REFLEXes

Médiatisation d’une élection : la foire de l’intox

Avant les résultats, les journaux s’accordent tous à dire que la campagne est inintéressante, que le résultat pour le deuxième tour est couru d’avance, avec un duel Jospin-Chirac. Le Pen est alors donné à 14% dans les sondages et Jospin à 18%. Le Pen est qualifié de troisième homme fort, après ce titre visiblement si envié ait été attribué à Laguillier et Chevènement.

On peut lire à travers les différents articles consacrés à Le Pen que le Front national a réservé des salles pour des meetings au second tour. À ce moment-là pourtant, personne ne croit à la possibilité de Le Pen au deuxième tour dans les médias. Ne s’attendant pas à cette éventualité, les médias vont être obligés de réagir en urgence, ce qui explique parfois des articles, des analyses pas toujours très justes.

Le lendemain du premier tour, les mots qui reviennent le plus sont «le choc», «le séisme», «Non». Pour Le Figaro, on peut penser que le séisme en question concerne peut-être plus l’absence de Lionel Jospin que la présence de l’extrême droite pour le second tour.

Pendant les 15 jours qui séparent les deux tours les journaux vont multiplier les effets de Une.

Si l’on prend Libération, Le Pen fait la Une deux fois, à chaque fois au lendemain des scrutins. Le 6 avril on voit Le Pen en couverture, avec un «Non» prenant la moitié de la Une. La seconde fois, le 6 mai, la mise en page est calquée sur celle du 26 avril, avec un «Oui», prenant la moitié de la page, avec cette fois Le Pen, de dos en bas de page. Tout au long de ces deux tours, Libération va souvent proposer en une des images des manifestations anti-FN. L’Humanité le 26 avril, aura pratiquement la même Une que Libération, une image de Le Pen, barré, avec «Non» écrit en première page. On peut noter que bon nombre de manifestants reprendront les Unes de Libération, L’Humanité et Charlie Hebdo («plutôt baisé par Chirac que violé par Le Pen») pour fabriquer leurs banderoles.

Globalement, l’ensemble de la presse de «gauche» (Libération, Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné, L’Humanité) adopte la rhétorique du PS, qui consiste à dire qu’il faut utiliser le vote Chirac pour battre Le Pen et assumer le vote escroc plutôt que le vote facho.

Assez vite, dans les jours qui suivent, on voit fleurir des portraits et des analyses des programmes du FN (Libération et Le Monde), avec parfois pas mal d’erreurs. On apprend dans Libération du 26 avril que le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire, futur Troisième Voie) de Malliarakis ou que la FANE de Fredriksen intègrent le FN dans les années 1970. Or, la FANE n’a été intégrée au FN, pour le service d’ordre et les collages que du vivant de François Duprat. Le MNR de Malliarakis n’a jamais appartenu au FN, au contraire, il était composé d’individus ne se reconnaissant pas dans la ligne du FN.
Le plus intéressant étant le numéro du 30 avril, où la légende d’une photo indique que le groupe Occident (!) défile le premier mai. Au vu des images, il s’agit plutôt de membres d’Unité radicale… Pour information, signalons que le mouvement Occident n’a jamais défilé pour la fête de Jeanne d’Arc, et encore moins le premier mai. Ce mouvement a été dissout par le Conseil des Ministres le 31 octobre 1968.

On peut s’étonner parfois de voir certains s’ériger en donneurs de leçons et spécialiste de la lutte anti-fasciste comme Charlie Hebdo, qui quelques semaines auparavant citaient Xavier Raufer dans un de leur article, sans préciser le parcours du personnage (ancien d’Occident et toujours proche des milieux barbouzes).

La presse redécouvre les mouvements anti-fascistes, enfin surtout Ras l’Front, qui était cliniquement mort. Pour la presse, assez vite, l’élément moteur de la mobilisation anti-FN dans les rues se résume à Ras l’Front. Dans son numéro du 26 avril, dans le portrait d’une militante de Ras l’Front (mouvement fondé en 1991) on apprend que le Scalp-Reflex et le réseau No Pasaran «ont suivi» Ras l’Front sur la lutte contre l’extrême droite. Cela fera sans doute plaisir aux scalpeurs des années 1980…

La télévision

Signe des temps, «Envoyé Spécial» repart comme au bon vieux temps avec des émissions spéciales sur le FN. Les spécialistes maisons et les journalistes chargés de couvrir le FN les années précédentes, reviennent sur le devant de la scène, alors que la plupart ont arrêté de suivre l’actualité de l’extrême droite depuis des années. Visiblement obligés de faire du zèle, les journalistes nous proposent même des sujets sur Unité radicale, ce qui n’arrivait jamais auparavant.

Ce qui frappe dans les sujets sur le FN après le premier tour, c’est la facilité avec laquelle les électeurs et militants se laissent filmer et revendiquent le vote ou l’appartenance au FN. Comme les autres années, on a droit au reportage dans le petit village où le FN dépasse les 50%. Alors qu’auparavant les journalistes ne pouvaient jamais trouver les éventuels électeurs du FN, cette année les gens assument leur vote, interpellent les journalistes pour le revendiquer, et pas seulement dans les petits villages. La peur ou la honte du vote ou de l’appartenance au FN semblent avoir disparu. Ce qu’il faut retenir, c’est que les sympathisants du FN ne veulent plus se cacher, un tabou a été levé avec les 18% du cyclope de Montretout.

Le délire Internet

Internet n’est pas en reste dans ce débordement de bons sentiments républicains. Les messages les plus délirants ont circulé, sans que personne ou presque ne prenne le temps de les lire sérieusement, s’empressant de les envoyer à ses correspondant.

On peut prendre l’exemple du fameux «socialement à gauche, économiquement à droite …» de Le Pen, phrase prononcée le soir du premier tour.

Très vite un mail circule, émanant d’un professeur d’histoire inconnu, où cette phrase est mise en parallèle avec un discours d’Hitler du 29 novembre 1932, où l’on retrouve la même formule.

Outre le fait qu’Hitler n’a jamais dit être socialement à gauche, il n’y a pas eu de congrès du NSDAP ce jour-là. Il s’agit de la date de naissance de Jacques Chirac et de la signature du pacte de non-agression franco-soviétique. De plus le message indique que le NSDAP signifie Nationalsozialistische Demokratische Partei, soit le Parti National Socialiste Démocratique… Les fafs doivent en rigoler encore (pour rappel, NSDAP signifie Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, Parti National-Socialiste Ouvrier Allemand). On peut s’interroger sur l’origine de ce genre de message et sur la réelle volonté de son auteur.

Une autre rumeur circula sur Internet, d’une autre nature, pour inciter les abstentionnistes à se déplacer. C’est celle d’un rapport des RG, commandé par la Mairie de Paris et reçu au Cabinet d’Henri Emmanuelli, annonçant Le Pen à plus de 40% au deuxième tour.

Les RG ne font plus de sondages depuis quelques années. En théorie, ils ne sont plus autorisés à le faire. De plus, il n’y a aucune raison pour que ce soit Henri Emmanuelli qui ait pris connaissance de ce sondage, pour la simple raison qu’il n’est pas au gouvernement, ni à l’Assemblée nationale et qu’il n’a plus de fonction officielles au PS. Les renseignements généraux dépendent par ailleurs du gouvernement et pas de la Mairie de Paris…

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