Comme l’extrême gauche (trotskiste ou maoïste…) a pu fournir au Parti socialiste de nombreux députés et membres de l’appareil, l’extrême droite a servi pendant longtemps de réservoir de cadres pour la droite. Qui sont-ils ?
Pour les militants activistes, les partis établis étaient le seul débouché jusqu’à l’installation du FN dans la vie politique. La droite a recyclé trois générations de militants d’extrême droite qui se retrouvent aujourd’hui aux postes de commande des partis ou de l’État. La première génération sera celle des partisans de l’Algérie française (Hubert Bassot, Alain Griotteray, Jean Taoussan…), la deuxième (Patrick Devedjan, Gérard Longuet, Alain Madelin…) vient d’Occident. Ce n’est qu’après l’échec du Parti des forces nouvelles, ou celui du GUD que certains activistes rallieront la droite classique (Gérard Ecorcheville, Alain Robert, Philippe Guignache, José Bruneau de la Salle, Hervé Novelli, Serge Didier, Guy Teissier…). Le passage vers l’extrême droite ne s’est pas fait directement, la plupart de ces anciens fascistes a été retraitée par «la machine Albertini». Sous ce terme, on désigne les instituts (Institut d’histoire sociale (IHS), Institut supérieur du travail (IST), la revue Est-Ouest) fondés par Georges Albertini, un ancien collaborateur cadre du Rassemblement national populaire ; l’obsession de ces boîtes à penser est l’anticommunisme ; ce qui est une passerelle idéale entre la droite, l’extrême droite voire même une partie de la gauche anticommuniste[1]. Roland Gaucher écrira à propos de ces instituts «Tout ce que je puis dire à ce sujet, c’est qu’un certain nombre de ces récupérés (Madelin, Ecorcheville, Van Ghele., Nicolas Tandler…) sont passés par la machine à laver ultra-silencieuse de feu Albertini et de l’IST»[2].
L’autre centre de retraitement des activistes d’extrême droite est le Centre national des indépendants (et paysans) ; créé en 1949, ce parti permit à d’anciens pétainistes de se refaire une virginité politique ; constitué de notables, il végéta jusqu’au milieu des années 1970 où après avoir été violemment gaulliste, il se rapprocha du RPR. À la fin des années 1970 et pendant les années 1980, il accueillit de nombreux activistes, en particulier du Parti des forces nouvelles. Alain Robert, Hervé Novelli, Philippe Guignache, Yves Van Ghele, entre autres, sont passés par le CNIP avant de rejoindre la droite classique. Le CNIP était le carrefour idéal et nombre de personnalités d’extrême droite en ont été membres : Pierre Sergent (avant le FN), Yvon Briant (après le FN), Michel de Rostolan (avant le FN)…
Deux partis vont largement accueillir les anciens fascistes, au RPR on trouvera le plus d’activistes d’extrême droite auprès de Charles Pasqua (Patrick Devedjan, Bruno Tellenne, Jean Taoussan, Jean-Jacques Guillet…) ainsi qu’à l’UDF ; c’est au Parti républicain que l’on retrouve Alain Griotteray, Hubert Bassot, Alain Madelin, Gérard Longuet, Guy Tessier, Serge Didier, Hervé Novelli. Une fois ralliés à la droite, leurs ascensions seront diverses mais certains atteindront des postes-clefs.
•Les sinistres ministres
- Alain Madelin, né le 26 mars 1946 à Paris. En 1963, il est à la Fédération des étudiants nationalistes où il est responsable de l’action militante. Il sera blessé à l’entrée du lycée Turgot dans une bagarre entre lycéens communistes et membres de la FEN. De 1964 à 1968, il fonde et anime le mouvement activiste Occident, il sera membre du commando d’Occident qui attaqua le 12 janvier 1967 des étudiants de gauche à Mont Saint-Aignan : cette attaque fera un blessé grave. Il quitte Occident juste avant mai 1968, pour rallier deux ans plus tard Albertini à Est-Ouest. Il est directeur de publication du journal antisocialiste Spécial banlieue lors de la campagne présidentielle de 1974. Ce journal financé par le patronat est créé par la société SERVICE dirigée par cinq anciens d’Ordre nouveau dont Gérard Penciolelli[3]. Il rallie les Républicains indépendants, devient l’adjoint de Hubert Bassot, puis secrétaire national, avant d’être élu député en 1978, 1981, 1986, 1988 et 1993. Ministre en 1986, il l’est à nouveau en 1993. Il est membre, comme Margaret Thatcher, du Mont-Pèlerin, association néolibérale adepte des théories de Milton Frydman.
- Gérard Longuet, fondateur d’Occident comme son compère Madelin. Il y est chargé de la doctrine, il fonde le GUD, puis quitte Occident avant 1968. Il est actionnaire de la société SERVICE spécialisée dans les coups politiques anticommunistes et antisocialistes. Lui aussi membre du Parti républicain, sera ministre en 1986 et en 1993. C’est un proche d’Alain Madelin.
•Les députés
- Charles Millon président du groupe UDF à l’Assemblée nationale, militait pour l’Algérie française. À vingt ans en 1965, il est membre du club contre-révolutionnaire l’Astrolabe de Michel Delsol. Il fonde en 1966 le club Charles Péguy puis dirige en 1968 le mouvement autonome des étudiants lyonnais. C’est un catholique pratiquant, favorable à la peine de mort et opposé à l’avortement.
- Alain Griotteray est né en 1922 et sera résistant pendant le Seconde Guerre mondiale. Favorable à l’Algérie française, il sera en 1963 actionnaire et cofondateur de Minute. Depuis 1978, il est éditorialiste au Figaro-magazine.
- Serge Didier, élu député de la 3e circonscription de la Haute-Garonne, est né le 24 octobre 1951 ; c’est un ancien du groupe solidariste Mouvement jeune révolution et du Groupe action jeunesse ; par ailleurs, il était l’organisateur toulousain des réunions de Nouvelle École. Il est membre du Parti républicain, adjoint du maire de Toulouse depuis 1983 et conseiller régional depuis 1986.
- Philippe de Villiers, député de Vendée, principal animateur du mouvement de droite extrême «Combat pour les valeurs» était en 1968 royaliste tendance Restauration nationale.
- Guy Tessier, député de la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône, est un ancien officier parachutiste et membre du Parti des forces nouvelles, avant de rentrer en 1978 au Parti républicain. Il est conseiller général depuis 1982, maire du sixième secteur de Marseille de 1983 à 1989 et conseiller municipal. Il est élu député en 1988, mais à la suite de l’annulation, il est battu par Bernard Tapie en janvier 1989.
- Hervé Novelli, né le 6 mars 1949 à Paris, serait un des fondateurs d’Ordre nouveau, il quitte le PFN pour le CNIP avant de rejoindre le Parti républicain dont il sera désigné secrétaire en 1992. Il fut chef de cabinet d’Alain Madelin.
- Yann Piat. Cette ancienne du Front national auquel elle avait adhéré en 1972 fut la seule élue du FN en 1988, ce qui lui vaudra une place au Bureau politique. Exclue peu après, elle est réélue dans la 3e circonscription du Var avec 53,7% des voix en 1992.
- Hubert Bassot est un ancien militant d’extrême droite. Partisan de l’Algérie française, il sera directeur du journal l’Esprit public (créé en 1960 pour servir de relais politique à l’OAS-Métro). Il participa en 1963 à la création du Rassemblement pour l’esprit public qui se voulait le prolongement légal des partisans de l’Algérie française. En 1965, il soutient la candidature de Tixier-Vignancourt puis celle de Jean Lecanuet avant de rejoindre deux ans plus tard les Républicains indépendants. Conseiller de Giscard, il est l’intermédiaire entre les activistes de l’ex-Ordre nouveau et les Républicains indépendants pour les services d’ordre. Député depuis 1978.
• Les Conseillers
Charles Pasqua semble avoir une prédilection pour recruter ses conseillers dans l’extrême droite. En effet en 1988 on trouve dans son cabinet :
- Bruno Tellenne, son nègre pour ses discours les plus musclés, animateur du groupe Jalons ; il est aujourd’hui resté au Sénat.
- Jean Taousson était chargé des relations avec les Français musulmans. Ancien de l’OAS, c’est un des amis de Pierre Lagaillarde, il est aussi un lobbyste efficace pour l’Afrique du Sud.
- Patrick Devedjan, chargé des relations entre l’état-major du RPR et les fédérations. C’est un ancien d’Occident.
En 1992 il va recruter :
Jean-Jacques Guillet, proche d’Occident, c’est un ami de Pierre Pasqua (le fils de Charles) ;
Alain Robert, animateur d’Occident (créé en 1964), il a fait partie du commando qui avait attaqué le 2 juin 1964 le cinéma «le Savoie». Il participe à la tendance européaniste et nationaliste ; en 1966, il est responsable du service d’ordre et membre du comité central, il dirige le GUD en 1968. Il est condamné à un an de prison avec sursis pour avoir attaqué un groupe d’étudiants de gauche à Mont-St-Aignan près de Rouen. Responsable d’Ordre nouveau, il participe à la création du Front national, il en sera secrétaire général le 5 octobre 1972. Après la dissolution d’Ordre nouveau, il crée Faire Front puis le PFN, avant de rejoindre le CNIP. Animateur du Mouvement national des élus locaux, il s’occupe au cabinet de Pasqua des relations avec les collectivités territoriales ;
William Abitbol, lui aussi est un ancien d’Occident. Ami de Guillet et de Pasqua fils, il est président de l’agence Marianne conseil en stratégie et études d’opinion.
•Les seconds couteaux
On peut citer dans cette liste :
- Philippe Guignache, CNI, ami d’Alain Robert ; c’est un ancien du GUD.
- José Bruneau de la Salle : ancien d’Ordre nouveau (il a été membre du Bureau politique), il rejoint le PFN (membre du Comité central) et a été conseiller d’arrondissement à Paris sur une liste RPR.
- Yves Van Ghele : basé à Aulnay-sous-Bois, cet ancien phalangiste libanais est membre du CNI et ami d’Alain Robert.
Tous ces anciens activistes assurent que leurs engagements à l’extrême droite étaient des erreurs de jeunesse. Mais ils n’ont rejoint la droite que parce que l’extrême droite ne leur fournissait pas de débouchés politiques. C’est maintenant, pour une grande part, le FN qui attire les transfuges de la droite extrême. Qui peut nous assurer que ces anciens fascistes ne rallieront pas à nouveau l’extrême droite si celle-ci est capable de leurs fournir des postes satisfaisant leurs ambitions politiques ? Le cas de Gérard Ecorcheville est éclairant. Cet ancien d’Occident, fondateur du GUD, participa à l’aventure d’Ordre nouveau (il sera même membre du Conseil national d’ON en 1970). Retraité par la machine Albertini, il se rapproche du RPR via Alain Robert (dont il est le beau-frère) ; élu RPR à Gennevilliers, il annonce lors d’une campagne municipale qu’il ne verrait aucun inconvénient à voter pour le candidat du FN si celui-ci le devançait au premier tour. Il rallia ensuite le Front National.
Publié en juin 1993
Mis en ligne le 7 décembre 2006
- Ainsi André Bergeron a présidé l’Institut Supérieur du Travail. cf René Monzat Enquêtes sur la droite extrême p. 279.[↩]
- RLP Hebdo n°139 janvier 1984 cité par René Monzat op. cit. p.281.[↩]
- Aujourd’hui patron de presse proche du FN (Minute, Le Choc du mois, Enquête sur l’histoire…).[↩]
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