(Article publié en juin 1993 dans le n° 39 de la revue REFLEXes)
Peu remarquées par le grand public, les polices se préparent depuis longtemps à une coopération au niveau européen. Depuis 1992, un groupe de policiers de plusieurs pays européens est réuni à Strasbourg pour préparer Europol, le FBI européen.
Ce dernier pas de la coopération policière en Europe réalise un vieux rêve de tous les policiers et de tous les politiciens qui croient qu’une police forte et centralisée est nécessaire pour la construction de l’Europe. Ce rêve se réalise en plusieurs étapes : d’abord, avec une compétence limitée au trafic de drogues, par la réalisation de la European Drug Intelligence Unit (EDIU) dont la création a été décidée en 1991 par le Conseil européen. Mais en fait, cette étape intermédiaire est déjà dépassée, le traité de Maastricht installe formellement Europol comme nouvelle structure de coopération policière en Europe. Dans un premier temps, l’activité principale sera la même que celle des autres institutions de coopération déjà existantes : l’échange d’informations à l’aide d’un système informatisé. Mais les ambitions visent au-delà. Les responsables souhaitent aussi une compétence directive envers les forces de police des États-membres et, pour l’an 2000 environ, des unités exécutives d’une police européenne.
Les institutions de la coopération
Europol est, du moins provisoirement, la dernière étape dans l’histoire de la coopération policière au plan international, coopération qui a commencé à la fin du XIXème siècle avec une conférence internationale sur la lutte contre l’anarchisme et qui a abouti à une première institution avec la création du prédécesseur d’Interpol en 1923. Cette institution est restée la seule instance de la coopération policière jusqu’aux années 1970. À cette époque Interpol se trouvait en crise. Son équipement technique et son mode de fonctionnement étaient devenus anachroniques au vu de l’internationalisation et de la modernisation de tous les domaines de la vie. C’était la période de la création de nouvelles institutions de coopération policière en Europe dont les plus importantes avaient comme cible le terrorisme : les «clubs» de Berne et de Vienne et puis, à partir de 1976, le groupe TREVI (Terrorisme, radicalisme, extrémisme, violence internationale), une structure parallèle de la CEE, travaillant plus ou moins clandestinement.
Au fur et à mesure, le groupe TREVI a vu ses missions s’élargir d’une façon très importante. Aujourd’hui , ses groupes de travail sont les instances centrales pour l’échange de la technique criminelle, pour la lutte contre la violence des hooligans et contre le «crime organisé», notamment le trafic de drogue. Une autre commission «ad-hoc» est responsable de coordonner les activités des polices contre l’immigration. Ceci est d’ailleurs très symbolique de la priorité que donnent les gouvernements aux solutions répressives des problèmes migratoires depuis quelques années déjà. Possédant comme base les structures du groupe TREVI, Europol ne part pas de zéro. Et aussi au niveau du système informatique, Europol profite de l’équipement prévu pour une autre institution : le groupe Schengen. En effet, ce groupe créé en 1985 pour accélérer la suppression des frontières intérieures de cinq pays centraux de la CEE est devenu, surtout avec l’accord dit «complémentaire» de 1990, une autre institution importante de la coopération policière. Ce qui compte aujourd’hui n’est plus la libre circulation des personnes mais les «mesures de compensation» pour la répression de la criminalité, et surtout de l’immigration. Le système informatique du groupe Schengen (SIS) servira aux futures institutions de coopération autour d’Europol.
La critique se fait trop rare
La lutte contre le trafic de drogues et contre le «crime organisé» dans ce domaine est l’argument principal que les responsables avancent depuis des années pour démontrer la nécessité de leurs activités. Plusieurs institutions spécialement consacrées à la lutte contre les drogues (par exemple le groupe Pompidou au niveau du Conseil de l’Europe, le Conseil européen de la lutte anti-drogues, CELAD, et le Bureau international de contrôle des narcotiques des Nations-Unies) font de même. Leur succès est impressionnant : les Pays-Bas sont le seul pays qui résiste contre une politique répressive dans ce domaine. Pourtant, de plus en plus de policiers reconnaissent que cette politique répressive ruine les toxicomanes et maintient le marché noir avec des profits énormes parce que les polices n’arriveront jamais à mettre fin à tout trafic de drogues dures. Mais l’intérêt est plus grand de créer les structures d’un État européen répressif avant que des voix critiques puissent les mettre en cause. Ceux qui demandent si on ne peut pas renoncer à des institutions comme le SIS ou Europol, coûteuses et dangereuses pour la démocratie, sont restés rares. Pourtant cela n’appartiendrait pas au monde des illusions. On éviterait par exemple des problèmes de sécurité par des mesures politiques qui limitent le trafic d’armes et qui mettent le marché des drogues dures sous le contrôle de l’État avec la distribution gratuite de drogues ou de substituts aux dépendants par des médecins autorisés. Vue l’importance de la criminalité secondaire (petits vols, cambriolages, recel, etc.) cette mesure simple pourrait rendre superflue une grande partie des structures policières aux niveaux national et international.
Sur un autre plan, il reste nécessaire de répéter qu’il est inacceptable que les gouvernements veuillent régler les problèmes migratoires causés par l’inégalité de la distribution de la richesse mondiale par les voies de l’exclusion et de la répression.
C’est dans ce sens-là que Réflex a fait une réunion avec des invités d’autres pays européens le 3 avril dernier. Sur les pages suivantes nous présentons une partie des communications faites lors de cette réunion.
Mis en ligne le 9 décembre 2006
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