REFLEXes

Le pognon du Front

6 décembre 2004 Les institutionnels

Publié en décembre 1997

Le principal financier du Front National reste l’Etat, avec presque 50% des recettes du FN. Sans l’aide publique, le FN ne pourrait pas continuer à se développer. Ironie de l’histoire, c’est la démocratie qui finance un parti fondamentalement anti-démocratique.

Un livre paru dernièrement Les Filières Noires de Guy Konopnicki tentait de déterminer quelles étaient les sources de financement du Front National. Diverses pistes sont évoquées, notamment en Afrique et au Moyen Orient. Certaines se sont avérées intéressantes et inédites, comme l’aide d’une banque saoudienne au quotidien de Bruno Mégret Le Français. Mais elles n’ont pas véritablement débouchées sur de grosses révélations. Il reste que les finances du FN restent toujours aussi opaques et il est difficile de connaître son mode de financement. Pourtant depuis 1993 tous les partis politiques sont tenus de par la loi de publier leurs comptes, ainsi que la liste des entreprises qui lui ont fait un don. La publication de ceux de 1994 n’apprennent rien de plus . Néanmoins ils nous permettent de tirer quelques indications intéressantes sur l’état du FN et même de soulever une piste financière inédite à ce jour.

Des tendances lourdes

D’un point de vue général, les recettes du Front National ont peu varié entre 1993 et 1994 : 72 millions pour la première année contre 75 millions pour la dernière. Si on regarde d’un peu plus près on s’aperçoit que la tendance générale est à la baisse. Ainsi on observe qu’en 1994 le poste «Cotisation des adhérents» a perdu 2,5 millions par rapport à 1993. Si l’on prend la cotisation de base à 200 frs, cela signifierait qu’entre 1993 et 1994 le FN aurait perdu près de 12 000 adhérents. En fait il faut être très prudent et relativiser ces chiffres, le parti lepéniste comme tous les autres partis ayant tendance à gonfler le chiffre de ses adhérents. Néanmoins on peut expliquer cette différence par le fait que pour beaucoup de gens l’adhésion reste ponctuelle : on prend sa carte une année, puis on ne la renouvelle pas forcément. Le FN reste un parti passoire qui a du mal à fidéliser ses adhérents. Par contre ceux qui restent forment une base très solide, ce sont les purs et durs. Le FN est donc définitivement ancré dans la vie politique et il ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Au contraire sa stratégie actuelle n’en est que plus préoccupante : formation de cadres et embrigadement de toutes les catégories sociales, au moyen de cercles, de manière à toucher de nouveaux publics et à ramener vers lui des gens qui ont voté FN un jour, sans donner suite après. Cela signifie que le FN n’a pas encore fait le plein de toutes ses voix et qu’il dispose d’un important réservoir de voix qu’il entend bien à ce niveau transformer en militants purs et durs.

Le poste «Cotisation des élus» a subi lui aussi une baisse, de l’ordre de 900 000 frs. Il est clair que sans représentation nationale (députés) et ses avantages, le FN a du mal à pouvoir vivre de manière totalement autonome d’un point de vue financier, d’autant plus que les dons d’entreprises ou de particuliers suivent la même courbe. En fait le principal pourvoyeur de fonds du FN reste l’État avec 36 millions de francs en 1994 ce qui représente presque 50% des recettes du Front, soit 10% de plus qu’en 1993. Sans l’aide publique le Front National ne pourrait pas continuer à se développer. Ironie de l’histoire, c’est la démocratie qui finance son pire ennemi. Mais cela signifie aussi que le FN vit à crédit, il emprunte de l’argent en spéculant sur ses résultats aux élections. Si jamais le pronostic s’avère faux un jour, le Front risque alors de connaître de gros problèmes financiers (c’est notamment le cas de la Fédération des Bouches du Rhône). D’où la nécessité de trouver d’autres sources de financement que celle de l’État, les entreprises et les particuliers.

Le grand Kapital sur la réserve…

Pour les entreprises, les sommes ne pourront jamais atteindre des niveaux très importants car les grosses entreprises qui financent traditionnellement les partis politiques (BTP, eaux…) ne souhaitent pas voir leur nom accolé à celui du Front National, par peur de perdre de gros marchés. Quant à celles qui font des dons, ce sont généralement des petites PME, installées localement ou bien des entreprises dirigées par des militants du FN. La liste des dons des personnes morales publiées en 1994 vient confirmer cette analyse.
C’est ainsi qu’en 1994, le FN a perdu son principal financeur la Compagnie des Bateaux Mouches dirigée par Jean Bruel, celui-ci lui préférant son rival le Vicomte De Villiers et son Mouvement pour la France à qui il a versé 300 000 frs. Peut être que la mauvaise publicité occasionnée par son don de 250 000 frs au FN en 1993, surtout à l’étranger, l’a fait réfléchir à deux fois.

Business is Business

Un autre financeur habituel du Front et de ses candidats a disparu ; il s’agit des laboratoires pharmaceutiques Beaujour. Eux aussi ont préféré changer de monture. En 1994, ils ont choisi le RPR en lui octroyant un don de 100 000 frs. Il faut toujours être au mieux avec le parti au pouvoir.
Seul Plastic Omnium est resté fidèle au Front national, doublant même sa contribution (de 50 000 à 100 000 frs) au parti de Jean Marie Le Pen. A titre de comparaison, Plastic Omnium a versé 30 000 frs au Parti Républicain, 50 000 frs au PC, 112 000 frs au PS et 300 000 frs au RPR. Le fait que Plastic Omnium ait persévéré dans sa démarche indique bien que le Front est en passe de devenir un partenaire comme les autres pour cette société, d’autant plus que le FN est à la tête de trois mairies aujourd’hui et qu’un de ses anciens dirigeants dirige celle de Nice. Plastic Omnium spécialisé dans le nettoyage (les poubelles) et le chauffage vit des contrat qu’elle passe avec les collectivités locales, ce qui explique sûrement la continuité et l’importance de ses dons au Front. Autre fidèle du FN, la SARL SMP Joly et la SA SARCA Intermarché.

Plus militant le Comité de soutien aux libertés, la SA Jean Paul Jamet dont la famille comprend Alain Jamet, responsable du Front pour l’Hérault, ou encore l’association Rilleux fait Front. Quelques nouveaux apparaissent dont la SARL GG Conseil dont nous parlerons plus loin. Bref, on ne se bouscule pas pour financer le Front et surtout on redoute de voir son nom apparaître publiquement. D’où la nécessité d’avoir d’autres filières de financement, plus opaques, voire détournées.

Des partis fantômes

C’est ainsi qu’outre des dons de sociétés et de personnes physiques, le FN a reçu un don de 60 000 frs provenant d’un petit parti politique jusqu’alors inconnu : le Rassemblement des Démocrates Républicains de Progrès (RDRP). Celui-ci est domicilié en Seine-et-Marne et dirigé par un certain Jacques Prost, père des frères Prost, militants du FNJ. Ce parti apparaît pour la première fois en mars 1993 à la faveur des élections législatives. Il présente à cette occasion 69 candidats qui obtiendront un total de 47 000 voix. Mais bizarrement ce n’est pas sous le sigle du RDPR qu’ils vont se présenter mais sous celui de Génération Verte.

A l’époque l’écologie est à la mode et les divisions du mouvement écologiste ont fait éclater celui-ci en plusieurs organisations, les Verts d’un côté, Génération Écologie de l’autre, l’Alliance pour l’Écologie et la Démocratie… La mère Terre n’y retrouverait pas ses petits. Certains semblent l’avoir bien compris et en jouant sur la confusion des sigles et la sympathie envers l’écologie en général, vont ainsi récolter quelques milliers de voix mais surtout de l’argent, sous forme de remboursement de frais de campagne et l’aide financière publique déterminée par le nombre de voix obtenues. À ce petit jeu c’est un avocat marseillais Bernard Manovelli qui va décrocher le gros lot, en présentant 551 candidats choisit pour certains sans leur consentement sur des listes de donateurs de la Société Protectrice des Animaux, sous l’étiquette des Nouveaux Écologistes du Rassemblement Nature et Animaux. Résultat : l’État lui versera 3 millions au titre de l’aide publique puis 2 millions en 1994.

Génération Verte ou plutôt le RDRP, lui se contentera plus modestement de 460 000 frs en 1993 et 580 000 frs en 1994, soit au total un million de francs en deux ans ce qui est loin d’être négligeable. En poursuivant notre enquête nous avons découvert que les militants de Génération Verte appartiennent en grande majorité à la tendance «vert de gris». Ainsi Roger Johnstone candidat RDRP-Génération Verte à Paris 7e. En 1989, il est alors candidat aux Européenne sur la liste du FN en 14e position. À Rosny-sous-Bois, RDRP-Génération Verte présente une certaine Jacqueline Lambert. En fait, cette dernière se présente sous son nom de jeune fille puisqu’en réalité elle s’appelle Jacqueline Lambert Pancrazi et se retrouve loin de chez elle puisqu’elle habite Marseille, où elle occupe le poste de secrétaire de la section 8e et 9e arrondissement du FN. Son mari Claude Pancrazi est lui aussi candidat Génération Verte mais à Compiègne. À Brie-Comte-Robert, c’est Marie-Odile Raye qui se présente est elle aussi marseillaise et membre du FN, responsable de la section du 3e, dont elle sera tête de liste aux municipales de mars 1995.
Jacques Prost lui-même n’est pas inconnu puisqu’il est le président du Cercle National des Automobilistes lié au FN et le père de Karl et Grégory Prost, militants du FNJ. On pourrait continuer encore longtemps, car en fait la plupart des candidats présentés par Génération Verte et le RDRP sont membres ou proche du FN.

Le RDRP est-il une succursale du FN ?

En tout cas, outre le fait d’avoir présenté plusieurs de ses membres sous cette étiquette, il n’hésite pas à lui faire plusieurs dons financiers. Pour service rendu ? Ainsi en 1993, le RDRP va faire un don de 20 000 frs à la fédération FN de Seine et Marne. En 1994, nous l’avons déjà évoqué, trois dons pour un total de 60 000 frs. Autre don singulier, celui de l’association St Louis, qui est en fait une émanation du Front national. Elle est depuis cette année la gérante d’une SCI Saint Louis qui est devenue la propriétaire du Château de Neuvy le Barangeon, siège du Cercle National des Combattants, un cercle dirigé par Roger Holeindre, un des plus vieux cadres du Front national. Ce château accueille entre autre l’Université d’été du FNJ.

Alors pour qui roule ce parti Génération Verte ? Un élément de réponse intéressant nous est fourni par son adresse qui correspondait à celui de la secte Moon. Autre élément, Roger Johnstone candidat du RPRD-Génération Verte (et du FN en 1989) a été présenté dans les médias comme très proche de la secte. En plus Moon a toujours été proche du FN .

Le FN qui brandit haut et fort la préférence nationale, n’est pas sectaire en ce qui concerne son mode de financement. Très dépendant de l’État, il reste fragile quand à son fonctionnement financier. Mais l’arrivée à la tête de plusieurs mairies lui ont permis d’avoir accès à d’autres formes de financement comme celui des marchés publics. C’est aussi un bon moyen de se payer des permanents politiques comme Serge de Beketch, responsable du service communication à Toulon, mais surtout de devenir des interlocuteurs intéressants pour certaines sociétés qui vivent des marchés publics (comme Omnium plastic). Nul doute que si le Front obtient quelques sièges de députés le monde des affaires reconsidérera sa position vis-à-vis du parti de Jean Marie Le Pen, avec tout ce que cela suppose en terme de progression pour le FN.

ENCART : LE FN ET MOON

CEYRAC Pierre, représentant de Causa en France, ancien membre du Comité central du Front national. ancien député du Nord de 1986 à 1988 et député européen. Au sein du Front national, les catholiques intégristes dont Romain Marie menèrent une très forte campagne contre Ceyrac et la secte Moon. Ceyrac a fait partie de la rédaction de nouvel Espoir le journal de Causa, qui lancera Causa en France en 1985.

Fin 1980, les moonistes qui animent une association intitulé Résistance et Solidarité distribuent des tracts anticommunistes. C’est à cette époque que des contacts seront pris avec les comités Chrétienté-Solidarité, dont l’animateur est Romain Marie, membre à l’époque du CNIP, il rejoindra ensuite le Front national. Causa liera aussi des liens avec la rédaction du journal Présent.

En septembre 1983 six dirigeants de Causa sont arrêtés par la police, ils transportaient un stock d’affiches signés Comités Chrétienté-Solidarité. Parmi eux Henri Blanchard président de Moon en France.

Le journaliste Jean Marcilly, ancienne éminence grise et biographe de Le Pen (de 1983 à octobre 1984), participe à de nombreuses missions et conférences de Causa.

Le député européen (en 1984) du Front national Gustave Pordéa est un mooniste, tout en étant proche de l’ambassade de Roumanie en France. Selon Jean Marcilly CAUSA aurait payé 500 000 $ pour avoir un député européen.

Roland Gaucher, du Front national et ancien rédacteur en chef de National Hebdo (FN), a participé en février 1985 à une conférence de l’International Security Council, où participaient aussi des généraux latino et nord-américains sur la menace soviétique dans les Caraïbes

Causa publia « La Vocation spirituelle de la France », proche des thèses de la France.

Le siège de Causa et celui de la secte Moon (9 rue de Chatillon 75014 Paris) a été utilisé pour la campagne présidentielle de Le Pen en 1988.

Michel de Rostolan, Cercle Renaissance. Ancien militant d’Occident (néo-nazi) puis membre du parti CNIP avant de rejoindre le Front national en 1988. Membre associé de la Ligue mondiale Anticommunisme. Il a été élu conseiller régional d’Île de France en mars 1992.

(Sce principale : Jean François Boyer l’empire Moon, La découverte, 1986)

ENCART : Candidats Génération Verte RDRP en mars 1993, en gras les membres ou sympathisants du FN

Prénom et Nom Circonscription
Pierre Beteille Montreuil
Jacqueline Lambert Pancrazi Rosny sous Bois
Cécile Pabour Senan
Louise Cartier Noisy le Grand
Christian Dehosse Pontoise
Gérard Lodame Taverny
Simone Guyon Franconville
Brigitte Midoux Argenteuil
Franck Landouch Enghien
Lucette Allier Sarcelles
Jacques Girard Goussainville
Alberto Mondales Versailles
J.F. Cordet Versailles
François Rudolf Le Chesnay
Dominique Hoel Houille
Marie Thérese Bouffard Sartrouville
Marc Honmin Saint Germain en Laye
Catherine Simon Conflans St Honorine
Stéphanie Gasnat Mantes la Jolie
Jacky Grudez Aubergenvielle
Fernand Verdière Rambouillet
Maurice Prost Trappes
Gilbert Dehosse Poissy
Laurent Plomb Chartres
Angeline Glehen Dreux
Jean Claude Gueguen Nogent le Rotrou
Julien Hoel Troyes
Christophe Lemaitre Paris 2
Mauricette Segard Paris 5
Jean Paul Chaudy Paris 6
Roger Johnstone Paris 7
Eliane Povagratopoulos Paris 9
Gérard Alliala Paris 11
Jacques Bouffard Corbeil Essonne
Jean Caze Paris 21
Christiane Dor Arpajon
Solange Fress Longjumeau
Pierre Mogue Orsay
Stéphane Chaton Massy
Virginie Prost Viry Chatillon
Jean Casalongua Draveil
Harry Marguerite Meudon
Jean Peynaud Issy les Moulineaux
Jurgen Davy Chatillon
Jacques Caillaux Antony
Marie Angèle Gerberon Melun sud
Lionel Beard Fontainebleau
Robert Domenech Melun
Breznislaw Kierzkowski Meaux
Jocelyne Michel Meaux
Pascal Billard Claye
Marcel Mares Torcy
Marie Odile Raye Brie-Comte-Robert
Colette Verdiere Troyes
Frédéric Gillet Reims
Corinne Laure Vitry le François
Pierrette Honmin Besançon
Christiane Gosseau Audincourt
Louis Prost Lons le Saulnier
Maryse Verdière St Claude
Christine Verdière Dole
Emmanuelle Flachot Argentans
Giselle Turco Creil
Georges Hilmoine Senlis
Claude Pancrazi Compiègne sud
Albert Ferra Compiègne
Georges Mouillet Clermont

ENCART : FINANCEMENT DU FRONT NATIONAL

1993 1994
Cotisation adhérents 10 700 000 8 195 000
Cotisation élus 5 500 000 4 680 000
Financement public 29 000 000 36 400 000
Dons pers.physiques 13 000 000 11 000 000
Dons pers. morales 470 000 370 000
Contri. partis pol. 60 000
Manifs et colloques 6 600 000 6 800 000
Produits exploitations 1 900 000
Autres produits 4 8000 000 2 300 000
Produits financiers 945 000 2 650 000
Amortissement 1 000 000 500 000
Total 72 000 000 74 800 000

ENCART LISTE DON DES PERSONNES MORALES

1993 1994
Cie bâteaux mouches 250 000 Plastic Omnium 100 000
Plastic Omnium 50 000 SARL GG Conseil 67 000
SARL SMP Joly 44 000 Com sout. Libertés 35 000
SA National Hebdo 24 000 SARL SMP Joly 37 000
AC SRN 92 20 000 SA J.P. Jamet 33 000
AC SES 16 000 Ets. Blanck SA 20 000
SA SARCA Intermarc. 10 000 SOFIBE 12 000
SCI Ray. Expansion 10 000 Gérard Paguez 10 000
SNFI 10 000 Marcel Bouvier 8 000
Frabnce LI XXXX 10 000 SA Sarca Intermarc. 8 500
Rilleux Fait Front 8 000

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