REFLEXes

Parlement européen : quelles luttes contre l’Europolice ?

9 décembre 2006 ... Et les autres

(Article publié en juin 1993 dans le n° 39 de la revue REFLEXes)

 

Claudia Roth, députée européenne des Verts allemands a multiplié les interventions concernant la construction policière européenne. Au sein du Parlement, peu de forces politiques s’inquiètent des conséquences de Maastricht ou de Schengen. À ce sujet, le consensus est presque parfait… et aucun député français n’a soulevé de questions sur les restrictions des libertés envisagées.

Au sein de la Commission des libertés publiques du Parlement européen, la question du traitement de la criminalité a pris une importance croissante. Les autres discussions importantes portent sur les questions du droit d’asile ou de l’immigration, la construction de l’Europe forteresse contre les réfugiés qui cherchent une place pour survivre, les questions du chômage et de la corruption de la classe politique.

Le thème de la criminalité va devenir de plus en plus présent dans les campagnes électorales de tous les pays de la Communauté ; en effet il est idéal à exploiter pour proposer une politique plus restrictive, plus répressive et plus autoritaire.

Dans la discussion sur la criminalité, nous sommes confrontés à deux arguments principaux et à un double problème. D’un côté, il y a dans nos pays une augmentation de la criminalité, ce sont les chiffres, les informations qu’on nous donne, et le sentiment d’insécurité grandit aussi. D’un autre côté, le taux d’élucidation des affaires par la police reste très bas et le succès de son travail a constamment diminué. La réaction des politiques et de la police n’est pas de constater un échec total de la politique actuelle et la nécessité d’un changement radical, bien au contraire, ils veulent nous faire croire que l’on pourrait combattre la criminalité avec beaucoup plus d’argent et de lois restrictives, avec une règlementation plus stricte, et donc avec moins de libertés et de droits civiques. Comme les forces conservatrices savent bien que l’augmentation des compétences et des droits de la police n’est pas du tout une garantie de succès, elles font une forte propagande pour un changement de système. C’est toujours l’idée d’une société autoritaire et très répressive, dans laquelle, par exemple, le but de l’éducation est la formation, afin de ne plus avoir d’individus indépendants et autodéterminés.

La Communauté européenne et ses institutions, c’est-à-dire le Conseil, le Conseil des ministres, la Commission et le Parlement européen, traitent depuis longtemps la question de la criminalité avec des structures de coopération (groupes, contrats et conventions comme Schengen, TREVI, Dublin, Europol…). On développe un système et un appareil de coopération policière sous le prétexte populaire et surtout très démagogique de lutte contre le crime organisé, le terrorisme, le trafic de drogue et l’immigration clandestine.

Le traité de Maastricht contient des décisions très importantes sur le caractère de la coopération policière. Il est important de constater que selon Maastricht nous n’aurons pas une sorte de police fédérale sous un contrôle démocratique de la Commission ou du Parlement européen ; seule une coopération intergouvernementale est mise en place, sans contrôle effectif des parlements nationaux ni du Parlement européen.

Au Parlement européen, je travaille dans la Commission des libertés publiques et des affaires intérieures. Cette commission a été mise en place début 1992. Nous travaillons sur les questions de politique intérieure classiques, c’est-à-dire les questions de la démocratie, des droits civiques (par exemple les droits des homosexuels, des prisonniers), de l’asile, de l’immigration, de la drogue et de la police. La question la plus actuelle est celle de l’article 8a du traité de la Communauté, la libre circulation des capitaux, des profits et des personnes (la seule « libre circulation » qui n’existe pas). En ce moment, nous discutons dans notre commission de la possibilité de faire un recours contre la Commission, le Conseil et les États-membres, qui ne garantissent pas la libre circulation des personnes, alors même que celle-ci était prévue et annoncée pour le 1er janvier 1993. La lutte contre une politique plus restrictive devient indispensable, car c’est la réponse qu’on veut donner à presque tous les problèmes. On ne cherche pas les sources des problèmes, mais on se bat contre leurs symptômes ; les solutions proposées sont toujours plus de police, plus de contrôle, plus de militaires, plus d’échange d’informations… Il y a dans les politiques du droit d’asile et de l’immigration une nouvelle stratégie de la criminalisation : on déclare presque tous les pays d’où viennent les réfugiés comme des pays sûrs, démocratiques, d’où il n’y a aucune raison de partir (Roumanie, Turquie…). Ceux qui quittent ces pays ne sont alors pas des frères réfugiés mais des immigrés clandestins, il faut donc les traiter comme des hors-la-loi. Cette stratégie va permettre d’augmenter les forces de police, on verra alors la relation entre la coopération policière et la militarisation de la question de l’asile.

Dans notre commission, les Français ne sont presque pas représentés, ce sont surtout des personnes des Pays-Bas, beaucoup de Grande-Bretagne (des conservateurs et des travaillistes), quelques Allemands et quelques Belges. Nous recherchons des groupes clandestins installés par les gouvernements qui travaillent sur la coopération policière, la drogue, le terrorisme etc. En effet, avant de pouvoir poser des questions à la Commission et aux représentants des pays membres, nous devons en connaître les réponses. Une tâche importante qui nous incombe est d’essayer d’informer un peu mieux le public. Dans tous les pays membres, ce qui se passe au niveau intergouvernemental et au niveau européen n’est presque pas connu du grand public. Si on demande à quelqu’un dans la rue ce qu’est Schengen, je suis sûre que presque personne n’est au courant. Et si je demande aux membres du Parlement à Bonn ce qu’est Schengen, je suis sûre que 80% me diront qu’ils savent que c’est une bonne mesure, qu’ils veulent la ratifier, mais presque aucun d’entre eux n’en connaît les détails et les conséquences. C’est très dangereux pour une société civique ou pour une démocratie de ne pas avoir de discussions publiques sur ce qui se passe. C’est pour cela que nous essayons d’informer les gens et de donner un peu d’ouverture à ce qui se passe en secret. Nous avons déjà fait plusieurs rapports sur la coopération policière, Europol, Schengen, les droits de l’Homme dans la Communauté… Nous avons soulevé à ce propos, que le droit d’information et de contrôle sur la police et la sécurité doit être un droit des personnes dans cette Communauté. En tant que commission concernée, nous avons demandé officiellement à avoir une entrevue avec les personnes qui travaillent déjà à Strasbourg dans les bureaux d’Europol ou dans ceux du système d’information de Schengen. Le gouvernement (socialiste) français a interdit cette rencontre en avançant que le Parlement européen n’avait rien à y faire, les accords étant intergouvernementaux. Nous voulons donc y faire une visite surprise et on verra bien ce qu’ils feront de nous.

Conclusions du débat sur la coopération policière dans la Commission des libertés publiques et des affaires intérieures :

Il ressort de ce qui précède que différents organismes s’occupent à divers échelons de la coopération policière et que des accords internationaux sont conclus parfois sans que le pouvoir législatif voire exécutif n’en soient informés. La coopération policière existe sous diverses formes, officieuses ou institutionnalisées, passées sur des accords tantôt bilatéraux, tantôt multilatéraux. Il est permis de s’interroger d’emblée sur le chevauchement évident de certaines initiatives auxquelles participent souvent des pays qui se situent à d’autres échelons mais prennent néanmoins des décisions exécutives. Dans le domaine de la drogue, par exemple, les problèmes sont traités à divers niveaux, sur le plan international par les G 15, dans le cadre du conseil de l’Europe par le groupe Pompidou, au sein de la Commission et du Conseil de la Communauté européenne, par le groupe ad hoc coopération politique, par le groupe ad hoc toxicomanie…

Il est permis de se demander si le développement et l’intensification de la coopération policière internationale doivent se poursuivre dans le cadre des organes internationaux de la Communauté européenne ou si au contraire, il convient précisément de s’en abstenir, ce qui pose la question du contrôle. En résumé, comme il a été déclaré à la deuxième chambre des Pays-Bas, une Europe démocratique ne peut pas être créée par quelques messieurs très savants qui entendent régler les choses au moyen d’un réseau opaque de groupes divers (TREVI, le groupe ad hoc immigration, le CELAD, le groupe de coordinateurs, etc.)

Trois points pour conclure :

- Le Parlement européen n’a aucune compétence de contrôle démocratique sur la construction sécuritaire européenne. C’est dû au caractère de coopération intergouvernementale donné aux accords. Cela réduit aussi les compétences des parlements nationaux et donne tout pouvoir à l’exécutif. Dans la construction de la Communauté européenne, même la division des pouvoirs héritée des révolutions bourgeoises n’existe plus ;
- jusqu’à maintenant on se préoccupe réellement au sein du Parlement européen des mesures qui mettent en danger la démocratie en Europe ; mais il ne faut pas avoir trop d’espoir. Dans le passé, lorsque le Parlement avait la possibilité de résister, il a suivi dans sa majorité la raison d’État et a voté contre une augmentation des droits civiques.
- dans sa majorité, le Parlement n’est pas conscient des conséquences de la désintégration sociale. Il se voile la face, admet la solution d’une politique plus répressive, ne propose pas de politique radicalement différente.

Mis en ligne le 9 décembre 2006

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