Certainement bien moins médiatique que son affiche digne de l’époque du Far-West vantant les mérites d’une Police Municipale armée, la décision du Mairie de Béziers Robert Ménard de débaptiser la rue du 19 mars 1962 pour lui donner le nom de l’officier putschiste Hélie Denoix de Saint-Marc n’en est pas moins symbolique et lourde de messages.
Messages bien entendu adressés en premier lieu à la communauté pied-noir et harki de Béziers, et plus généralement de sa région, car Ménard le sait bien : il y a là une grosse part de son électorat. Electorat qu’il commence à flatter bien avant l’annonce de sa candidature pour les municipales de 2014, à tel point que l’on ne peut s’empêche de voir dans cette chronologie une véritable stratégie d’implantation locale. Stratégie qui fonctionne à merveille, il faut bien le reconnaitre, puisque Ménard tellement sûr de lui se permet même de se passer de l’étiquette RBM[1], se contentant simplement de son soutien, et est élu avec plus de 12 points d’avance sur son concurrent direct Elie Aboud, une vieille figure de la droite dure à Béziers pourtant, et qui bénéficie lui d’une réelle implantation locale.
C’est en juin 2012 que Robert Ménard fait donc son coming-out « Algérie française » en publiant avec sa petite maison d’édition Mordicus « Vive l’Algérie française » co-écrit avec Thierry Rolando. Dès la couverture le ton est donné, et on sait à quoi s’attendre avec un tel titre (qui n’a rien de provocateur dans l’esprit des auteurs) ; quant à Rolando, il est le président du Cercle algérianiste, une des plus importantes et des plus ancienne association de rapatriés nostalgiques de l’Algérie française, créée en 1973, et qui gère en partenariat avec la ville de Perpignan le Centre national de Documentation des français d’Algérie.
Dans une interview donnée au journal Minute[2], Ménard explique ainsi son mal-être sur deux pages : coincé d’une part entre une famille et des origines très « Algérie française » et d’autre part son étiquette d’homme « de gauche », milieu où l’on considère que « les pieds-noirs étaient des fachos racistes, nostalgiques de Pétain, etc ».
Ses origines pied-noir ne suffisant peut-être pas à ses yeux, il déclare pour la première fois « j’aurais hésité à le dire par le passé, mais maintenant je l’assume pleinement : mon père était un militant de l’OAS ». Pourtant, quelques semaines auparavant, dans une autre interview[3] faisant la promo de son livre, nulle allusion au passé de son père : Ménard se contente de se déclarer « pied-noir, né à Oran, ayant quitté l’Algérie en juin 1962, quelques semaines avant l’indépendance », et justifie son ouvrage comme un besoin « de dénoncer, une fois de plus le manichéisme des médias, des intellectuels, des historiens », bref, le sempiternel combat de l’extrême droite contre « la pensée unique »[4]. Mais finalement, tant qu’à réécrire l’histoire, allons-y « Franco », et pourquoi pas réécrire dans la foulée celle de son père. Il est en effet étonnant de ne trouver nulle part le nom du père de Ménard parmi les membres de l’OAS : on pense notamment aux bulletins de l’ADIMAD[5], qui durant trois ans (de 2011 à 2014) consacre sept numéros aux « Obscurs et sans grades » de l’OAS, allant jusqu’à référencer les militants connus par leur seul prénom ou pseudo comme on peut le voir sur la couverture du 4ième numéro qui leur est dédié :
Et si l’on lit le portrait de Robert Ménard fait par le très à droite Observatoire des journalistes et de l’information médiatique[6], l’unique source concernant la passé de son père Emile est … l’interview de Ménard himself dans Minute citée précédemment ! Cela reste relativement faible en termes de sources, et finalement il faut remonter à 2008 pour s’approcher de ce qui est très certainement la réalité, dans un portrait consacré au secrétaire général de Reporters Sans Frontière dans Libération[7] : « son père, communiste et cégétiste, a rejoint un temps l’OAS. Avec les tripes plus qu’avec là tête », ce a quoi répond Ménard « Cinq ans plus tard, il est revenu à gauche et à toujours voté Mitterrand ». On est bien loin de l’image du combattant OAS fidèle à ses idéaux, surtout quand on sait ce que ce groupe a représenté pour les Européens à Oran, ville de naissance de Ménard, et destinée dans l’esprit de certains à devenir une enclave française en terre algérienne.
Au final, père à l’OAS ou pas, Ménard a définitivement choisi de s’inscrire dans cette histoire des nostalgiques de l’Algérie française. En effet, une fois la mairie de Béziers conquise il ne cesse de donner des gages de bonne volonté à son électorat, comme par exemple en participant à la cérémonie commémorative des « Massacres d’Oran du 5 Juillet 1962 »[8] ou il prononce un discours vantant les mérites de la colonisation[9], et cela devant une stèle où figure les noms et photos de quatre des plus illustres militants de l’OAS, tous exécutés par le pouvoir gaulliste : Jean-Marie Bastien-Thiry, Roger Degueldre, Claude Piegts et Albert Dovecar[10]. L’Adimad utilise d’ailleurs depuis fort longtemps ces figures symboliques pour le verso de ses cartes de membres :
Finalement Ménard va au bout de sa logique en annonçant qu’il souhaite renommer « rue Denoix de Saint-Marc » la rue du 19 mars 1962, une « date infamante » pour reprendre l’expression du journal de la ville de Béziers, qui fait bien sur la promotion de cette initiative. Et il convie donc ces concitoyens à une cérémonie le samedi 14 mars prochain à 14h30.
Très rapidement les milieux des nostalgiques et/ou des anciens de l’OAS se mobilisent, avec en tête l’Adimad, le Comité Véritas, les Cercles Algérianistes. Tous annoncent leur soutien à l’initiative du maire, et des cars sont annoncés au départ des villes de Aix-en-Provence, de Marignane, de Marseille, Nice, Pau, Toulon… On peut donc s’attendre à une présence assez massive.
On aurait pu penser que cette démarche allait satisfaire tout ce petit monde de nostalgiques du « bon vieux temps des colonies » que chantait Michel Sardou, et pourtant quelques voix s’élèvent et risquent de ternir un peu cette cérémonie. Des voix qui ont une certaine écoute dans ce petit milieu…
Le premier à dégainer est Kader Hamiche. Ce « fils de harki et fier de l’être » (comme il se présente lui-même[11]) qui se déclare aussi français, patriote, et « anti-communiste primaire », est un grand admirateur de Bastien-Thiry, et aussi, accessoirement, contributeur au Boulevard Voltaire, le site de Robert Ménard. Habitant de Béziers, Hamiche se fend d’une Lettre ouverte à Robert Ménard dans laquelle il déplore non pas le choix du nouveau nom bien sûr, mais son emplacement : la rue du 19 mars 1962 est effectivement une toute petite rue de quelques centaines de mètres, perdue dans un lotissement sans charme particulier. Une rue qu’il connait bien puisqu’il se vante d’avoir arraché la plaque portant la « date infamante » et de la conserver chez lui[12]. Cette rue ne lui semble pas à la hauteur d’un tel nom.
Dans la foulée, c’est au tour de José Castano de réagir et de se fendre lui aussi d’une lettre au maire, avec un peu les mêmes revendications. Castano, lui aussi originaire de la région d’Oran et fils d’un militant de l’OAS, fut longtemps militant au Front national, avant d’en devenir un des candidats, notamment à Lunel[13] lors des élections cantonales de 2001, ou encore lors des législatives de 2012. Auteur de nombreux ouvrages sur cette question, notamment Les seigneurs de la guerre[14], qui raconte la fin du 1re REP. Ce fameux régiment étranger de parachutistes fut l’un des fers de lance du putsch d’Alger, le 21 avril 1961, et comptait dans ses rangs le commandant Hélie de Saint-Marc, le lieutenant Roger Delgueldre et le sergent Albert Dovecar, mais aussi le capitaine Pierre Sergent[15] ou encore un certain lieutenant Jean-Marie Le Pen. En ce qui concerne ce dernier, il faut préciser toutefois qu’il n’était plus en service au moment du putsch d’Alger, puisqu’il était déjà retourné à ses activités de député à l’Assemblée nationale, mais il était en revanche actif lors de la Bataille d’Alger. En 2011, dans un ouvrage intitulé Dans les archives inédites des Services Secrets, un siècle d’espionnage français (1870-1989)[16], on trouve une note des renseignements généraux datant d’octobre 1959, et qui montre que même de retour à Paris, Jean-Marie Le Pen entend bien continuer le combat :
Le 1er REP fut définitivement dissous dans les jours qui suivent la tentative de putsch et les légionnaires quittèrent leur camp de Zéralda en chantant le célèbre « Non, je ne regrette rien » d’Edith Piaf : dix ans plus tard, Pierre Sergent en fera le titre d’un de ses ouvrages.
Ménard va-t-il lui aussi reprendre la chanson de Piaf ? Possible, probable, souhaitable pour lui en tout cas, car on ne peut dignement passer sa vie à regretter ou à se renier, et Ménard a déjà fait beaucoup en ce sens : ses engagements de jeunesse, sa place dans la gauche caviar en tant que président de RSF…. Mais qu’il y prenne garde tout de même : cette nouvelle famille qu’il s’est choisi, le milieu « algérianiste », s’il peut s’avérer utile lors d’élections, n’est pas si facile à « gérer » le reste du temps. C’est un milieu qui a la rancune tenace, et pas seulement envers les Algériens ou le Général de Gaulle[17], mais aussi aujourd’hui envers ceux qui trahiraient le souvenir de « leur » Algérie.
Et le Front National en sait quelque chose, coincé lui aussi entre ce vivier électoral local (flatté par exemple par Louis Aliot, candidat à Perpignan) et sa recherche de dédiabolisation dont la plus belle illustration est l’ascension de Florian Philippot au sein du parti. Le chouchou de Marine Le Pen est en effet un adorateur de De Gaulle et il ne s’en cache pas, avec portrait du Général derrière son bureau et cérémonie à Colombey-les-Deux-Eglises le 9 novembre 2014 : voila de quoi faire bondir ceux qui considèrent le général comme « le Plus Grand Traitre de l’Histoire de France ».
Et il n’aura pas fallu longtemps pour que Ménard se trouve lui aussi face à cette contradiction : Florian Philippot, hasard du calendrier, souhaitait se rendre à Béziers le jour même de la cérémonie en l’honneur d’Hélie de Saint-Marc, afin d’y rencontrer les militants et candidats locaux du Front. Si la date tombe bien mal et peut expliquer l’indisponibilité du maire, il est évident que la personnalité du n°2 du FN y est aussi pour quelque chose : en effet, aucune autre date n’a été pour l’instant retenue, et il est fort probable que la tournée de Philippot dans cette région tourne court…
Voila donc notre maire Ménard forcé de jouer les équilibristes entre son électorat de base et la direction du parti censé le soutenir et être derrière lui. Nous lui souhaitons bien du courage !
[1] Rassemblement Bleue Marine, structure mariniste permettant aux « tièdes » de rouler pour la présidente sans être toutefois étiqueté Front National. Du moins le pensent-ils !
[2] n° 2570 du 27 juin 2012
[3] Sur le site Enquêtes & Débats de Jean Robin.
[4] Un peu à la manière d’un Zemmour inventeur d’un Pétain sauveur des juifs de France !!
[5] L’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française, autrement dit les anciens de l’OAS.
[6] Lancé en 2012 par Jean-Yves le Gallou, ancien FN et MNR, et aujourd’hui animateur de la Fondation Polémia
[7] Libération du 5 juin 2008 « Robert Ménard, l’agité du vocal »
[8] Autre date symbolique, avec celle du 19 mars 1962, pour les nostalgiques de l’AF
[9] allant même jusqu’à déclarer « sans la France, pas d’Algérie ! ». Tout comme on pourrait dire « sans les nazis pas de grands résistants » ??
[10] Voir à ce sujet l’article d’Henri Pouillot sur son blog, ou encore celui du Nouvel Obs intitulé « Béziers : Ménard s’incline devant une stèle glorifiant l’OAS »
[11] Kader HAMICHE « Manifeste d’un fils de Harki fier de l’être » auto-édité éditions Astofell
[12] Cela nous rappelle les déboires de nos camarades antifascistes de Ras l’Front Vitrolles lorsque l’un d’entre-eux avait fait de même avec une rue Jean-Pierre Stirbois du temps des époux Megret.
[13] Bien qu’habitant en réalité à Palavas-les-Flots (34).
[14] C’est aussi un des sujets récurent de ses conférences, comme celle donnée au Cercle National des Combattants de Roger Holeindre lors de la fête annuelle du CNC au Chateau de la Chapelle d’Angillon en 2013
[15] Ancien responsable de l’OAS Metro il crée avec JP Stirbois le Mouvement Jeune Révolution (M.J.R.) avant de rejoindre le CNIP et enfin le FN où il finira sa carrière politique jusqu’à son décès en 1992. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur la Légion étrangère s’appuyant sur sa propre histoire de l’Indochine à l’Algérie
[16] Edition L’Iconoclaste, Paris 2011
[17] Surnommé dans ce milieu « PGTHF » c’est-à-dire le Plus Grand Traitre de l’Histoire de France, ou encore la grande Zohra
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