REFLEXes

Le Rock Identitaire Français (4) Chapitre II : La naissance 1993-1998

Texte original publié en 2004 dans le livre Rock Haine Roll

Le RIF s’élabore à partir de deux initiatives différentes. Il y a, d’une part, au tout début des années 1990 et dans la région nancéenne, deux ou trois groupes fanatiques de cold-wave qui commencent à produire une musique que l’on peut qualifier de nationaliste même si elle est surtout marquée par la philosophie et le paganisme européens : LSVB, Bainfile et AiΩn.
LSVB-896a6Sortent de ce courant deux albums, Poètes maudits et Nouvelles musiques européennes, produits par l’association-label Nouvelle Europe Musiques. L’ensemble ne passe pas inaperçu et est assez bien reçu par les structures militantes, en particulier celles de la mouvance du Renouveau étudiant, telle Nouvelle Université. Ce n’est évidemment guère étonnant puisque Laurent Steiner, qui est à la fois membre de LSVB et de AiΩn, est alors militant du syndicat universitaire frontiste après être passé par Troisième Voie. Mais il n’y aura qu’un seul rescapé : Aion.
Voici comment se présentait lui-même le label Nouvelle Europe Musiques à la fin de 1993[1] :

« Nouvelle Université : Quels sont vos sources musicales, en tant que groupe et en tant que musiciens individuels ?
- Nouvelle Europe Musiques : Nos sources sont très diverses. D’abord parce que le disque représente trois groupes, donc trois tendances avec chacun leur style propre. Nos inspirations émanent surtout du rock et de la pop européenne des 15 dernières années : Dead Can Dance, Cocteau Twins, Laibach.

- NU : Pourrait on vous cataloguer comme nouveau underground post gauchiste ?
- NEM : Underground ? Pourquoi pas, on peut mettre dans ce terme tout ce que l’on veut. De toute façons, avant d’être reconnu, un groupe est toujours underground.
Post gauchiste ? En fait les étiquettes nous importent peu. À chacun la liberté de juger ce que nous faisons.

- NU : À qui s’adresse votre musique ?
- NEM : Notre musique s’adresse d’abord à ceux qui se donnent la peine de l’écouter. Sur ce registre, nous ne sommes pas sectaires.

- NU : Donnez vous des concerts ?
- NEM : Étant donné la relative jeunesse de notre groupe et nos manques de moyens, ce n’est pas encore en projet.

- NU : Vos rapports avec d’autres groupes : Laibach, Death in June ?
- NEM : Néant

- NU : Vous affichez clairement une identité européenne combinée à un avant-gardisme technique qui vous rapproche sans doute du futurisme ?
- NEM : Contrairement à Marinetti, je préfère la Victoire de Samothrace à l’automobile. Le Futurisme est séduisant par certains aspects, mais que reste t il de la musique et du manifeste de Balilla Pratella ? Malheureusement pas grand chose.

- NU : Mais les racines de vos rythmes sont elles bien européennes ?
- NEM : Nos racines musicales sont résolument européennes et, qu’on se le dise une fois pour toutes, l’Afrique n’a jamais inventé le rythme. Des musiciens de la Grèce antique en passant par les troubadours et les trouvères du Moyen-Age, ils ont tous utilisé le tambour (ce vénérable ancêtre de la boîte à rythme). La musique évolue comme toutes choses.

- NU : Pourquoi ne pas chercher de l’inspiration dans la musique populaire traditionnelle ?
- NEM : Notre démarche est différente. La musique traditionnelle est très bien représentée, il est inutile pour nous de refaire ce qui a déjà été fait. »

Nos ancêtres les Gaulois

La deuxième branche du futur RIF naît avec le premier vrai groupe à pouvoir être estampillé ainsi, à savoir Vae Victis[2], dont le projet mûrit à partir de 1992, voit le jour en août 1993 et sort rapidement une démo trois titres, Résistance gaélique.
VaeCD1-bdcbcSi tous les membres du groupe sont des militants proches du FN, par exemple membres de syndicats étudiants frontistes, au moins l’un des musiciens n’est pas un inconnu : il vient de la scène bonehead. Né en 1972 et bassiste du groupe, Jean Christophe Bru a en effet animé le skinzine[3] One law for them et il a été le parolier du groupe Ultime Assaut, groupe RAC de la banlieue parisienne fondé en décembre1988, qui enregistra un album pour le label Rebelles Européens[4]. On retrouve d’ailleurs certains titres d’Ultime Assaut comme « Les cosaques » au répertoire de Vae Victis. La formation est complétée par Cathie Mollius pour le chant, François Montagne comme deuxième guitare et Thibaud Lamy pour la batterie.

Vae Victis connaît alors une lente maturation qui débouche enfin sur ce qu’on peut considérer comme l’acte fondateur du RIF, à savoir la parution en septembre 1995, lors de la fête des BBR, de son premier CD éponyme comportant onze titres et qui définit le style qui sera celui du groupe durant quelque temps : un mélange plus ou moins inspiré de rock soft et de musiques traditionnelles, en particulier gaéliques. Pour ce disque, Vae Victis a pu compter sur la SERP, le label de Jean Marie Le Pen. L’ensemble, sans être mauvais, est malgré tout un peu mièvre et une partie du groupe, en l’occurrence Jean-Christophe Bru et sa femme Cathie, le quitte pour fonder Ile-de-France. Vae Victis se dote alors d’une nouvelle formation et sort un CD quatre titres à l’automne 1996, qui se veut plus énergique. La thématique en revanche ne change pas, et le groupe sacrifie à l’hommage obligatoire à Clovis. VaeCD2-1ddfc
Il reste très lié au milieu bonehead, puisqu’il participe à France Explosion n°1, une compilation sortie par le label RAC Pit Records[5]. Son deuxième album est d’ailleurs édité par le même label. La musique et les paroles n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec la scène RAC proprement dite et le contraste est saisissant avec les autres groupes figurant sur la compilation, à savoir Baygon Blanc, groupe RAC formé en 1993, 9ème Panzer Symphonie, groupe RAC de l’Essonne formé en 1989 et Fraction Hexagone. Cette dernière formation commence alors à peine à être connue puisqu’elle est née en août 1994 de la fusion de deux groupes RAC niçois, Septembre noir et Freikorps. Le groupe est donc pleinement ancré dans la scène skinhead, même s’il essaie de changer la signification du terme RAC.

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Enfin, on peut ajouter à cette liste de la première génération du RIF le groupe Elendil qui avait alors une existence fantomatique dans l’orbite du FNJ pour lequel ils auraient dû jouer à l’université d’été 1995. Mis à part Fraction Hexagone, tout ce petit monde se retrouve alors au sein d’une association, La muse à l’oreille, qui regroupait les musiciens et professionnels de la musique, proches du FN et produits ou distribués par la SERP. Aussi bien le Docteur Merlin que les Chœurs Mont-Joie Saint Denis[6] en faisaient ainsi partie. La notion de rock français ou de RIF, pour Rock Identitaire Français, commence à être utilisée : elle est appelée à connaître un certain succès en permettant d’effectuer une distinction bien nette avec la mouvance skinhead.

Saint-Cloud nous voilà !

Les BBR 1996 témoignent du succès de la greffe au sein du jeune public nationaliste puisqu’un concert y est organisé où se produisent Aion, Vae Victis, Ile-de-France et Fraction Hexagone. Le leader de ce dernier groupe, Fabrice Robert, déclare alors au Monde : « Le FN se dit sans doute qu’il faut vivre avec son temps, que les jeunes n’écoutent pas seulement des chants militaires. Mais n’allez pas croire que le Front était heureux de nous accueillir ! Comme nous sommes païens, les intégristes ont tout fait pour nous empêcher de jouer. Après un mois et demi de négociations, ça s’est arrangé. Le Front nous a refusé « Une Balle » parce que les journalistes n’auraient retenu que ça. Nous avons enflammé le public ! Il y avait des skins, des jeunes fafs, des mecs du GUD et même des petites bourgeoises en jupette qui avaient le poing tendu ! Tout le monde était content, sauf les cathos… » Ce à quoi Serge Martinez répond : « Si j’en juge par ce qu’ils racontent, ils ont peut-être attrapé la grosse tête, le syndrome Madonna ! Pour nous, il s’agissait de groupes de hard rock ; ils n’étaient pas habillés comme des skins. Nous essayons de contenter tous les publics. Le rêve de Jean-Marie Le Pen serait d’inviter les Irlandais des Cranberries ! » Loin de ces chamailleries, ce concert est relativement inespéré pour ces groupes de rock dont l’expérience est somme toute limitée : Ile-de-France en est alors à son deuxième concert, Vae Victis à son cinquième et Fraction approche de la dizaine grâce à sa fréquentation des concerts RAC.

Ce mouvement en formation stimule d’autres vocations. La même année en effet, des étudiants d’Assas créent In Memoriam et le nouveau groupe sort une cassette démo intitulée Anthologie début 1997. Bien que militants nationalistes à la faculté d’Assas, ils n’appartiennent pas tous au GUD même s’ils évoluent dans sa mouvance. Le recrutement est d’ailleurs large puisque le saxophoniste du groupe à cette époque n’est autre que ZIP, musicien qui joua avec Skarface[7]
In_Memoriam_I-ace4eMalgré les incidents qui avaient émaillé la fin du concert des BBR 1996, In Memoriam bénéficie de l’infrastructure FN et peut jouer aux BBR 1997. Le bon accueil du public et l’envie de s’émanciper de la SERP amènent deux membres du groupe, Julien Beuzard et Mathias Briccage, à fonder le label Mémorial Records fin 1997. Ce dernier récupère les groupes RIF de l’époque, en particulier Ile-de-France et Elendil, et sort une compilation intitulée Sur les terres du RIF. Entre temps, le terme Rock Identitaire Français a été officiellement utilisé pour des tracts annonçant un concert organisé au Club Dunois à Paris dans le treizième arrondissement. On peut considérer que le mouvement est lancé !

Le RIF, kesako ?

Qu’est-ce que le RIF ? On pouvait en trouver à une époque sur une page personnelle Internet la définition fourre-tout suivante : « Le RIF est national, européen, identitaire, historique, rebelle, contestataire, révolutionnaire, indépendant, actif, indomptable, fier, libertaire, social, politique, idéaliste, radical, écologique, ethnocentriste… Le rock identitaire est précurseur en ce qu’il annonce la nouvelle donne de la politique française et européenne. Le clivage droite-gauche est dépassé. Il faut opposer les gens en fonction du clivage identitaire-mondialiste. La notion d’identité est partout. Les thèmes des soirées sont de plus en plus basées sur des considérations ethniques. […] Le rock identitaire a la possibilité de réussir la mission qu’il s’est assigné car le débat politique n’existe plus et la notion d’ethnie est au centre de bien des revendications. »
On pourrait bien sûr consacrer quelques lignes à démentir précisément certains de ces points. Mais le seul intérêt de cette énumération à la Prévert est de démontrer si besoin en était que le RIF est avant tout une démarche politique. C’est en fonction d’un certain nombre de buts politiques que la musique est utilisée en tant que vecteur culturel, sans doute le plus immédiatement accessible et également le plus facile à mettre en œuvre. La même démarche est d’ailleurs celle qui préside à la tentative d’investissement du milieu BD et dessins.

Sans aller jusqu’à faire l’honneur de qualifier cette démarche de « gramsciste[8] de droite », notion qui est une tarte à la crème des mouvements néo-droitiers, elle témoigne malgré tout de l’intuition de la part des musiciens de RIF que l’action politique ne peut faire l’économie d’un investissement du domaine culturel (au sens large du terme, et en particulier dans sa dimension médiatique !) pour espérer infléchir l’inconscient collectif. Or l’orientation générale de la culture européenne est, depuis la fin de la guerre, largement cosmopolite, dans le sens historique du terme, tout en balançant entre identité et universalisme. Les groupes de RIF ont donc entrepris de peser sur le premier terme contre le deuxième. Pour autant, cela ne signifie pas que tous aient eu la même façon d’appréhender les choses et nous verrons par la suite que comme toutes les étiquettes, celle du RIF correspond assez mal à ce qu’elle est censée regrouper. Cependant, le fait que la mouvance RIF se soit déchirée sur des questions de stratégies auxquelles ont pu s’ajouter des différends personnels montre malgré tout que la dimension politique du phénomène prime sur la dimension musicale, ce qui ne pouvait manquer de le confiner à un espace très restreint.

Vers le chapitre I

  1. Nouvelle Université, novembre / décembre 1993, n°1-2[]
  2. Il existait un groupe de rock alternatif nommé Vae Victis, présent sur une compilation sortie en 1983 et intitulée Cascades 82. Le squatt des Cascades étaient un haut lieu de la musique alternative, où se sont produits des groupes comme les Bérurier Noir.[]
  3. Fanzine skinhead nationaliste.[]
  4. Premier label skinhead nationaliste en France, fondé par Gaël Bodilis en 1987 à Brest et qui a produit une bonne partie des groupes nazi skins des années 1980.[]
  5. Cf. le chapitre 4 sur les labels du RIF[]
  6. Groupe de chanteurs catholiques reprenant les chansons traditionnelles françaises et nationalistes : ils existent toujours. Des petits chanteurs à la croix de fer en quelque sorte ![]
  7. Crâne pas t’es chauve ! n°l fanzine SHARP. ![]
  8. Du responsable communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), qui considérait qu’une conquête politique du pouvoir ne pouvait réussir qu’en étant accompagnée d’une conquête des représentations culturelles.[]
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