Au début de l’été 2001, un site d’un genre nouveau a ouvert ses portes. Intitulé Front 14 (probablement en référence aux 14 mots de Lane), ce site, hébergé dans un premier temps par la société GCI, domiciliée en Alaska, est réservé aux signataires d’une charte faisant l’apologie du combat «contre les sous-races, la juiverie, la dictature juive et l’invasion islamique» et de la «supériorité de la race aryenne». Pour quinze dollars américains par mois, il propose à tous les suprémacistes, racistes et autres nationalistes xénophobes de la planète tous les services liés à Internet : site, e-mail, chats, forum, liste de diffusion… Plus de 400 sites, soit plus de 8000 pages consultables, ont prospéré grâce à lui : de nombreux skinheads néo-nazis américains, allemands, russes ou encore scandinaves, le Ku Klux Klan, des femmes racistes de l’Illinois…
Un paradis donc pour tous les fachos du globe, et sur les forums des nationalistes français, chacun y va de sa petite pub pour Front 14, d’autant que les hébergeurs gratuits commencent à vérifier le contenu des pages «persos» estampillées de leur logo. Une dizaine franchissent le pas, signent la charte et payent leur «loyer» : parmi eux, des pétainistes, quelques boneheads, le GUD de Lille ou encore l’Église du Créateur, la branche française du Ku Klux Klan, qui a diverses appellations et publications : l’Empire invisible, 33/5, Croix de feu) et est dirigée depuis 1987 par Olivier Devalez, alias Tod, un ancien bonehead passé par un certain nombre de groupuscules néo-nazis qui a déjà eu des problèmes avec la justice pour incitation à la haine raciale.
Mais très vite, les problèmes commencent : coût relativement élevé au regard de la qualité du service (problème d’espace disque en particulier), mais surtout indélicatesses de l’hébergeur qui, lorsque le débit était trop important, fermait les sites européens pour donner la priorité aux sites US. Nationalisme, quand tu nous tiens ! Comble de malchance pour nos petits amis, le chevalier blanc de l’antiracisme sur Internet, Marc Knobel, est rapidement informé de l’existence du site et, par l’intermédiaire de l’association J’Accuse dont il est le président, il engage des poursuites à son encontre. En cherchant l’auteur du site, il tombe sur un certain John Gill, une figure de l’extrême droite américaine… décédé au XIXe siècle ! Il se retourne alors contre l’hébergeur, qui finira par dégager Front 14 (mais une autre société américaine, SkyNetWeb Ltd., domiciliée à Baltimore prendra le relais), puis contre treize fournisseurs d’accès à Internet (dont Wanadoo, Infonie, AOL, Club-Internet, Free, Noos…) et dans la foulée l’Association des Fournisseurs d’Accès et de Services Internet (AFA), les assignant en référé (procédure d’urgence) afin d’empêcher les internautes français d’accéder à l’ensemble des pages de Front 14. Une première en France, qui n’a pas été du goût de tout le monde et qui sent bon la censure. Enfin, Knobel a fait assigner le seul auteur français des sites incriminés assez stupide ou présomptueux pour avoir laissé traîner son nom sur son site, à savoir le susnommé Olivier Devalez, défendu par Éric Delcroix, avocat de la cause nationaliste et également conseiller régional MNR de Picardie.
L’émotion est grande alors chez les nationalistes radicaux, et l’on peut lire sur le forum d’Unité radicale, entre autres : «Force est de constater qu’il y a de grandes chances qu’on soit un jour privé d’Internet. (…) Il faudra trouver un moyen de remplacement.» s’inquiète un certain Guillaume. Et Christian Bouchet, dans son édito du 16 juillet, d’y voir une preuve supplémentaire du complot «sioniste» contre leurs petites personnes. Le juge chargé de l’affaire, Jean-Jacques Gomez, «spécialiste» de questions liées à Internet, a rendu sa décision le 30 octobre dernier, demandant simplement aux fournisseurs d’accès de faire attention, sans plus de contrainte. Tod, lui, s’est vu imposer la fermeture de son site, sous astreinte de 1000 francs par jour. En ce qui concerne Front 14, le site n’était plus accessible depuis le début du mois d’octobre.
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