REFLEXes

Notes de lecture

21 janvier 2003 Ouvrages, revues et médias

BOURRE Jean-Paul,

Les Profanateurs. La nébuleuse de tous les périls – Nouvelle Droite, Skinheads, Rock-métal, Néonazis

Le Comptoir éditions, 1997, 201 p.

Ce livre est un mauvais livre, et l’intérêt de lui consacrer une note de lecture ne provient que de son caractère édifiant. Depuis quelques années, il s’est en effet développé un véritable marché éditorial de l’extrémisme de droite sous toutes ses formes et nombreux sont ceux qui essaient d’en obtenir leur part. J.-P. Bourre en fait partie.
Comme l’indique plus ou moins le titre de l’ouvrage, l’auteur entend donc nous instruire des liens entre satanisme, rock, mouvement skinhead et nouvelle droite. Le propos est ambitieux et presque alléchant étant donné les événements survenus en 1996 dans divers cimetières du sud de la France. Il faut dire que le satanisme est à la mode et qu’il a fourni le prétexte à moult digressions, comme l’illustrent parfaitement, entre autres, un exemplaire de la collection Le Poulpe Satanique ta mère ou l’article grotesque du catholique C. Terras dans l’ouvrage collectif Négationnistes : les chiffonniers de l’histoire. Las ! J.-P. Bourre ne tient pas ses promesses et tombe rapidement dans le grand guignol… Il essaie de s’appuyer sur son passé de militant nationaliste (même s’il ne se présente que comme un simple compagnon de route). Le seul problème est que ce passé date quelque peu et c’est ainsi qu’il nous livre des révélations sur le GRECE datant de… 1975 ! Il essaie également de cultiver le côté «investigation» mais la nature des références citées (VSD, L’Express, L’Événement du jeudi, Le Monde…) dans le livre démonte vite le procédé. Présenté sur la jaquette comme un «véritable journaliste de terrain» (il en a même les attributs : regard mauvais caché sous le chapeau d’Indiana Jones, moustache héroïque qu’accompagne une barbe de 3 jours…), il semble en fait que ses seuls véritables contacts avec la réalité se résument à une rencontre avec des skins auvergnats lors d’un solstice d’été et à des interviews comme celles des sieurs Questin, Warlet et Farrant, respectivement druide tendance folklorique, militant barbouzard et profanateur britannique. Pour masquer cette vacuité intellectuelle, J.-P. Bourre noie le poisson sous un flot d’imprécations apocalyptiques et de recopiage de passages entiers de revues bien mieux informées que lui et pour cause…
Ses références historiques ou politiques ne sont pas plus sérieuses et ont de quoi faire frémir n’importe quel militant un tant soit peu sérieux qui se pencherait sur le sujet. Je cite en vrac : Philippe Hertens, Le nationalisme radical en France, ouvrage de synthèse pour grand public ; Jean Prieun, Hitler et la guerre luciférienne, livre bouffonesque édité chez J’ai lu; Serge Hutin, Aleister Crowley, livre de mauvaise vulgarisation publié chez Marabout et dont J.-P. Bourre a dû trouver la mention chez P. Hertens puisque celui-ci le cite, etc.
Finalement, le militant catholique J.-P. Bourre échoue lamentablement dans son entreprise de dénonciation des liens satanico-fascistes et le ridicule de la fin est tel qu’on en viendrait presque à se demander s’il ne s’agit pas d’une opération de discréditation des antisatanistes, comme en son temps l’anticlérical Léo Taxil parvint par une superbe imposture à ridiculiser les milieux catholiques anti-franc-maçons (cf. M. Introvigne Enquête sur le satanisme, p. 143-208).

INTROVIGNE Massimo,

Enquête sur le satanisme,

Éditions Dervy, coll. Bibliothèque de l’Hermétisme, Paris, 1997, 414 p.

Le titre de ce livre pourrait prêter le flanc à une certaine confusion et laisser accroire qu’il est du même type que celui de J.-P. Bourre, c’est-à-dire un ouvrage sensationnaliste de plus. Il n’en est rien, bien au contraire. Enquête sur le satanisme offre un vaste panorama du satanisme en prenant comme ligne directrice d’étude une définition socio-historique restrictive de celui-ci, à savoir «la vénération et l’adoration du personnage appelé Satan ou le diable dans la Bible», écartant ainsi une définition qui serait plus en rapport avec les préoccupations des théologiens et qui engloberait tous les mouvements occultistes et magiques cherchant à nuire au christianisme, ce que l’auteur appelle une subculture sataniste. Partant du constat qu’une poussée de satanisme entraînait toujours une vague d’antisatanisme, M. Introvigne étudie les deux phénomènes conjointement et chronologiquement, depuis les origines (XVII°-XVIII°) jusqu’à la période contemporaine (1952-1996) en passant par la période classique (1821-1952), celle de Huysmans et des antisatanistes délirants Fiard et Berbiguier. Très bien écrit et fort bien traduit, le livre nous apprend énormément de choses et il est évident que Massimo Introvigne s’affirme vraiment comme un spécialiste des religions marginales .
Le seul problème (mais de taille) est bien sûr ses liens avec certains milieux politiques radicaux de droite et les ultra-conservateurs catholiques en Italie. Il est par ailleurs engagé dans un combat douteux contre les études et missions parlementaires antisectaires. Bref, un bon livre écrit par un sale type.

CASALS Xavier,

Néo-nazis en España De las audiciones wagnerianas a los skinheads (1966-1995)

Edition Grijalbo, Barcelone, 1995 , 384 p.

Bien souvent dans ce journal nous vous avons parlé du CEDADE ; cette association néo-nazie, certainement la plus connue d’Europe, profita pour se développer de l’absence en Espagne de lois condamnant le racisme et l’apologie du nazisme. Durant les années 1980, elle était devenue la plus grande maison de distribution de matériel nazi.
Elle diffusait sa presse dans tous les pays européens, notamment en imprimant pour l’Allemagne des revues en langue allemande. Elle reçut même -selon l’un de ses dirigeants- des fonds d’Arabie Saoudite pour l’édition d’oeuvres antisémites en langue arabe. CEDADE fut souvent présentée comme le chef d’orchestre d’une internationale brune qui ourdirait des complots visant à établir un quatrième Reich.
Xavier Casals, journaliste et historien, a mis en évidence dans ses nombreux articles, la fragilité du mythe et la faiblesse réelle d’un groupe qui représentait davantage en dehors des frontières que sur son territoire, incapable d’agir et d’influer sur la vie politique espagnole par manque de militants et de discours. Au fil des ans, le groupe n’était plus qu’une maison d’édition gardienne d’une orthodoxie nazie, lue seulement par des retraités exilés en Argentine et des historiens. Auto-dissoute en octobre 1993, seule demeure la librairie Europa que le code pénal de 1995 interdisant les symboles nazis voue à la ruine (déjà bien entamée puisque CEDADE s’écroula criblée de dettes) car en retirant à l’Espagne cette spécificité, il lui ôta du même coup le marché des nazis européens.
L’historien barcelonais Xavier Casals expose en détail dans la partie la plus importante et la plus riche de son livre l’histoire de cette «association culturelle», depuis sa création en 1966 par des phalangistes liés à la Garde de Franco et des exilés européens (réfugiés politiques dans l’Espagne franquiste) jusqu’à sa dissolution à la suite d’une banqueroute tout autant économique que politique survenue quelques mois avant la mort de Léon Degrelle.
L’auteur ne se contente pas de la petite histoire de ce groupe (noms, dates, etc.) mais s’attache avant tout au discours politique, à ses contradictions entre le pan-européanisme, le nationalisme espagnol et l’ethnorégionalisme, ses évolutions et ses luttes de tendances comme par exemple entre les nietzchéens (comprenez les païens) et les wagnériens (comprenez les catholiques) qui ne sont pas loin de nous rappeler ce qui existe aussi en France.
Dans une seconde partie, qui me semble-t-il n’a pas la même densité, Xavier Casals s’attache également aux autres groupuscules nazis. Le survol est plus rapide ; notons tout de même les parties consacrées à Mundo NS de R. Bau et à la société Thulé et à l’ésotérisme espagnol. On regrettera cependant que certains groupes ne soient pas analysés tels que Accion Radical ou Alternativa Europea.
Enfin, dernier reproche à un livre qui affirme son projet de «comprendre le fonctionnement et la dynamique de ce spectre politique, les facteurs qui facilitent ou rendent difficile sa croissance, les changements dans son discours, dans ses tactiques et dans ses stratégies» dans un but de le combattre : il est dédié «à tous ceux qui travaillent quotidiennement pour que les droits de l’homme soient une réalité» avec des remerciements pour leur collaboration à R. Bau, A. Ricote et J. Thiriart conjointement à ceux adressés au «collectif antifasciste français Reflex». Dur !

Robert O. Paxton,

Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural, 1929-1939,

Ed. du Seuil, Paris, 1997

De nombreux aspects des mouvements fascistes français des années 1930 ont déjà été étudiés. Pourtant, aucun historien ne s’est sérieusement penché sur la perméabilité des milieux paysans d’avant-guerre au discours antirépublicain. Une première étude vient combler cette lacune.
Le temps des chemises vertes retrace la vie d’Henry Dorgères, agitateur de la droite paysanne des années trente. La paysannerie connaît dans les années trente une triple crise : économique (la grande dépression), culturelle (un mode de vie en voie d’extinction) et politique (une crise de représentation). C’est sur ce terreau favorable à l’émergence de ses idées que Dorgères deviendra le principal leader paysan de cette période.
Il commence sa carrière en bâtissant un petit empire de presse agricole. Il obtient ensuite la célébrité et la reconnaissance de milliers de paysans grâce à son talent oratoire. Ce tribun hors pair réussit à rassembler des foules considérables lors de meetings ou d’interventions sur les marchés. Dans ses allocutions enflammées, il exprime toute la rancoeur du monde agricole contre la ville, les parlementaires et la gauche. S’il met en avant ses concepts politiques – haine du parlementarisme et de l’individualisme, antisémitisme et surtout corporatisme -, son discours ne se détache jamais de revendications salariales catégorielles. Malgré toute l’énergie qu’il dépense pour créer une unité paysanne sur tout le territoire avec ses «Comités de Défense Paysanne», il est seulement influent dans le nord et l’ouest de la France. Afin d’assurer la sécurité de ses meetings, il crée des brigades d’actions composées de paysans jeunes : les chemises vertes (420000 adhérents revendiqués avant 1939). Même si ce chiffre semble fantaisiste, on ne peut nier l’influence de Dorgerès dans le milieu rural et l’importance de ses troupes dans certaines régions.
Après avoir servi dans l’armée française lorsque la guerre éclate, Dorgerès participe à la Collaboration et tente d’obtenir une place honorable au sein des institutions pétainistes. Il échoue et s’éloigne du régime de Vichy. Après un court séjour en prison à la Libération, Dorgères reprend sa carrière politique et devient député d’Ille-et-Vilaine en 1956. Puis il s’isole et abandonne toute activité politique jusqu’à sa mort en 1985. Même si l’aventure dorgèriste se termine dans l’ombre, son étude a de l’intérêt à maints égards. Les premiers succès dans le monde paysan du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne ont été des éléments déterminants pour le développement ultérieur de ces régimes. En France, l’échec n’est pas seulement attribuable à Dorgères ; la puissance de l’Etat français dans les campagnes, le pouvoir des notables et la solidité des organisations paysannes empêcheront le fascisme rural de s’installer.

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