24 novembre 2003, salle de concert Le Zénith à Paris, Nicolas Sarkozy « ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Publiques » organise aux frais du contribuable une soirée réunissant des hauts gradés de la gendarmerie et de la police nationale. Il s’agit de féliciter les troupes pour l’excellence de leurs résultats et leur présenter, sur grand écran en son et lumière, leur nouveau pistolet de dotation le Sig Pro 2022. Mais les nouveautés ne s’arrêtent pas là. Voici un petit tour d’horizon non exhaustif.
LE SIG PRO 2022:
Environ 240 000 pistolets modèle SIG PRO 2022 sont en cours de livraison pour équiper la gendarmerie et la police. Ce pistolet semi-automatique a été conçu par la société allemande Sauer basée à Eckenförde, célèbre société qui a notamment équipé les officiers et sous officiers de la Wehrmacht pendant la seconde guerre mondiale avec le modèle M36. Sauer est une filiale de la société suisse SIG Arms (Schweirische Industrie-Gesellschaft), ce qui explique le marquage SIG SAUER et la dénomination « SIG pro ». Cette livraison s’accompagne d’un contrat de maintenance pour les 20 années à venir.
Le SP 2022 reprend l’aspect et la mécanique des P226 et P228 connu pour être utilisés par les unités d’élites de l’armée et de la police américaine SEALS, HRT du FBI, SWATS ou encore les groupes d’élite de la gendarmerie et de la police française comme le GIGN et le RAID. Techniquement il s’agit d’une arme haut de gamme, sacrifiant à la mode polymère et acier. Cette arme est chambrée en 9 mm Parabellum, ce qui ne change rien en terme de puissance balistique puisque la gendarmerie était déjà dotée de pistolet MAS G1 en 9 mm para, et que l’officier de police était le plus souvent équipé d’un revolver Manhurin Spécial Police F1 en 38 spécial, équivalent balistique, a peu de chose prés du 9 mm para.
Mais le fait d’équiper de la même manière la police et la gendarmerie, c’est à dire un corps constitué civile et militaire, constitue, en tant que tel, une vraie nouveauté.
La nouvelle tenue de la police nationale:
De couleur « bleu glacier », cette tenue se veut pratique et fonctionnelle. Le pantalon « sportwear » est resserré aux chevilles avec des poches de cuisse latérale, le blouson imper-réspirant, étudié pour le port du gilet pare-balles ( 140 000 pièces déjà livrées) possède une doublure polaire amovible et des ouvertures latérales pour faciliter l’accès à l’arme de service. Les chaussures sont de type « commando » dixit le dossier de presse, c’est à dire montante à semelle crantée. En langage clair, ce nouveau pantalon « sportwear » s’appel un treillis et les chaussures des bottes d’intervention.
Autre nouveauté, de l’adjoint de sécurité au commissaire tout le monde portera la même tenue de service général: une chemise couleur « bleu glacier », une casquette souple brodée « police », et l’absence de cravate. Un petit cachet « caserne » irrésistible.
L’étui à rétention
En vu de recevoir le SP 2022, un appel d’offre concernant environ 240 000 étuis à rétention, c’est à dire empêchant le dégainage par un tiers, est en cours depuis octobre 2003. Il n’existe encore aucune statistique officielle concernant des cas de retournement d’arme contre son propriétaire, mais ce risque est visiblement doté d’une forte probabilité par le ministère de l’Intérieur. Ceci en dit long sur le niveau de formation de la police. Précisons qu’il s’agit du type d’étui le plus onéreux.
Le bâton de protection télescopique
Ce bâton de protection télescopique (BPT) de la marque ASP est une matraque en métal, à trois segments, possédant une fois déployée une taille de 53,34 cm (21 pouces). Depuis automne 2003, cette matraque est en dotation au sein de la gendarmerie nationale. Le tonfa police, dérivé du tonfa d’Okinawa, semble ne pas avoir plu. Il est vrai que sa maîtrise nécessite un apprentissage soutenu et subtil. Citation du Commandant Philippe Thiriot, division intervention professionnelle du centre de formation de la gendarmerie nationale de Saint-Astier « On se rendait compte qu’il existait un vide dans l’équipement. Cela donnait lieu a des aménagements « maison »:dans les véhicules de patrouille, il finissait par y avoir de tout: nerf de bœuf, batte de base-ball peinte en noire, etc. Le BPT est porté à la ceinture. On peut l’utiliser moyennant 8 heures de formation« . CQFD.
Les carabines de tireur d’élite
Depuis septembre 2003, un appel d’offre concernant 1500 carabines en .308, équipés de lunettes de visée et de housse de protection a été lancé. L’intitulé officiel est « fusils à répétition légers de précisions ». Au vu du calibre, l’emploi de ces fusils est certainement destiné au territoire national, reste à savoir pour qui?
Un nouveau pistolet mitrailleur
Si l’on en croit les bruits de couloir du salon MILIPOL 2003 du Bourget, le prochain pistolet mitrailleur de la gendarmerie nationale devrait être le HK Universal MaschinenPistole, c’est à dire UMP, cela ne s’invente pas. Ce modèle remplacera l’actuel PM 12S Beretta également en dotation dans la police nationale. Techniquement parlant, il s’agit d’un luxe puisque le PM 12S est loin d’être obsolète.
La grenade DMP
Le Dispositif Manuel de Protection, anciennement Dispositif Balistique de Désencerclement, est une grenade qui propulse 18 projectiles en caoutchouc de forme trapézoïdale de 10 g à la vitesse moyenne de 125 m/s. Le rayon d’action est de 5 m. La dispersion s’accompagne d’une déflagration assourdissante de 130 dB. Les dommages corporels occasionnés, auditifs ou musculaires, sont officiellement non létaux et sans séquelles. A moins d’avoir les oreilles ou le cœur fragile mais dans ces cas là on reste à la maison…
La grenade DBD date de novembre 1997. La grenade DMP a été adoptée par la police nationale en novembre 2003. Le fabricant est la SAPL connu pour son invention de la munition et des propulseurs Gomme Cogne. « Aujourd’hui la France comme nombre d’autre pays, se trouve à faire face à une nouvelle criminalité et à des actions qui sont le plus souvent proches de celles de bandes organisées en commandos qui se font un malin plaisir à faire dégénérer des manifestations pacifiques. Les Autonomes, les Incontrôlés, les casseurs et autres hooligans et skinheads sévissent avec la plus grande violence, en ne respectant rien ni personne. Il fallait donc trouver une réponse adaptée a cette violence gratuite destructrice et irresponsable. »(Commando magazine N°8 p90). Charles Bronson, tu n’est pas mort pour rien.
Les formations
Depuis environ 2 ans, fleurissent des stages et des rencontres « inter-sécurité » réunissant gendarme, policier et sécurité privée. On peut citer les formations de la Formation Française de Bâton Défense (FFBD) liée à la société GK, la Fédération Européenne des Techniciens de la Sécurité (FETS), le Centre d’Entraînement des Forces de l’Ordre (CEFO). Toutes dispensent des formations techniques classique type Tonfa police, BDT, défense et neutralisation contre agression à main nue ou armée et certaines innovent avec des stages gestion de stress en opération, sensibilisation aux armes blanches dissimulées, etc… On trouve aussi des compétitions organisées autour de parcours à thème comme le « trophée commando » organisé par le magazine du même nom et l’association Club Omnisports Police municipale Sports de combat (COPS) ou le « parcours tactique police » organisé par la FETS. Ces stages sont des versions « sécurité urbaine » plus ou moins poussées des stages commando de l’armée (dispensés au CNEC de Mont Louis et Collioure). Malgré des appellations très prometteuses ou spirituelles, ces organismes sont encore de petites tailles et associatifs, ils répondent à une demande émanant de policier en manque (de formation) et de gendarme en manque (d’action). Précisons que la gendarmerie possède son centre d’entraînement à Saint-Astier. Ce centre effectue depuis peu des exercices communs avec des unités homologues européennes. Et ce pour deux raisons majeures: d’abord ce centre fournit un village d’entraînement unique en Europe et ensuite le savoir-faire français dans la gestion des manifestations est unanimement reconnu. 55 millions d’euros vont d’ailleurs être alloués pour effectuer des travaux d’agrandissement, ce qui permettra à Saint Astier de prétendre au titre de centre de formation européenne du maintient de l’ordre. Dans un même ordre d’idée début 2003 s’est créé un Centre de Tir Adapté (CTA) prés de Pau constitué de bâtiments modulables permettant de travailler toutes les techniques d’intervention en milieu urbain: effraction, débarquements aérien, intervention avec tir à balles réelles, le tout sous contrôle vidéo pour un debriefing high-tech. Ce centre est a priori destiné aux forces spéciales de l’armée mais constitue un outil susceptible d’intéresser les forces de police. Précisons que de part sa superficie de 4000m2 et sa modularité, c’est un outil de formation, là encore, unique en europe. La France, centre de formation des forces de l’ordre européenne ? C’est en bonne voie.
Et pour finir…
Le GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) de Lyon a présenté à la presse une nouvelle tenue de camouflage urbain. C’est une combinaison 3 tons de motif « puzzle » centre-europe à dominante gris foncé théoriquement moins détectable en milieu urbain et a priori destinée aux grandes occasions puisque « la tenue bleu marine restera portée pour les missions quotidiennes ». Un insigne GIPN basse visibilité parachève le tout comme pour les tenues commando et forces spéciales de l’armée. Le GIPN est la première et pour l’instant la seule unité du ministère de l’intérieur à se doter d’une tenue camouflée jusqu’alors réservée aux unités du ministère de la défense nationale.
Conclusion ?
Une dotation à profil militaire et donc offensif signe le début de la mutation de la police française. Cette mutation semble suivre comme à l’habitude le modèle américain. En observant ce qui se passe outre atlantique, on obtient une idée du résultat futur.
« Aux Etats Unis [...]où des dispositions législatives vont jusqu’à interdire le mélange des genres entre forces armées et forces de police, une certaine partie de l’opinion et des médias les plus libéraux s’inquiète déjà de la militarisation de la police qui aligne désormais couramment fusil d’assaut, tenues camouflées et véhicules blindés, et utilise parfois des méthodes peu compatibles avec les droits de l’homme. L’escalade de la « guerre anti-drogue » des années 80/90 est souvent citée comme origine de ce dérapage ». (Action Guns/Armes & Tir N°270 p32)
Mais on peut trouver des origines encore plus anciennes: »[le tir à deux mains] correspond à une période où d’anciens vétérans du Vietnam intègrent la police américaine, deviennent instructeurs et importent leur culture dans la police. »( Commando N°2/ « De la réalité à la mode » Claude Trinh). L’équivalent français serait le rapprochement police/gendarmerie effectuée au milieu des années 90 dans les commissariats. Mais pour d’autres analystes, c’est une constante de développement.
« Tout au long du XXéme siècle, les services de police américains ont évolué pour devenir des bureaucraties toujours plus centralisées, autoritaires, autonomes et paramilitaires, ce qui a conduit à leur éloignement des citoyens » (Diane C.Weber « Warriors Cops, the Ominous Growth of Paramilitarism in American Police Departement »). Cette notion d’éloignement est aussi perceptible dans la police française qui semble en décalage complet avec la réalité du terrain. Pour mémoire, le nombre d’incarcération pour homicides volontaires n’a pas augmenté depuis les 20 dernières années dixit le Syndicat de la Magistrature. Et si le nombre d’incarcérés a passé le cap historique des 60 000 détenus, la raison n’est pas dans l’augmentation de la délinquance mais dans la criminalisation des infractions et le durcissement des peines prononcés. On est donc encore loin du chaos total.
Peut-on, pour autant, parler de militarisation de la police française ? D’un point de vu « profil » sans aucun doute, mais pas d’un point de vu formation, du moins pour l’instant. La « militarisation » de la police française va certainement se limiter à une dotation de matériel puisque cela remplit les objectifs politiques à court terme: séduire l’opinion publique et les fonctionnaires de police et laisser une marge de progression post présidentielle. Un changement de doctrine, c’est à dire un programme d’entraînement offensif adapté aux nouvelles dotations, nécessiterait un budget conséquent et une refonte en profondeur signant, à terme, la fin de la distinction gendarme/police. Le meilleur reste donc à venir.
Cynthia Juve
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