REFLEXes

Notes de lecture

R. Gaucher & P. Randa, Les « antisémites » de gauche, Éditions Déterna, 434 p., 225 frs

Ce livre est paru l’année dernière. Ce n’est donc pas en raison de son actualité que nous en faisons la critique. Par contre il est clair que son sujet est politiquement intéressant… R. Gaucher et P. Randa sont deux figures connues de l’extrême droite française, quoique d’inégale valeur. R. Gaucher est un vieux militant, de gauche avant guerre et collaborationniste sous Pétain. Ayant repris une activité de journaliste à partir des années 1950, il a fréquenté tous les courants nationalistes français avant d’atterir durant les années 1980 au FN et de le quitter il y a trois ans. Doté d’une bonne plume, ses livres sur le parti communiste, le réseau Curiel ou les nationalistes en France sont d’un certain intérêt pour comprendre le point de vue néo-fasciste sur certains problèmes politiques. P. Randa est une autre pointure : fils d’écrivain, il tente vainement d’être écrivain lui-même. De fait son « oeuvre » reflète une ambition démesurée et mal satisfaite. Elle compte quelques ouvrages politiques et de nombreux « polars » dont la médiocrité ferait frémir n’importe quel lecteur blasé de SAS (nous vous conseillons L’assassin sentimental paru chez Fleuve noir en 1987, un must du genre !). L’ouvrage qui nous occupe reflète ce déséquilibre entre un certain talent et une réelle médiocrité. Le sujet est pourtant, répétons-le, intéressant. Quelle est en effet la place de l’antisémitisme au sein des courants politiques se réclamant de gauche ? Le livre y répond peu ou mal dès lors que ses auteurs tentent par tous les moyens d’accréditer la thèse que l’antisémitisme est uniquement de gauche. Las ! Le livre est surtout basé sur ce que les deux auteurs ont pû récolter dans la presse et les passages sur La Vieille Taupe, sur le conflit Daeninckx-Quadruppani-Perrault ou sur Action Directe montrent qu’on est loin du compte. Les éléments les plus solides du livre sont alors ceux qui portent sur les thèmes de référence des auteurs, comme l’antisémitisme en URSS pour R. Gaucher, pour autant que l’on considére comme lui le stalinisme comme de gauche, ce qui est fort douteux. Mais ces passages n’ont rien de novateur et dénoncent un phénomène identifié depuis les années 1960 par tous les antistaliniens convaincus. Aussi le livre jette-t-il en pâture des dizaines de noms pour mieux attirer le client et compenser cette faiblesse intrinsèque. Il est évident que cela ne suffit pas et que ce livre est un mauvais livre. Un de plus venant de ce courant politique serions-nous tentés d’écrire…

George L. Mosse,

L’image de l’Homme – L’invention de la virilité,

Abbeville Press, 219 p., 139 frs

Cet ouvrage est le dernier au sens propre du terme de ce grand historien américain et c’est également le seul traduit en français. Cette situation n’est sans doute pas pour déplaire à quelques historiens français qui n’ont pas hésité à le piller pour s’assurer une petite notoriété. Discrètement, G. Mosse est en effet sans doute l’un de ceux qui aura le plus contribué à rendre compréhensible ce siècle qui s’achève et qui a commencé par une boucherie. De fait, G. Mosse a particulièrement travaillé sur la première guerre mondiale, montrant en quoi elle plongeait ses racines dans la révolution française et en quoi le phénomène de « brutalisation » qu’elle a inauguré en Europe explique très largement les catastrophes successives, de la deuxième guerre mondiale aux politiques d’élimination politico-raciales. Dans cet ouvrage, il essaie là-aussi de pratiquer une véritable généalogie de la virilité moderne et de l’image de l’Homme. Celle-ci est en effet une invention moderne, qui ne remonte certainement pas au-delà du XVIII° siècle et est directement issue de la montée en puissance de la bourgeoisie européenne. À partir de là, ses avatars ont été extrêmement nombreux, du soldat moderne au « nouvel homme » fasciste, tout comme l’ont été ses contre-modèles. Nous nous trouvons actuellement à une croisée des chemins, à un moment historique où l’image de l’Homme telle que la cerne G. Mosse est sans doute à nouveau en train de changer. Cet ouvrage nous aide à comprendre quel peut être sa mutation future…

Claude Guillon,

Le siège de l’âme – Éloge de la sodomie,

Zulma, 207 p., 89 frs

Tous les deux ou trois ans, Claude Guillon nous offre un livre qui compense toutes les stupidités publiées à longueur d’année par des éditeurs incontinents. « Politiques » ou « littéraires » – quoique l’auteur réfute ce terme – ses ouvrages viennent gratter notre temps là où il a mal et sont simplement jubilatoires. Le siège de l’âme ne déroge pas à cette règle. La sodomie n’y est pas qu’un prétexte littéraire et C. Guillon traite réellement de cette pratique amoureuse dans son livre. Mais c’est pour mieux nous entraîner dans des perspectives critiques sur les rapports amoureux actuels, l’ordre moral religieux ou tout simplement quelques exercices de saine érudition. Le lecteur ou la lectrice averti(e) ne manqueront pas d’enchaîner avec d’autres opuscules du personnage, en particulier De la Révolution et 42 bonnes raisons pour les femmes de m’éviter.

Noam Chomsky,

Responsabilités des intellectuels,

Agone éditeur, 167 p., 68 frs

Nul besoin de présenter Noam Chomsky. Linguiste de renom, militant libertaire, il est l’un des intellectuels américains les plus contestés dans son pays et en France. Refusant de transiger avec la notion de liberté d’expression quelles que soient les idées exprimées, il s’est attiré les foudres de nombreux intellectuels français dans les années 1980 pour avoir soutenu R. Faurisson et ses acolytes négationnistes contre la machine judiciaire étatique. Cela lui valut un ostracisme caractérisé qui n’a été levé que très récemment par Le Monde. Ses ouvrages politiques sont pourtant d’une lucidité exemplaire et valent bien à eux seuls les oeuvres complètes de B.-H. Lévy gravées dans du marbre en trois exemplaires. Le présent ouvrage revient sur la complicité de la quasi totalité des intellectuels avec les pouvoirs en place et démontre que ceux-ci ne sont en général que les porteurs de l’idéologie dominante, en l’occurence libérale. Des auteurs français ont pu traiter ce sujet par rapport à notre pays, c’est en particulier le cas de J.-P. Garnier ou Louis Janover. N. Chomsky en présente la facette américaine et même s’il n’y a rien pour vraiment nous surprendre dans ce petit livre, ces quelques vérités méritent d’être lues.

René Berthier,

Israël-Palestine. Mondialisation et micro-nationalismes.

Editions Acratie, 1998.

Rares sont les livres écrits par des libertaires qui traitent de questions internationales autres que celles ayant trait au mouvement anarchiste. Ceux de René Berthier font partie des exceptions. Ce militant suit de près la situation au Proche-Orient, les problèmes géopolitiques qu’elle sous-tend et la manière dont le nouvel ordre mondial s’organise.

Les éditions Acratie ont publié son dernier travail sur le sujet : Israël-Palestine. Mondialisation et micro-nationalismes. Il ne s’agit en aucun cas d’une énième histoire de l’État hébreu ou du conflit israélo-palestinien : l’ouvrage constitue plutôt une synthèse des questions soulevées par ce conflit. Berthier soumet au crible de son analyse libertaire les forces en présence et leurs politiques respectives. Autre originalité du livre : le postulat que l’État d’Israël doit être appréhendé avec les critères d’analyse couramment appliqués à n’importe quel État. Seulement cette région du monde et cette lutte entre deux «micro-nationalités» sont, comme l’écrit l’auteur «le centre de gravité d’antagonismes internationaux qui dépassent largement les protagonistes directs», et il faut voir dans ce conflit «l’illustration parfaite, jusqu’à la caricature, d’un type de rapport instauré entre métropoles industrielles et pays dominés».

Berthier a saisi l’importance des tensions et des luttes de pouvoir qui règnent dans les deux camps. Au fil des décennies, les rapports de force évoluent. Avant les années 1980, peu d’islamistes soutenaient la cause palestienne. Israël a encouragé cette résistance croyante qui faisait contrepoids à l’OLP, et qui permettait ainsi à l’État hébreu de se proclamer rempart contre l’islamisme. Ces manoeuvres et la manière dont le religieux s’est emparé de la lutte palestienne radicale sont bien décrites dans le livre. Berthier retrace la genèse des accords de paix. Il explique que des divergences profondes (dues à des différences de classes) entre Palestiniens de l’intérieur et Palestiniens de l’extérieur ont affaibli le poids d’Arafat. Israël, en position de force face à l’OLP, pouvait signer les accords d’Oslo. Ces «accords de dupe» profitent à Israël qui a mis sous son joug l’économie palestienne : dominé économiquement et en situation difficile, Arafat a muselé ses opposants, et des luttes internes minent la société palestienne.

Des conflits de classes perdurent aussi en Israël. Berthier rappelle que la création de l’État hébreu concernait avant tout les Ashkénazes. Les Juifs orientaux (sépharades) sont désormais plus nombreux. Pourtant, les Ashkénazes détiennent l’essentiel du pouvoir politique, militaire, économique et culturel. Cette appropriation suscite des tensions entre les deux communautés. L’auteur souligne l’importance de la question démographique en Israël depuis cinquante ans, chiffres officieux à l’appui, et il en analyse les enjeux. La lutte pour la terre est aussi fondamentale et quotidienne. Berthier dresse un petit historique des méthodes utilisées par les Israéliens depuis 1896 : achat, expropriation, expulsion… Mais la politique sioniste (et c’est en cela qu’elle diffère du colonialisme classique) ne vise pas seulement à exploiter la terre, elle a pour objectif de chasser les populations autochtones. Aujourd’hui, une des méthodes consiste à créer des colonies de peuplement sur des territoires convoités afin d’inciter les Palestiniens à partir. Pour comprendre l’attachement d’Israël à certains territoires, il faut savoir que l’eau représente un enjeu vital pour ce pays. La grande majorité de la consommation en eau vient des territoires annexés depuis 1948 ou de pays voisins.

Beaucoup d’autres points sont abordés dans le livre. En s’appuyant sur deux textes sionistes, Berthier traite de la politique israélienne vis-à-vis des États voisins et de ses adversaires. L’auteur se penche aussi sur les forces politiques présentes en Israël, et notamment sur la place des colons fanatiques. Il explique l’importance et les raisons du soutien politique et économique des États-Unis. À partir des travaux des nouveaux historiens israéliens, il revient sur «l’exode» soi-disant volontaire des Palestiniens ; il démonte ce mythe, fruit de la propagande israélienne.

Ce livre constitue donc un travail solide. Il traite de nombreux thèmes et apporte des éléments souvent occultés qui permettent de mieux saisir les ressorts de ce conflit. On peut regretter le côté patchwork, et il manque peut-être un fil conducteur plus explicite. Cependant, et c’est là sa force, Berthier analyse avec clairvoyance les deux camps. Il dépasse les considérations purement idéologiques pour montrer l’importance des facteurs économiques et la soif de pouvoir de certains. Car une nouvelle fois, les peuples se retrouvent dominés et exploités.

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