REFLEXes

Nouvelles d’Allemagne

9 décembre 2006 Les nostalgiques, Les radicaux

(Article publié en juin 1993 dans le n° 39 de la revue REFLEXes)

 

Les nouvelles d’Allemagne ne sont pas tellement encourageantes : au moins 50 personnes ont été assassinées par des fascistes depuis l’annexion de la RDA. Le Bundeskriminalamt (institution nationale luttant contre la criminalité) parle de plus de 6 000 crimes racistes officiellement constatés rien qu’en 1992. Les scores des partis d’extrême droite sont aujourd’hui presque au «niveau français», c’est-à-dire qu’ils atteignent entre 10 et 15%. Les derniers attentats (Solingen, Hattingen, etc.) montrent la dimension de la terreur brune.

On peut constater toute une toile fasciste derrière ces actions. Les deux branches les plus connues sont des partis d’extrême droite comme les Republikaner ou la Deutsche Volksunion (DVU) qui sont déjà représentés dans plusieurs parlements régionaux à l’Ouest. Il est aussi plus ou moins sûr que les Republikaner vont entrer au parlement national aux élections de 1994.

À l’étranger, on entend surtout parler des fascistes militants. Ceux-ci sont depuis plusieurs années en train de créer des organisations d’avant-garde pour recréer le NSDAP. Pour arriver à ce but, il y a le NSDAP/AO dont le siège se trouve aux États-Unis et le Gesinnungsgemeinschaft der Neuen Front (GdNF). Ce dernier comporte plusieurs partis et organisations qui se revendiquent plus ou moins ouvertement du national-socialisme. Ce sont surtout Michael Kühnen et son successeur Christian Worch qui ont créé ce réseau qui ne veut pas encore devenir un mouvement de masse mais rester une organisation de cadres.

À part ces réseaux et quelques autres partis fascistes, comme par exemple le Freiheitliche Deutsche Arbeiterpartei (FAP) de Friedhelm Busse, il y a aussi toute une «scène» de l’extrême droite qui n’est pas très bien organisée en parti mais qui est assez violente et qui se laisse facilement récupérer par l’un ou l’autre groupe pour des actions fascistes (manifestations, collages, terreur dans la rue, attentats, etc.). Les frontières entre ces différents groupes sont mouvantes.

Mais il y a aussi – mieux cachés et beaucoup mieux intégrés dans la société allemande – des groupes d’étudiants de droite (les «Burschenschaften»), des journaux, tout un réseau de la Nouvelle droite (qui s’inspire surtout des idées du Français Alain de Benoist), des «réfugiés patriotes», des «cercles» dans lesquels se trouvent côte à côte des conservateurs et des activistes d’extrême droite.

Mais malgré ces activités assez diversifiées, l’extrême droite n’est pas encore en passe de «prendre le pouvoir». Ce n’est pas son but pour le moment car d’autres font son travail. Heinz «Nero» Reisz, fonctionnaire de la GdNF et ami de Michael Kühnen décédé, précise : «Dans quelques années, les politiciens de la CDU/CSU (les conservateurs) auront un programme semblable au nôtre.» Même si cela semble un peu exagéré, il faut constater que les sociaux-démocrates proposent aujourd’hui presque les mêmes «résolutions» en ce qui concerne les demandeurs d’asile que les Republikaner il y a cinq ans. Ce n’est pas seulement le droit d’asile qui est de facto éliminé. Maintenant, on envoie aussi des soldats dans le cadre du programme de l’ONU, ce qui est une véritable attaque de la loi fondamentale allemande (Grundgesetz), basée sur les expériences cruelles de la Seconde guerre mondiale. Pour la première fois depuis 1928, les entreprises ont aussi trahi les accords passés avec les syndicats. Tout cela se fait main dans la main avec une répression et une surveillance de plus en plus poussée de la résistance antifasciste et progressiste dans la plupart des régions allemandes. Les médias ont également effectué un «Rechtsruck» (une dérive vers la droite) comme toute la société. Dans le Spiegelcomme dans Die Welt, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung comme dans Bild, les immigrés sont décrits comme des «vagues», des «masses», des «parasites», etc. Juste avant Rostock, Bild a sorti toute une série d’articles contre les demandeurs d’asile qui – d’après la «logique» populiste – sont soit des grands feignants parasitaires, soit des gens qui volent des emplois.

Mais tout ce renforcement de l’extrême droite suscite aussi une résistance. Bien sûr, les «Lichterketten» (chaînes de bougies contre le racisme) ou les grandes «manifs antiracistes» avec des centaines de milliers de personnes sont exploitées par la politique et le grand capital pour calmer les entreprises étrangères qui ont eu peur d’investir en Allemagne. Mais il y a aussi – surtout après Mölln et Solingen – de plus en plus de gens qui n’ont plus confiance dans le prétendu antiracisme de l’état qui essaie, en même temps, de se débarrasser de ses immigrés. Beaucoup de nouveaux groupes se sont fondés. Surtout, les jeunes essaient de «prendre leurs propres affaires en main».

Encart

C’est à nous d’agir

Un appel de l’écrivain Ralph Giordano, juif allemand, survivant de l’holocauste.

« Solingen et tout ce que ce nom symbolise et représente nous a préoccupés ; cela prouve que la bête raciste est toujours vivace dans l’Allemagne de 1993. Celui qui a pensé qu’il y avait, comparé aux années 1991 et 1992, une accalmie relative, doit avouer au moins aujourd’hui qu’il avait tort. Avec ces cinq morts, il est déjà plus une.

[...] Maintenant, il y en a assez, il y en a plus qu’assez. Alors, arrêtons de défendre l’ancienne et la nouvelle racaille ! Arrêtons de nous taire devant les assassins potentiels et réels ! Arrêtons de faire confiance aux politiciens qui – même après 25 morts – ne sont toujours pas prêts à punir les brutes d’extrême droite avec toute la force de l’État comme ils l’ont fait contre la gauche terroriste – là, ça marchait !

[...] Disons-le, écrivons-le, crions-le de toutes nos forces : dans l’Allemagne de 1993, l’ennemi est à droite – à droite, à droite, à droite !

[...] N’ayons plus confiance dans les organes du régime politique qui est apparemment incapable de se sentir menacé par la droite et qui le refuse même. Alors, encore une fois : arrêtons avec la défensive !

[...] Nous, survivants et famille de survivants de l’holocauste, ne resterons plus jamais sans défense devant nos ennemis mortels – plus jamais ! Et notre serment demeure, aussi longtemps que subsiste l’ennemi mortel. Aujourd’hui, quelques jours après Solingen, je demande aux immigrés d’Allemagne (oui, à tous ceux et à toutes celles qui sont menacés), résistez, ne vous laissez pas brûler par ces criminels allemands ; n’acceptez pas qu’ils tuent vos mères, vos pères, vos frères, vos soeurs, vos filles et vos fils ! Soyez prêts quand ils viennent ; attendez qu’ils puissent venir – cette nuit, demain soir – et toutes les nuits à venir. Accueillez-les comme ils le méritent et dévoilez ainsi leur vrai visage par votre résistance : des poules mouillées pour lesquelles rien n’est plus important que leur propre intégrité, des créatures de l’ombre anonyme qu’il faut démasquer. Attrapez-les vous même, car vous n’avez rien à attendre de la police.

Immigrés d’Allemagne, défendez vous – enfin ! [...] »

Mis en ligne le 9 décembre 2006

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