous ces déchets apatrides (ndlr : les «étudiants et professeurs cosmopolites») qui visent à déposséder notre enseignement supérieur de ses valeurs et de ses racines françaises». Cette prose est signée Renouveau Étudiant (RE), structure qui regroupe notamment l’UDEA et le Cercle National Sorbonne (CNS), filiale universitaire du FNJ, dont le responsable, Gwénaël Le Brazidec, a été mis en examen en février 1995 pour coups et blessures contre un étudiant tunisien handicapé. Avant de présenter une liste commune, le regroupement GUD/FN avait débuté militairement.

«On aide le Front parce que sinon on ne serait qu’une poignée» constate, en 1992, Frédéric Chatillon, leader charismatique du GUD. Outre les entraînements de Viet vo dao dirigés par maître Thi Tran Tien dans la salle de boxe gérée par l’Association sportive de Jussieu, dont Miguel Lliotier, militant du GUD surnommé «Wolfram», est le trésorier, les rats noirs sont associés à des entraînement plus pratiques organisés par le FNJ. Le dimanche 15 mars 1992, ils sont une soixantaine de militants nationalistes à se rendre dans la propriété d’Alaincourt, dans l’Oise. Celle-ci appartient à la vicomtesse Katherine d’Herbais de Thun, conseillère régionale du FN en Picardie, fille de M. Chereil de la Rivière, directeur de La France monarchiste. Son mari, Pierre-Guillaume d’Herbais, est président depuis 1983, de la Société d’Études et de Gestion des Régimes Sociaux (SEGRS), et depuis 1987 d’Europension («Groupement européen de consultants en droit social et d’actuaires-conseils dont l’objet est d’assurer un service permanent aux entreprises de la CEE»). D’Herbais est aussi le repreneur de l’hebdomadaire Minute en janvier 1990. Bref, nos petits rats sont en de bonnes mains, d’autant plus que le programme du camp est alléchant : corps à corps («Si vous enfoncez bien votre doigt, l’œil de votre adversaire doit pendre par le nerf optique» explique un conseiller militaire du service d’ordre du FN, la DPS : département Défense-Protection-Sécurité), utilisation de la batte de base-ball («Devant une caméra, mieux vaut une bonne fracture qu’une blessure au sang : si un gauche chiale mais qu’il n’a pas de blessure apparente, les images ne passeront pas à la télé») et psychologie («En face, on va vous insulter, vous traiter de fascistes et de nazis. Bien que fascistes et nazis ne soient pas des insultes». Trois jours plus tard, le 18 mars, lors du meeting de Jean-Marie Le Pen au zénith, Carl Lang, alors dirigeant du FNJ, salue ses troupes bras tendu. Les auxiliaires du GUD en font partie, aux côtés des skinheads des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub («Batskin»), mais cette fois-ci, à l’inverse du meeting de Le Pen à Rouen, le 6 mars, ils n’ont pas eu carte blanche pour attaquer la contre-manifestation.

La même unité dans l’exaction est présente à l’université. Depuis trois ans, les étudiants en font les frais. Désormais, gudards et frontistes ne prennent même plus la peine de distribuer des tracts, ou alors ceux-ci se limitent à dénoncer «la dictature des gauches» (tract du CNS pour les élections universitaires de Paris IV Sorbonne-Clignancourt, le 2 février 1995). L’unique intérêt d’une descente dans une fac : se donner des émotions et taper dans le tas. On retrouve souvent le même noyau dur, qui forme les petits nouveaux. Derrière Frédéric Chatillon, père d’un enfant (dont le parrain est Jean-Marie Le Pen…), qui semble prendre quelques distances avec la violence, de nouvelles têtes apparaissent. D’abord Miguel Lliotier, déjà cité et plus connu sous le nom de «Wolfram» et son célèbre œil de verre, qu’il aurait gagné, selon la légende, à Jussieu lors de la grève contre le projet Devaquet, après avoir reçu un projectile lancé par… ses «kamarades» venus casser la grève. Ensuite vient le jeune et inconscient Yvain Pothiez, qui a déjà eu l’insigne honneur de connaître l’univers carcéral pendant quelques mois pour «violences physiques» contre un étudiant de Paris XII (Saint-Maur – Créteil), ce qui ne l’a pas empêché de recommencer. Pierre Oldoni, dit «Urgo» (les sparadraps), tente de se faire un nom auprès de ses petits camarades (et cela semble réussi, puisqu’on en parle). Le seul ayant complètement franchi le pas vis-à-vis du FN s’appelle Gildas Mahé O’Chinal. Né le 9 juin 1972, adhérent au GUD et au FNJ d’Assas alors qu’il est étudiant en histoire à Tolbiac (il est vrai que sa marge de manœuvre fut limitée), il fonde en 1992 l’association sportive du marteau de Thor, dont il était le président en compagnie de Frédéric Chatillon (secrétaire) et Miguel Lliotier (trésorier). Son engagement politique reste dans la tradition familiale puisque son père, Patrick, fut proche du mouvement Occident avant de militer pour Jeune Europe et de participer à la création d’Ordre nouveau. Patrick Mahé est maintenant un des rédacteurs en chef de Paris-Match.

Cette coopération militaire permet la mise en place effective du Renouveau Étudiant Parisien (REP) pour l’année 1993. Cette structure est censée prendre le relais du Cercle National des Étudiants Parisiens (CNEP), dont Marine Le Pen fut la présidente, et qui a échoué dans sa tentative d’implantation politique durable dans les universités parisiennes. En effet, hormis à Assas et Clignancourt-Sorbonne où quelques résultats ont été obtenus, leurs listes ont partout été contrées par les antifascistes, soit par l’annulation des élections (Nanterre), soit par un vote massif des étudiants pour contrer l’avantage que leur donne la proportionnelle (Tolbiac). La constitution du REP marque aussi la victoire du courant nationaliste-révolutionnaire sur le courant catholique intégriste. L’ancien responsable du CNS, Richard Haddad, issu des phalanges chrétiennes du Liban, en a fait les frais. Copieusement insulté (et même victime d’injures racistes…) dans l’organe du GUD, Les Réprouvés (n°3), il s’est depuis reconverti dans le Cercle d’actions culturelles, proche de l’association Chrétienté-Solidarité. Le REP regroupe ainsi GUD et FNJ et a préféré l’action violente de type «blitzkrieg» à la construction politique. Ce qui laisse dire à Franck Timmerman (FN) lors d’un meeting du REP, le 30 novembre 1993 : «Au delà des querelles passées, l’union est faite et nous allons leur en mettre plein la gueule».

La présence du GUD ne se limite pas aux universités de la capitale. Des listes électorales sont régulièrement déposées dans certaines universités de province. Dans d’autres, il n’apparaît qu’à travers son message traditionnel : la violence. C’est le cas dans la région Languedoc-Roussillon. Tout commence le 21 février 1985 à Perpignan (Pyrénées orientales) lorsque les statuts de l’association «Jeune garde – Groupe union défense» sont déposés à la préfecture. Jürgen Greiner, de nationalité allemande (né à Kaiser-Pauterne en RFA) en est le président, assisté de Michel Camrrubi (secrétaire), chez qui est domiciliée l’association, et de Christian Soulier (trésorier). Outre les classiques exactions (Jürgen Greiner est inculpé pour «coups et blessures» en avril 1986) ce noyau dur tente de tisser un réseau militant sur l’ensemble de la région. En mai 1986, une dizaine de militants du GUD, originaires de Perpignan et de Montpellier sont accueillis à Toulouse par Anne-Marie Prolongeau (Jeune Garde) et rencontrent un responsable départemental du Parti des Forces Nouvelles (PFN), Bruno Pouzac. Moment fort de toutes ces prises de contact : un camp d’entraînement organisé dans le massif des Albères (Pyrénées orientales), près de Thuir. Au programme : «cours magistraux», entrecoupés de chants et musiques militaires du IIIe Reich, et entraînements avec séances de tirs à balles réelles (armes légères automatiques). Le camp accueille une vingtaine d’hommes et quatre femmes venus de la région parisienne, des Pyrénées orientales, du Var et de l’Hérault. Depuis, le flambeau a été repris à Montpellier où plusieurs exactions contre des militants de gauche ont été commises. Cette fois, le noyau dur est composé d’individus doublement encartés au GUD et au FNJ. Nicolas Arnoux, membre du GUD, est mis en examen le 13 avril 1994 pour «violences avec armes» (probablement un pistolet à grenailles) après un accrochage devant l’université de Lettres avec des militants de l’UNEF et des colleurs du… FNJ. À l’université, Jean-Pierre Gallaud milite au GUD (Sciences économiques) et au FNJ à Lunel (banlieue de Montpellier). Olivier Diaz est au GUD ainsi que dans un groupe régionaliste d’extrême droite : Brigade Occitanie. Ces trois personnes sont soupçonnées d’avoir participé à un commando sévissant masqué, et coupable de plusieurs agressions contre des militants antifascistes et syndicalistes au cours de l’année 1994. Le 31 mai 1994, lors du meeting du FN à Palavas-les-groins[1], Dominique Bessières, responsable du FNJ à Montpellier, organise une collecte de fonds en soutien au «kamarade» Arnoux mis en examen. À Montpellier comme à Paris, les membres du FNJ-GUD ont préféré l’action violente semi-clandestine à l’implantation en milieu universitaire.

Une activité aussi «intense» nécessite un minimum d’outils de communication et de coordination nazionale. Pour cela, le réseau minitel leur convient parfaitement. Courant 1994, en se connectant sur 3614 Chez*, on retrouvait nos petits «kamarades» en train de se raconter leurs exploits guerriers, par boîtes au lettres (BAL) télématiques interposées. Les gudards montpelliérains et de l’Héraut (34) utilisent les BAL «Rat noir», «Faisceau» et «Blackwolf», en contact avec la BAL «GUD» qui couvre la région parisienne (75), elle-même en contact régulier avec «charnier 44» (pseudo de Laurent Cohonner, un skin de Vitry, dans le Val de Marne), «Batskin» (la BAL de Serge Ayoub) et «PSG» (Paris-Saint-Germain, le club de foot). Par ailleurs, des communications régulières existent entrent les BAL montpelliéraines et les BAL «Brigadoc» (pour Brigade Occitanie) dans l’Héraut et l’Aude (11), ainsi qu’avec le «PNFE» (BAL nationale), le «NSDAP-AO» (75) et «LELOUP» (le pseudo de Michel Faci, dans l’Aveyron). Bref, une véritable toile d’araignée non exhaustive. Et quand un serveur perd de sa discrétion (cela semble le cas), il suffit de passer sur un autre 3614 (c’est moins cher que 3615).

L’année 1995 s’annonce fertile pour les rats noirs. Ceux-ci accumulent des ressources financières en collant pour Balladur (700 francs par personne et par collage), ce qui leur permettra d’acheter du matériel encore plus performant pour envoyer encore plus de monde à l’hôpital. Bref, les étudiants continueront de connaître la psychose de la descente, surtout en période électorale. Comme le disait un de mes profs d’université : «À problème politique, solution politique, à problème militaire, solution militaire»…

 

Publié en juin 1995

  1. Le Pen est interdit de séjour à Montpellier, et c’est la commune de Palavas-les-Flots qui accueille ses meetings. Sauf cette année, où le meeting du Front s’est déroulé à Fréjorgues le 9 mars.[]
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