REFLEXes

Hooligans à la russe

23 avril 2002 International, Les radicaux

Un match de football russe est une expérience très particulière. J’ai eu l’occasion de me rendre au stade Loujniki pour le match Spartak-Bordeaux en 1999. J’avais fait l’erreur de m’y rendre en métro, et je me suis retrouvé au milieu de centaines de jeunes, la plupart le cheveux très court, habillés de rouge et blanc, aux couleurs du club. Cette foule de jeunes était encadrée par les forces de l’ordre, mais dans certaines stations, de nombreux supporters faisaient le salut nazi en criant des slogans nationalistes. À la sortie du métro, la police filmait méticuleusement chaque spectateur, et c’est entre deux cordons de miliciens que la foule canalisée se rendait au match.

Un peu d’histoire…

Dans un article du Moscow Times du 11 décembre 1999, Kevin O’Flynn rappelle l’histoire de la culture supporter en Russie. Forme de contre-culture à la culture soviétique, elle attirait même les hippies aux matchs. Les premiers groupes de supporters viennent au Spartak vers 1979, qui aide les supporters à voyager en Russie. Avec les voyages viennent les premiers incidents. Pour certains, ces luttes ont remplacé celles qui opposaient les bandes de quartiers. Dans les années 1980, des batailles rangées ont opposé le Spartak et le Dynamo de Kiev, dégénérant vite en émeutes. Pendant la période soviétique, la rivalité était importante entre le CSKA qui était le club de l’armée, et le Spartak, celui de la société et donc d’une certaine forme d’opposition. La chute de l’Union soviétique et la fin de la Ligue soviétique en 1991 ont provisoirement mis fin au développement des hooligans. Les stades devinrent silencieux, les bagarres rares.

Jusque dans les années 1990, les supporters étaient très calmes. Maintenant, l’ambiance ressemble à celle des stades anglais et italiens. La partie la plus violente des supporters ne compte qu’une minorité de membres : 1000 sur les 25 000 que compte le Spartak de Moscou. Ils portent des noms anglais comme les Gladiators, les Flint Crew ou les Red Blue Warriors et idéalisent les hooligans anglais. Leurs fanzines comme le Spartak’s Ultra New et le CSKA’s Russia Fan Herald racontent leurs actions violentes. Comme la police contrôle étroitement les stades, les combats se font dans des lieux proches des stades, et peuvent impliquer des centaines de jeunes.

Saint-Petersbourg vs Moscou

Un des derniers clashes violents a eu lieu fin avril 2000 à Saint-Pétersbourg lors du match entre le Dynamo de Moscou et le Zenit de Saint-Pétersbourg. Des centaines de supporters moscovites s’étaient déplacés en trains ; ceux-ci étaient pourtant très contrôlés, on ne pouvait accéder aux quais des trains qu’à la suite d’un contrôle strict des passeports. À l’arrivée au petit matin à Saint-Pétersbourg, des supporters du Zenit avaient préparé un accueil musclé mais ils l’ont annulé au dernier moment devant le nombre important de supporters adverses. Ce n’est que quelques heures plus tard que les incidents commencèrent à la station Sportivnaia. Une bataille rangée opposa les deux camps à coup de pierres, de bouteilles et de bâtons. Juste après le clash, un jeune a été retrouvé mort dans un café : pour les supporters du Zenit, il s’agit d’un meurtre, alors que pour la police, il aurait succombé à une crise d’épilepsie ou à une overdose. Après le match, les supporters ont été raccompagnés à la gare par des centaines de policiers anti-émeutes traversant la plus grande artère de la ville. Au total, plus de 80 supporters ont été arrêtés et 800 policiers ont tenté de maintenir l’ordre.

Jusqu’en 1999, le Zenit de Saint-Pétersbourg et le Dynamo de Moscou avaient conclu une alliance, baptisée le Nevski Front, contre la terreur du championnat des hooligans, mais depuis la finale de la coupe de Russie de 1999, cette alliance a volé en éclats.

Les hooligans russes sont très proches de l’extrême droite. Leurs fanzines parlent ouvertement du White Power, ils portent souvent des écharpes ou des bannière avec des croix celtiques (pour les supporters du Dynamo Moscow Hooligans) et les quelques joueurs noirs du championnat russe sont accueillis sur le terrain par des peaux de banane. Jirinovski a même financé plusieurs voyages du CSKA. Après les bombardements de l’Otan sur la Serbie durant l’été 1999, les supporters du Spartak et du CSKA se sont retrouvés pour manifester ensemble devant l’ambassade américaine.

Jean Raymond

Cet article est libre de droit, mais nous vous demandons de bien vouloir en préciser la source si vous en reprenez les infos : REFLEXes http://reflexes.samizdat.net , contact : reflexes(a)samizdat.net

Vous aimez cet article ? Partagez le !

Les commentaires sont fermés.