Avant tout, quelques précisions d’ensemble s’imposent. En effet, il serait présomptueux de prétendre offrir ici un recensement exhaustif des sites d’extrême droite français. D’abord parce qu’entre la rédaction de cet article et sa parution, de nombreux sites auront disparu, d’autres auront peut-être malheureusement vu le jour. Ensuite, parce qu’ont été laissés de côté de nombreux sites «spécialisés», tels par exemple les innombrables sites anti-IVG et catholiques intégristes, dont l’étude pourraient à eux seuls faire l’objet d’un article spécifique, ou encore le site révisionniste de référence AAARGH. Enfin, parce qu’il aurait été intéressant d’y associer l’étude de sites francophones belges, suisses et canadiens, souvent plus riches que leurs homologues de l’Hexagone. Ainsi, par souci de clarté, il a fallu faire des choix ; il reste cependant possible qu’un oubli majeur ait été fait, ou que des informations erronées aient échappé à notre vigilance. Nous invitons donc nos lecteurs à nous faire part de leurs observations, pour une… mise à jour !
Par ailleurs, nous ne développerons pas la présentation des publications papier ayant un site web, et renvoyons le lecteur à l’article de ce numéro sur le sujet. Signalons simplement qu’à l’exception du quotidien Présent, les principaux organes nationalistes ont aujourd’hui leur site : Minute, Rivarol et National Hebdo existent en version électronique, mais à des degrés divers. Si Rivarol se contente d’une page de présentation du journal (et surtout d’un bulletin d’abonnement) et Minute de quelques extraits, l’hebdomadaire National Hebdo propose un contenu un peu plus conséquent : numéro de la semaine (depuis peu en intégralité), billets d’humeur quotidiens, et un espace réservé aux abonnés qui propose les archives du journal. Signalons également la mise en ligne tardive de la lettre d’Emmanuel Ratier, Faits & Documents, sans grand intérêt puisque ne proposant que peu d’archives (les dix derniers numéros au format PDF), et surtout pas le numéro en cours. Il faut dire que Ratier fait payer suffisamment cher sa feuille de chou pour ne pas les livrer gratuitement au premier internaute venu. C’est toujours autant d’imbécillités non diffusées, ce qui n’est déjà pas mal… Pour le reste, la rubrique «Librairie» lui sert surtout d’autopromotion, et la rubrique «Liens» est tellement hétéroclyte qu’un aigle allemand n’y retrouverait pas ses petits : sites historiques, sites dédiés au cryptage, banques d’images… Notons toutefois, à la rubrique «liens politiques», que les liens vers le FN et le MNR renvoient à des pages vides !
Au commencement étaient les CHS…
Au milieu des années 1990, on compte environ 400 sites néo-nazis sur la Toile, essentiellement américains, allemands ou scandinaves. Ce sont donc les éléments les plus radicaux de l’extrême droite mondiale qui, les premiers, avec les révisionnistes de tout poil, comprennent l’avantage qu’Internet représente pour la diffusion de leurs idées. Or, à l’inverse de ce qui s’est produit dans d’autres pays, les néo-nazis français n’ont pas saisi d’emblée la chance qui s’offrait à eux en terme de propagande. Il faut cependant reconnaître que la faible pénétration d’Internet en France à l’époque (3% des Français sont connectés en 1996) relativisait l’importance de ce média, et les sites antiracistes français étaient également rares. En 1996, les Charlemagne Hammer Skinheads (CHS), groupuscules dirigés par Hervé Guttuso, ouvre leur site, appelé ElsaSS88 (jeu de mots sur «Alsace» en alsacien). L’inspiration américaine du groupuscule de Guttuso, qui a séjourné plusieurs années aux États-Unis, n’est certainement pas étrangère à cette «innovation», les néo-nazis américains ayant précocement investi Internet. On retrouve sur le site, richement illustré, l’«humour» très particulier de Guttuso, son antisémitisme pathologique, la mise en ligne d’extraits de ses publications (WOTAN, Terreur d’Élite) ainsi que des fiches pratiques pour la réalisation d’engins explosifs. Le site était initialement hébergé par AOL, mais réalisé en France, grâce en particulier à la compétence technique d’Éric Monnier, né en 1973, fils d’un haut fonctionnaire lyonnais et étudiant en maîtrise de physique. Aussi, il a été facile à la filiale française d’AOL, alertée par Marc Knobel du centre Simon Wiesenthal, de résilier l’abonnement et de fermer le site des CHS, malgré quelques cafouillages, le site ayant réussi à rouvrir peu de temps après son blocage. Cependant, sa BAL étant elle hébergée chez Geocities, Guttuso a été en mesure de prévenir ses contacts de la fermeture du site, et même de se payer le luxe d’un communiqué de presse pour dénoncer les «ordures négrophiles» et autres «youpins» soi-disant responsables de ses malheurs : il faut dire que le site avait fait, à l’époque, couler beaucoup d’encre. Le 28 octobre 1997, le Parquet de Paris ouvre une information judiciaire contre X pour «contestation de crime contre l’humanité, incitation à la haine raciale, apologie d’actes de terrorisme et provocation au meurtre». Éric Monnier est arrêté et condamné à trois mois de prison (Guttuso avait déjà pris la poudre d’escampette, direction Londres, chez ses copains de Combat 18), et douze autres membres des CHS ont été arrêtés, arrestations qui signaient l’arrêt de mort du groupe. En 1998 pourtant, le site de CHS refait surface, hébergé cette fois par le prestataire canadien Fairview Technology Centre Ltd., par l’intermédiaire d’Éric Monnier semble-t-il. Aujourd’hui, le site semble avoir disparu : il n’est en tout cas référencé nulle part, et les sites néo-nazis actuels n’y font pas allusion.
Aussi rares qu’un cheveu de skin
L’expérience malheureuse des CHS a-t-elle découragé ce qui reste de la scène néo-nazie en France ? Le site du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE) a disparu ou presque (une page renvoie à son mensuel Le Flambeau), et il semble d’ailleurs que les rares sites ouvertement NS aient une durée de vie relativement courte, à l’image des zines sur papier des années 1990 : «BBKrew», «Empire» et autres, malgré la bienveillance de l’hébergeur américain suprémaciste Front 14 (cf. encart), ont disparu, et la demi-douzaine de survivants, fruit du travail acharné de quelques boneheads besogneux, sont plutôt pathétiques. À titre d’exemple, le site Résistance (Ressources 88) se proclame «fier d’être blanc» et, à titre d’action militante, invite les «kamarades» à… boycotter la redevance télé! Tandis que la haine de Patriote 88 à l’égard des Juifs n’a d’égal que celle qu’il porte à l’orthographe, le mystérieux «Mouvement National-Socialiste Français» ne propose sur sa page de présentation, sans aucun autre écrit, pas même une adresse e-mail, que cette phrase laconique : «La liberté et la sécurité : deux principes qui exigent de sanctionner ceux qui nous les refusent». Comprend qui veut… La Meute de Fenrir, avec un site assez bien réalisé, semble pour l’instant faire exception : ce groupe de boneheads originaires du nord de la France, hébergé dans un premier temps chez Front 14, et qui a refait surface chez Liberty Surf, ne propose cependant sur son site rien de bien intéressant : un texte squelettique sur les raisons de l’existence de la Meute, les sommaires de sa publication, quelques liens… Pas de quoi partir pour mille ans. Cette pauvreté n’empêche pas les ennuis judiciaires de se poursuivre : en 1999, un facho français est condamné à 10 000 francs d’amende pour avoir tenu des propos racistes sur un forum de discussion d’Infonie, en 2000 un jeune néo-nazi de 16 ans, originaire lui aussi du Nord, qui avait ouvert un site chez Multimania intitulé en toute modestie NSDAP et proposant des extraits de Mein Kampf, a vu son site fermé par l’hébergeur suite à des pressions de l’UEJF et a été entendu par un juge… À ce propos, les nouvelles mesures législatives visant à réglementer la liberté d’expression sur Internet (amendement Bolche, entre autres) ont considérablement accru la méfiance et la «vigilance» des hébergeurs de sites gratuits, sans compter les retentissements de l’affaire Yahoo ! (qui proposait des objets de propagande nazie aux enchères) : on comprend dans ces conditions que beaucoup de néo-nazis français se soient demandés si le jeu en valait la chandelle.
Internet et la réalité se rejoignent ici : moribond et fragmenté, le milieu NS français fait triste mine sur la Toile, au regard des sites flamboyants des néo-nazis américains, scandinaves ou allemands. Et une chose semble sûre : la poignée de néo-nazis français encore actifs se méfient d’Internet, et préfèrent encore la bonne vieille disquette échangée sous le manteau pour diffuser les documents «sensibles», (cf. le manuel WUNS, voir REFLEXes n°3). Il semble donc qu’Internet n’ait pas pris le relais des innombrables petites feuilles de choux néo-nazies qui fleurirent au cours de la décennie 1990, faute d’activistes ou de compétences.
Le site d’Unité radicale
Doit-on déduire de cette quasi-absence de sites «folkloriques» que les éléments les plus radicaux de l’extrême droite française ont déserté le Net ? Certainement pas. Au contraire même, le faible nombre de sites «parasites» offre à ceux qui ont su s’organiser et se donner les moyens d’animer véritablement leurs pages une plus grande lisibilité, et les NS français, par le biais des forums entre autres choses, en profitent indirectement.
Ainsi se présente le site d’Unité Radicale (UR). Ouvert début 2000, moins de deux ans après la création d’UR, hébergé initialement par Xoom.com, de la NBC, et conçu par Fabrice Robert, il a su, petit à petit, évoluer et intégrer les principales innovations d’Internet par rapport au support papier : listes de diffusion interne (réservé aux membres) et externe, actualisation régulière, archivages des revues, forum, et depuis cette année, l’achat d’un nom de domaine propre. On peut noter que, de même que la concurrence NS s’est éclipsée, il est actuellement quasiment le seul site nationaliste-révolutionnaire encore actif. Pourtant attachés traditionnellement à leur indépendance vis-à-vis de toute organisation, les GUD (de Lillet et d’Arras, entre autres), officiellement rattachés à UR, ont délaissé leurs sites les uns après les autres comme leurs camarades néo-nazis, ils ont par ailleurs été victimes des contraintes de leur hébergeur Front 14). Seul le site du GUD de Sainteté était encore consultable cet été, mais avec un contenu assez misérable : quelques photos du défilé du 1er mai, un «historique» des autocollants du GUD… De la même façon a disparu le site d’Alternative nationale, groupuscule mené par Eddy Marsan, ex-MN, peu de temps après sa récupération par UR.
Réalisé avec soin, le site d’UR adopte un plan assez classique : une page d’accueil renvoie vers différentes rubriques et accueille également les premières lignes d’un éditorial hebdomadaire, signé par le chef, Christian Bouchet. Il y partage la vedette avec une «figure» de l’extrême droite : Roland Gaucher, de façon épisodique, et surtout Philippe Randa, alias Philippe Duquesne, ancien gudard reconverti dans l’édition d’extrême droite (éditions Didro), qui tient lui aussi une rubrique régulière.
Le plan du site suit un ordre assez classique : d’abord une présentation générale, un vague historique du mouvement (agrémenté d’une longue interview d’un mystérieux «porte-parole national du GUD»), une liste des «mouvements NR dans le monde» qui regroupent les organisations du FEL, les communiqués d’Unité radicale depuis mai 2000, les archives des publications Résistance ! (depuis le n°2) et Jeune Résistance ! (depuis le n°8), ainsi que, depuis peu, celles de la revue belge Devenir (dont les animateurs étaient présents en nombre dans le défilé UR du premier mai 2001). Ces rubriques, présentes depuis l’ouverture du site, ont été complétées au fur et à mesure par d’autres, plus «interactives».
En premier lieu, UR propose un forum de discussion dont on peut dire, malgré une petite baisse de régime ces derniers temps, qu’il est le seul à ne pas s’être essoufflé malgré une durée de vie relativement longue. Ce forum est soigneusement contrôlé par son modérateur, Fabrice Robert, qui est également l’administrateur du site. Âgé d’une trentaine d’années, il milite dans les rangs NR depuis plus de dix ans : il a fait ses débuts à Troisième Voie, puis s’est fait un nom en fondant Jeune Résistance, l’organisation de jeunesse de Nouvelle Résistance, l’«ancêtre» d’Unité radicale, a été conseiller municipal FN à La Courneuve (93) et a connu quelques soucis judiciaires (entre autres pour diffusion de tracts révisionnistes et de propagande nazie). Il est également le guitariste de Fraction (ex-Fraction Hexagone, l’un des premiers groupes musicaux français nationalistes à être présent sur Internet), et bénéficie de ce fait d’une certaine renommée dans le milieu de la musique facho : c’est donc tout naturellement qu’il a été désigné, en décembre 2000, officiellement responsable au sein d’UR d’Internet et des relations avec le RIF. Il ne s’est cependant pas fait que des amis dans le petit milieu du RIF en réservant la présence des groupes de son écurie Bleu Blanc Rock à son site BBR.com…
La présence d’un responsable à plein temps a certainement permis à ce forum d’éviter les écueils qui ont causé la perte de ses «concurrents», ceux des GUD ou encore celui de Radikalweb (cf. encart ci-dessous) : les messages des opposants sont systématiquement écartés, évitant des échanges stériles, et, en dépit d’un contenu assez ouvertement raciste et antisémite, les messages trop outrageusement diffamatoires sont également éliminés. Le modérateur a néanmoins eu des soucis judiciaires. Par ailleurs, F. Robert intervient fréquemment pour rappeler la position officielle d’UR (à propos de la Palestine ou de Mégret, par exemple).
Au final, les contributions de la vingtaine de participants réguliers au forum restent le plus souvent d’un niveau affligeant (commentaires sommaires de l’actualité, discussions sans fin autour de la scission FN / MNR, du type «Faut-il aller aux BBR ?» ou «Pour qui voter en 2002 ?», ou encore des petites annonces comme celle, authentique, proposant à la vente un casque de SO à croix celtique !). En conclusion, on s’y informe parfois, on s’y ennuie souvent. Il représente cependant un indicateur relativement fiable (comparé aux discussions entendues sur les lieux nationalistes) des préoccupations et de l’état d’esprit des militants radicaux. Notons qu’Unité radicale propose également une liste de diffusion «tout public», mais qui ne diffuse pas grand-chose (une newsletter intitulée Nos racines, qui regroupe un résumé des éditoriaux et de quelques liens) et ne semble pas être une priorité : seuls les membres d’UR reçoivent régulièrement des informations, mais sur une liste appropriée. Un vieux fond de paranoïa, sans doute. Aussi, le curieux est-il renvoyé à la rubrique «news», qui propose quelques commentaires NR sur l’actualité.
L’une des parties les plus fournies du site concernent les liens : mouvements politiques, vie associative, médias, histoire, «cyberculture», c’est un véritable annuaire… qui recense également les «ennemis», avec une rubrique «antifa» qui va de No Pasaran au Grand Orient de France, en passant par l’UEJF. À noter que cette reconnaissance (dénonciation ?) des ennemis politiques est doublée d’une rubrique spécifique, intitulé «le coin des collabos», ceux qui «devront répondre un jour de leurs actes devant l’Histoire» : c’est-à-dire toute personne investit dans une lutte visant à favoriser l’intégration sociale des populations immigrée et étrangère en France.
Cette visite du site d’UR nous apprend plusieurs choses. Comme l’a rappelé Philippe Randa lors des assises d’Unité radicale en septembre 2001, Internet reste l’objet de toutes les attentions de la part du groupuscule NR, qui le voit toujours comme un moyen fiable de se développer. Si toutes les ressources d’Internet, en particulier le multimédia, n’y sont pas exploitées, le site prouve, par son évolution et son contenu, qu’UR investit beaucoup de temps à sa réalisation et surtout à son entretien (en particulier le forum).
Mais, dans le même temps, cet activisme virtuel et forcené (que de communiqués !) ne fait qu’accentuer le décalage avec la réalité, qui montre un groupe certes de mieux en mieux structuré, mais toujours aussi impotent (qui s’en plaindra ?). La frustration est visible chez les militants, qui s’invectivent souvent à ce propos sur le forum : peu d’action (à l’exception des concerts) et peu d’ouverture sur l’extérieur. Car cette jolie vitrine n’amène que peu de nouveaux militants, et à observer sa conception, on se demande si c’est l’un de ses objectifs : essentiellement textuel, il ne ménage pas le néophyte, et offre d’Unité radicale une image plutôt austère. Cette volonté affichée de ne pas céder à la mythomanie propre à la plupart des sites nationalistes, qui n’hésitent pas à faire de la surenchère de croix celtiques animées, d’images de jeunes éphèbes en contre-plongée ou de dieux barbus en fond d’écran, cherche à donner au mouvement une certaine crédibilité, une image sérieuse et adulte.
Les commentaires sont fermés.