REFLEXes

Les rescapés de Srebrenica, naufragés d’une guerre

À l’aube du troisième millénaire et trois ans après la signature des accords de Dayton ayant mis un terme aux hostilités en Bosnie-Herzégovine, des centaines de milliers de personnes, administrativement connues sous l’étiquette de «déplacés», connaissent encore les affres de la guerre : conditions d’extrême précarité dans le rejet ou l’indifférence, rien ne leur est épargné…

Très rapidement, l’urgence humanitaire fait place à la reconstruction, paralysant les convois de biens de première nécessité. Des centaines de projets sont élaborés dans les moindres détails par les ONG (Organisations Non-Gouvernementales) avec l’appui de bailleurs de fonds internationaux (ONU, Union européenne, Banque mondiale…) : réhabilitation de maisons privées, d’écoles et de dispensaires. Cependant, les «déplacés» ne figurent pas sur les listes des bénéficiaires.

Environ 140 000 d’entre eux, rescapés des massacres perpétrés en Bosnie orientale, s’entassent dans des camps. On en dénombre 45 dans la campagne (dans un périmètre d’une centaine de kilomètres autour de Tuzla) ; sans transports en commun, l’isolement est d’autant plus remarquable. Construits sur d’anciennes décharges ou dans des sites d’extraction de charbon, l’environnement est insalubre. Maisons surpeuplées, baraquements de fortune, les ghettos des oubliés de Srebrenica s’appellent Mihatovici, Lipinica, Gra Potok… ou encore Siski Brod ; il serait trop long de tous les nommer.

Des pièces de 20 à 25 m2 accueillent jusqu’à quinze personnes ; l’espace vital est réduit à son minimum et l’intimité est désormais un mot banni du langage. Seul confort, un point d’eau à quelques centaines de mètres des habitations et quelques heures d’électricité par jour.

Le ravitaillement est quasi inexistant. Tout au plus quelques kilos de farine, un ou deux litres d’huile et du pain humanitaire sont irrégulièrement distribués. La survie demeure en ces quelques acres de terrains cultivés où poussent des choux et du maïs et où sont élevées quelques volailles.

La plupart des enfants sont malgré tout scolarisés. Certains doivent parcourir une distance de 28 km à pied pour se rendre à l’école. D’autres, plus chanceux, ont pu bénéficier d’une inscription dans une école de proximité. Mais les fournitures scolaires font défaut et ils auront tout au plus un cahier et un crayon pour leur rentrée scolaire. Toutefois, ils en reviennent progressivement à leur jeux d’enfants et restent le seul rayon de soleil qui illumine les camps.

Sans travail, sans ressources, sans biens, les journées sont bien longues, trop longues pour les adultes qui doivent faire face à de multiples problèmes quotidiens qui accentuent leurs souffrances personnelles. Ils se racontent et ressassent, jour après jour, leur vécu, leurs ressentiments, dans la crainte que le temps n’estompe leur histoire. À la fois amers et fiers, ils retiennent leurs larmes.

En majorité femmes, enfants et vieillards, les naufragés de la guerre restent reclus dans leurs camps. Ils attendent. Dans leurs angoisses et leurs souffrances, ils attendent des nouvelles de leurs proches portés disparus depuis ces effroyables journées de juillet 1995 qui restent à jamais gravées dans leur mémoire. Ils attendent le jour où ils pourront enfin rentrer chez eux. Et pourtant, ils ont choisi de lutter pour la vie, leur vie et l’avenir de leurs enfants, la main tendue dans l’espoir que la vérité éclate au grand jour comme l’exprime l’Union des Citoyens – Femmes de Srebrenica dans sa Lettre ouverte du 11 mai 1998 : «Nous sommes les mamans qui cherchent leurs enfants, leurs maris, leurs pères, leurs frères et leurs amis, et nous en avons le droit, et ce droit personne ne pourra ne nous l’enlever !!!»

La découverte de charniers, témoignage irrécusables des massacres perpétrés, ravive plus que jamais le douloureux souvenir de la guerre. Mais qu’en est-il de ces milliers d’ossements dont l’unique sépulture n’est encore qu’un vulgaire sac balisé d’un numéro d’ordre. Le Commemorial Center et le centre d’identification de la région de Tuzla mettent tout en oeuvre pour identifier ces milliers de dépouilles. Mais leurs ressources financières et techniques restent trop restreintes pour mener à bien leur mission.

Mihatovici, Lipinica, Grab Potok, …, et Siski Brod devront-ils rester tristement célèbres dans l’héritage historique des générations à venir ?

Annabel Grosjean

Repères en bref

4 avril 1992

Début de la guerre en Bosnie-Herzégovine.

17 avril 1993

Srebrenica est déclarée «zone de sécurité» par l’ONU (résolution 819 du Conseil de Sécurité)

18 avril 1993

Des unités canadiennes de la FORPRONU s’installent à Srebrenica et dans ses environs.

11 juillet 1995

Chute de Srebrenica ; évacuation d’une partie de la population civile : des femmes, des enfants et des vieillards sont acheminés en bus vers Tuzla.

12 juillet 1995

15 000 personnes fuient l’enclave ; une longue marche vers la liberté, la Colonne, laissera plus de 10 000 cadavres dans les forêts et sur les routes.

17 juillet 1995

Les premiers survivants de la Colonne atteignent Tuzla.

21 juillet 1995

Les Casques bleus quittent Srebrenica et l’abandonnent aux mains des troupes du général Mladic, bras droit de Karadzic.

14 décembre 1995

Signature des accords de Dayton entérinant une partition ethnique de la Bosnie-Herzégovine ; Srebrenica reste en territoire de Republika Srpska (République serbe)

11 998

Les survivants réclament toujours la vérité…

Cet article est libre de droit, mais nous vous demandons de bien vouloir en préciser la source si vous en reprenez les infos : REFLEXes http://reflexes.samizdat.net , contact : reflexes(a)samizdat.net

Vous aimez cet article ? Partagez le !

Les commentaires sont fermés.