REFLEXes

Quelques réflexions sur les élections municipales 2008

Les élections municipales ne sont plus depuis longtemps maintenant des élections de choix pour le Front national. Porté par le charisme de son leader Jean-Marie Le Pen et son image de parti « anti-système », le FN est toujours plus à l’aise lors des consultations nationales (surtout lorsqu’elle est personnalisée comme l’est l’élection présidentielle), et il est loin le temps où le FN était en mesure de peser dans des scrutins locaux, voire d’emporter des villes de moyenne importance (comme ce fut le cas lors des élections municipales de 1995 qui se soldèrent par la conquête des mairies de Toulon, d’Orange et de Marignane). Mais cette année, la situation est particulièrement critique : le parti ne présentait que 85 listes seulement dans des villes de plus de 3500 habitants (et non 10000 comme annoncé dans la presse) contre environ 150 en 2001. Ces listes ont d’ailleurs souvent été constituées dans l’urgence et avec difficulté (entre autres raisons à cause de la parité) et n’ont du parfois leur existence qu’à des apports extérieurs, en particulier du Parti Populiste en région parisienne et dans le Var mais également beaucoup de militants passés au MNR lors de la scission de 1999 et revenus au bercail pour ces élections, en particulier à Paris. Étant dans une situation financière catastrophique (plus de 9 millions d’euros de dettes) suite à l’échec à l’élection présidentielle de 2007 et une aide de l’État divisée par deux pour l’année 2008, le FN a été contraint entre autres de mettre en vente « le Paquebot », son siège depuis plus de 15 ans et d’annoncer qu’il ne pourrait bien souvent pas aider ses candidats… Préparer ces élections n’a donc pas été une partie de plaisir pour les militants locaux, livrés à eux-mêmes au point de vue financier et soumis aux tensions internes du parti.
En plus de ces difficultés internes, le FN ne semble pas (du moins pour le moment) à même de retrouver une place dans le paysage politique et même plus largement dans l’actualité. Dans un récent sondage (TNS Sofres de mars 2008 pour le Figaro), on constate ainsi que, bien qu’on entende moins parler de lui, le FN continue (et de loin) à être le parti souffrant de la plus mauvaise image (82% en ayant une « très mauvaise opinion », contre 1% en ayant une « très bonne opinion »). Cette mauvaise image reste stable alors que rien ne vient l’alimenter et elle démontre que le rêve de Le Pen de voir revenir à lui les déçus de Sarkozy n’est pas prêt de se réaliser, comme l’ont finalement démontré ces élections…

Les résultats sont en effet dans l’ensemble mauvais. Le FN obtient 0,93% des suffrages au 1er tour contre 1,98% en 2001 (auxquels s’ajoutaient les 1,60% du MNR). Seules 13 listes ont pu se maintenir au 2ème tour (contre 41 en 2001 et 103 en 1995) et elles n’ont jamais été en situation d’apparaître comme les arbitres de l’élection.
La ville symbole de cette petite déroute est évidemment Hénin-Beaumont, petite ville du Nord Pas-de-Calais de 26 000 habitants dans laquelle Marine Le Pen se présentait, seconde sur la liste du FN, derrière Steeve Briois, déjà candidat en 2001. Agé de 35 ans, membre du FN depuis 1988, Briois est né dans la région et il est implanté sur Hénin-Beaumont depuis 1994 sous l’étiquette FN. Malgré un passage chez Mégret au moment de la scission (il se présent avec l’étiquette MNR jusqu’en 2001), il retrouve le FN et mène une active campagne de terrain, à chaque élection, avec un certain succès. Il est vrai que la commune est un terrain de choix : Jean-Marie Le Pen y a obtenu l’un de ses records à la présidentielle de 2002 (31,7% au premier tour). Impossible de ne pas penser à Vitrolles, la ville conquise par les époux Mégret en 1997 suite à une élection municipale partielle. Même contexte économique dégradé, en grande partie suite à la fermeture de l’usine Metaleurop et de façon plus générale à l’effondrement du bassin minier : ici, le FN se la joue social, organisant début 2003 des manifestations de soutien aux ouvriers licenciés (Marie-France Stirbois avait déclaré à l’époque : « n’ayons pas peur de tracter devant les usines ! »), dénonçant les « professionnels de l’agitation » que seraient les syndicalistes… Un discours social qui avait été repris en son temps par l’ensemble du FN, qui dénonçait l’ultralibéralisme qui consisterait à « faire venir une main-d’œuvre étrangère pour casser les prix ». Même contexte politique dégradé, en grande partie à cause de l’attitude de la municipalité PS en place qui, entre gestion désastreuse et guerre de clan (3 listes se présentaient !!), ne peut décemment inspirer à la population que méfiance et dégoût. Marine Le Pen, arrivée récemment sur la ville, a certes été battue au deuxième tour des dernières législatives, mais avec quand même 41,65 % des voix ! Elle pouvait donc apporter à Briois une certaine notoriété, et surtout une « aura » qui faisait défaut au candidat local. Le moins qu’on puisse dire est que cela a été un échec dès le 1er tour, ce qui pose l’évidente question de la validité du discours catastrophiste du FN et surtout du handicap que représenterait à présent l’étiquette FN. Si par le passé celle-ci aurait permis à une chèvre d’obtenir de bons résultats électoraux, il semble que ce ne soit plus automatiquement le cas, d’où des résultats parfois très surprenants, totalement indépendants du relatif « enracinement » ou du travail militant du candidat FN. Seule certitude : les déçus du sarkozysme sont restés chez eux et n’ont pas choisi de revenir vers le FN. On peut supposer que les querelles intestines et la perte de dynamisme du parti ont contribué à le banaliser et à en saper le caractère protestataire.

Mais ces élections ont surtout été intéressantes pour leurs à-côtés. Le premier point est l’agonie prolongée du MNR. Alors que le parti avait pu rassembler 1,60% des suffrages en 2001, il était quasiment absent de ces élections municipales avec seulement sept listes en lice pour toute la France. L’aspect financier a évidemment sans doute été déterminant, le parti ayant été saigné par des échecs répétés et les éventuels donateurs tout aussi échaudés. Mais cela traduit sans doute également le fait qu’une large partie de ce qu’il reste de « militants » n’y croit plus. On ne voit donc pas trop ce qui pourrait permettre au MNR de se relever dans les mois à venir.

Le deuxième est l’affaire de Nice. Suite à leur relatif succès aux cantonales de 2007, il était évident que les Identitaires avaient tout intérêt à être présents aux municipales niçoises. La difficulté de se présenter seuls les poussaient tout naturellement à chercher une alliance locale en particulier avec le FN. Mais celui-ci était alors engagé dans des négociations avec Jacques Peyrat, maire sortant, ancien du FN et à l’avenir politique incertain face à la candidature du sarkozyste Estrosi. Les Identitaires se tournaient donc vers le MNR niçois et parvenait à un accord, suivi d’un rapprochement avec le FN niçois suite à l’échec des négociations avec Peyrat. Les Identitaires étaient alors en mesure de clamer que la liste NISSA était une liste d’union, démontrant par la même que le résultat leur importait plus que le contenu politique puisqu’une telle liste mélangeait régionalistes européistes et jacobins français. Mais c’était compter sans la réaction de la direction nationales du FN, Jean-Marie Le Pen en tête, qui lançait fin janvier la création d’une liste FN à Nice. On peut évidemment conjecturer à loisir sur les raisons de cette décision. S’y mêlent sans doute le dépit de ne pas être présent dans la 9ème ville de France et celui d’être absent d’une ville qui a toujours donné de très bons scores au FN depuis la fin des années 1980 ainsi que la volonté de signifier l’échec des négociations avec J. Peyrat. Cependant le choix de Marc Georges comme directeur de campagne local ne peut qu’induire d’autres interprétations. Les relations entre ce dernier et les Identitaires sont en effet plus que tendues et sa proximité avec Marine Le Pen est telle que cette désignation ne doit rien au hasard. Elle a clairement pris la signification d’une déclaration de guerre qui a amené les deux camps à s’affronter directement (menaces, pressions, plaintes et coups bas[1]) mais aussi à se découvrir. De ce point de vue on peut relever le communiqué de Nissa Rebela du 26 janvier dans lequel Marc Georges est stigmatisé comme admirateur du Hezbollah, ce qui constitue un évident appel du pied à la forte communauté juive pied-noir niçoise dont un écho se trouve sans doute dans l’invitation de la LDJ[2] aux juifs niçois de ne pas voter pour la liste FN.
Finalement, le 17 février, Bruno Gollnish lançait officiellement la liste FN avec Lydia Schenardi en tête de liste lors d’une conférence de presse comique dont Nice Matin a rendu compte le lendemain : « Si Lydia Schenardi, 51 ans, député européen et conseillère régionale FN, se refuse à dévoiler le « casting » de sa liste, le FN assure être en ordre de marche pour les Municipales. Ou presque. La liste FN n’en est encore qu’au stade de l’intention (« Nous la déposerons en préfecture sous 48 heures »), mais l’intention vaudrait l’action. Qu’on ne vienne d’ailleurs pas dire à Marc George, sorte de gérant de tutelle d’un FN niçois en crise dépêché par Le Pen, que sa liste est introuvable. […] La raison officielle de ce « casting » secret ne devrait rien à un manque de volontaires : « Je ne cite aucun nom parce que je tiens à protéger mes colistiers contre les pressions et autres menaces auxquelles sont toujours confrontés les candidats FN. Tout ce que je peux dire, c’est que Gilbert Pigli sera en 2e position juste devant Marie-Automne Peyregne. » Il faudra se contenter de ça. Et d’un discours inaugural de campagne encore très conceptuel hier. Parfois même un peu décalé lorsque Lydia Schenardi fait de « la sécurité sur la Croisette » un de ses axes de campagne… avant de se rendre compte qu’à Nice, la Croisette s’appelle la Prom. Dans la salle à manger des Collinettes, Lydia Schenardi est vite pardonnée. La soixantaine de militants présents ne veut retenir qu’une chose : le FN ne fera pas campagne buissonnière. Du moins au premier tour. Certes, le FN dit se présenter aujourd’hui avec l’ambition d’être présent au second tour. « Nous ferons 10 % minimum ». Mais la vérité pourrait être ailleurs. Pour Bruno Gollnisch « rien ne nous interdirait si nous trouvions un accord de second tour avec le sénateur-maire, de fusionner avec la liste Peyrat ». Marc George, lui, est encore plus clair : « Nous allons faire battre Estrosi ». Si ça ne fait pas un programme, ça fait déjà un but ».
À partir de là, tout le discours des Identitaires a été de découpler FN parisien et FN niçois en insistant sur le caractère parachuté des premiers et à l’inverse sur leur enracinement supposé. Cependant l’examen de leur liste a de quoi faire sursauter car certains noms ne nous sont pas inconnus et montrent que les Identitaires niçois ont une conception très… étendue de l’enracinement local[3] ! Au final la liste FN recueille 4,16% et la liste NISSA 3,03%. Ces résultats et cette guerre d’usure apportent quelques enseignements :

- la rupture est bien consommée entre les directions respectives des Identitaires et du FN. Cela peut certes sembler une évidence depuis quelques mois. Mais jamais les dirigeants du Bloc n’avaient pris le risque d’affronter le FN aussi directement, multipliant les embûches pour l’empêcher de présenter une liste dans une ville qui demeure très symbolique. Cela laissera des traces et, Le Pen ayant la mémoire longue, on peut s’attendre à des mesures de rétorsion dans les mois à venir.

- le résultat des Identitaires est globalement un succès pour eux. Certes la liste NISSA ne dépasse pas les 5% et se trouve reléguée derrière celle du FN. Mais la différence n’est pas énorme et les Identitaires confirment un ancrage local qui n’est pas niable. Cet ancrage contraste d’ailleurs largement avec les autres listes qui se réclamaient du courant identitaire, que ce soit à Dreux ou surtout en Alsace. Le mouvement Alsace d’Abord fait en effet des scores piteux, en particulier à Strasbourg, et démontre ainsi que son implantation locale est largement sujette à caution dès lors que ce courant existe sous diverses appellations depuis quasiment 20 ans. L’échec de R. Spieler à Strasbourg manifeste donc plus largement celui de son mouvement. Le score de Laurent Leclercq à Dreux est légèrement supérieur (4,30%) mais totalement ridicule par rapport aux scores que pouvait obtenir le FN dans cette ville depuis 1983. Certains dont Chantal Spieler[4] ont immédiatement essayé d’expliquer ces faibles résultats par la concurrence des listes FN, en particulier à Strasbourg et Nice, mais il est évident que l’argument ne tient pas tant les deux lignes politiques sont différentes et donc l’électorat également. Il est évident que ces listes identitaires auraient fait des scores légèrement supérieurs sans présence frontiste mais ces mauvais scores s’expliquent sans doute surtout par l’inanité des propositions identitaires, le recours obsessionnel à « l’identité » étant l’argument sensé suppléer à la faiblesse des propositions.

Le troisième point remarquable est, a contrario de tous ces mauvais scores, le succès des Bompard dans le Vaucluse avec la réélection de Jacques Bompard à Orange et la conquête de Bollène par Marie-Claude Bompard. Ces deux élections montrent que l’extrême droite peut gagner un scrutin pour peu qu’elle ne s’affiche pas comme telle. Au contraire, une simple étiquette divers droite suffit à masquer la nature réelle des propositions et à éviter les foudres médiatiques. Il suffit pour s’en convaincre de comparer le tonnerre de la 1ère élection de Jacques Bompard en 1995 avec le silence et la relative indifférence ayant entouré sa réélection cette année ainsi que celle de son épouse. Mais entre temps Jacques Bompard a rompu avec Jean-Marie Le Pen, a affiché une étiquette MPF un peu moins outrée et a ainsi pu se refaire une certaine virginité politique sans pour autant changer d’idées. Il en va de même avec son épouse et s’il ne devait y avoir qu’une manifestation de cet état de fait, ce serait la présence sur sa liste de l’identitaire André-Yves Beck[5], à présent conseiller municipal.

Bien loin des fanfaronnades médiatiques sur la disparition du « danger extrémiste », on ne peut au contraire qu’être préoccupé par cette situation qui montre qu’une extrême droite ayant compris le fonctionnement des media garde toutes ses chances électorales en France. Le contraire serait bien évidemment étonnant au regard du contexte socio-économique mais cela ne semble pas être une évidence pour tous les analystes…

  1. Cela a culminé avec la rixe entre militants identitaires et frontistes le 26 février 2008 à proximité et dans le local des Identitaires, suivie d’une bataille de plaintes judiciaires et de communiqués vengeurs. Cocasse.[]
  2. Ligue de Défense Juive, structure de l’extrême droite communautaire[]
  3. Par exemple les ex militantes parisiennes du FNJ puis du MNR Aude Rassat et Stéphanie Fontanié, bien loin de leur région d’attache…[]
  4. Sur le site de la revue Synthèse Nationale[]
  5. Cf différents articles sur le site Réflexes[]
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