REFLEXes

Le Rock Identitaire Français (3) Chapitre I : Avant le RIF…

Texte original publié en 2004 dans le livre Rock Haine Roll.

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Depuis son apparition et pendant une période relativement longue, les milieux nationalistes ont vu dans le rock plusieurs (bonnes) raisons de le rejeter. Tout d’abord cette musique venait des Etats-Unis, véhiculait une certaine colère et exprimait les sentiments de révolte de la jeunesse. Cette musique, comme le jazz à son arrivée en France, était finalement assimilée à une nouvelle forme de perversion créée par les Noirs. Cette appréhension des choses n’a pas fondamentalement évolué et certains réseaux de l’extrême droite la plus traditionnelle conservent cette vision passéiste, refusant catégoriquement de jouer ou même d’écouter du rock, sous toutes ses formes ; c’est le cas en particulier des milieux catholiques traditionnalistes et le meilleur exemple de cette attitude est représenté par Radio Courtoisie, qui préfère diffuser de la musique classique et des chants traditionnels plutôt que de faire la moindre concession à la modernité. Ces courants y voient d’ailleurs toujours pour une partie d’entre eux la musique du Diable, ce qui n’était cependant pas le cas de la majorité de l’extrême droite, pour qui il ne s’agissait pas au départ d’accusation de satanisme, mais plutôt d’un refus d’accepter une nouvelle forme d’expression venue d’un pays majoritairement considéré comme socialement décadent. La principale accusation sera ainsi longtemps celle de favoriser la consommation de drogues en tout genre, la perversion sexuelle et de vouloir préparer la révolution.

Les accusations de manipulations mentales, de messages subliminaux à la gloire de Satan ne sont apparues que dans les années 1970, soit plus de 15 ans après l’apparition du rock. Elles ont visé des noms célèbres du Rock : les Beatles avec l’album blanc rebaptisé par certains milieux catholiques Devil’s White Album, les Rolling Stones, Led Zeppelin, AC/DC, Black Sabbath… Les articles affirmant le contraire sont alors extrêmement rares et tout aussi rarement pertinents. On peut citer à titre d’exemple un papier paru dans le numéro 63 de Notre Europe, journal officiel des Faisceaux Nationalistes Européens (ex-FANE[1]) en mars 1984 dans lequel l’auteur se livrait à une étude apologétique du Hard-Rock et du Heavy Metal en détaillant toute la symbolique des groupes et en finissant par cette considération préremptoire : « Une chose paraît encore plus importante (et cela dérange les critiques qui descendent le metal) : les rituels hard, la pluie de décibels et l’atmosphère apocalyptique s’inspirent directement d’une vision du monde très germanique. Mieux, ils font penser à l’époque où l’Allemagne était national-socialiste ! ».

Cette situation contraste avec la place accordée au rock dans l’extrême gauche. Une partie des militants et dirigeants de ce courant, plus à l’écoute de la jeunesse, ont su en effet rapidement s’associer à cette nouvelle forme d’expression pour diffuser leur message. Bien avant Trust et la vague punk, des groupes de rock en France ont affiché leurs opinions, tels Red Noise et Komintern ou encore Barricade. Ces groupes étaient directement issus de Mai 68 et revendiquaient leur influence marxiste.
Mais au delà du rock, il faut bien constater que dans les années 1970 et même 1980, les nationalistes n’ont pas beaucoup de relais dans le monde musical, et ce y compris dans la chanson et la variété. Il existait bien des chansonniers qui pouvaient avoir un écho à l’extrême droite, bien souvent à cause de textes réactionnaires mais à part Pierre Dudan et ses chansons Sainte Jehanne ou Les fachos, l’histoire a oublié leur nom. Pierre Dudan n’est d’ailleurs pas connu pour ces titres que l’on peut fort bien oublier et qui furent diffusés par la SERP, label de Jean-Marie Le Pen, mais pour être l’auteur-compositeur de l’inoubliable Le petit café au lait au lit.
Les_RicainsLes_RicainsAu niveau du grand public, Michel Sardou à cette époque fut pendant un temps associé à tort ou à raison à l’extrême droite. Il faut dire que les paroles de ses chansons n’étaient pas particulièrement progressistes. Un des paroliers de Michel Sardou mais aussi de Gilbert Bécaud à cette époque s’appelait Pierre Delanoë, célèbre parolier de la musique française, mais aussi militant d’extrême droite. Les concerts de Sardou dans le début des années 1970 étaient protégés par des cars de CRS. Un jour les militants de la LCR ont accueilli les spectateurs à Toulouse sous une haie de bras tendus suite à des chansons comme Ne m’appelez plus jamais France, Je suis pour [la peine de mort. NDLR], mais aussi Les Ricains. Malgré cela, Michel Sardou niera toujours avoir une quelconque sympathie pour l’extrême droite, se définissant plutôt comme un anarchiste de droite[2], ne se reconnaissant pas dans la gauche. Il faut croire que le mythe n’a pas complètement disparu puisque le magazine Tribune Musicale[3] lui consacrera un article à propos de l’album Français.
Quoique moins connu, un autre chanteur relativement célèbre à l’époque, aux textes très réactionnaires, fut aussi assimilé mais cette fois avec raison à l’extrême droite. Il s’agit de Philippe Clay (ancien préfet de police !), dont la chanson Mes Universités attaquait les mouvements de Mai 68.

Cependant peu de relais ne signifie pas aucun.

Les pionniers de la variété faf dans les années 1980

Les années 1980 vont voir émerger quelques artistes revendiquant clairement leur engagement à droite de la droite.
Le plus connu est à l’époque Jean-Pax Méfret. Chanteur d’origine pied-noire, ce journaliste sort son premier album en 1980. Intitulé Vous allez me traiter de réac’, cet opus témoigne de ce qui sera l’orientation de Jean-Pax Méfret durant toute sa carrière avec des titres comme Le chanteur de l’Occident, La Sibérie, Goulag, Les démagos.
Les thèmes principaux de la plupart de ses chansons seront l’anticommunisme et la nostalgie de l’empire. Suivront les albums Faits divers, Combats-Algérie, Ni rouge ni mort, etc. Jean-Pax sera distribué par la SERP mais aussi par Veronica SA, petite SARL animée par Gérald Penciolelli, ancien d’Ordre Nouveau et pivot longtemps incontournable de la presse nationaliste (Le Choc du Mois, Minute). Les années 1990 et le reflux communiste entraîneront une certaine traversée du désert pour le chanteur de l’Occident qui préférera alors se consacrer au journalisme – au sein du Figaro – et à l’écriture, avec par exemple une biographie de Bastien-Thiry. Cela n’empêche pas la sortie de compilations comme Les années froides… ou Algérie nostalgie, éditées en 1996 par une petite maison d’édition pied-noire ou encore un coffret de deux CD édité fin 2003 et reprenant quasiment tous ses titres. Cette dernière compilation est d’ailleurs distribuée par la SARL DPF basée à Chiré-en-Montreuil et qui est largement impliquée dans le courant catholique intégriste nostalgique de l’Algérie Française.

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La deuxième figure de la chanson nationaliste est Christophe Lespagnon, alias Docteur Merlin, chirurgien dentiste et longtemps militant FN, dont le répertoire puise son inspiration dans les thèmes de la Nouvelle Droite et du paganisme européen. Ses premiers albums s’intitulent Païen, Le vent mauvais, Persiste et signe ou encore Europe, qui sort au milieu des années 1980 et est édité par la SERP qui le présente alors de la façon suivante : « Un nouveau talent de la chanson engagée… à droite. Le Docteur Merlin chante tout haut ce que vous pensez tout bas ! Et aborde dans ses textes tous les thèmes qui nous tiennent à cœur ». L’un des titres les plus « célèbres » est celui d’un 45T, Ahmed, aux paroles discrètement racistes différencialistes[4] et sera suivi de quelques autres, comme Enchanté ! avec des titres de chansons qui parlent d’eux-mêmes : Y’a bon la sécu, Budapest, La gégène, etc. Le dernier album en date est Soleil de pierre, sorti au milieu des années 1990 et dont les chansons ont été écrites par Maurice Rollet, « greciste[5]» historique et administrateur de la Domus Europa, propriété située dans les Bouches-du-Rhône dont les activités sont celles de cette mouvance.
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Ne délaissant pas le côté militant, Christophe Lespagnon suivra la scission mégrétiste de 1999 et entrera d’ailleurs au Conseil National du Mouvement National avant de s’en éloigner comme beaucoup d’autres. Il gravite à présent dans cette mouvance ethno-identitaire dont l’une des manifestations est la Maison de l’Identité de Gilles Soulas[6]. Le Docteur Merlin fit d’ailleurs un petit concert pour la 1ère Fête de l’Identité et des Libertés le 09 novembre 2002[7]. On peut encore le voir se produire à droite ou à gauche (plus rarement à gauche quand même !), au restaurant parisien La Mère Agitée par exemple, dont la propriétaire est très proche de l’association Terre et Peuple[8]. Ses premiers albums ont par ailleurs été réédité par Musique & Tradition l’année dernière, ce qui témoigne de l’attachement fidèle d’une partie du public nationaliste, y compris dans sa composante jeune, à ce chanteur. Docteur Merlin aura d’ailleurs droit à une interview dans Jeune Résistance[9], pourtant habituellement plus portée sur le rock hard-core.

À ces deux lascars, on peut ajouter Jean-Paul Gavino dont le registre est encore plus précis puisqu’il s’adresse quasiment exclusivement au public rapatrié d’Algérie comme en témoigne la liste de ses albums : Moi je suis né pied-noir (1984), Méditerranée (1986), Nostalgies (1989), Le Drapeau (1992), Notre-Dame de Santa-Cruz (1994), Le dernier pied-noir et Couleurs de la vie (1996), etc. Le dernier en date s’intitule Résistances et bénéficie du soutien du FN. Il faut dire que les 13 chansons qui le composent se veulent plus « généralistes » que par le passé. Jean-Paul Gavino sans être un militant FN n’a d’ailleurs jamais caché sa sympathie pour le parti de Jean-Marie Le Pen, jouant en particulier lors de fêtes des Bleu-Blanc-Rouge[10] (BBR) ou dans des municipalités frontistes comme Vitrolles lorsque cette commune était administrée par les époux Mégret. Il bénéficie par ailleurs du soutien inconditionnel de figures de la mouvance nationaliste comme le journaliste de Présent[11] Alain Sanders.

Signe malgré tout de la misère artistique de la scène nationaliste dans les années 80 et même 90, le Front National sera obligé d’organiser des concerts de sosies de chanteurs, comme Michel Sardou et Mylène Farmer ! Il parviendra une fois à faire jouer Daniel Guichard alors en pleine traversée du désert mais le chanteur sera rapidement obligé de s’expliquer devant le concert de protestations.

Les rebelles du rock du temps jadis

Des groupes de Hard Rock ont pu faire référence au nazisme et au fascisme, mais plus par provocation et par bêtise que par réelle motivation politique. De façon non exhaustive, on peut ainsi évoquer Brian Jones se déguisant en SS alors qu’il était guitariste des Rolling Stones. Ou Lou Reed sculptant des croix gammées dans ses cheveux en 1974. Ou encore toutes les provocations de Sid Vicious ou de Siouxie durant la vague punk de la fin des années 1970. Cela s’est encore vu il y a six ans avec les déclarations tapageuses du chanteur de Kula Shaker, Crispian Mills, au magazine NME en mars 1997 : « Hitler savait plus de choses qu’il n’en a laissé paraître. Les nazis ont étudié le Veda, les Saintes Écritures, le Graal. Ils versaient aussi dans la magie et tout ça. J’aimerais être entouré sur scène de grandes svastikas flamboyantes ! ». Mills revint par la suite sur ses déclarations mais il n’en reste pas moins que son entourage était alors composé de personnalités issues de la mouvance nationaliste britannique comme Marcus MacLaine, ancien responsable du mouvement de jeunesse du National Front, ou William Cooper, éditeur antisémite américain. Cependant ce type d’exemple est toujours demeuré assez marginal dans la scène grand public, a fortiori en France.

Il n’en va pas de même dans la scène militante. Si, comme nous le verrons par la suite, l’appellation Rock Identitaire Français est assez récente et correspond à une scène musicale bien particulière, les expériences associant rock et idéologie nationaliste ne datent pas du RIF. Bien sûr, le Rock nationaliste s’est propagé en masse avec l’arrivée du RACR[12] en Europe et l’émergence de la scène skinhead d’extrême droite au début des années 1980[13]. Mais quelques personnes avaient tenté l’expérience de ce mélange explosif dès les années 1970. Il y avait ainsi eu en Allemagne un groupe nommé Ragnarock[14] et le groupe Janus[15] en Italie. En France on peut dire que le premier vrai disque de rock de la mouvance nationaliste est l’œuvre de Jack Marchal et d’Olivier Carré. Ils se sont rencontrés en militant dans le même milieu et les deux hommes sont alors des figures de la scène nationaliste radicale. Ayant rejoint le [GUD->http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article372] peu de temps après sa création, Marchal est en effet le père de la bande dessinée des fameux rats noirs qui vont devenir l’animal totem des gudards. Il s’engage ensuite tout naturellement au sein d’Ordre Nouveau, de Faire Front[16] puis du Parti des Forces Nouvelles. Il finira par rejoindre le FN au milieu des années 1980 tout en gardant un œil sur les initiatives universitaires. On pourra ainsi voir sa signature dans Nouvelle Université, la revue du Renouveau Étudiant[17] dans la première moitié des années 1990. Olivier Carré pour sa part a commencé à militer à Ordre Nouveau alors qu’il était encore lycéen. En 1973, il participe à la relance du GUD sur Assas et va se trouver incorporé grâce à ses indéniables talents artistiques dans le projet Alternative, c’est-à-dire une revue emblématique de l’esprit GUD quoique n’étant pas directement liée à ce groupe[18]. Les deux hommes s’y retrouvent et leurs illustrations vont largement contribuer au relatif succès d’Alternative.

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Le disque, puisque c’est tout de même ce qui nous intéresse, s’intitule Science & Violence et est réalisé à Rome en 1979. Outre Jack Marchal (guitare, et tous les autres instruments) et Carré (chant), le groupe sans nom compte Mario Ladich (batterie), membre de Janus. Marchal ayant dessiné la pochette de l’album Al Maestrale et discuté musique avec le militant italien, les trois hommes se mettent d’accord pour tenter quelque chose. Cela donne un album dont la musique est plus proche de Led Zeppelin que de Bunker 84. Mais qui est mieux placé que Jack Marchal pour l’évoquer ? Ce qu’il fait dans un long entretien datant de 1996[19] et dans lequel nous pouvons retenir les propos suivants, sur le rock et la musique en général :

« - Europe Nouvelles : Question qui concerne aussi la sous-culture juvénile droitiste : n’as-tu pas animé un groupe de rock, il y a une quinzaine d’années, et publié un disque ?
- Jack Marchal : C’est drôle que tu me parles de cela ! je croyais que cette vieille affaire était classée… Et puis, je n’aime pas beaucoup mêler l’esthétique et le politique. Rien ne m’ennuie autant que de devoir dire du bien, sous prétexte qu’ils sont « de chez nous », d’un mauvais artiste ou d’un écrivain détestable… Alors, oui, bon, j’ai fait avec quelques amis, en 1979, un 33 t qui n’était pas si mal dans son contexte, et que je trouve affreusement médiocre aujourd’hui – ne seraient-ce quelques passages, quand même. L’album est épuisé, fort heureusement.

- EN : Il y a eu une floraison de groupes de rock nationaliste en Europe, à ce moment-là ?
- JM : N’exagérons rien. En Allemagne et plus encore en Italie (surtout dans le Nord) on a vu se manifester une série de groupes d’inspiration folk, à guitares sèches, qui faisaient un travail souvent d’une superbe qualité. Le rock proprement dit était représenté par le groupe Janus à Rome, réuni autour du batteur Mario Ladich. En Allemagne, il y avait Ragnarock, basé autour de Stuttgart, et dont le chef était le chanteur et organiste Dietmar Lohrmann. Et en France, il y a eu autour de moi un groupe sans nom, à géométrie variable, où tournaient un demi-douzaine de camarades, relevant tous plus ou moins de la mouvance GUD, d’ailleurs. Trois groupes dans trois pays, c’était peu pour faire une école mais j’étais aussi bien en relation avec Janus (c’est son leader qui a tenu la batterie sur mon disque, enregistré en Italie) qu’avec les types de Ragnarock qui étaient et restent des amis personnels.

- EN : Que sont devenus ces trois groupes ?
- JM : Ils ont eu une histoire parallèle : ils se sont formés vers 1977, ont fait quelques concerts diversement appréciés et des enregistrements autoproduits où voisinent le pire et le plus ou moins bon, en chantant dans leur propre langue des textes qu’ils ne risquaient pas d’entendre ailleurs, et ont disparu du côté de 1982 sans laisser de postérité.

- EN : D’où vient cette simultanéité ?
- JM : Il y a une raison, d’ordre économique. Avant 1977, disposer d’un matériel décent et de moyens d’enregistrement corrects n’était guère à la portée d’amateurs. Après 1982, la sophistication des technologies d’enregistrement numérique, la multiplication des stations FM et l’introduction, du compact-disc ont haussé à l’extrême les exigences de qualité du son et remis la musique sous le contrôle du secteur professionnel. Mais entre les deux, il y a eu une fenêtre de quelques années de liberté. D’autant que le rock était en train de s’émietter entre quantité de courants et de styles. Tout paraissait alors ouvert, tout devenait possible.

- EN : C’est du reste dans cette même période 1977-1982 qu’ont éclos successivement le punk, la disco, et surtout la new wave. Alors, pourquoi ne pas faire du rock avec des textes militants exprimant notre sensibilité ?
- JM : Nous avons été quelques-uns à en avoir l’idée, au même moment. L’esprit du temps s’y prêtait. Tout un climat avait été préparé par l’irruption d’un rock américain explicitement sudiste, par l’imagerie gothico-runique des formations de hard-rock, par les coquetteries verbales de stars comme David Bowie qui disait souhaiter un gouvernement d’extrême droite en Angleterre.. Dans ce pays, un groupe appelé les Cortinas s’était taillé un joli succès avec son tube « I Wanna Be A Fascist Dictator ». En 1977, Eric Clapton, le héraut du blues britannique, avait fait scandale en souhaitant publiquement le rapatriement des immigrés – ça lui a d’ailleurs coûté quelques années au purgatoire des médias.
De plus, on l’a un peu oublié, le milieu des années 70 avait vu s’affirmer un peu partout en Europe des rocks indigènes, s’exprimant en langue locale, ce qui leur donnait ipso facto une coloration identitaire, bien qu’ils soient fréquemment très à gauche. En France, cette vague nous a donné entre autres Téléphone et Taxi-Girl. En Italie, en Suède, il y a eu des groupes totalement fabuleux à cette époque, mais qui sont restés confinés à leur aire linguistique. La seule vraie percée a été réussie en 1975 par Kraftwerk, avec son Autobahn, innovation absolue sur tous les plans : premier rock 100% électronique de l’histoire, premier hit – pardon schlager – international chanté en allemand, par le premier groupe à remettre à la mode les cheveux courts… Kraftwerk a été une révolution esthétique presque aussi fondamentale que celle commise dix ans plus tôt par les Beatles.

- EN : Et pourquoi Janus, Ragnarock, toi, n’avez vous pas cherché à continuer ?
- JM : Ce que nous voulions faire, nous l’avions fait une bonne fois ; après, ç’aurait été du rabâchage. Les slogans mis en musique, ça va un moment, mais ça lasse vite ! Une autre raison : les groupes anglais, qui ronronnaient un peu depuis plusieurs années, se sont remis à être terriblement créatifs, à en être écoeurants ! Pink Floyd nous a asséné son chef-d’oeuvre (et chant du cygne) The Wall, tandis qu’on assistait à l’essor d’Orchestral Manœuvre in the Dark, Depeche Mode, Ultravox, Simple Minds…
Il devenait beaucoup plus excitant d’écouter là musique des autres que d’essayer d’en faire soi-même !

- EN : Pour le public de droite dans son ensemble, le rock était en soi plutôt suspect.
- JM : C’est vrai que, longtemps, a régné l’équation rock = cheveux longs = gauchistes + drogués. Ce n’était pas mon point de vue, et pour cause, puisque j’ai fait du rock avant de faire de la politique. J’avais 16 ans quand j’ai pour la première fois participé à un groupe, dans une petite ville de Normandie ; nous faisions les fêtes de notre collège, des boums en ville, même des kermesses paroissiales… C’était en 1963, on commençait juste à découvrir les Beatles sur les radios anglaises. Ce n’est que trois ans plus tard, à Paris, que j’ai rejoint Occident. C’était alors le seul mouvement nationaliste où écouter et apprécier les Rolling Stones était considéré comme normal ; dans les organisations concurrentes, c’était un motif d’exclusion ! En ce sens, on peut dire que le rock, au même titre que la BD, a eu sa part dans la formation de la culture GUD dont nous parlions. Parmi les adhérents d’Occident, et plus encore Ordre Nouveau, il y a eu un nombre étonnant de producteurs, DJs, organisateurs de concerts, ingénieurs du son etc., mais on était dans une situation schizophrène : s’il était admis entre nous que le rock faisait partie de notre univers, il était impensable d’en faire état dans nos publications. Le tabou n’a été levé qu’en 1972-1973.

- EN : Un tel cheminement pourrait-il se reproduire aujourd’hui avec, disons, le rap ?
- JM : Ça ne peut pas être mis sur le même plan. Le rock’n’roll stricto sensu est un genre américain très défini, situé au confluent de la country music et du jazz de danse (swing, boogie etc.). Sur cette base somme toute sommaire, dans les années 60, essentiellement sous l’impulsion des Beatles, un monde foisonnant s’est mis à bourgeonner dans tous les sens, jusqu’à phagocyter l’ensemble des styles musicaux faisant appel à des instruments amplifiés et à l’électronique. On s’est alors trouvé en panne de définitions : on a parlé de pop music, de rock music, sans réussir à embrasser toute l’étendue de cette musique multiforme. Elle constituait dans les années 70 un faisceau de genres en plein devenir. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, c’est la quasi-totalité de la musique populaire qui se trouve annexée aux courants issus du rock.
La-dedans, le rap représente juste un sous-embranchement, un cul-de-sac de l’évolution, une niche régressive, un genre terriblement stéréotypé, comme toutes les musiques noires…

- EN : Tu dénies toutes racines noires au rock ?
- JM : Et même au jazz ! Qu’on me trouve, dans les musiques traditionnelles africaines, quelque chose qui ressemble même de loin au ragtime ou au blues : ça n’existe pas. Les rythmes du jazz primitif, on les trouve déjà tout armés dans les opérettes anglo-saxonnes du XIXe siècle ! Autant il est exact que les Noirs ont donné de magnifiques interprètes au jazz, plus rarement au rock, autant il est vrai que toutes les phases de son évolution ont été impulsées par des Blancs. C’est comme ça !

- EN : Comment réagis-tu quand on te dit que le rock actuel, et ce qui en découle, est facteur de déracinement culturel ?
- JM : C’est vrai mais c’est faux, parce que la musique aura toujours forcément valeur de discriminant tribal, et, osons le dire, racial.
Chaque grande aire culturelle possède ses propres modes, ses propres gammes, etc. : il y a une musique jaune, commune à toute la civilisation chinoise, Viet-Nam et Japon compris, il y a une musique indienne, une musique arabo-islamique, et une musique occidentale, ou européenne. Et c’est à peu près tout.
Marchal_et_Italie-5132fCes musiques sont irréductibles les unes aux autres. Et elles ne sont pas égales entre elles, c’est l’évidence. L’évolution a consacré la supériorité d’une culture musicale particulière, d’apparition récente, cristallisée aux XIIIe-XlVe siècles entre Paris, Londres, les Flandres et la Champagne. Que le substrat celtique de ces régions ait joué un rôle là-dedans, c’est une hypothèse plausible. C’est en tout cas dans cet espace qu’a eu lieu la révolution polyphonique qu’a été mise au point initialement la musique tonale, monorythmique, qu’ont eu lieu les débuts de l’harmonie et du contrepoint. Cette musique a connu ses plus belles floraisons en Allemagne et en Italie, elle s’est étendue à toute l’Europe, et toutes les cultures d’Europe lui ont apporté quelque chose, de la Russie à l’Espagne, de la Tchéquie à la Norvège. C’est la musique de la civilisation européenne (pas chrétienne : la polyphonie n’a pu s’affirmer que dans une société en voie de laïcisation, en réaction contre l’Eglise et sa monophonie grégorienne issue des mélopées proche-orientales). Cette musique est en train de conquérir le globe.
Mais on me fait bien rire, avec le concept de world music, de “musiques métissées”.
C’est néant. Tout ce qu’il y a, c’est une musique tonale européenne ornée ça et là d’inflexions qui font couleur locale, rien d’autre. Ça peut donner des combinaisons pittoresques, sans plus. Ce prétendu syncrétisme musical exerce un effet de déracinement, oui, mais pas sur nous. La pop anglo-indienne, le rock de Hong-Kong et le raï nord-africain éveillent la commisération, en tant que témoignages de l’effondrement de cultures torpillées par la modernité.

- EN : Et le rock, dans tout cela ?
- JM : Il s’inscrit dans le courant général de la musique occidentale, et se trouve au plus près de ce qui est peut-être sa source celtique première. Mais c’est vrai qu’il est plus que jamais une marchandise, une industrie hautement capitalistique, et qu’il consacre l’impérialisme de la langue anglaise. S’il n’y avait que dans ce domaine …
Tout ce que nous pouvons faire, c’est exercer notre choix dans le meilleur de l’offre mise à notre disposition, en laissant parler nos inclinations ataviques. Et là, je ne me fais guère de soucis. Il suffit de voir le public qui s’écrase aux concerts des nouveaux groupes britanniques qui font la musique la plus spécifiquement européenne (Blur, Oasis, Cast, etc.) : son homogénéité raciale évoque celle d’un meeting du FN ! On peut faire à peu près la même observation avec la techno. La musique, quelle qu’elle soit, restera toujours le plus puissant des marqueurs ethniques.

- EN : La montée en puissance des mouvements nationaux en Europe n’est-elle pas de nature à susciter un regain de rock droitiste ?
- JM : Il y a certes la musique Oï, mais il faut aimer. Il y a des années qu’elle me fatigue… En France, le groupe Vae Victis a sorti un CD d’une très belle qualité, qui pourrait bien faire école. Et dans le genre chanteur à guitare, il y a en Allemagne l’ami Frank Rennecke, qui est tout simplement pourri de talent, et de courage. S’il avait consenti à donner dans le politiquement correct, je ne doute pas qu’il serait une star de premier plan dans son pays. »

Jack Marchal demeure de fait une référence incontournable quoique souvent décriée du rock nationaliste en France. C’est pour cette raison qu’il a par exemple été l’invité du FNJ 75 en octobre 2003 pour prononcer une conférence sur le RIF.
Pour compléter ces propos, notons que quelques années plus tard, au début des années 80, des militants du GUD Paris ont enregistré un 45 tours resté orphelin. Par ailleurs, des groupes comme Indochine auront un public nationaliste, en raison de certaines chansons comme « L’Aventurier » ou de propos provocateurs.
Mais cela n’ira pas bien loin.

Dur, dur d’être un rocker (faf) !

Globalement les jeunes natios de cette époque sont plutôt tournés vers la musique new wave et la scène électro-industrielle qui monte. Il a même existé un groupe faf de new wave, Force de Frappe[20], mais il n’a pas laissé énormément de traces. Les années 1980 et le début des années 1990 ont donc été très dures pour le militant nationaliste voulant écouter du rock sans tomber dans le RAC et le milieu skinhead. Il est alors obligé de se rabattre sur les valeurs sûres de la musique nationaliste déjà rencontrées ci-dessus, Docteur Merlin et Jean-Pax Méfret, mais il faut bien avouer que tout ça n’est pas très rock’n’roll. Il existe bien encore des groupes nationalistes en dehors des groupes skins, mais il s’agit de formations le plus souvent basées à l’étranger comme Laibach (fort prisé par les cadres de Troisième Voie[21] et par Bertrand Burgalat en particulier).
Ce groupe slovène émerge à la fin des années 1980 porteur d’une image de groupe « totalitaire » à cause de ses choix politique-esthétiques. La réflexion du groupe porte en effet avant tout sur la condition des hommes face à l’héritage du totalitarisme bureaucratique, qu’il soit stalinien ou hitlérien, et sur les techniques artistiques à utiliser pour provoquer une réaction des masses. Laibach est alors le groupe le plus sulfureux d’une scène appelée à se développer dans les années 1990, la musique électro-industrielle.

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Ce concept lancé au milieu des années 1970 par l’artiste américain Monte Cazazza est à nettement séparer du bruitisme dont l’un des représentants français le plus célèbre est Jean-Marc Vivenza, basé à Grenoble, longtemps militant à Troisième Voie puis à Nouvelle Résistance. La musique qu’il produit depuis des années n’est pas assimilable à du rock, n’est d’ailleurs pas de la musique et ne prétend pas en être. Le bruitisme est en effet basé sur les travaux de Luigi Russolo qui en a défini les concepts dans un ouvrage intitulé Art des Bruits et publié en 1913. Vivenza se place dans une perspective qui est celle du futurisme historique et n’est donc pas susceptible d’être écouté par un public habitué à retrouver ses références pop ou rock. En outre, ces dernières années, Vivenza s’est surtout investi dans la philosophie en animant à Grenoble le Pôle philosophique Hélios, proche de Synergies Européennes et en publiant quelques ouvrages, parfois chez de « grands éditeurs » comme Albin Michel. S’il est le plus connu, Vivenza n’est d’ailleurs pas le seul animateur de cette scène et l’on pourrait citer également Philippe Laurent sur le même créneau.

Il y aura malgré tout quelques expériences assez curieuses durant ces années, comme la collaboration entre William Sheller et le groupe skinhead nationaliste Tolbiac’s Toads. Le groupe participera au titre « L’Empire de Toholl” sur l’album Univers du chanteur. Il y aura également un projet de 45 tours, mais il ne sera jamais finalisé et le groupe sera simplement figurant dans un clip du chanteur. Mais on en revient toujours au même constat que la scène rock française est tout sauf nationaliste ce qui désole une partie de la mouvance militante comme en témoigne cet article du magazine [Réfléchir & Agir->http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article83][22] : « Il convient de souligner l’importance de la musique comme vecteur de diffusion de nos idées et comme pilier d’une contre-culture à construire. Or malgré quelques groupes phares comme Skrewdriver pour le RAC ou comme Death In June ou Laibach pour le courant electro-industriel, n’y trouvant pas leur compte, les jeunes nationalistes se sont souvent rattachés à d’autres courants musicaux en y perdant par là-même une quelconque substance politique et idéologique. Certains chanteurs ou groupes nationalistes, très clairvoyants ont engagé dès la fin des années 80 un effort remarquable de diversification. Oï, RAC, hard rock, industriel, électro-techno, rockabilly, country, folk… Beaucoup de styles nouveaux que les nationalistes auraient du investir dès qu’ils constituaient des modes en chargeant les rythmes et les mélodies de paroles ouvertement nationalistes, européennes…
Dans les années 80, le rock alternatif avait constitué le principal moyen de séduction de la jeunesse mis en place par le Parti Socialiste et le néfaste Jack Lang, sponsor officiel des Bérurier Noir, Mano Negra et autres groupes de rap, ce rock alternatif était le vecteur principal du message antiraciste et du combat contre le Front National Il était mort avec le vieillissement de ses leaders, le développement et l’installation du Front National dans le paysage politique et les défaites successives du Parti Socialiste.
Du côté des nationalistes, pour peu que l’on ne soit pas toujours en retard d’une mode, la musique doit être notre arme principale auprès de nos éléments les plus jeunes. Il ne s’agit pas de se rallier à la mode, au délire consumériste, mais de comprendre la société pour la convaincre par les moyens auxquels elle s’est habituée. Il ne s’agit pas d’être branché mais de rechercher l’efficacité. Non le rock n’est pas une invention satanique. Il est un moyen d’expression chez les jeunes.
Il faut bien en prendre acte, particulièrement en France, le rock ne peut plus être apolitique, chargé initialement d’un message de contestation anti-système, il a largement débordé de ce cadre depuis. Le rock est engagé et les modes sont récupérées, alors il convient de se placer à l’avant-garde et de ne pas récupérer une mode lorsqu’elle n’intéresse plus personne.[…] Se situer à l’avant-garde, c’est exercer selon son domaine et ses capacités un travail de recherche, d’innovation, d’adaptation, ici des courants musicaux
».

Comme on le voit, l’auteur de ces lignes tirait des conséquences que le RIF allait mettre en pratique.

Vers l’introduction 2004
Vers le chapitre II

  1. La Fédération d’Action Nationale et Européenne, fondée en 1966, fut à la fin des années 1970 la principale structure néo-nazie française. Dissoute en septembre 1982, elle parvint à se survivre quelques années sous la forme des FNE.[]
  2. Se reporter à cet égard à l’ouvrage de Pascal Ory sur ce sujet. Un chapitre est consacré à Michel Sardou.[]
  3. Tribune Musicale n°4 hiver 2000. Pour ce qui est de cette revue, se reporter au chapitre concernant la mouvance RIF.[]
  4. Le racisme ethno-différentialiste a été élaboré par la Nouvelle Droite dans les années 1970. Il consiste à refuser le métissage au nom de la nécessaire richesse des cultures humaines et donc à remplacer les vieux arguments racistes de supériorité par de nouveaux concepts apparemment plus respectueux des autres.[]
  5. Membre du Groupement de Recherche et d’Étude sur la Civilisation Européenne (GRECE) fondé en 1969.[]
  6. Portrait dans le chapitre sur les labels du RIF.[]
  7. Pour un compte-rendu de la 1ère FIL, se reporter à REFLEXes n°5.[]
  8. Association politique-culturelle fondée en 1995 par Pierre Vial, ancien du GRECE et alors cadre important du FN, et revendiquant une orientation religieuse païenne et de la mouvance identitaire.[]
  9. Jeune Résistance n°7, juin-juillet 1997. Jeune Résistance a été lancée en 1995 par certains jeunes militants de Nouvelle Résistance.[]
  10. Fête annuelle du FN, qui s’est longtemps déroulée en région parisienne. Elle ne se tient plus depuis 2002, la mairie de Paris louant la pelouse de Reuilly à d’autres activités. Elle a été remplacée par des fêtes régionales.[]
  11. Quotidien national-catholique fondé en 1984.[]
  12. ock Against Comrnunism. Appellation donnée aux groupes et concerts de skins et militants d’extrême droite à la fin des années 70 en Angleterre. Par extension, le terme RAC désignera tout groupe ou concert d’extrême droite par la suite.[]
  13. Comme nous avons pu le préciser en introduction, nous ne traiterons pas de cette scène dans le présent ouvrage. Les lecteurs ou lectrices curieux se reporteront aux numéros de REFLEXes dans lesquels nous avons abordé le sujet et au livre Bêtes et méchants, Éditions REFLEX.[]
  14. Ce nom renvoie à la mythologie nordique et désigne la fin du monde et la mort des dieux.[]
  15. Personnage de la mythologie romaine à double visage.[]
  16. Journal lancé en 1973 par les militants ayant refusé l’intégration d’Ordre Nouveau dans le Front National. Il servira de base pour la création du Parti des Forces Nouvelles en 1974.[]
  17. Syndicat étudiant lié au FN fondé en 1990 et qui s’est dissous en 1999.[]
  18. Par la suite, Olivier Carré rejoint le GRECE en 1981 et se rapproche de Guillaume Faye avec lequel il participe au concept Avant-Guerre, groupe d’expression artistique qui produisit en particulier des émissions de radio dans les années 1983-1984. Il est décédé dans un accident de moto en 1994.[]
  19. Pas d’Panique à Bord – Europe Nouvelles n°11-12, février 1996[]
  20. Un autre groupe a adopté ce nom dans les années 1990. Il s’agit d’un groupe RAC de l’Essonne.[]
  21. Mouvement nationaliste-révolutionnaire des années 1980 dirigé par Jean-Gilles Malliarakis et qui a donné naissance à Nouvelle Résistance en 1991.[]
  22. Réfléchir & Agir n°11, été 1995. La revue a été fondée en 1993 par [Éric Rossi->http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article84], ancien skinhead étudiant à la faculté de Droit d’Assas sur des bases nationalistes-révolutionnaires. Elle a depuis maintes fois changé d’équipe. Pour plus d’informations, se reporter à REFLEXes n°51 et REFLEXes n°4 (nouvelle série).[]
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