(Article publié en juin 1993 dans le n° 39 de la revue REFLEXes)
Intervention de Tony Bunyan, de STATEWATCH
Je vais tout d’abord vous parler du contexte dans lequel interviennent les changements de la politique policière, puis de ces changements en Grande-Bretagne, et des effets de cette politique dans la Communauté européenne. Il y a un certain nombre de liens à travers les différentes étapes de la construction de la politique policière européenne ; des liens entre la police, le contrôle aux frontières, le terrorisme, la drogue, l’immigration et le crime. En 1976, la création de TREVI était présentée comme réponse au terrorisme, aujourd’hui, on fait le lien entre terrorisme, drogue et immigration. Cette idéologie des divers gouvernements européens nourrit le racisme et le fascisme, et mène à la criminalisation de la population immigrée. Un spécialiste du contrôle de cette politique policière en Grande-Bretagne, le major Clutterbuck a dit : « Avec autant d’immigrés dans la Communauté européenne, les terroristes étrangers pourront plus facilement se cacher parmi eux. » La culture européenne raciste voit toute la population du tiers-monde comme des immigrants et des réfugiés potentiels, et tout immigré ou réfugié comme terroriste et délinquant. Ce racisme ne fait pas la différence entre un citoyen et un immigré, entre un immigré et un réfugié. Un commentateur britannique a dit : « Ils portent tous leur passeport sur la figure ». En Grande-Bretagne, on parle de « black communities », on utilise ce terme comme un terme de couleur politique qui définit les immigrés de la Communauté européenne venus du tiers-monde, d’une expérience coloniale ou néo-coloniale, et qui se retrouvent un peu dans la même situation lorsqu’ils viennent dans les pays d’Europe.
En théorie, les pays européens essayent de construire autour d’eux un «cordon sanitaire». Aujourd’hui, à travers ce qu’on appelle les conventions parallèles, on comprend en plus l’Europe de l’est (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie…) comme zone-tampon. On peut parler d’un nouveau mur de Berlin, plus à l’Est, qui exclut les gens venus de Russie, du Pakistan… Au sud, de la même façon, on repousse les Africains. En théorie, il y a une coquille solide et à l’intérieur un ventre mou qui permet une certaine liberté. Mais on se rend compte que la disparition de ces frontières intérieures mène à un renforcement du contrôle à l’intérieur de l’Europe et aux frontières extérieures.
L’exemple de la Grande-Bretagne
En ce qui concerne le contrôle aux frontières en Europe, seuls trois pays, la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande, refusent toujours d’arrêter les contrôles dans les ports et les aéroports. L’un des arguments développés par le gouvernement britannique pour maintenir ces contrôles est qu’ils font partie des mesures contre le terrorisme, la drogue et l’immigration illégale, notamment celle des immigrés des autres pays européens à qui le gouvernement britannique ne fait pas confiance. Actuellement, des institutions européennes comme la Communauté font pression sur ces gouvernements pour qu’ils arrêtent les contrôles aux frontières. Le gouvernement britannique a été très clair sur ce qu’il ferait si on le forçait à arrêter ces contrôles : carte d’identité obligatoire, augmentation des recherches et contrôles de police, maintien de la loi anti-terroriste liée au problème irlandais qui fait qu’on peut retenir quelqu’un en garde à vue du seul fait qu’il est suspecté. Dans le contexte des relations entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, en octobre dernier, la république d’Irlande a introduit des cartes d’identité 16-24 ans ; le gouvernement britannique, depuis presque un an, s’est mis à consolider les frontières entre le Nord et le Sud de l’Irlande, à construire des « forts » et à effectuer une surveillance par infra-rouge. Il est important de préciser qu’il s’agit d’une situation de guerre civile qui dure depuis 24 ans.
Le principal changement en matière de politique policière en Grande-Bretagne est la centralisation. La centralisation des services de police traditionnels, qui traitent la drogue, le football, les crimes… se fait dans le « National criminal intelligence center » (Centre national de renseignements). Le terrorisme est traité indépendamment au niveau européen. Les possibilités pour les communautés locales de contrôle sur la police sont en train de diminuer, après plus de 180 ans. C’est désormais le ministre de l’Intérieur qui pourra donner les postes dans la police à travers toute la Grande-Bretagne. Il est important de rappeler qu’en Grande-Bretagne, il n’y a pas de syndicats de police, mais une « fédération », une sorte de grand syndicat-maison. Tout le système informatisé qui permet les contrôles (dans les véhicules de police par exemple) est transformé pour être compatible avec le système d’information de Schengen. Le système européen de renseignements (basé sur le système de Schengen) couvrira l’immigration, la police, la loi.
Le gouvernement britannique est satisfait de la façon dont se passent les négociations : les accords sont intergouvernementaux, informels, secrets. Les hauts fonctionnaires de la police ont de plus en plus de pouvoir. La question reste de savoir comment ils peuvent intervenir dans les contraintes démocratiques.
Émergence de l’État européen
À travers le traité de Maastricht et les accords intergouvernementaux d’harmonisation, au-delà des aspects de coopération et de protectionnisme, on voit la création de l’Etat européen. À travers les développements sociaux et économiques, on voit le développement politique de l’Europe. En fait le groupe TREVI et le groupe ad hoc qui travaillent sur l’immigration sont sur le point d’être abolis car dans le cadre du traité de Maastricht, mises à part les structures concernant le terrorisme, ces éléments sont permanents (le système d’information européen sur le terrorisme n’est pas encore assez sûr). Dans le cadre du traité de Maastricht, on a un cabinet «parallèle», et trois sous-comités : immigration, police et sécurité intérieure, et coopération législative. Le Parlement n’a pas de contrôle sur ces groupes.
Conclusion
Dans le contexte de l’émergence de l’État européen, on peut voir qu’à l’intérieur de cet état, il y a deux groupes : les citoyens et les visiteurs. Il n’est pas question de venir en Europe par besoin, on voit se mettre en place une politique raciste basée sur les pays d’origine. La liste des pays dont les ressortissants doivent avoir un visa pour entrer en Europe est à peu de choses près la liste des pays du tiers-monde ; ni le Canada, ni l’Australie n’y figurent.
Le travail de Statewatch est de contrôler, de renseigner, de publier des articles sur ce qui se passe. Il faut donner aux gens qui travaillent sur le terrain, dans la communauté, sur des campagnes, les éléments pour comprendre et se battre contre ce qui se prépare.
Mis en ligne le 9 décembre 2006
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