REFLEXes

Le NSDAP-AO à l’assaut de l’Europe

28 mars 2009 International, Les radicaux

NSDAP-AO

(Article publié en janvier 1994 dans le n° 41 de la revue REFLEXes)

Pour l’année 1992, l’Office de protection de la Constitution allemande (Bundesverfassungsschutz, BvS) a recensé 2584 actes violents à caractère raciste. Ces 2584 actes violents se décomposent en 15 assassinats, 14 attentats à la bombe, plus de 700 incendies criminels, et 725 coups et blessures… Le nombre d’actes violents a augmenté de 74% par rapport à 1991. Les cibles de ces attentats sont des étrangers, des demandeurs d’asile en particulier, mais aussi des juifs, des sans-abris, des handicapés et des militants antifascistes. Pour le BvS, ces violences ne viennent pas automatiquement des groupes et groupuscules néo-nazis, ces actes semblent prémédités, condamnables mais imputables à des individus marginaux et isolés.
Une violence très bien organisée
Malgré le nombre plus qu’inquiétant de violences racistes, le gouvernement persiste dans une attitude anti-alarmiste, qui participe elle-même d’une poussée vers la droite que l’on peut observer chez les dirigeants, les journalistes et chez certains intellectuels allemands. On assiste en effet à tout un processus pour en finir avec le passé nazi allemand, processus qui prend une acuité nouvelle après la fin de la RDA et avec l’approche de la réunification. Divers journalistes présentent une relativisation du nazisme et de ses exactions en les intégrant à l’ensemble des crimes de guerre : «L’extermination des Juifs par Hitler [n’a été] que la répétition de ce principe de terreur que l’Union soviétique avait commencé par appliquer»1. Cette pseudo-comparaison leur permet même d’arriver à la conclusion suivante : «Dès lors, sous cet angle, Auschwitz se réduit à une simple innovation technique»2. Ce genre d’affirmations s’insère dans le cadre de la guerre froide et de l’anticommunisme virulent qui sévissait en Allemagne (cf. les Berufsverbote). Après la réunification, les journalistes vont plus loin, dans le souci de faire disparaître la culpabilité des Allemands : «Auschwitz ne restera pas cette formule ensorcelée qui plonge instantanément les Allemands dans une auto-contemplation douloureuse»3, et parfois même, la «comparaison» entre hitlérisme et communisme va plus loin : «[à propos du passé de la RDA] cette injustice ne peut ni disparaître dans la satisfaction qu’inspire la réunification, ni être relativisée par la comparaison avec le national-socialisme»4 ; un renversement s’est opéré entre le comparant et le comparé. À côté de cela, on assiste même à une véritable falsification de l’histoire ; des journalistes très en vue vont jusqu’à reconsidérer le régime hitlérien, lui accordant certains bienfaits : «l’émancipation» de la femme (!) et le fait que Hitler était «indubitablement socialiste – et qui plus est un socialiste très efficace»5. Mais les journalistes ne sont pas les seuls à se déchaîner, le chancelier Helmut Kohl a aussi fait des siennes lorsqu’il a proposé à Reagan en visite officielle de se rendre au cimetière militaire de Bitburg où sont enterrés des SS avec des soldats de la Wehrmacht : les bourreaux deviennent des victimes.
La véritable question qui est posée est en fait celle de l’identité allemande : «Nous devons sortir de l’atmosphère toxique d’Adolf Hitler. Nous devons cesser d’être un peuple qui marche l’échine courbée, le cancre de l’histoire mondiale, nous devons avoir la démarche droite de citoyens conscients, fiers d’être allemands»6.
C’est justement cette poussée vers la droite de la société allemande (car il ne s’agit pas seulement de l’intelligentsia, cf. les violences racistes) qui permet de comprendre la confiance toute relative qu’il convient d’accorder au BvS. Non qu’il triche de façon flagrante sur les chiffres, mais il fait plutôt une interprétation plus que contestable de la montée de l’extrême droite en Allemagne. C’est encore une fois dans les médias que cela est le plus sensible. Ainsi, dans le Spiegel, des sociologues tentent d’expliquer les causes des violences racistes : il s’agit pour eux de la protestation d’une jeunesse désorientée, sans travail ni logement la plupart du temps et qui n’a pas d’arrière-plan d’extrême droite : «C’est une grave erreur que de mettre les émeutes actuelles dans le même sac que l’extrémisme de droite»7. En 1991, après le pogrome de Hoyerswerda, le Spiegel titre «La ruée des pauvres – réfugiés – émigrés – demandeurs d’asile». À côté de cela, et toujours très lié à la question de l’identité allemande se pose le «problème» du droit d’asile. Ainsi, avant septembre 1992 (traité entre l’Allemagne et la Roumanie pour l’expulsion des Tziganes), Kohl avait même parlé d’une menace d’état d’urgence, non pas à cause des attaques dont les étrangers étaient (et sont encore aujourd’hui) les victimes, mais à cause de l’afflux d’étrangers : il s’agissait du «risque d’une crise de confiance profonde envers notre État démocratique» parce que «l’afflux des étrangers [avait] dépassé le seuil du supportable». La responsabilité du gouvernement et des médias allemands dans ces violences racistes est donc prouvée : 37% des Allemands estiment que «les Allemands doivent se défendre contre les étrangers», 51% approuvent le slogan «L’Allemagne aux Allemands» et 26% «Étrangers dehors»8.
Enfin, pour finir, à la fin de l’automne 1992, le gouvernement allemand est persuadé qu’il n’existe aucun «indice» permettant d’affirmer que ces violences racistes sont le fait d’une extrême droite organisée : lors des procès, les motifs invoqués sont la désorientation, l’alcool et la provocation de l’étranger9. Un seul exemple, Hoyerswerda : une circonstance atténuante est accordée aux accusés, leur irresponsabilité aux moments des faits, «en raison de leur consommation d’alcool». Par ailleurs, les juges n’estiment pas «[avoir] à juger la dimension politique de leur manière de procéder».
Opération «Werwolf»
Depuis quelques mois circule en Allemagne sur une disquette PC un petit manuel du militant, en quelque sorte, réalisé par le NSDAP-AO (parti d’extrême droite interdit en Allemagne car il vise à la reconstruction du NSDAP). Il est constitué de divers éléments : on trouve tout d’abord des fichiers de la forme After-Dark (économiseur d’écran) copies-conformes du drapeau du IIIème reich, agrémenté de slogans anti-étrangers, anti-immigrés, antisémites, parfois écrits en lettres gothiques (quel cachet !). Après quelques indications sur la façon de lancer ce programme, on trouve un message de bienvenue de l’auteur Bertram Scharpf (Waiblinger Straße 34, D-W-7056-2 Endersbach) : il s’agit de relancer l’écriture gothique ou écriture «allemande» (il se propose de commercialiser une police gothique) et à cette fin, il donne quelques règles d’écriture à ceux qui seraient éventuellement intéressés. Encore quelques indications techniques et nous arrivons au manuel en lui-même : il s’intitule Eine Bewegung in Waffen, ce qui signifie un mouvement en armes, et se propose de donner au lecteur quelques rudiments en ce qui concerne la fabrication d’explosifs en tout genre, tout cela sous le patronage de la maison d’édition Horst Wessel.

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Le groupe qui a réalisé ce manuel est l’organisation «Werwolf» (loups-garous, cf. page 15); ce nom est fortement connoté puisque c’est le nom que s’étaient donnés les opposants nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais revenons au manuel : on lit tout d’abord une sorte d’avertissement sur le danger de fabriquer des bombes (!), sur le fait que leur utilisation est illégale, que les informations qu’ils livrent sont uniquement indicatives et que l’organisation «Werwolf» décline toute responsabilité par rapport à une éventuelle mésutilisation de ces informations. L’avertissement se clôt sur le chant des partisans baltes, commencent ensuite les recettes de fabrication : grâce à ce manuel, le lecteur peut confectionner des bombes incendiaires (des cocktails molotovs, entre autres, car c’est pratique, les ingrédients sont faciles à trouver, sic !), il y en a même certaines qu’on peut faire dans un préservatif. Autrement, il y a des bombes fonctionnant par réactions chimiques, d’autres à retardement ; la dernière étape de chaque «recette» est «Prêt pour l’utilisation!». Il est clair qu’il s’agit plus ou moins d’une incitation à utiliser ces bombes et on peut faire le rapprochement avec le grand nombre d’incendies provoqués par des cocktails molotovs l’année passée et cette année. Il y a également à la fin des formules pour savoir quelle bombe employer pour faire sauter tel ou tel matériau – sans commentaire.

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Un «führer» américain
Cette disquette informatique est signée à plusieurs reprises NSDAP-AO (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei — Auslands- und Aufbauorganisation, Parti national-socialiste allemand des ouvriers — organisation extérieure et constitutive). Cette organisation a été fondée par Gary Rex Lauck qui la dirige toujours. Gary Lauck est né en 1953 à Milwaukee, Wisconsin. Selon Lauck, il avait 11 ans quand il fut pour la première fois conscient de sa race. À 13 ans, il lisait Mein Kampf, et à l’âge de 18 ans, il commença à s’appeler Gerhard, la traduction allemande du prénom Gary10. Lauck n’a dans sa famille aucun antécédent allemand, mais il apprend l’allemand, qu’il parle aujourd’hui couramment : il parle même anglais avec un faux accent allemand. Lauck devient actif dans les cercles néo-nazis. Peu de temps après, il fonde le NSDAP-AO à Lincoln dans le Nebraska, où il est toujours basé aujourd’hui, bien que certaines sources indiquent qu’il a été fondé en Allemagne en 197311. Lauck est marié avec une femme d’origine croate, Janina Biresa, qui travaille dans une nurserie. Ils vivent aujourd’hui à Syracuse dans le Nebraska. Auparavant, ils vivaient à Chicago et son père Franck Lauck, qui est mort récemment, faisait suivre le courrier du NSDAP-AO à partir de Lincoln, qui était la seule adresse publiée.

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Lauck travaille chez lui. Il a un frère et une sœur jumeaux : en 1979, il est jugé pour avoir tiré sur son frère pendant une dispute familiale à propos de sa soeur. Par ailleurs, Lauck use des pseudonymes suivants : Karl Hammer et F. Hansing.
Le 25 mars 1976, Lauck est arrêté à Mayence par la police allemande qui saisit près de 30 000 tracts néo-nazis. Il avait été placé sous surveillance depuis 1974 par la police allemande, lorsqu’il avait fait un discours antisémite très violent. Il fut condamné à six mois de prison et expulsé aux États-Unis afin de finir sa peine de prison12. Il demeure interdit de séjour en Allemagne, deux exceptions furent cependant faites à ces règles ; la première fois en 1979, où il fut autorisé à témoigner au procès de Michael Kühnen et en 1992 pour témoigner encore une fois à un procès de néo-nazis à Stuttgart. À plusieurs moments, il semble qu’il se soit rendu en Allemagne clandestinement13. Après un bref séjour à Lincoln Nebraska, il est retourné en Europe à plusieurs reprises afin d’établir des contacts internationaux avec des camarades sympathisants. Il prit contact avec la CEDADE, Ordine Nuovo, le National Front et d’autres, et organisa une tournée de meetings, résultat de la signature d’un accord avec ces groupes à Londres le 26 septembre 1976. Cet accord avait pour but de renverser les lois antiracistes et antinazies dans un certain nombre de pays européens. Apparemment, Lauck envoie assez irrégulièrement de l’argent en Allemagne par l’intermédiaire d’une banque suisse. Il vit de son service de vente par correspondance de propagande nazie à travers une compagnie : RJC Engineering Inc, qui est aussi basée à Lincoln Nebraska.
Le NSDAP-AO est le descendant officiel du parti nazi allemand. Ce parti focalise ses activités vers l’Allemagne, et Lauck fournit les néo-nazis allemands en propagande, autocollants, drapeaux, livres, K7, vidéos, et argent. Il apporte aussi soutiens et contacts. L’importance du NSDAP-AO ne doit pas être sous-estimée. Selon le premier amendement de la Constitution américaine, la libre expression est un droit garanti et par conséquent le parti est légal. En Allemagne et dans beaucoup de pays européens, un parti ouvertement nazi est interdit. La littérature néo-nazie est imprimée légalement aux États-Unis mais sa distribution en Allemagne est illégale. C’est pourtant par la poste qu’arrive en Allemagne cette propagande.
Une organisation internationale
Le journal officiel du NSDAP-AO The New Order est publié en neuf langues : anglais, français, espagnol, portugais, hongrois, suédois, néerlandais, allemand et italien. La plupart des éditions étrangères sont en fait des traductions de la version américaine. La date sur les journaux est toujours suivie par un chiffre entre parenthèses, le nombre d’années écoulées depuis la naissance de Hitler. Ainsi, le numéro 98 du New Order est daté May/June 1992 (103). Aux États-Unis, New Order est lié au KKK et aux groupes terroristes comme The Order. Le numéro 82 du New Order était dédié à David Lane, un ancien activiste du Klan et un membre de The Order qui purge une peine de 150 années pour meurtre, vol et autres crimes.
Lauck réalise par ailleurs un programme de télévision intitulé Race and Reason qui est diffusé à Tampa, Floride. Un numéro récent de son journal télévisé montrait la Brigade Jacques Doriot de Michel Faci en action en Croatie. Un autre programme télé intitulé White Viewpoint a été lancé à Tampa, un troisième à Chicago. Les K7 de ces programmes télé sont envoyées à différentes stations dans l’espoir qu’elles soient diffusées ; la loi américaine permet que ce genre de programme soit diffusé bien qu’il doive y avoir un avertissement avant la projection.
On trouve des organisations liées au NSDAP-AO dans différents pays européens. En Grèce, le NSDAP-AO est en contact avec une organisation national-socialiste née en 1981 sous le nom de Golden Dawn, qui publie un mensuel. En Suède à Malmö, c’est Lars Göran Hedengard, l’éditeur de Sveriges Nationella Förbund, qui a fondé le Nordic National Socialist Bloc avec les terroristes du réseau suédois Storm et leurs contacts norvégiens du Vitt Ariskt Motstånd. Au Danemark, Riis-Knudsen, leader du parti nazi danois le DNSB, a été expulsé de son parti. Il était depuis 20 ans un des piliers du World Union of National Socialists, le principal rival du NSDAP-AO. La section danoise de la WUNS a donc rejoint le NSDAP-AO et publie Fœdrelandet14. En Hongrie, le principal contact de Gary Lauck est Istvan Györkös, le leader du Groupe d’action national-socialiste hongrois. Györkös a été arrêté en juillet 1992 pour possession d’armes. Il a été arrêté peu de temps après le néo-nazi autrichien Gottfried Küssel. Le journal du groupe, Uj Rend (Ordre nouveau), est financé et imprimé par Lauck. Récemment, un ordinateur d’une valeur de 10 000 dollars a été envoyé des États-Unis à Györkös pour l’aider. Györkös revendique pour son magazine plusieurs milliers d’abonnés, et il a remercié Lauck de lui avoir permis d’établir des contacts en Australie, en Suède et au Danemark. La Hongrie est considérée par Lauck comme une cible clé. Le NSDAP-AO finance par ailleurs une publication russe intitulée Our March, publiée par Ilya Lazarecki et son groupe l’Union de la jeunesse russe qui est basé à Moscou.
Kühnen, l’homme du NSDAP-AO en Allemagne
L’Allemagne est en fait le noyau central du NSDAP-AO, car c’est le pays où l’on trouve le plus de militants et d’organisations qui lui sont liées. Le NSDAP-AO étant interdit, il fonctionne par le biais «d’organisations-écrans» ou organisations avancées qui servent à former des cadres prêts à assumer les hautes responsabilités au sein du NSDAP, s’il venait à se reformer. Il n’y a donc pas un seul groupe correspondant du NSDAP-AO en Allemagne, mais une multitude, selon les interdictions gouvernementales. En revanche, les hommes «restent» et on retrouve en effet toujours les mêmes têtes : le plus important de ces correspondants en Allemagne a été Michael Kühnen (celui à qui l’on doit le «nouveau» salut nazi), leader du GdNF, groupe dont il sera question plus loin. Kühnen, mort du Sida le 24 avril 1991, a été quelqu’un de très dangereux : il militait depuis l’âge de 14 ans (NPD, Aktion Widerstand) et sur ses 18 années de militantisme, il en a passé sept et demi en prison, où il a écrit, comme son modèle Adolf Hitler. On peut notamment retenir son livre Politisches Soldatentum : Tradition und Geist der SA (Le soldat politique : la tradition et l’esprit de la SA). Un de ses projets était de reformer une SA15 qui participerait à la renaissance du NSDAP. Il évoque également le «combat» des soldats de la SA après 1945. La deuxième partie de ce livre consiste en une sorte de liste des dix commandements que le nouveau soldat de la SA doit respecter : croire, obéir, combattre, être fidèle, être solidaire de ses camarades, s’imprégner de l’idéologie national-socialiste, être discret, être courageux, être fier, être impitoyable.

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L’autre pays qui joue un rôle important au sein du NSDAP-AO est l’Autriche : elle est étroitement liée à l’Allemagne, puisqu’elle constitue l’un des sept Bereiche allemands du GdNF16, le Bereich Ostmark (c’était le terme utilisé après l’Anchluß pour parler de l’Autriche). Cette terminologie montre que la volonté de rattacher l’Autriche à l’Allemagne est toujours très vivace (il existe d’ailleurs en Autriche un nationalisme germanique très important). Le leader autrichien (un moment Gauleiter de Salzbourg) est Gottfried Küssel : il appartient à la VAPO (Volkstreue Außerparlamentarische Opposition, opposition extraparlementaire fidèle au peuple) qui est l’organisation avancée autrichienne du NSDAP-AO. Cette organisation s’illustre par des actions particulièrement violentes contre la gauche ou contre des projets d’alternatives.

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Par ailleurs, on peut remarquer que la VAPO est toujours présente lors des actions spectaculaires organisées par le GdNF en Allemagne. Après la mort de Kühnen, Küssel devient le leader : c’est quelqu’un d’extrêmement violent, qui organise des entraînements paramilitaires qui ont d’ailleurs été filmés en mai 1990 par Michael Schmidt et son équipe (exercices de bâton, de corps à corps, simulation de combats avec des pistolets à peinture). Il semblerait même que la VAPO soit impliquée dans la vague d’attentats à la lettre piègée qui a mis l’Autriche en émoi au début décembre 1993. En effet, la police tchèque a arrêté mercredi 8 décembre un Autrichien, Peter Binder, chez qui elle a trouvé les ingrédients nécessaires à la fabrication de bombes, d’un type inconnu jusqu’alors. Selon un porte-parole du ministère de l’Intérieur : «Peter Binder est connu par nos services pour ses contacts étroits avec la VAPO». On a trouvé dans son carnet d’adresses les adresses du leader de la Deutsche Alternative de Berlin, Arnulf Winfried Priem, également impliqué dans le réseau du NSDAP-AO, de Christian Worch et de Michael Petry. L’autre personne arrêtée à Vienne, également membre de la VAPO, Alexander Wolfert, est un ancien de la Croatie, il aurait combattu dans la même unité que Michel Faci. La police a trouvé une cache d’armes comprenant des centaines de mitrailletttes, de mortiers, de grenades et 20 kg de TNT17. Il semble qu’en Autriche certains aient démarré l’opération «Werwolf».
Un député européen NSDAP-AO ?
En 1990, alors que Michael Schmidt faisait son film Wahrheit Macht Frei, il a eu l’opportunité de faire une interview avec Lauck qui est très révélatrice18. L’interview aurait été faite soit en Allemagne, soit au Danemark chez un négationniste, l’ancien officier SS Thies Christophersen. Kühnen était aussi présent à cette interview. Lauck fait la déclaration suivante sur l’Holocauste : «Je pense que les Juifs ont été traités un peu trop bien dans les camps de concentration. Personnellement, je pense que cela a été une erreur de faire comme cela». Lauck a été étroitement questionné à propos de l’adhésion au NSDAP-AO (selon les statuts du parti, personne ne peut révéler l’adhésion au parti). Lauck n’a répondu que par ces deux mots : «No Comment». Idem à la question de savoir si un des membres du parti siége au Parlement européen. Kühnen avait déjà tuyauté Schmidt en lui disant qu’un ancien membre du NSDAP-AO était membre du Parlement. Kühnen décide alors de parler, tandis que Lauck se tait car il sent que son intégrité est en cause : «Je sais qu’il y a un de nos membres au Parlement européen… Je l’ai vu de mes yeux vus, et cela m’a été confirmé par deux camarades avec qui j’ai travaillé dans le temps et qui travaillaient avec Neubauer». Dans ce film, Kühnen déclare : «Harald Neubauer a occupé des fonctions au NSDAP-AO dans le nord de l’Allemagne entre le début et le milieu des années 1970, et pour autant que je sache il a été trésorier dans le Schleswig-Holstein»19. Harald Neubauer est actuellement parlementaire européen de la Deutsche Liga für Volk und Heimat. C’est un ami proche de Jean-Marie Le Pen. Quand Neubauer lui-même est interviewé dans le film, il dit pour sa défense : «1972, à l’époque je n’avais que vingt-et-un ans, c’était donc avant mon époque». Mais Neubauer ne nie pas formellement son ancienne appartenance au NSDAP-AO dans les années 1970. Kühnen en vient à déclarer : «En 1977 ou 1978, nous avons eu une réunion de la DVU avec le colonel Rudel. Pour cette raison, Neubauer est entré en contact avec un ancien camarade de l’AO qui était son contact personnel pour la protection des salles de réunion lorsqu’il avait besoin de nous. Il savait exactement qui nous étions ; il est venu nous voir avec ce camarade et il a dit : “Êtes-vous prêts à vous occuper du service d’ordre, voilà ce que nous faisons”»20. Dans le livre, Kühnen déclare à Lauck : «Oui, c’est un hypocrite. Et il était content et reconnaissant que nous lui ayons fourni des gardes du corps… Je vois en lui un ennemi public. Même s’il est toujours de l’AO».
Reconstruction d’un parti interdit ?
Le NSDAP-AO fonctionne donc par organisations avancées, afin que d’une part il y ait un cloisonnement de toute l’organisation néo-nazie et que d’autre part, elle puisse ainsi se soustraire aux éventuelles interdictions des gouvernements : il n’y a donc pas de NSDAP-AO en Allemagne, et si une organisation est interdite comme la Deutsche Alternative (alternative allemande) le 8 décembre 1992, une autre peut en récupérer les membres, le matériel et l’argent. L’organisation clé du NSDAP-AO en Allemagne est le GdNF21 qui sert d’intermédiaire entre le NSDAP-AO et ses organisations avancées en Allemagne. Le GdNF s’est formé autour d’un journal interne, Die Neue Front, qui s’occupait de la coordination des néo-nazis : il s’agit d’une organisation qui forme des cadres. Elle est, comme son prédécesseur l’ANS/NA22, «la branche légale du mouvement national-socialiste de la nouvelle génération dans la tradition de la SA et mène un combat politique pour la levée de l’interdiction du NSDAP. Elle se reconnaît dans le programme en 25 points [du NSDAP] du 24 février 192023». De 1989 à 1991, les principales activités du GdNF ont été :
• construire des structures, surtout en RDA
• organiser des marches comme à Wunsiedel, Bayreuth et Dresde
• propager les idées révisionnistes
• développer des entraînements paramilitaires et étendre l’organisation du GdNF en SA
• effectuer un travail centré sur une utilisation habile des médias allemands pour se faire connaître du public (et ce grâce à Kühnen).
À côté du GdNF se développent donc beaucoup d’autres structures qui ont d’autres centres d’intérêt (plus particuliers) comme le Deutsches Hessen, la Deutsche Alternative ou le Nationaler Block (cf. schéma). Le GdNF fonctionne sur le modèle du NSDAP pour ce qui est de son organisation nationale : le territoire allemand, ainsi que les Pays Bas et l’Autriche sont divisés en Bereiche, eux-mêmes divisés en Gaue : on a ainsi le Bereich ANS-Niederlande (Belgique), le Bereich Ostmark (Autriche) et, pour l’Allemagne à proprement parler, les Bereiche du nord, du sud, du milieu, de l’est et de l’ouest.

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Le schéma proposé ici permet de mieux cerner la sphère d’influence du GdNF et montre les diverses ramifications de cette organisation, que ce soit à l’étranger, dans des partis ou dans des associations ayant un but plus particulier, tout cela se rattachant au NSDAP-AO domicilié aux États-Unis. Il est intéressant de voir qu’en plus des organisations précitées (VAPO, ANS-Niederlande) ou connues comme étant des partis d’extrême droite (FAP, NPD, NF24), le GdNF est étroitement lié à des organisations comme le HNG qui s’occupe de soutenir (financièrement, entre autres choses) les néo-nazis emprisonnés et leur permet de s’exprimer dans un journal : Nachrichten der HNG (nouvelles du HNG) ; par ce biais, certains arrivent à nouer de nouveaux contacts pour s’engager dans d’autres groupes comme Waldemar Pfeffer, ancien activiste de la DVU et du NPD, qui après un séjour en prison s’est recyclé chez les Republikaner. À côté de cela, le GdNF est lié à des organisations plus spécifiques et donc susceptibles de mobiliser des gens sur des terrains plus particuliers : ainsi, le Deutsche Frauen Front (front des femmes allemandes) se présente comme un groupe «autonome de l’opposition alternative allemande», bien qu’il n’ait rien à voir ni avec l’autonomie ni avec l’alternative, et qui met en avant une conception national-socialiste du rôle de la femme dans la société, c’est-à-dire la femme comme mère au foyer (avec un salaire maternel) soumise à son mari ; ce groupe se prononce également contre l’avortement. On peut noter à ce propos une autre association proche du GdNF, Aktion Lebensschutz (action pour la protection de la vie). Le GdNF est également lié à un groupe antisémite (AZA25), un groupe anticommuniste (ANTIKO26),et à un syndicat d’extrême droite, le FGB (Freie Gewerkschaftsbewegung, mouvement syndicaliste libre), qui est en fait une antenne du GdNF chargée de propager des idées racistes dans le monde du travail27.
Depuis la mort de Kühnen, le GdNF est dirigé par plusieurs personnes, parmi lesquelles Gottfried Küssel d’Autriche, Christian Worch de Hambourg et Arnulf Priem de Wotans Volk (le peuple de Wotan).
En France…
Le NSDAP-AO avait développé depuis des années des contacts avec les Faisceaux nationalistes européens de Mark Fredriksen, faisceaux qui succédaient à la FANE, dissoute en 1980. Les FNE ayant une activité très réduite (la publication de leur feuille d’infos mensuelle, et un repas en l’honneur de Hitler une fois par an), la coopération se bornait à l’échange d’informations. Michel Faci, en contact avec le NSDAP-AO depuis des années, a servi d’intermédiaire avec le PNFE de Claude Cornilleau qui entretenait déjà grâce à l’Euroring des contacts avec le British National Party et avec le FAP. Les contacts se sont officialisés très récemment avec le message de soutien au congrès du PNFE à Vellexon (dans la Haute-Saône) en avril 1993 ; Lauck s’est rendu en Croatie pendant l’été et y a rencontré Faci. Par ailleurs, des militants du PNFE se font arrêter en banlieue parisienne avec des autocollants du NSDAP-AO et des armes. Dernièrement, une rumeur a couru sur la présence dans le nord de la France d’un représentant du NSDAP-AO à une réunion de skins. Or, on comprend la nouvelle stratégie du PNFE28 uniquement dans ce contexte d’accroissement des contacts avec le NSDAP-AO. Lors du dernier congrès du PNFE, ses dirigeants ont appelé leurs militants à s’implanter, à s’armer légalement et à former des communautés rurales. En effet, ce genre de stratégie a déjà été développé aux États-Unis par le groupe The Order29, groupe néo-nazi terroriste implanté à la campagne. Sombres perspectives…

1 Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), 9 janvier 1974, éditorial de Joachim C. Fest.
2 Le souvenir engagé, Joachim C. Fest.
3 Eckhard Fuhr, commentateur de la FAZ .
4 F. K. Fromme, commentateur de la FAZ.
5 Sebastian Haffner.
6 Helmut Kohl à Passau en 1988.
7 Interview de Klaus Hurrelman, spécialiste de l’éducation dans le Spiegel.
8 Sondages publiés par l’Infas, peu après les événements de Rostock.
9 Le livre de Michael Schmidt Néo-nazis, la terrible enquête fait état d’une conversation avec Michael Kühnen, le leader du NSDAP-AO (pp. 268-269) : «Toujours dire : “J’étais soûl… Je m’ennuyais. J’ai été provoqué”. Comme ça, tu ne prends que la moitié !».
10 Le récit des débuts dans la vie de Gary Lauck est tiré de Néo-nazis, La terrible enquête par Michael Schmidt.
11 Comme The Radical Right, a World Directory, Cioran O’Maolain, Keesing’s Reference Publications, Longman, Grande-Bretagne, 1987.
12 Voir Dossier Néo-nazisme, Patrick Chairoff, éditions Ramsay, 1977.
13 Michael Schmidt op.cit.
14 Jensen Erik «International Nazi Cooperation. A Terrorist-Oriented Network», in Racist Violence in Europe, Macmillan, 1993, p.85 et suivantes.
15 Il s’agit de la Sturmabteilung, section d’assaut existant sous Hitler et dont Kühnen retrace longuement l’histoire dans son livre.
16 Il s’agit des divisions territoriales effectuées par le GdNF pour s’organiser nationalement (et extra-nationalement) sur le modèle du NSDAP de Hitler. Les Bereiche étaient ensuite divisés en Gaue avec chacun un Gauleiter à sa tête.
17 Brenda Williams «Death List Suspects Released; Nazi Arms Cache near Vienna» in Germany Alert, vol III n°25, 13 décembre 1993.
18 Michael Schmidt op.cit. Toute l’interview n’est pas dans le film, on trouve certains passages de l’interview dans le fim français La Peste brune, mais pas dans le livre, et à d’autres moments, on trouve des passages de l’interview dans le livre mais pas dans le film.
19 Citation extraite du film La Peste brune, mais absente du livre.
20 idem.
21 Gesinnungsgemeinschaft der Neuen Front, c’est-à-dire communauté d’opinions du nouveau front.
22 Arbeitsgemeinschaft Nationaler Sozialisten/Nationaler Aktivisten, c’est-à-dire communauté de travail de nationaux-socialistes et d’activistes nationaux. Cette organisation fut interdite en 1983.
23 Die neue Front janvier 1990
24 Freiheitliche Deutsche Arbeiterpartei (parti ouvrier de la liberté), Nationaldemokratische Partei Deutschlands (parti national-démocratique allemand) et Nationalistische Front (Front national).
25 Antizionistische Aktion, c’est-à-dire action anti-sioniste.
26 Antikommunistische Aktion, c’est-à-dire action anticommuniste. Ce groupe s’occupe plus particulièrement de recruter des activistes dans le milieu skinhead hooligan.
27 Depuis 1988, ils appellent à faire à nouveau du premier mai «le jour du travail allemand». Selon eux, les travailleurs ne doivent pas s’élever contre les mesures de licenciements prises par les entreprises, mais contre les travailleurs immigrés et doivent se réunir dans un mouvement soumis à l’État.
28 Voir «PNFE le retour» in REFLEXes n°40, octobre 1993.
29 Voir Kevin Flynn and Gary Gerhardt, The Silent Brotherhood, Signet, New York, 1990.

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