REFLEXes

Pasqua expulse plus vite que son ombre

5 février 2003 Les institutionnels

En 1993 a été adopté au Parlement un texte de lois sur l’immigration durcissant encore les conditions d’accès à la nationalité française. En ce début d’année, ce fut au tour de la police et du thème plus général de la sécurité d’être revisités par Pasqua. Une marge de manœuvre de plus en plus grande a été donnée aux services de police. Et dans quel but ?

On nous parle d’insécurité : bientôt l’idée de «bandes ethniques sévissant dans les banlieues» sera reprise et généralisée dans les médias. Pasqua a sûrement bien compris la leçon des années 1980 qui ont vu Le Pen, au plus fort du populisme, séduire une bonne partie de la population : «soyons un peu plus fin, exploitons le filon, et le principe du capitalisme pourra prospérer tranquillement dans son coin !» Il restait à trouver le bouc émissaire, en l’occurrence les immigrés, et à faire voter un ensemble de lois et de moyens policiers conséquent : c’est une recette politique bien connue en période de crise.

La ligne de conduite de ce gouvernement de droite a été fortement marquée par l’empreinte de Pasqua. Que ce soit en matière d’immigration, de police, d’éducation (cf. la fac Pasqua), ou encore d’aménagement du territoire, il a été omniprésent. Fruit d’une même équipe, les orientations du gouvernement en matière d’immigration et de sécurité sont étroitement liées. L’objectif est depuis longtemps avoué : c’est «l’immigration zéro». Il n’y manquait plus que les moyens légaux, le gouvernement socialiste ayant auparavant développé de jolies pratiques discrétionnaires. Et ces moyens seront tant judiciaires que policiers et administratifs. En juin 1993, un ensemble de lois sur l’immigration a été soumis au Parlement : le code de la nationalité, le droit d’asile, les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, les contrôles d’identité, autant de points qui ont été revisités de façon restrictive. En période de crise, l’heure est à la précarité sociale, mais cette dernière n’atteindra pas le même degré selon que l’on est étranger ou français. Le statut des étrangers résidant en France est aujourd’hui fragilisé à l’extrême. L’accumulation d’obstacles administratifs transforme en parcours du combattant le trajet pour obtenir une carte de résident, tout comme les démarches qui concernent le regroupement familial, le mariage mixte, la demande d’asile ou encore l’obtention de la nationalité française. Mais plus que ces obstacles, ce sont les pouvoirs de l’administration qui ont considérablement augmenté. Ainsi, pour tout ce qui est demande d’asile, les autorités dites compétentes filtrent davantage et ont le pouvoir de refuser l’admission d’un demandeur si elles estiment que les craintes de persécution invoquées sont infondées. Où s’arrêtera l’arbitraire ? D’autre part, les lois Pasqua légalisent la suppression de toute protection sociale pour l’étranger en situation irrégulière, et ce même s’il travaille. Les Caisses de Sécurité sociale sont priées de vérifier périodiquement la régularité de leurs affiliés étrangers et les fichiers de la préfecture peuvent être mis à leur disposition. Il s’agit ici d’une véritable invitation à la délation qui rappelle des temps bien obscurs où administrations et services de police collaboraient. Les conditions d’accès à la nationalité française et celles de l’obtention de la carte de résident sont aujourd’hui considérablement plus sévères. Il est de plus en plus facile de se retrouver en dehors des normes prescrites (!?) et de devenir irrégulier. Parallèlement, répondre au modèle français de l’immigré-type (c’est ce que l’on appelle l’intégration…) est une tâche bien laborieuse. La surveillance et l’encadrement draconiens dont les immigrés font l’objet en font dans la loi au mieux des suspects, voire des criminels en puissance : on imagine aisément les répercussions aux yeux de l’opinion. Cet ensemble de lois délivre en effet à l’opinion publique un message de méfiance à l’égard des étrangers. La machine juridique focalise l’attention sur une minorité qui serait selon les dires «source de déséquilibres économiques», pour finalement faire en sorte que l’accès à un statut régulier soit restreint. Continuant le travail commencé par les socialistes, ce dernier gouvernement légalise un véritable processus de fabrication de clandestins et d’étrangers en situation irrégulière. On a ainsi fait de l’immigration un problème, oubliant implicitement que le fait d’être étranger n’a pas à créer une quelconque inégalité. S’il y a en effet un problème, il n’a pas comme source l’immigration et les immigrés, mais certainement quelque chose de beaucoup plus vaste. Le système actuel doit gérer une crise économique tout en maintenant une répartition inégale des richesses, et ce afin de sauvegarder les intérêts des dirigeants au pouvoir et un certain ordre économique. D’autre part, l’inégalité économique existant entre le Nord et le Sud et l’instabilité politique de certains pays engendrent nécessairement une immigration s’effectuant dans des conditions précaires. La France a sa part de responsabilité dans cette situation qu’elle n’assume pas en jouant la carte de la répression. Elle participe à la création d’une forteresse Europe en appliquant la politique de fermeture des frontières. Remettre en cause cette politique serait remettre en cause quelque chose dont tout pays du Nord tire avantage. Aujourd’hui, les inégalités se creusent de plus en plus, tant au niveau de la société française qu’au niveau international. Il devenait donc nécessaire pour l’État de développer les moyens susceptibles de faire admettre ce système : janvier 1995, c’est au tour d’un projet de lois sur la sécurité et la police d’être adopté. Répression et contrôle social semblent être les principales missions en matière de sécurité (notamment sur les questions de la petite délinquance et de l’immigration clandestine). Trois mesures sont à noter plus particulièrement car elles révèlent assez bien les objectifs que se fixe le gouvernement. Ainsi, la vidéo-surveillance dans les rues est légalisée et fait office de preuve auprès de la justice. Sous prétexte d’insécurité quotidienne, des caméras peuvent être placées dans chacun de nos lieux de vie. Et si elles représentent un moyen de contrôle puissant, c’est bien parce qu’elles ne sont en apparence qu’un simple bout de métal. On a ainsi tendance à oublier, ou plutôt à accepter inconsciemment, que derrière chacune d’elles se cache un flic. De telles mesures préfigurent de tristes scénarios où ce sera bientôt de notre esprit qu’il nous faudra chasser le flic. L’autre mesure concerne les manifestations aux abords desquelles il est prévu la fouille de véhicules. Par ailleurs, des peines d’interdiction de manifester (!) sont prévues pour toute personne ayant été arrêtée lors d’une manifestation dite violente ; les étrangers, quant à eux, seraient tout bonnement expulsés. Le gouvernement s’est ainsi attaqué à un droit fondamental, celui de manifester et de contester la politique menée par l’État. Quant aux mesures concernant les étrangers, si ces derniers ont pu servir de boucs émissaires à la gestion de la crise, l’évolution des textes de lois prouvent qu’aujourd’hui, la cible n’est plus uniquement les étrangers mais bien toute personne se risquant à la contestation. Le message est clair : certaines normes sont dorénavant fixées. Le respect de ces dernières sera garanti à chaque instant par des caméras omniprésentes contrôlées par une administration qui acquiert un pouvoir de plus en plus important (cf. le parcours administratif des étrangers). La réalité rattraperait-elle la fiction ? Ce dernier texte de lois est en quelque sorte la réponse du gouvernement à l’ensemble des mouvements sociaux qui ont pu frapper la France durant le premier semestre de 1994.
La règle du «diviser pour mieux régner» est bien connue. Elle se trouve appliquée quand on pose un pseudo-problème de l’immigration ou quand on accentue la répression. Il ne tient qu’à nous de protester contre des mesures réduisant de plus en plus nos libertés, ce qui ne peut se faire que par notre réengagement quotidien dans la vie et les affaires de la cité !

Paru dans REFLEXes N° 46, mai 1995

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