Le Front national, a été la cible de quelques attentats, le plus spectaculaire est certainement l’attentat à la dynamite contre le domicile de Jean-Marie Le Pen… en 1976. Mais, si certains membres du FN ont pu connaître une mort violente, il faut en chercher les responsables davantage du côté de la pègre (ou des platanes, dans le cas de Stirbois !) que d’un quelconque mouvement de lutte armée antifasciste. En effet, l’essentiel des actions violentes menées contre le FN se résument à quelques bris de vitres. La démarche des actions revendiquées Francs-tireurs Partisans (FTP) sur Marseille au cours des années 1990 est donc tout à fait original, et le seul véritable exemple de lutte armée antifasciste menée contre le FN. Il nous a semblé intéressant de voir comment, à travers sa presse, ce parti avait rendu compte de l’action des FTP.
Alors que, dans son édition du 4 avril 1995, Présent titrait «Le Pen fait exploser les tabous», et que, dans son supplément Jeunesse, il donnait des conseils pour «faire un feu sans allumettes», ce même jour, à Marseille, un action à l’explosif était menée contre la villa du secrétaire départemental FN Maurice Gros (revendiqué FTP-Unité combattante «Albéric D’Alessandri»). Le lendemain, un filet, sans commentaire, rendait sobrement compte de l’événement, en une vingtaine de lignes. National Hebdo n’est guère plus bavard, taxant cependant les auteurs de l’attentat de «criminels». On comprend mieux la discrétion du quotidien lepéniste lorsque l’on sait que cette action répondait à l’assassinat par des colleurs d’affiches du FN du jeune Ibrahim Ali, le 21 février de la même année… Il était alors de mise d’éviter de relancer l’actualité sur ce que le parti de Le Pen cherchait à faire passer pour un accident (lors du procès d’Yves Peirat, l’avocat du FN chercha même à prouver que notre camarade antifasciste en aurait été le principal responsable !). Seul Le Français, éphémère quotidien lancé par Bruno Mégret en 1995 et mort la même année, se distingue d’une part en rappelant les précédents attentats (ceux de 1994) et en donnant des détails techniques, et d’autre part en qualifiant le nom du groupe FTP de «fantaisiste».
«Terroristes d’extrême gauche»
Un an plus tard, après l’action du 21 février 1996, l’attentat perpétré par les FTP est plus largement présenté, et intégré dans une «campagne de terreur» qui serait alors mené contre le Front national. Samuel Maréchal, à l’époque patron du Front National de la Jeunesse (FNJ), rapproche ainsi l’action des FTP du saccage d’un restaurant à Toulouse, où il devait tenir son meeting. «Ces actes d’intimidation ne font que conforter les jeunes du Mouvement national dans l’idée qu’ils mènent un juste combat» fanfaronne-t-il dans Présent daté du 27 février. Dans le n°232 de Français d’Abord !, publication officielle du FN, on parle pour la première fois de «terroristes d’extrême gauche», et rappelle, limite gêné, le lien avec «la mort d’un Comorien dans des circonstances non encore déterminées (sic)». Et, dans National Hebdo du 29 février, on opte plutôt, mais sans trop y croire, pour la théorie du complot : «Afin de célébrer l’anniversaire de la mort d’un jeune Comorien, «on» a fait sauter à Marseille la permanence du FN». Interrogé, Maurice Gros dénonce ces «méthodes terroristes», en en rejetant la responsabilité sur la classe politique en général.
Ça se durcit…
En mars 1997, alors que se prépare à Strasbourg une des plus grosses manifestations anti-FN de la décennie, à l’occasion du congrès national du parti, Présent fait chaque jour sa «une» sur l’une des multiples «agressions» dont a été victime le FN : «la croissante et rageuse hystérie «antiraciste» contre le Front national», «Contre le Front national, la haine à gros bouillons» (04/03), «Contre le FN, une folie littéralement meurtrière» (22/03)… L’attaque à la grenade d’un local du FN au 22, rue Sainte-Cécile à Marseille (revendiqué Groupe de Partisans «Marcel Bonain»), dans ces circonstances, passe quasiment inaperçue : noyée dans une avalanche de brèves stigmatisant les attaques de «l’ennemi», elle ne suscite pas, en apparence, d’intérêt particulier : on comprend que le FN préfère à ce moment-là jouer les victimes plus près des projecteurs, afin de jouer convenablement son rôle de vedette à Strasbourg. Un an plus tard, en février 1998, même schéma : Français d’Abord ! rapport l’attentat du 21 février, parlant du «groupe terroriste d’extrême gauche Francs-Tireurs», en le plaçant une fois encore dans la continuité du «harcélement» dont il se dit victime, avec en point d’orgue la mise en accusation de Jean-Marie Le Pen lui-même dans l’affaire de Mantes-la-Jolie.
Ainsi traité par le mépris dans la presse frontiste, on pourrait se dire que les actions menées par les FTP n’ont pas été perçues comme se démarquant des autres actions antifascistes, et ont même suscité moins d’indignation que certaines autres, plus médiatiques.
Le procès de la revanche
Or la façon dont la presse frontiste a couvert le procès du principal animateur des FTP, Yves Peyrat, en février 2001, montre au contraire que les attentats antifascistes sur Marseille avaient été vécus comme autant d’humiliations. Ainsi, alors qu’à l’époque des faits, l’importance des faits était toujours minimisée, elle devint hors de proportion dans les comptes-rendus du procès. La palme en revenant à Français d’Abord ! qui dans son n°336 de février 2001 (voir ci-contre) consacre une double page au procès. Le journaliste n’hésite pas à écrire que «les terroristes [ont fait] sauter le Stadium de Vitrolles (sic)» (alors que seul le générateur était visé) et que «c’est un miracle si [Maurice Gros] et sa famille ont échappé à la mort» pour conclure : «ces arrestations ont mis un point final à la vague de terreur des FTP». La théorie du complot est reprise et développée (, évoquant à la fois «l’orchestre rouge» qui, à travers les médias, aurait soutenu «le dangereux terroriste», et «la mansuétude du Parquet» qui prouverait la complicité de «l’établissement». National Hebdo, dans son édition du 9 novembre 2000, avait déjà évoqué la «désinformation» dont se serait rendu coupable France-Soir à travers un article trop favorable selon lui aux FTP.
Cette dramatisation soudaine d’actions jusque-là pratiquement ignorées est un classique de la stratégie de victimisation dont le FN s’est fait une spécialité : en position de force à l’époque, il n’avait pas intérêt à attirer l’attention sur ce genre d’actions antifascistes ; en manque de publicité aujourd’hui, il cherche par tout les moyens à faire parler de lui.
Mais on sent le FN mal à l’aise malgré tout lorsque les revers qu’il subit se situe sur un terrain «militaire», et l’humiliation ressentie a entraîné quelques réactions revanchardes qui en disent long. Ainsi, dans son Quotidien-Presse (QP), journal électronique disponible sur le site web du FN, si l’affaire est d’abord évoquée dans des termes semblables à ceux de Français d’abord !, très vite Georges Moreau, rédacteur du QP, témoigne de sa rancoeur par quelques commentaires aussi mesquins que gratuits : le 8 février 2001, sous le titre «le médiocre Peirat se déballonne», il reproche à Yves, «petit soldat au service du totalitarisme mondialiste», de ne pas revendiquer la tentative de meurtre, faisant ainsi preuve «d’une lâcheté écoeurante».
Ces diverses réactions montrent une chose : si le FN aime faire peur et parfois recourir à la violence, c’est à la condition d’en avoir l’exclusivité, la menace physique restant pour bon nombre de ses militants la seule façon d’avoir raison. C’est pourquoi, si la peur vient à changer de camp, le FN oscille entre deux représentations de soi, antagonistes : celle de l’éternelle victime et celle du valeureux soldat, toujours vainqueur, qu’il essaye de forger chez ses militants. Les actions des FTP auront probablement brisé quelques illusions…
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