Trois années de campagne contre le groupe néo-nazi Combat 18 vont peut-être finalement porter leurs fruits. Début mars, le QG de la police à Londres a annoncé qu’une équipe d’officiers qui travaillait habituellement sur le crime organisé international allait s’occuper de C18. Searchlight et les représentants de la communauté juive en Grande-Bretagne ont été très présents dans la campagne menée pour obtenir une telle mobilisation. Bien que le bon sens et la justice semblent à présent prévaloir, cette annonce est sans doute le fait de raisons complexes et différentes.
Ceux qui ont «suivi» de près C18 ont pu noter que d’une certaine façon, ce groupe ressemblait étrangement à un groupe clandestin des années 1960 et 1970, Column 88. Ce dernier s’est avéré être une opération montée par les services secrets britanniques, une branche officieuse du réseau Gladio. Column 88 disparut dans le maquis politique lorsque Searchlight et certains membres du Parlement commencèrent à poser trop de questions et même à infiltrer ses rangs. Lorsque cela arriva, une série de groupes néo-nazis furent démantelés et un grand nombre de documents furent fournis aux journalistes enquêtant sur la droite extrême, ce qui ressemblait fort à un écran de fumée servant à masquer la disparition de Column 88.
Lorsque C18 a été créé il y a plus de trois ans, on savait que certaines personnes-clés avaient des liens avec les services secrets. Cela concernait en particulier Harold Covington, un néo-nazi américain longtemps appointé au FBI, Roberto Fiore, un agent du MI6 et Nick Griffin, le chef de l’organisation tercériste internationale. Griffin, qui était très proche de Fiore, avait traîné dans des secteurs variés de la politique nationale et internationale, secteurs qui présentent un intérêt certain pour les services secrets, comme par exemple les formes extrêmes du nationalisme gallois, l’Irak, la Libye et les groupes armés néo-nazis aux États-Unis. Les raisons pour lesquelles le MI5 a voulu établir un nouveau piège au sein de la droite radicale peuvent être comprises dans le contexte dans lequel C18 a été créé. Stella Riminigton venait juste de prendre ses fonctions de directeur du MI5 et c’est à elle qu’incombait la responsabilité de surveiller des groupes loyalistes paramilitaires d’Irlande du Nord, aussi bien en Ulster et en Grande-Bretagne. Alors que la «Special Branch», qui fait partie de la police, avait suivi de près durant 25 ans les républicains irlandais, elle avait négligé le camp opposé (les loyalistes) ces dernières années. Or, c’est durant ces années que certaines sections de loyalistes (UDA et UVF) ainsi que leurs équipes de tueurs ont commencé à coopérer avec les néo-nazis et les néo-fascistes britanniques.
Le MI5 avait clairement besoin de connaître la nature de ces opérations conjointes. C’est ainsi qu’apparut C18. Mais lorsque vous créez une organisation, toute la question est de savoir jusqu’à quel point vous lui laissez le champ libre pour asseoir sa crédibilité. Les choses qui ont alors eu lieu ressemblaient beaucoup aux actions des divers groupes paramilitaires d’Irlande du Nord ; personne n’aurait pu prévoir que ces événements auraient lieu sur le sol de Grande-Bretagne. Ainsi, ce qui avait commencé comme la «permission» accordée à C18 de blesser les anti-nazis dans l’Est londonien et de brûler les librairies de gauche et les locaux anarchistes, se transforma en vol de renseignements qui lui servirent à dresser ses listes de centaines de victimes potentielles.
Lorsque la dernière d’une série de ces listes apparut à Noël dernier, augmentée d’instructions sur les techniques de fabrication des bombes, qui tuer et qui viser, tout cela était allé un peu trop loin. La liste incluait des noms de travaillistes membres du Parlement, celui du chef du parti libéral-démocrate, Paddy Ashdown, du chef principal de la police de Londres, Richard Wall. Quelques heures après que Searchlight eut donné une copie de cette liste aux membres de l’équipe de lutte anti-C18, la police fit une descente chez les chefs connus de C18, Charlie Sargent et Will Browning. Ce dernier était responsable d’attaques contre des membres du BNP qui s’opposaient aux activités criminelles de C18, c’est-à-dire non pas aux attaques contre les personnes, mais au commerce d’armes et de drogues en coopération avec l’UDA. Pour la première fois en trois ans, les policiers ont essayé de bloquer l’initiative du MI5 et de montrer que c’étaient eux les plus aptes à gérer ce genre d’affaires sur le sol national.
Le MI5 n’a jamais caché qu’il désirait travailler dans de nouveaux domaines comme la drogue, les actions de la mafia russe en Grande-Bretagne et dans d’autres secteurs dont Scotland Yard avait jusqu’à présent l’habitude de s’occuper. Les désavantages de la police ne sont pas son manque de connaissances des opérations criminelles mais l’absence de base technologique efficace dont disposent les services secrets.
Le MI5 a fait pression pour obtenir le contrôle de ces secteurs. En particulier, il a utilisé l’argument de la reconversion des agents utilisés durant la Guerre froide. Jusqu’au mois dernier, il semblait que le MI5 allait gagner par défaut, la police se battant peu pour conserver ses attributions. Il apparaît à présent que la situation s’est retournée. Même dans le domaine de la protestation pour le droit des animaux, dont le MI5 était responsable depuis plus de deux ans, la police a maintenant répondu en créant une unité spéciale sous le commandement de l’ancien responsable de l’équipe de police anti-terroriste, le commandant Tucker.
Les trois années passées, la «Special Branch» a manifestement dû subir des pressions qui l’ont empêchée d’enquêter sur C18. Les pressions sont sans doute toujours là, mais les équipes spécialisées, qui risquent leur poste si le MI5 accroît son pouvoir, commencent à réagir.
Dans l’intérêt de la démocratie, ceux qui s’occupent de l’extrémisme politique doivent être contrôlés. Il est tout aussi clair que la démocratie peut être mise en danger si des barbouzes comme ceux du MI5 peuvent conduire de telles opérations.
Même si les activités de la police en Grande-Bretagne sont grandement critiquables, au moins l’opinion publique peut-elle questionner la police sur celles-ci, bien que le gouvernement ait tenté de limiter le processus démocratique de contrôle de la police. Maintenant, pour la première fois peut-être depuis la fin de la guerre, il semble que quelque chose change dans l’approche du fascisme par la police britannique.
Searchlight, the international anti-fascist monthly
Paru dans REFLEXes n° 46, mai 1995
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