REFLEXes

La peste brune en Europe

Dix ans de néo-fascisme et de nationalisme en Europe du Nord et de l’Ouest

Dans une perspective internationale, les antifascistes doivent se pencher sur les évènements des dix dernières années, depuis la création de Réflexes. Il serait malhonnête de brosser le tableau d’une vague de néo-fascisme s’apprêtant à déferler sur l’Europe du Nord et de l’Ouest, mais il est indéniable que les forces réactionnaires fascisantes et d’ultra-droite ont opéré de significatives percées tout au long de la décennie passée.
Ce processus s’est déclenché en France en 1986, quand Le Pen et son Front national ont engrangé leur premier réel soutien lors d’élections nationales (ils étaient déjà présents au Parlement européen). Ainsi lancés, ils ont travaillé à consolider cette base électorale d’un minimum de 2 millions de voix, avec des pics à 4,5 millions d’électeurs prêts à défendre leur programme raciste, antisémite et autoritaire.
Les succès du FN furent le catalyseur qui tira l’extrême droite de l’isolement où elle avait végétée, aux confins de la vie politique, depuis l’écrasement du Troisième Reich d’Hitler en 1945. Entre 1945 et 1986 il y eut bien sûr des exceptions, tel le poujadisme en France dans les années 50, mais elles furent avant tout les expressions particulières de certaines conjonctures politiques, et non pas les prémisses d’un développement à long terme.
1986 marqua ce saut qualitatif et permit l’émergence de partis électoraux d’extrême droite et fascisants -modelés sur le FN pour certains- dans divers pays européens. Tous ont profité de la manne des politiques restrictives de plus en plus racistes et inhumaines, que les grands courants politiques et les Etats ont progressivement mis en place dans ces pays.
Que l’immigration en Union européenne (UE) se soit peu à peu tarie n’entame pas la croissance de l’extrême droite. Au contraire, la répression de l’Etat quasi ininterrompue, les mesures policières, les campagnes de presse sur le sujet et l’ « Europe forteresse » ont, dans l’UE, servi à renforcer l’extrême droite en gratifiant sa réthorique d’un vernis de légitimité.
On a ainsi assisté dans divers pays au désenclavement de cette droite extrême ou néo-fasciste, et ce qui fut dès lors une inexorable marche de l’avant soulève de graves questions politiques que le mouvement antifasciste n’a sans doute pas encore bien pesées.

Pour une nécessaire compréhension critique de la situation il nous faut distinguer entre les pays concernés, dont chacun présente une histoire, une tradition et une culture politique qui lui sont propres. Procéder à cette mise à plat implique que nous posions les différences -d’ordre politique par exemple- existant entre les nombreuses organisations d’extrême droite comme étant d’égale importance à leurs points communs. Sans cette démarche préalable nous ne pourrons pas déterminer où plane la plus grande menace, réelle ou en puissance.
La différence cruciale est celle qui sépare le néo-fascisme comme danger politique de celui qui se cantonne, pourrait-on dire, à n’être qu’une forme d’activité violente mettant en péril la sécurité publique et individuelle, voire, troublant l’ordre et la loi.
Dans la première catégorie -l’extrême droite comme menace politique- on peut ranger les pays suivants : l’Italie bien sûr, l’Autriche, les Flandres en Belgique, la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suède. Pourquoi ceux-là? Et en quoi la menace est-elle d’ordre politique?
La réponse est simple. Depuis 1945 quand la dictature d’Hitler est abattue, le fascisme et ses avatars sont très isolés en Europe du Nord et de l’Ouest. Les zélotes d’Hitler sont peu appréciés. Pour les plus perspicaces d’entre eux, la tâche majeure consistait à trouver un moyen de sortir de l’ombre. Ainsi le fascisme, un phénomène politique marginal, opère sa transformation quand il commence à obtenir une certaine résonance parmi la population, et se retrouve en position de gagner et de consolider une base électorale, de s’injecter dans la vie politique à différents échelons.

L’irruption du Front National

Ce qui s’est alors passé est que depuis 1986 en particulier, quand le FN a ouvert une première réelle brèche lors d’élections nationales, des organisations à l’idéologie néo-fasciste mais dotées d’une stratégie électorale et légaliste ont pu percer de même. Elles ont démontré qu’elles pouvaient susciter l’adhésion populaire.
Cela a d’autres conséquences : la droite traditionnelle conservatrice craint l’ascendant de l’extrême droite, la sociale-démocratie redoute le racisme latent de sa propre base électorale, et toutes deux ont aisément cédé devant leur peur de ces organisations.
Dans les pays cités plus haut, les partis d’extrême droite ou néo-fascistes se présentant à des scrutins ont, depuis 1986, assuré l’élection de leurs candidats à des institutions démocratiques et parlementaires locales, municipales, nationales et européennes.
En Italie, et chose incroyable, presque à l’insu de nombreux antifascistes, la coalition Forza Italia – Alliance nationale – Ligue du Nord forma même un gouvernement néo-fasciste entre mars et décembre 1994. A eux trois ils rassemblèrent plus de 15 millions de voix. Heureusement, leur volonté programmée d’enterrer la Constitution italienne explicitement antifasciste et avec elle la démocratie italienne, a échoué.
Ils étaient à la tête du gouvernement mais pas de l’Etat. A aucun moment ils n’ont détenu le pouvoir effectif. Finalement c’est une combinaison d’incompétence politique, de soupçons de corruption pesant sur Berlusconi et de grèves massives contre les plans du gouvernement qui provoquèrent la chute de celui-ci.
A Anvers dans la région flamande de Belgique, le Vlaams Blok fasciste est si bien implanté qu’il obtient 28% des voix aux élections nationales, et environ 21% dans la région alentour. Le résultat? Dix-sept députés au Parlement belge.
En France, au premier tour de l’élection présidentielle de 1995, Le Pen, candidat du Front national, a recueilli plus de 4, 5 millions de voix. Bien que le FN n’ait pas de membres à l’Assemblée nationale il en compte onze au Parlement européen, et en France même il est aux commandes de trois villes d’importance : Orange, Marignane et Toulon. Dans le même temps, on notera que l’adoption de versions édulcorées de certains points du programme du FN par les gouvernements successifs -de “ gauche ” et de droite-, suggère que le soutien à ce parti a peut-être atteint un point culminant.
En Autriche la situation est alarmante. Le “yuppie néo-fasciste”, laudateur des SS Jörg Haider et son Mouvement de la liberté (ancien Parti libéral) se sont imposés sur l’échiquier politique comme figures de poids. Les partis politiques traditionnels ne peuvent plus éluder leurs prises de position.
Aux dernières élections, la presse bourgeoise s’est félicitée de la chute du vote pour le Mouvement de la liberté, de 22,6 % à 22,08 %. Ce qui fut passé sous silence, c’est que le nombre de voix a en fait augmenté de 31 000, pour atteindre 1 029 000. Cela sur un total de 5,8 millions de suffrages. Die Freiheitlichen est à présent la mieux représentée de toutes les formations d’extrême droite en Europe, avec 41 sièges sur les 183 du Parlement autrichien.
Dans les autres pays, comme les Pays-Bas ou la Suède, l’extrême droite a remporté des sièges dans des assemblées municipales ou régionales. Ces victoires sont moins spectaculaires mais elles restent inquiétantes car révèlent une fois de plus un fort appui des populations, acquis en grande partie à la faveur d’un discours raciste, anti-immigrés et contre le droit d’asile.
L’Allemagne et la Suède sont des cas à part dont nous traiterons plus loin. Le point principal étant que depuis la seconde moitié des années 1980 la situation s’est modifiée, moins rapidement toutefois qu’au cours des cinq ou six dernières années, depuis la chute du bloc soviétique et la réunification allemande.
Là où les néo-fascistes ont été élus ou bien là où ils ont fidélisé un électorat de masse, les partis démocratiques sont devenus nerveux et leur ont laissé mettre à l’ordre du jour des questions sur le racisme, le droit d’asile, la loi et la sécurité. Le lien en Autriche par exemple, entre les lettres piégées de néo-nazis et les litanies de Haider réclamant un état policier, est évident.

Jouer à se faire peur

Nous devons avoir une approche réaliste des choses et le sens du graduel. Est ainsi ridicule la panique de certains prétendus antifascistes britanniques – ceci de l’avis même de Searchlight -, lorsqu’un membre du British National Party est élu dans une assemblée locale au cours d’un scrutin insignifiant. C’est encore plus grotesque quand les mêmes suggèrent que la mouvance néo-fasciste en Grande-Bretagne est aussi menaçante que celle planant sur l’Europe continentale.
Comment pourrait-elle l’être ? En Grande-Bretagne cette nébuleuse compte 4 500 membres au maximum pour ses trois principales composantes : le British National Party, le groupe terroriste néo-nazi Combat 18 et les boneheads de Blood and Honour. Quelques précisions : sur ces 4 500 la moitié tout au plus milite. Combat 18 n’a pas plus d’une centaine de partisans. Blood & Honour a scissionné. On peut en tirer deux conclusions. En premier lieu, si un pays de 55 millions d’habitants est incapable de contrôler 2 700 activistes néo-nazis, nous pouvons sérieusement broyer du noir. Par ailleurs, comment comparer des gens qui font moins d’1% des voix avec d’autres qui, dotés d’une pratique différente mais de la même idéologie, recueillent jusqu’à 20% des suffrages comme en Italie, en Belgique et en Autriche, dans certaines régions de France ?
Cela nous amène à l’Allemagne et à la Suède, où l’extrême droite constitue une menace à la fois d’ordre politique et terroriste. Pourtant même là les situations sont à confronter, sur la base de cultures politiques assez différentes.
L’Allemagne, pour d’évidentes raisons historiques, et à présent de plus en plus pour des raisons géostratégiques, est la clé de la situation en Europe du Nord et de l’Ouest. L’effondrement de la République démocratique allemande (RDA) et la nette dérive nationaliste amorcée à l’occasion d’une réunification éclair – onze mois entre la chute du mur de Berlin le 9 Novembre 1989 et le retour de la RDA dans le giron de la RFA (il serait d’ailleurs plus juste de parler d’annexion) – furent de puissants stimulants pour les néo-fascistes et ont facilité leur accroissement rapide.

L’instrumentalisation de l’extrême droite

L’atmosphère nationaliste exaltée par le gouvernement d’Helmut Kohl fut également l’occasion pour l’extrême droite de fonctionner ouvertement, et d’agir en instrument du pouvoir dans la volonté de celui-ci de retirer de la Constitution l’article 16, qui garantissait le droit d’asile. Ainsi, entre 1990 et 1993 l’Allemagne fut le théâtre d’une vague de violence fasciste organisée, de terreur et de meurtre, dont on ne trouve l’écho que dans la République de Weimar pré-hitlérienne.
Entre 1990 et 1993 soixante-quinze personnes ont perdu la vie aux mains de funestes gangs néo-nazis, et pour la seule année 1993 23 000 actes criminels sont à mettre au compte de ces émules du fascisme. Pendant tout ce temps le gouvernement de Kohl s’est tenu à l’écart. La terreur fasciste fut exploitée au Bundestag à des fins de ralliement du vote des sociaux-démocrates (SPD), afin que la majorité y dispose des deux tiers nécessaires pour réécrire l’article 16. Ce n’est pas un hasard si le SPD a fini par céder alors qu’un incendie ravageait un foyer de travailleurs Vietnamiens à Rostock, à l’apogée du pogrom d’Août 1992 dans cette ville.
Des pogroms comme ceux de Hoyerswerda et de Rostock sont à nouveau des éléments de la politique allemande. De même pour les victoires électorales de l’extrême droite qui, bien que sa frange la plus radicale fut l’objet d’une certaine répression après que son utilité fut épuisée, ne peut plus être ignorée, en particulier parce qu’elle fonctionne comme alibi et justification de la dérive à droite du CDU\CSU . En mars 1996 dans le Bade-Wurtemberg, les Republikaner (REPs) ont une fois de plus prouvé leur importance. En dépit des pronostics de la presse et des médias ils ont obtenu 437 000 voix aux élections du Parlement régional (Landtag), devenant ainsi le premier parti d’extrême droite à être réélu depuis 1945.
Le vote REPs est lié aux sérieux problèmes que connaît l’Allemagne mais également à une restructuration de la scène activiste néo-nazie. C’est sans surprise que dans le Bade-Wurtemberg des membres de groupes interdits prêtèrent leur concours au REPs. Il s’agit d’ailleurs en partie d’une nouvelle stratégie de la frange radicale, que la répression de l’Etat pourtant peu énergique a fragilisée plus que prévu. La décision fut donc prise par les activistes d’infiltrer les principaux partis électoraux d’extrême droite : le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) , les REPs, la Deutsche Liga für Volk und Heimat (DL) , et, dans une moindre mesure, la Deutsche Volksunion (DVU) .
Le vote dans le Bade-Wurtemberg démontre qu’il existe un vaste électorat potentiel pour une espèce de néo-fascisme “ acceptable ” ou “ respectable ”. Certains militants ralliés à cette idée ont franchi le Rubicon. Ce vote prouve aussi que le nouveau nationalisme de la droite classique ne comble toujours pas une portion conséquente de la population.
On distingue désormais clairement quatre tendances au sein des radicaux, en dehors de ce qu’on peut déduire de leurs choix d’infiltrer tel ou tel parti électoral.

Un néo-fascisme protéiforme

Tout d’abord les “ traditionalistes ”, regroupés autour de ce qui reste de l’ex-Freiheitliche Deutsche Arbeiterpartei (FAP) de Friedhelm Busse, organisation qui tente de survivre malgré sa mise hors-la-loi. Cette fraction est en grande perte de vitesse.
Vient ensuite le Gesinnungsgemeinschaft der Neuen Front (GdNF) qui s’est consolidé en dépit d’une faible visibilité. Il s’est surtout consacré au développement de son réseau à travers les babillards (BBSs), et au renforcement de la HNG, une structure pour ses militants incarcérés. Des indications suggèrent que le GdNF s’est même agrandi.
La troisième tendance est issue du FAP et s’est constituée autour de Thorstein Heise, en Saxe-Anhalt. Elle s’est exclusivement investie sur la scène skinhead d’extrême droite, dans le but de mettre sur pied une culture musicale de rock nazi qui servirait aux activistes de vivier à recrues. Heise a noué de solides liens avec les terroristes britanniques néo-nazis de Combat 18.
Enfin, de loin les plus importants, les néo-nazis “ modernisés ” qui comptent le poseur de bombes Peter Naumann, les “ dissidents ” du FAP Glenn et Andre Goertz, et Stefan Hupke membre du Nationalistische Front (NF) . Ils ont tenté de se regrouper autour du magazine des Junge Nationaldemokraten (JN) Einheit und Kampf et se servent des JN comme d’une façade pour un genre de nouveau national-bolchévisme.
Cette dernière tendance bénéficie de l’appui de l’ex-leader du NPD Günter Deckert -aujourd’hui sous les verrous- et du soutien de Meinolf Schönborn -qui doit être prochainement incarcéré- ancien chef du NF interdit. Parmi leurs sympathisants on trouve également la direction de la Wiking Jugend (Jeunesse Viking), dissoute elle aussi. Les partis d’extrême droite se présentant aux élections cumulent ensemble autour de 56 000 militants, et la frange radicale environ 5 000.
En Suède, où il y a deux ans la formation d’extrême droite Sverige Demokraterna (SD) fit son score le plus élevé avec 26 000 voix et remporta des sièges dans des conseils locaux, c’est la branche activiste qui a pris l’initiative. L’ancien groupe terroriste VAM baptisé par la suite réseau Storm, a transformé l’an dernier son magazine Storm en une publication très “ pro ”, Nordland, et au début 1996 l’organisation est devenue la National Alliance (NA).
La NA, ainsi nommée en référence à la plus grosse organisation néo-nazie américaine, possède un noyau dur de 250 membres et un cercle de 500 à 600 sympathisants. Sa source d’inspiration n’est pas Adolf Hitler mais Robert J. Matthews, l’ancien chef du groupe américain terroriste d’extrême droite The Order. Matthews fut liquidé par le FBI en 1985.

Le marché skinhead

La NA cherche surtout à gagner l’appui des jeunes. Actuellement elle ne dirige pas moins de six compagnies d’enregistrement et de distribution de CD, qui, pour la seule année 1995, ont produit plus de 30 CD de rock nazi. Le marché de la bimbeloterie néo-nazie offre des débouchés croissants : la mouvance skinhead à Stockholm par exemple, s’est multipliée par dix (de 100 à 1 000 individus) entre 1990 et 1996. Les nazis et le “ nazi-chic ” sont en vogue parmi beaucoup de jeunes Suédois.
L’alliance entre les magazines Nordland et Resistance (publication des néo-nazis américains Hammerskin), a scindé en deux blocs la mouvance internationale skinhead d’extrême droite. En Allemagne, Nordland est déjà distribué gratuitement à partir de Nationaler Beobachter à Francfort-sur-l’Oder, et Moderne Zeiten, le magazine allemand le plus coté de rock nazi, est réapparu sous le nom de Nordrock avec un design identique à celui de Resistance.
L’autre pan de la scission bonehead rassemble Combat 18 en Grande-Bretagne – qui tire son inspiration violente de The Order -, sa façade Blood & Honour et le cadre de l’ex-FAP Thorsten Heise à Northeim. Dans la dernière parution de Nordland, l’éditeur de Resistance George Hawthorn a qualifié Combat 18 de “ traîtres à la race blanche ”. Le NSDAP-AO, réseau international néo-nazi le plus radical, semble soutenir Nordland et Resistance.

La question est de savoir quelles sont les organisations les plus conséquentes, les plus dangereuses et les plus nuisibles. En Norvège, au Danemark, en Finlande et dans d’autres pays, la frange militante est mince et sans poids.
En France il n’y a pas véritablement de scène activiste en dehors de quelque 150 nostalgiques d’Hitler appartenant au PNFE. Le FN est la seule organisation de poids à l’extrême droite, et tous les fascistes d’ “ envergure ” en sont membres. En Italie, s’il existe une mouvance militante elle demeure sous l’étroite coupe de l’Alliance nationale. Dans ces deux pays la violence nuit aux objectifs des néo-fascistes. En Autriche, il y a un militantisme bien organisé, mais qui fonctionne comme la cinquième roue du carrosse de Haider.
Il n’y a que l’Allemagne et la Suède où les activistes ont plus d’importance que les partis électoraux d’extrême droite. Cela découle de leur potentiel de violence, et, en Suède en particulier, du passage à l’acte terroriste. Ils cherchent aussi à influer sur la culture des jeunes et même à instaurer la leur. Mais au sens strict ils sont politiquement sans influence et ne représentent un réel problème que pour les antifascistes, les victimes de leur déchaînements haineux et la police. En Allemagne, leur ralliement au NPD, Junge Nationaldemokraten, Deutsche Liga…, relève plus d’un instinct de conservation face aux mesures d’interdiction de l’Etat que d’une stratégie expansionniste.
Doit-on ignorer ces militants fascistes sous prétexte qu’ils sont politiquement inconséquents? Bien sûr que non. Ils doivent être combattus bec et ongles car leur charge de violence et de terreur demeure intacte et parce que, plus rapidement peut-être que le mouvement antifasciste, ils se sont appropriés les outils de communication de cette fin de vingtième siècle : magazines clinquants pour les jeunes, CD, usage imaginatif -de leur part- des babillards et d’Internet. Nous devons poursuivre nos efforts pour combattre et défaire ces indésirables, mais il nous faut évaluer leurs forces avec réalisme.
Il est révolu ce fascisme aux bottes de cuir et à la chemise brune, à la croix gammée portée en brassard. Les fascistes les plus dangereux aujourd’hui sont d’avantage susceptibles de s’habiller au goût du jour et d’être très “ médiatiquement présentables ”. La vieille image d’Epinal hitlérienne des dictateurs des années 30 est morte et enterrée. Le fascisme, malheureusement, ne l’est pas. Pas plus que le terreau social du racisme, de l’antisémitisme et du nationalisme sur lequel il s’épanouit.

Un mouvement antifa en crise

En Allemagne par exemple, des forces plus nombreuses et beaucoup plus dangereuses occupent à présent l’arène politique. En même temps que ces courants émergent, le mouvement antifasciste (antifa), unique résidu de la gauche allemande, traverse une grave crise. Sa capacité de mobilisation a décru, même contre les activistes fascistes. Ses troupes se sont réduites et ne cessent de diminuer. Le mouvement ne gagne pas assez de jeunes – ce n’est plus en vogue d’être antifasciste – pour remplacer les nombreux et bons militants qui ont raccroché parce qu’ils se sont trop démenés ou qu’ils sont démoralisés, qui se retirent dans la vie privée ou que la résignation terrasse. Des magazines régionaux implantés depuis longtemps sont en danger et la mouvance antifa est en train de perdre son cadre.
Comment l’expliquer ? Par une moindre visibilité des militants nazis, simplement ? Parce que la terreur, à l’échelle où on l’a connue entre 1990 et 1993, a disparu ? C’est plus complexe. En fait, le vrai problème vient d’un manque d’analyse politique et d’une sévère crise idéologique. Ce contre quoi il faut lutter en Allemagne n’est pas simplement le néo-fascisme mais le nationalisme, dont le fascisme quelle que soit sa forme n’est qu’un aspect. Ce nouveau nationalisme, bienséant, “ grand public ”, dont le discours puise largement dans celui de la Nouvelle Droite, est beaucoup plus inquiétant. Il a à sa manière désarmé les fascistes et les antifascistes. Ce nationalisme inédit, récent, est le nouveau nationalisme agressif et expansionniste de la droite classique qui a intégré très rapidement les changements de la situation géopolitique allemande depuis 1989 et l’éclatement de l’URSS.
Le vrai projet de la droite traditionnelle, dont les buts sont beaucoup plus étendus et le potentiel plus explosif que ceux du projet néo-fasciste, est aussi autrement menaçant dans la mesure où il est soutenu – où il découle même – du pouvoir de l’Etat allié aux organes de répression.

Le double visage du nationalisme

Cela signifie qu’il y a en fait deux desseins nationalistes en Allemagne : le premier est celui des impérialistes allemands ranimés, qui sont regroupés au sein de la CDU\CSU, dans des fractions du SPD (sociaux-démocrates) jusqu’aux Verts, et dont les principaux bastions sont les Vertriebeneverbaende des “ expulsés ” d’après-guerre hors des anciens territoires allemands, les Burschenschaften (confréries d’étudiants ultra-nationalistes) et les militaires. L’autre projet est celui des antiquités fascistes et autres nostalgiques du nazisme.
Ces projets peuvent évoluer parallèlement sans se croiser. Il arrive qu’ils se rencontrent, comme lorsque les nouveaux nationalistes instrumentalisèrent les gangs néo-nazis pour que le SPD rallie la majorité au Bundestag afin que soit modifié l’Article 16 (voir supra). Parfois ils s’opposent : après avoir agité en tous sens l’épouvantail fasciste, les nationalistes ont usé de la répression pour l’écraser et mettre hors-la-loi onze de ses organisations. Les rapports de pouvoir entre ces deux courants sont indéniables.
Jusqu’à présent, c’est un fait que les antifas ont partiellement échoué à saisir ce qui se passe et ont partiellement refusé de le voir. Le problème est tout simplement devenu trop grand. Les antifascistes savent quoi faire face à dix boneheads dans la rue – pas toujours – mais des démonstrations militaires de la Bundeswehr comme la parade au flambeau de la Grosse Zapfenstreich à Berlin les laissent désarmés. Pour beaucoup, les forces de ce nationalisme-là sont trop écrasantes.
Il en résulte un grand vent de résignation…un “ que peut-on faire ” généralisé. C’est une réaction humaine normale et nous ne devons pas nous asseoir pour nous juger. Toutefois, il est évident qu’en tant que mouvement international antifasciste nous devons renoncer à nous concentrer exclusivement sur une scène allemande néo-nazie diminuée, et évoluer vers une politique non pas seulement antifasciste mais antimilitariste, contre la guerre et contre la préparation de la guerre. Cela signifie se fixer sur la politique étrangère de l’Allemagne, et pas uniquement en liaison avec les livraisons d’armes pour la meurtrière guerre menée par les Turcs au Kurdistan mais, plus près de nous, la politique qu’elle mène en République tchèque. Cela implique une attention accrue portée aux activités de plus en plus agressives des revanchistes allemands, et se consacrer d’avantage à démasquer des organisations plus que tendancieuses soutenues par l’Etat, comme la Verein für Das Deutschtum im Ausland (Ligue pour le germanisme à l’étranger).
Enfin, cela suppose que nous prenions beaucoup plus au sérieux l’internationalisme. Ces dernières années, seule une minorité du mouvement antifasciste a tenté et est parvenu à construire de vrais, de solides et d’efficaces liens internationaux. Reflexes, avec Searchlight et Antifaschistisches Infoblatt, peuvent se féliciter d’être les moteurs de cette minorité.
Maintenant que nous sommes confrontés à ces problèmes plus vastes, la nécessité de l’internationalisme devient une urgence. Nous devons continuer à susciter une prise de conscience à l’échelle internationale des nouveaux dangers et, en ce qui concerne l’Allemagne, ne pas générer un stupide chauvinisme anti-allemand -l’antifascisme des crétins-, mais renforcer la solidarité avec les antifascistes et les antimilitaristes de ce pays.
Nous devons le faire même dans notre propre intérêt.
Dix ans après la création de Réflexes, le combat se poursuit mais certains de nos ennemis ont changé. Et les conflits les plus violents restent à venir.

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