Posté le 1er janvier 2007
En ce 31 décembre, il est sans doute temps de faire un petit bilan de ce qui aura constitué la principale actualité de l’extrême droite française cet automne : l’affaire Dieudonné-Soral-Kemi Seba. Notre analyse ne prétend pas être exacte puisqu’il est évident que certains points demeurent obscurs. Néanmoins on peut commencer à émettre une opinion sur la polémique.
Écartons tout d’abord un point évident : cette affaire ne se résume pas à une simple collusion d’antisémites. Certes l’hostilité à la figure du Juif est largement partagée à des degrés divers par ses acteurs. Mais elle ne constitue pas à nos yeux un élément d’explication valable et efficace. Si on excepte le cas Seba, elle est tout au plus un point de connivence et le CRIF ne joue que le rôle d’adversaire commun contre lequel il est facile de s’entendre. Les vrais motifs sont à chercher ailleurs et n’ont pas forcément grand-chose de commun aux différents acteurs considérés.
Du côté du FN, l’intérêt de cette polémique est évident. Cela fait plus de trente ans que le parti est isolé sur une scène politique qui est parvenue à contourner ses quatre millions d’électeurs. Cet isolement s’est reproduit dans la sphère médiatique et intellectuelle dans laquelle le FN est un parti de pestiférés : pas ou peu de figures de premier plan pour le soutenir, pas de mouvement d’opinion pour propager une autre image que celle forgée par ses adversaires et par les provocations de son vieux chef. La vieille garde pouvait se satisfaire de cette situation qui sentait bon la pureté doctrinale et l’absence de compromis. Mais cette génération lâche prise peu à peu et ceux qui les remplacent aspirent manifestement à sortir de l’enclavement. Il n’y a que les vrais nationalistes pour préférer la défaite sur des idées à la victoire par compromis. Or le FN n’est pas (ou n’est plus ?) nationaliste. Jean-Marie Le Pen a toujours diffusé un discours axé sur le slogan « Un drapeau, trois couleurs » à forte teneur nationaliste coloniale dont le principal point fort était la « préférence nationale ». Il y a vingt ans, cette revendication pouvait encore être interprétée comme « raciale » puisque la part de la population française issue de l’immigration extra-européenne n’excédait sans doute pas les 10%. À présent que cette part a dépassé les 20% toutes origines confondues, la revendication de la « préférence nationale » ne peut plus être comprise comme la défense intransigeante de la « race blanche » mais comme un slogan protectionniste et néo-intégrationniste déjà en vigueur dans d’autres démocraties libérales. L’affiche de campagne qui a fait polémique au sein du FN ne vient finalement qu’entériner ce fait et l’on peut supposer qu’elle est plutôt bien reçue par l’électorat FN à défaut de l’être par certains militants. La majeure partie des sympathisants FN n’a en effet sans doute jamais vraiment compris l’ostracisme qu’elle subissait et aspire donc clairement à être réintégrée dans la sphère politique nationale. Toute stratégie permettant d’atteindre ce but est forcément acceptée par ces personnes, quelles que soient les formes prises et les personnes la menant, a fortiori si elles portent le nom du vieux patron ou qu’elles ont une certaine aura. Le FN n’est pas l’opposition au système mais l’opposition du système, à l’instar de l’extrême gauche finalement.
Du côté d’Alain Soral, il y a évidemment une parfaite compréhension de cette situation associée à des intérêts personnels eux aussi bien compris. Nous ne savons pas si Alain Soral est ou n’est pas marxiste. Il revendique généralement cette filiation idéologique avec arrogance et sur un ton pontifiant. Pour autant il n’y a pas de raisons de mettre en doute ses convictions nationales-républicaines. Il ne serait pas le premier à établir l’équation « nation française = république française » puisque cette formule est le principe fondateur de la première république renouvelé avec la troisième du nom. Son discours intégrationniste est donc parfaitement cohérent même si s’y ajoute sans doute le secret désir de voir le système politique actuel se gripper. Il se trouve que le FN est sans doute le seul parti actuellement à pouvoir porter ce discours pour plusieurs raisons : d’une part toutes celles que l’on a vues précédemment et que l’équipe de Marine Le Pen incarne parfaitement, d’autre part la faiblesse structurelle et intellectuelle du FN – peu de militants, encore moins de cadres – qui en fait un parti à prendre, pour peu que le prétendant ait un peu de charisme et de sens médiatique. Alain Soral réunit ces deux qualités et l’ascendant qu’il a pris dans le parti en quelques semaines a évidemment de quoi ébouriffer les plus fidèles des cadres lepénistes. À titre personnel, Soral n’a sans doute pas à se plaindre de son changement de situation. Certes il a déjà été agressé trois fois par des individus dont on peut supposer qu’ils étaient proches ou militants de l’extrême droite juive et loin de nous l’idée de prendre cela pour de l’esbroufe. Cependant, une simple comparaison entre son statut d’avant glissement vers le FN et celui d’après est assez évocateur. Avant, Soral n’était qu’un sociologue de gauche parmi des dizaines d’individus du même acabit, ne sortant d’un relatif anonymat que par des prises de position tapageuses contre le « lobby homosexuel » ou les « féministes ». Maintenant, Soral est largement connu et ses livres se vendent. Certes il n’est plus invité à certains endroits mais est-ce bien important pour lui ?
Du côté de Dieudonné, la situation est plus confuse. Nous ne pensons pas qu’il se soit rallié au FN stricto sensu, contrairement à la voie choisie par Alain Soral. Par contre plusieurs éléments ont sans doute joué en faveur du rapprochement entre le comique et le parti frontiste. Il y a tout d’abord la volonté de dynamiter le système politique actuel en substituant, pour reprendre ses propres termes, la « vraie gauche » (lui) et la « vraie droite » (le FN) au jeu des partis de gouvernement. Dieudonné n’ayant que fort peu de perspectives d’atteindre ce but, il a sans doute misé sur le FN pour atteindre ce but dans la mesure où une victoire électorale de Jean-Marie Le Pen serait le seul événement capable de provoquer une crise de régime et une paralysie du système, en dehors d’une révolution sociale bien improbable actuellement. Il sait très bien qu’en dédiabolisant le FN, il devient une propagande vivante pour ce parti. Dans le même temps, les liens avec les kemites ne sont pas rompus comme en témoigne la présence de Kemi Seba au spectacle de Dieudonné du 18 décembre dernier et cela contribue évidemment à accentuer les traits antisémites et communautaristes noirs de Dieudonné.
Ensuite on peut sans doute voir dans ce rapprochement la connivence des parias qui n’a rien d’exceptionnel si on songe à ce qui peut se passer en prison entre adversaires politiques.
Enfin il y a le rôle joué par Marc Robert, assistant de Dieudonné et ancien militant du FN. C’est par exemple lui qui a sollicité la première interview de Dieudonné sur Novopress, point de départ d’un rapprochement visible avec l’extrême droite militante. Gageons qu’il a largement influencé l’évolution récente de Dieudonné.
Du côté de Chatillon et de ses amis, le soutien à Dieudonné et Soral et les contacts approfondis avec ces deux figures ne peut se comprendre que par la personnalité même de Frédéric Chatillon qui a toujours aimé cultiver le « non-conformisme » et qui a par ailleurs un point de vue politique foncièrement antisémite. En même temps, il faut toujours garder à l’esprit que Chatillon est un proche de Marine Le Pen, même si cette amitié n’interfère sans doute pas dans les positions politiques des uns et des autres. Cela facilite malgré tout les contacts et une certaine convergence de points de vue, en particulier par rapport au rôle d’Alain Soral. Celui-ci aimant le scandale et la polémique, cela ne peut que plaire à d’anciens gudards ayant gardé toute leur fraîcheur comme en témoignent les effets de manche de Chatillon, Jildaz Mahé[1] et les autres le 02 décembre dernier à Science-Po.
Du côté des groupuscules, c’est comme toujours la course à l’échalote. Les Identitaires ont été globalement cohérents puisqu’ils ne se sont pas particulièrement engagés dans le soutien aux trois larrons. L’essentiel des contacts s’est fait par Novopress dont la mythologie identitaire veut que ce soit une « agence de presse » indépendante. Novopress n’est bien sûr indépendante que dans la mesure où ses rédacteurs identitaires n’engagent pas le mouvement en diffusant telle ou telle information ou interview. Novopress a ainsi mis en ligne des interviews de Dieudonné, Kemi Seba et Alain Soral sans que le Bloc Identitaire puisse être impliqué et les journalistes qui se sont risqués dans cette voie se sont cassés les dents comme en témoigne l’anecdote du procès de Kemi Seba le 18 septembre 2006 où le journaliste de l’AFP vit un militant identitaire là où il n’y avait qu’un militant du RF, Charles-Alban Scheppens, s’emmêlant laborieusement les pinceaux entre le FN et le RF : http://www.dailymotion.com/visited/search/uejf%2B%2B%2Btribu%2Bk/video/xep98_uejfkemi-seba-le-180906.
Par contre le Bloc a bien sûr directement essayé de profiter de l’évolution du FN pour réaffirmer sa différence et sa ligne politico-ethnique, d’où des attaques directes contre le parti de Jean-Marie Le Pen sur les différents sites du mouvement.
La cohérence n’a par contre pas été le fort du Renouveau Français, engagé sur tous les fronts sans qu’on puisse y deviner une quelconque ligne directrice. Des militants du RF ont en effet été présents à toutes les apparitions de Kemi Seba, qu’il s’agisse des meetings ou du procès. Ces contacts sont logiques puisque les deux mouvements sont sur des positions farouchement antisémites et hostiles à tout métissage. Par contre le RF a dans le même temps assuré la protection rapprochée d’Alain Soral, en particulier lors de la dédicace à Sciences-Po le 02 décembre dernier et là tout devient plus obscur. Quel intérêt de protéger une « personnalité » aussi marquée politiquement dans le sens de l’intégration républicaine alors que le FN lui-même ne le fait pas officiellement ? Bon prince, Soral ne rate à présent jamais une occasion de saluer l’esprit de « chevalerie » et la droiture des milieux catholiques traditionalistes. Cela ne modifie cependant en rien ses options politiques personnelles. Certains esprits un peu tortueux pourraient bien sûr y voir la volonté du mouvement contre-révolutionnaire et catholique de se positionner par rapport aux enjeux internes du FN dans les mois à venir et donc de marquer des points par rapport au courant « mariniste[2] ». Mais on entrerait là dans des calculs assez échevelés étant données les dernières prises de position du FN sur l’avortement, positions qui sont celles que Marine Le Pen a toujours défendu. Nous nous contenterons donc de voir dans le soutien du RF à Soral un activisme débridé et le plaisir d’être là où les choses se passent. Cela ne dénote évidemment pas un sens politique aiguë.
Sauf surprise de taille, le gros de la polémique est sans doute passé. Deux hirondelles ne font pas le printemps et le ralliement ou le rapprochement de Soral et Dieudonné avec le FN ne semble pas devoir annoncer un désenclavement en profondeur du FN. Ils sont malgré tout le symptôme que la question du FN ne peut plus être abordée et comprise comme il y a 10 ans ou même comme en 2002. À chacun d’en tirer des éléments de réflexion et d’action.
PS : Dans une de ses interviews récentes, Alain Soral a cru bon de prétendre que le FN attirait à lui les milieux les plus divers et que d’anciens militants d’Action Directe étaient ainsi présents aux BBR 2006. Il n’est jamais inutile de rappeler que cette affirmation est évidemment une grosse couillonnade. Les militants ainsi évoqués par le sociologue et dont Gilles C. est la principale figure n’ont en effet jamais fait partie d’Action Directe. Ils étaient certes partie prenante jusqu’au début des années 1980 d’une mouvance autonome qui a pu alimenter l’organisation de lutte armée en militants mais ces derniers sont connus et Gilles C. et ses camarades n’en faisaient pas partie. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme des compagnons de la défunte Joelle Aubron et des militants d’AD encore emprisonnés, de Jean-Marc Rouillan à Régis Schleicher en passant par Nathalie Méningon ou Georges Cipriani.
Pour autant, Soral n’est pas totalement responsable de son affirmation erronée puisqu’il se trouve que ce sont ces anciens activistes eux-mêmes, et en particulier Gilles C., qui se sont construit une légende d’activisme armé. La vérité ne pouvant souffrir d’être travestie, elle est ainsi rétablie et nous laissons Gilles et ses amis hanter les couloirs de la mouvance nationaliste, de BBR en solstices de Terre & Peuple. À titre préventif, nous pouvons aussi rappeler à d’éventuels journalistes alléchés par le syndrome de la « collusion des extrêmes » que certains de leurs confrères étaient déjà tombés dans le panneau en 1999 lorsque Benoît Fleury et ses petits camarades du GUD avaient fait paraître un pseudo appel à soutien à AD dans la revue Jusqu’à nouvel ordre. Inutile donc de nous resservir le même plat.
- Rappelons pour ceux de nos lecteurs qui auraient raté des épisodes ou qui auraient la flemme de chercher sur le site que Jildaz Mahé O’Chinal, né en 1972, est accessoirement le fils d’un ancien journaliste de Paris-Match passé à Télé 7 jours et surtout un ancien militant du FNJ et du GUD au début et milieu des années 1990.[↩]
- Le courant des partisans de Marine Le Pen.[↩]
Les commentaires sont fermés.