REFLEXes

Qu’est-ce que le conservatisme ?

8 janvier 2004 Les nostalgiques

CONSERVATISME ?

Certains mots ont le chic pour être utilisés par tout le monde sans que l’on puisse mettre un vrai sens derrière. « Conservatisme » ou « conservateur » en font partie. Ce n’est pas un mot très honorable et on peut même lui attribuer une connotation carrément péjorative. Rares sont ceux qui s’en revendiqueraient. Signe de cette déqualification : alors que le conservatisme est en général associé à la droite, celle-ci tente depuis quelques années de retourner l’accusation en qualifiant de conservateurs les mouvements de gauche, les syndicats en particulier, engagés contre la déréglementation néo-libérale. Alors le conservatisme, qu’est-ce que c’est ?

ECTOPLASME POLITIQUE

Le terme est apparu dans la première moitié du XIXème siècle mais avec un sens différent selon les pays. C’est donc une idée moderne mais dont la spécificité est d’être une idée contre, puisqu’elle naît contre la modernité. Elle s’est en effet constituée en défense de l’ordre politique et social traditionnel, celui-là même que vient bouleverser la Révolution française.

À l’origine, la notion de conservatisme ne s’identifie ni plus ni moins qu’à une réaction contre la révolution donc à un courant contre-révolutionnaire porté par trois figures intellectuelles et politiques importantes : l’Anglais Burke et les Français De Maistre et Bonald. Ces trois hommes ont en commun de juger les principes de la Révolution française contraires à la nature de l’Homme, tant sur le plan politique que social ou même moral. Leur critique, qui s’oppose aux Lumières et aux Droits de l’Homme, s’articule selon trois axes :

une critique de principe : l’Homme est une créature divine. Il est limité et ne peut pas tout savoir ni tout maîtriser. Il doit donc être modeste face aux volontés divines et ne peut pas faire oeuvre prométhéenne en essayant de bouleverser un ordre politique et social institué depuis des siècles.

Une critique politique : la démocratie est incompatible avec la vraie autorité qui doit encadrer les passions humaines. Or la démocratie permet justement cette libération des passions ce qui en fait un régime terrifiant. En outre le pouvoir politique doit avoir une origine transcendante, comme c’est le cas de la monarchie de droit divin, ce qui ne l’est pas pour la démocratie qui vient de la souveraineté populaire.

Une critique sociale : la bonne société humaine ne saurait être un agrégat d’individus mais une communauté vivante et ordonnée, organisée selon le principe des hiérarchies naturelles, là aussi voulues par dieu.

Ces trois axes placent donc le conservatisme comme une réaction : réaction contre l’universalisme (il n’y a que dieu d’universel) et réaction contre le rationalisme.

Les deux adversaires du conservateur sont donc les deux autres figures politiques de la modernité : le libéral et le socialiste (ou révolutionnaire). Les deux ont en commun une solide croyance dans le progrès et le déroulement d’un temps linéaire appelé autrement « sens de l’histoire ».

De fait, durant une majeure partie du XIXème siècle, le conservatisme s’est identifié à la Contre-révolution, que ce soit en France ou dans les pays d’Europe touchés par les conséquences libérales de la Révolution française. Mais ce conservatisme était voué à l’échec dès lors que la tradition ante-révolutionnaire était rompue, sans possibilité de retour comme l’a montré l’évolution de la monarchie française de 1815 à 1848. Il s’est alors transformé en Réaction et le conservatisme politique a désigné autre chose.

DES CONSERVATISMES ?

Il est resté de cette première période du conservatisme un attachement à ce qui est de l’ordre supposé de la permanence et de l’éternité, quelle que soit le domaine envisagé, ce qui continua à opposer les conservateurs aux libéraux et a fortiori aux socialistes, les deux s’attachant au progrès et à la maxime « Du passé faisons table rase… ». Ce que l’intellectuel allemand conservateur Moeller Van Den Bruck traduisait au début des années 1920 par : « Celui qui ne croit pas que nous remplissons le but de notre existence dans le court laps de temps, durant la minute qui s’écoule, celui-là est conservateur. » Politiquement, cela s’est traduit au Royaume-Uni et dans les États germaniques devenus l’Empire allemand en 1870 par un attachement sans faille à la monarchie et au principe monarchique dans lequel s’incarnait la nation. Cette simplification à outrance ne saurait cependant masquer le fait qu’il pouvait y avoir des nuances d’un pays à un autre, ne serait-ce que sur la classe sociale qui portait ce conservatisme politique (la noblesse rurale par exemple pour les pays germainques).

Mais la France occupe de fait une place à part car la puissance du mouvement républicain a semblé repousser le principe conservateur aux marges politiques. Hormis les légitimistes, on pourrait même se demander s’il y a pu y avoir des conservateurs en France puisque l’origine de la République est largement libérale. En fait c’est clairement la nation qui a pris en France le relais du principe monarchique comme ancrage du conservatisme.

Ainsi peu à peu, quels que soient les pays, on a pu attribuer au conservatisme quelques caractéristiques simples :

défense de la nation

conservation de la structure familiale comme base de la structure politique

foi dans la monarchie ou plus largement dans l’État

vie dans l’ordre social et la discipline

Ceci étant posé, la définition du conservatisme n’est pas forcément plus claire car à bien observer ces éléments, on peut s’apercevoir que ce sont ceux finalement défendus par n’importe quel État. Or cela amène à la remarque assez évidente que l’État est en effet conservateur par essence et qu’il y a donc coexistence des deux principes. C’est d’ailleurs tellement vrai que l’État soviétique est rapidement devenu sous l’emprise de la contre-révolution bureaucratique le champion de ces principes.

Autre élément de difficulté : l’existence d’un conservatisme social qui a connu une évolution similaire au conservatisme politique. Il apparaît en effet lui aussi au XIXème siècle en réaction à l’industrialisation et ses conséquences sociales, en particulier le laminage des élites traditionnelles et l’urbanisation. Mais il suit la même évolution que le conservatisme politique en gardant de sa première période l’hostilité au changement et à l’évolution tout en s’attachant à certains principes comme la défense de la hiérarchisation sociale de la société ou la nécessité des élites.

Mais de fait on comprend mieux pourquoi la droite s’est peu à peu identifiée au conservatisme. Elle l’a été par défaut à une époque où la gauche socialiste semblait s’attaquer aux principes dont la permanence est fondamentale pour le conservatisme : internationalisme de classe contre la nation, subversion politique contre l’État bourgeois, subversion sociale contre les hiérarchies. Même s’il suffit de lire les écrits de Jaurès pour constater que le républicanisme était bien aussi fort que ces tendances, il n’empêche : l’identification était lancée et elle n’a cessé de se renforcer avec la montée en puissance du marxisme-léninisme. En même temps, la base des systèmes démocratiques occidentaux demeuraient le libéralisme.

Dans tous les pays d’Europe de l’Ouest, et la France malgré sa spécificité politique en fait partie, les droites se présentent donc depuis quelques décennies comme un assemblage plus ou moins complexe et hybride d’éléments issus des idéologies conservatrices et libérales. Selon l’orientation de tel ou tel parti, ce sera l’une des deux composantes qui sera dominante ou alors le libéralisme politique se combinera avec le conservatisme social et réciproquement.

Refusant le libéralisme, l’extrême droite française se démarque depuis toujours de la droite parlementaire. Mais est-elle pour autant conservatrice ? La Nouvelle Droite et sa mouvance a toujours assumé ce positionnement, promouvant en particulier le mouvement de la Révolution Conservatrice comme référence historico-politique.

REVOLUTION CONSERVATRICE ?

Cette expression peut être source de confusion puisqu’elle désigne deux choses totalement différentes. La plus récente est le renouveau conservateur social et néo-libéral, ayant pris la forme du « reaganisme » et du « thatcherisme » au début des années 1980, et qui a inspiré certains hommes politiques français de droite comme Alain Madelin ou Jean-Marie Le Pen à une époque (dans la première moitié des années 1980 pour être précis). Mais ce mouvement, profondément anglo-saxon, n’a au final eu que peu d’impact en France. Par contre, l’autre phénomène qui porte la même appellation et a nettement eu plus d’influence sur une certaine frange de l’extrême droite française est la révolution conservatrice allemande, c’est-à-dire divers éléments d’une mouvance intellectuelle qui a représenté la contestation de droite de la République de Weimar entre 1918 et 1932. Ses racines sont lointaines. L’adjectif conservateur suggère en effet le lien qu’elle a eu avec le mouvement contre-révolutionnaire, porté en Allemagne par le romantisme au début du XIXème siècle et opposé aux Lumières et à l’occupation napoléonienne. Mais la révolution conservatrice doit surtout son existence à la première guerre mondiale. Celle-ci constitue un véritable traumatisme, tant par ses formes que par la défaite subie alors par l’Allemagne. Alors que la vieille droite monarchiste y voit le résultat d’un complot, ceux qu’on va appeler les révolutionnaires conservateurs considèrent que cette défaite sanctionne l’essence de l’Allemagne de Guillaume II, bourgeoise et sclérosée. Cette épreuve peut donc permettre à l’Allemagne de repartir sur de nouvelles bases. Ces dernières sont simples :

Hostilité à l’Europe de l’Ouest et à la « civilisation », entendue comme quintessence de la raison pure, des Lumières, de l’adoucissement des moeurs, de la décomposition des valeurs, de l’esprit bourgeois et de l’art classique. Les révolutionnaires conservateurs vont y opposer la « culture », c’est-à-dire la subjectivité exprimée par les arts et en particulier le romantisme qui exprime le mieux la recherche de l’infini. À la « masse », ils opposent le « peuple ».

Intérêt pour l’Est selon un certain esprit prussien et, même plus, analyse que les peuples allemands et russes ont des intérêts communs contre l’Ouest, d’où une certaine bienveillance à l’égard de la Russie bolchevique, poussée à l’extrême par le courant national-bolchevique.

Volonté de transformer l’épreuve de la guerre en origine d’un monde nouveau selon une orientation nietzschéenne. De fait nombreux seront ceux à refuser de s’adapter à la vie civile et à la normalisation individuelle bourgeoise.

Conception cyclique ou « sphérique » du temps, ce qui explique l’usage du terme « révolutionnaire » dans son sens premier. Pour ce mouvement politique et intellectuel, il s’agit de fermer un cycle pour en ouvrir un nouveau. Mais plutôt que d’avoir une conception ronde mais linéaire du temps – ce qu’est le cercle – il envisage ce dernier comme une sphère où n’importe quel avenir est possible pour peu que la volonté humaine soit suffisante. Dans tous les cas, il s’oppose de façon virulente à la conception linéaire et bornée du temps chrétien ou marxiste, globalement similaires.

Sur ces bases communes, le mouvement de la Révolution Conservatrice va développer trois grandes tendances : völkisch, jeune-conservateur et nationale-révolutionnaire.

La tendance völkisch est celle le plus tournée vers le passé puisqu’elle veut défendre le « peuple », entendu comme identité biologique et spirituelle. Sans chercher à revenir à une époque révolue – l’origine indo-européenne – elle veut s’y rattacher. Elle s’est exprimée par des orientations racialistes, un retour à une spiritulaité occultiste ou paganiste, un souci de l’écologie et de la conservation des terroirs. C’est sans doute la tendance la moins « politique », au sens politicien. Le courant jeune-conservateur de fait diffère totalement de ce projet en voulant clairement agir politiquement sur le présent, en s’affirmant de droite. Il se place dans la lignée du conservatisme allemand qu’il veut régénérer selon la formule du théoricien Albrecht Eric Günther : « nous entendons par principe conservateur non la défense de ce qui était hier, mais une vie fondée sur ce qui aura toujours de la valeur ». Violemment hostile au libéralisme, le courant jeune-conservateur adopte une troisième voie économique entre économie de marché et économie collectiviste planifiée, s’appuyant donc largement sur les « corporations » (même si ce terme est impropre). Politiquement, les Jeunes-Conservateurs sont hantés par la mémoire du Saint-Empire germanique et de son fédéralisme impérial qu’ils voudraient étendre à l’Europe.

Enfin, la dernière tendance est le courant national-révolutionnaire. Activiste et antibourgeoise, il s’identifie au monde urbain et industriel, loin de la mystique völkisch. Si la notion politique centrale du mouvement völkisch est le « peuple » et celle des Jeunes-Conservateurs « l’empire », les natinalistes-révolutionnaires placent la « nation » comme axe d’analyse. Incarné par Ernst Jünger, le mouvement a une aile gauche désormais célèbre : le national-bolchevisme, mené entre autres par Ernst Niekisch. C’est du courant national-révolutionnaire que proviendront la plupart des tentatives de déstabilisation de la République de Weimar dans les années 1920 : assassinats politiques (les ministres Erzberger et Rathenau), tentatives de putsch…

Une très rapide présentation de ces trois courants aura permis de constater qu’une fraction notable de l’extrême droite française ou francophone actuelle reprend des thématiques ou interrogations nées dans la Révolution Conservatrice : Terre & Peuple, la revue Relève politique, certains éléments du MNR, Robert Steuckers et Synergies Européennes, Christian Bouchet et ses quelques fidèles en sont de bons exemples. Mais il est évident que cela n’englobe pas la majeure partie à savoir le FN. Peut-on vraiment dans ce dernier cas parler de « conservatisme » ?

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