REFLEXes

Métro Boulot, bobo !

26 février 2003 ... Et les autres

Dans le réseau parisien du métro sévissent de tristes milices. Employées par la RATP pour assurer la sécurité dans le métro, elles se livrent régulièrement à des ratonnades, et terrorisent plutôt qu’elles ne sécurisent.
Il y a différents organes de sécurité dans le métro : les GPSR, les CSA, les dans les bus de certaines banlieues, les maîtres-chiens, tous contrôlés par la RATP ainsi qu’un service de police : le SPSM.
Cette prolifération est inquiétante. La RATP pratique une politique sécuritaire et répressive pour dissuader les pauvres de frauder, aseptiser le métro en interdisant la musique, les vendeurs de journaux, de cacahuètes, qu’elle voudrait faire disparaître au profit de grandes galeries marchandes et de MacDonald’s, qui paieraient de lourdes patentes à la RATP.

Car la RATP a besoin de fonds pour investir dans de nouveaux systèmes d’entrée sophistiqués, de nouvelles caméras, de nouvelles équipes de vigiles plus performantes, entraînés dans des infrastructures qui coûtent cher.
Ça s’appelle « l’exprit libre » au pays de la RATP !
Ces différents organes de sécurité du métro parisien méritent notre attention car la réalité est un peu différente du message que la RATP proclame dans ses nombreuses campagnes publicitaires (qui coûtent d’ailleurs très chères elles aussi).

Le GPSR (Groupe de Protection et de Sécurité du Réseau) est né d’une fusion entre le GIPR (Groupe d’Intervention et de Protection des réseaux, RATP) et la SUGE (Surveillance Générale, SNCF) dans le cadre du plan Khéops. Effectif depuis le 1er novembre 1994, il a pour missions de .
Il comprend environ 600 agents, qui patrouillent dans les rames et les stations du métro et du RER, par 12, 3 groupes de 4. Ils sont assermentés, portent des uniformes bleus qui doivent arborer leur numéro de matricule, sont munis de radios, bombes lacrymogènes, tonfas, menottes, bref, une véritable panoplie de mercenaire. On leur demande d’avoir un casier judiciaire vierge, pour obtenir un permis de port d’arme. Certains sont d’ailleurs armés de pistolets Lüger, généralement ce sont les anciens vigiles de la SUGE, qui étaient déjà armés avant le GPSR. Les agents du GPSR patrouillent sur tous les réseaux d’Ile-de-France, métro, bus, RER, et parfois sont en civil au lieu de porter l’uniforme.
Pour être recruté, un futur agent du GPSR doit faire au minimum 1,75m, avoir le niveau BEPC et pratiquer des arts martiaux ; puis les postulants font un stage à l’unité Formation et Prévention (dont le responsable est Didier Mathet) et sont finalement accueillis par le directeur du département Environnement et Sécurité.

Bien que le GPSR n’ait aucun pouvoir légal, si ce n’est vérifier un titre de transport, dresser un procès-verbal et, au même titre que tout autre citoyen, retenir quelqu’un jusqu’à l’arrivée de la police, ils outrepassent largement leurs droits dans la pratique. Officiellement, ils sont là pour garantir notre sécurité. Dans la réalité ils font plutôt régner un sentiment d’insécurité… face à eux !! En effet leur mission officieuse est celle de nettoyer le métro des SDF, des vendeurs de cacahuètes, des vendeurs de journaux, en les attaquant, les rackettant de leurs affaires, leurs marchandises ou leur argent, pour les «dissuader» de rester dans le métro. En effet la RATP verrait bien un métro , lieu commercial à part entière, plutôt que d’accueillir les exclus du capitalisme !

Par ailleurs, les GPSR ne se contentent pas des du métro, mais font régner leur terreur sur les déviants à leur norme : les pauvres qui ne paient pas le ticket, les jeunes qui rient trop fort, les personnes dont le teint est trop bronzé pour leur apparaître vraiment honnête, etc… et les insultes et l’humiliation précèdent les tabassages dans les locaux de maintenance des stations, à l’écart des autres usagers.

Il est intéressant de lire le compte-rendu , (dans IWS n°45) :
Mises à disposition police : 3.
PV établis : 147.
Saisies effectuées : 41.
Eviction de marginaux : 284.
SDF conduits à Nanterre : 34.
Blessé(s) sur action de service.

Ces chiffres sont assez étranges : pour évacuer presque 300 marginaux (!), ils n’ont appelé que 3 fois la police et il n’y a eu aucun blessé ? Ils semblent très forts…
Pourtant, le 4 janvier 1995, des associations protestent et organisent une conférence de presse à la station Place d’Italie avec de nombreux témoignages de gens agressés, tabassés, certains même hospitalisés après avoir croisé la route d’une patrouille de GPSR. Le lendemain de cette conférence, le directeur de la sécurité de la RATP, Alain Caire, dans un entretien au Parisien, dira de ces témoignages qu’ils sont des « calomnies » et des « provocations pures et simples ».

Un tract signé du Syndicat indépendant de la RATP diffusé au début de l’année 1995 à l’occasion d’une journée de grève des GPSR est très instructif sur les projets de la RATP : «… La sécurité des personnes et des biens n’est plus la priorité de la RATP, car aujourd’hui la direction fait déplacer des équipes de 6 à 8 agents pour s’occuper d’un vendeur de cacahuètes ou d’un SDF endormi, alors que dans le même temps des dealers continuent de vendre leur “merde

(sic !) et que des agents et des usagers se font agresser tous les jours» (ndlr : par les GPSR ?)
Ce tract fait par ailleurs allusion au service de police du métro : le SPSM (Service de Protection et de Sécurité du Métro) qui compte 428 agents de la sécurité, auxquels s’ajoutent les 86 officiers de police judiciaire de la brigade des réseaux ferrés parisiens.

La coopération vigiles-police n’est pas réellement sereine. De nombreux conflits opposent le GPSR, ex-GIPR et le SPSM. Ils ont été révélés à travers la polémique à propos du nouveau costume et de l’insigne. A la naissance du GPSR, une série d’articles dans le Parisien met à jour une querelle de concurrence entre la police et la milice de la RATP, à propos du nouvel uniforme et surtout du nouvel écusson des GPSR, qui devait porter la mention . Jean-Louis Arajol, secrétaire général du SGP-FASP déclare : (Le Parisien, 5 janv 95), puis c’est au tour du GPSR dans son communiqué sur la grève : «La direction a-t-elle peur des pressions externes ? Apparemment oui car en fonction des humeurs du SPSM, les agents du GPSR sont soit habilités police des chemin de fer, soit sûreté RATP permettant à la direction, en bonne complice, de trouver tout à fait normal que les assermentations soient constamment remises en cause et de ralentir la mise en place de la nouvelle tenue.» Puis le communiqué poursuit : les GPSR «constatent tous les jours les dérives qui s’accroissent dans ce service de police. En effet, comment expliquer que des personnes ne respectant la police des chemins de fer le fasse tranquillement sous les yeux du SPSM ? Nous n’avons jamais vu 38 agents du GIPR faire la causette à Châtelet-les-Halles pendant que les tam-tam sévissaient tranquillement sur les quais.» Cette phrase hautement progressiste nous apprend que les tam-tam sont une atteinte au respect dû à la police des chemins de fer, et que le SPSM ne se fait pas respecter, signe de la dérive citée plus haut!!

Quant aux 38 agents, il est vrai qu’il est assez inquiétant de se promener dans l’échangeur du RER de Châtelet-les-Halles : des uniformes s’y bousculent avec d’autres uniformes, à l’affût de tous les suspects, au faciès bien sûr !!
Ces querelles qui peuvent nous sembler bien mesquines sont en fait le révélateur des tensions et de la concurrence qui règne entre les différents organes de sécurité du métro, notamment à propos du rôle et des pouvoirs de chacun.
Cette joute dans la presse a finalement poussé la RATP à changer l’insigne flambant neuf des GPSR (après une déclaration du directeur de la sécurité à la RATP : Alain Caire) le blason porte désormais la mention ; et accélérer la formation d’une nouvelle milice : les CSA.
Conclusion de Francis Masanet, porte-parole de Dfférence (syndicat de policiers en tenue) dans le Parisien du 25/1/95 :

Une nouvelle brigade pour concurrencer le GPSR et sa mauvaise réputation ?
Les CSA (Contrôle Sécurisation Assistance) opèrent sur la ligne 4 nord (Château d’Eau – Porte de Clignancourt), la ligne 9 est (Saint-Ambroise – Mairie de Montreuil), la ligne 2 est (Avron – La Chapelle). Sur chacun de ces secteurs, les CSA comptent 20 agents (station, contrôle itinérant, sécurité) et 2 agents de maîtrise ; Ils ont à leur disposition sept R21 Nevada car leur déplacement se fait uniquement en surface. Vêtus d’uniformes verts kakis, ils sont de plus munis de talkie-walkie et de bombes lacrymogènes. Les agents du CSA sont issus de la RATP, (agent de station, du contrôle itinérant et de la sécurité) et non de l’extérieur comme les agents du GPSR. Le tract du Syndicat Indépendant de la RATP cité auparavant estime que
D’autre part, la RATP, voulant calmer les rivalités, a organisé la coordination croissante des équipes GPSR, contrôleurs, et policiers. La RATP participe au Comité Départemental de Sécurité (mis en place par le Préfet de Police et le Procureur de la République.) Le tract du Syndicat Indépendant de la RATP nous donne son interprétation : « aujourd’huit toutes les opérations menées conjointement entre les deux services ne sont que de la poudre aux yeux pour essayer de redorer le blason du SPSM. »

Un autre phénomène croissant dans la logique sécuritaire et notamment les sociétés de vigiles : l’embauche de « grands frères ».
Dans les centres commerciaux de banlieue, la majorité des vigiles sont d’anciens chômeurs habitant les cités, connaissant les jeunes et chargés de les dissuader de saccager les richesses auxquelles ils n’auront pas accès. Ils sont le tampon entre la société marchande et les jeunes tant redoutés.
La RATP aussi expérimente l’utilisation de depuis 1994 sur 5 centres-bus : Flandre, Maltournée, Pleyel, Gonesse et Pavillons, à l’initiative du Comité de prévention et de sécurité. Ces collabos sont chargés d’obliger les gens à monter à l’avant du bus, les persuader de présenter leur carte, les dissuader de chahuter, et surtout empêcher la fraude, c’est-à-dire les plus pauvres de pouvoir prendre le bus.
Ces nouveaux vigiles sont employés pour 15 mois, rémunérés au SMIC par l’APMJC (Association pour une meilleure citoyenneté des jeunes, sic). La RATP est très satisfaite de ces qu’elle n’a pas à payer. Eux sont vraiment les dindons de la farce : payés au SMIC, pourront-ils se payer une carte orange s’ils ont une famille à nourrir ?

Comment contrer la logique sécuritaire répressive et lutter contre les milices dans le métro ?
Il faut que les tabassages et l’ensemble des abus des milices soient connus et jugés. Ainsi les victimes des agents du GPSR ou assimilés doivent porter plainte, expliquer leur cas à la presse ou aux associations.
Quand une patrouille de vigiles circule, il faut être vigilant, protester s’il y a violence et s’ils veulent emmener de force l’usager arrêté, témoigner des faits, informer les gens, ne pas rester passifs.
La sécurité dont nos dirigeants ont fait un leitmotiv est celle organisée par les sociétés pour défendre leur profit. La véritable sécurité ne serait-ce pas d’avoir un logement, un revenu pour vivre, des transports publics pour tous ?
La logique sécuritaire, calquée sur les Etats-Unis, a pour buts de contenir les débordements des exclus du capitalisme, les précaires, les chômeurs. Notre société est génératrice d’inégalités, et l’État est là pour permettre son bon fonctionnement, en assurant la paix sociale du capitalisme, soutenu par le développement de milices privées, de caméras, d’informatisation.

La RATP participe à cette évolution en créant ses propres milices, en multipliant les appels à la délation et les messages assurant que les voyageurs sont très gênés que d’autres fraudent alors que, eux, ils paient. Cette démagogie est scandaleuse .
A la logique commerciale et de répression de l’administration, s’ oppose une logique de gratuité des transports et de responsabilisation des usagers.

PS : Sur la mort du GPSR à Rosny : à provoquer et tabasser les jeunes et dans le métro, les GPSR n’ont attiré qu’une chose : la haine, et en réponse à leur violence, la violence. N’oublions pas le vieil homme qui dormait dans le métro, qui a été envoyé dans le coma par des GPSR, et dont personne ne sait ce qu’il est devenu, ni les nombreuses personnes blessées et humiliées pour avoir déplu à ces milices fascisantes.

les bonnes déclarations du PDG de la RATP,
Jean-Paul Bailly, dans Libération (16/11/94).
Le 1er octobre, il annonce une « révolution culturelle », et déclare : « Je veux que d’ici cinq ans les voyageurs disent de la RATP qu’elle est sûre, propre, simple et transparente ». Je préférerais qu’elle soit rapide, fréquente, gratuite.

De plus il explique la baisse de la fréquentation du métro par une impression générale que . Bref, le PDG de la RATP est incompétent et il faut vite le remplacer.
Le 25 janvier 95 il explique au Parisien que son action en 1995 serait axée notamment sur la relance de la promotion commerciale et la lutte contre la fraude, dans le cadre du projet .

Alain Caire, directeur de la sécurité de la RATP, dans le Parisien du 5 janvier 95 : A propos des agressions des GPSR contre des usagers : une plainte est déposée contre l’agent, une enquête est ouverte et si celle-ci aboutit, l’agent peut être mis en examen ou encourir des mesures disciplinaires. Mais nous n’avons enregistré aucune plainte récemment.

Paru dans REFLEXes N°47, oct./nov. 1995

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