REFLEXes

Et maintenant, que vont-ils faire ?

24 avril 2002 Les radicaux

De fait, cette division du milieu l’a durablement marqué. La scène skinhead française présente actuellement un état de décomposition avancée au regard de la situation dans les autres pays européens. Non pas que la mouvance en elle-même ait disparu. On compte sans doute toujours environ 600 boneheads se revendiquant légitimement comme tels. Mais le niveau d’activité de la génération actuelle est pitoyable à côté de celui de la génération précédente. Il demeure d’ailleurs peu de représentants de celle-ci encore en service : on peut y inclure entre autres Franck Malandain du fanzine Il Faudra Bien Vous Y Faire (Rouen), Olivier Draspa avec Charlemagne (Aniche dans le Nord), ou Jimmy Funck (Fraize dans les Vosges). Mais d’une façon générale, la durée de vie des fanzines ou des groupes n’a jamais été aussi brève. Ultime Combat à Marseille aura duré six mois (deux numéros) en 1999, Final Solutiond’E. Cazaban à Toulouse un an (trois numéros), etc. Cette situation est en partie liée à la faiblesse du milieu musical. La scène française compte peu de groupes stables, susceptibles d’offrir un quelconque intérêt pour des interviews, quel que soit le style de musique Oï ou RAC : 9e Panzer Symphonie (Essonne), Celtic Cross (Bretagne), Elsass Korps (Alsace), Bagadou Stourm (Bretagne), Panzerjäger (Nord), Durandal (Val d’Oise), Frakass (Lyon) ainsi que quelques groupes toulousains comme Sang pour sang, Chenin blanc ou Skuld. Une majeure partie de ces groupes est d’ailleurs liée à «l’ancienne» génération, que ce soit Olivier Draspa (Panzerjäger) ou les frères Loisel à Toulouse. Par ailleurs, il est indéniable que le mouvement a une foi moindre en lui-même, ce qui a conduit certains à se reconvertir sur la scène Black Metal ou Hard-Core. Pour autant des concerts[1]) ont lieu avec quelques endroits incontournables comme la région de Bourges sous l’impulsion de Sébastien Legentil et sa copine, Chartres avec Cyril Marchand et Nation 88[2], Limoges avec Mickaël Machadier, Auxerre avec l’association Bourgogne Rock (Joux-la-Ville), Lyon et les Vosges / Alsace. Cette dernière région s’affirme de plus en plus comme l’espace privilégié de développement de la culture bonehead. L’équipe de Poster Service à Gerbeviller, le vivier bonehead de Gérardmer et les Alsaciens fournissent la base suffisante à l’organisation de concerts réguliers et à un activisme tranquille, comme celui des frères Poulet (Arnould – 88), animateurs l’année dernière du fanzine Front Est jusqu’à ce que le placement en détention pour violences volontaires de l’un des deux vienne interrompre momentanément cette publication. La proximité de l’Allemagne est pour beaucoup dans cette situation. Non seulement les caractéristiques du milieu sont les mêmes, en particulier du point de vue de la ruralité, mais le voisin germanique fournit parfois une partie du public des concerts alsaciens. Cela a encore été le cas le 19 février dernier à Seebach, près de Wissembourg. Organisé par l’équipe d’Elsass Korps et le sieur Bilger, le concert a attiré plus de 900 participants dont facilement les 3/4 d’Allemands. Pour autant, le milieu vosgien reproduit la même situation de division et de rivalités que l’on peut retrouver n’importe où, malgré les appels incessants à l’unité et l’apparent soutien aux prisonniers. Ce dernier point est d’ailleurs une source de querelle sans fin, l’équipe de Blood & Honour accusant régulièrement les autres structures s’occupant du soutien aux prisonniers (SP 88 en Normandie ou Sang & Honneur à Gerbeviller) de ne pas reverser l’argent collecté par le biais de la distribution de CD et badges.

Money, money, money…

C’est donc une scène encore très largement marquée par l’amateurisme. La musique White Power, autrement appelée RAC (Rock Against Communism) est pourtant née en Angleterre à la fin des années 1970, contribuant à politiser la mouvance skinhead grâce aux éléments les plus radicaux du National Front. Mais comme on l’a vu précédemment, la France n’a été que tardivement touchée par le phénomène. Les structures de diffusion n’ont pas de statut commercial et se rabattent sur le statut association loi 1901 ou sur pas de statut du tout. La loi 1901 leur interdit en principe de faire des bénéfices mais cette entrave est facilement contournable en salariant les membres de l’association. Par ailleurs, le statut est très confortable du point de vue juridique. De fait, la diffusion est composée comme suit :

- une majorité de petits catalogues de VPC liés le plus souvent à des fanzines ainsi que des labels amateurs. Ces listes sont souvent crypto-NS mais il n’est pas rare de les voir afficher un certain apolitisme, aussi bien dans les styles musicaux que dans les opinions exprimées, même si la xénophobie est un référent commun. On peut citer en vrac Mr Clean (F. Malandain de Rouen), Street Fighting Distribution (Michaël Bellet de Château-Gonthier (53)), Working class Rds (Christian David[3] de Thionville), Nuits Blanches distrib. (Stéphane Brousse[4] de Limoges), Fenris distrib. (Philippe Wagner de Fanjeaux[5] (11)), liste de distrib. (J.-C. Matarese de Mazeres-Lezons (64)) ainsi que les listes des Crânes blasés (Paris) ou Like a shot Rds (Val d’Oise).

- l’émergence de deux ou trois structures à vocation professionnelle. Ces structures ne sont guère différentes des «amateurs» puisque c’est là aussi de la VPC. Mais le matériel proposé montre une démarche de contact avec la scène européenne. Outre Musique & Tradition à Lyon qui distribue tous les styles ou BoHa Rds en région parisienne, le principal label et catalogue est Pit Rds dans l’Essonne. Fondé en 1994 entre autres par Olivier Garnier, le label n’a pas réellement de style privilégié, ayant même été le premier à produire un groupe de RIF, l’inoxydable Vae Victis, sur l’une de leur première compilation France Explosion. L’équipe est malgré tout plutôt orientée Oï et RAC et c’est sans doute la structure de diffusion la plus liée aux productions étrangères White Power. Celles-ci constituent plus de 90 % du catalogue avec quelques «grosses» pointures comme les Américains de Bound for Glory, les Australiens de Fortress ou les Italiens de Gesta Bellica. Il était inévitable que ce développement suscite des rivalités et des jalousies, que ce soit avec d’autres structures aux mêmes objectifs comme Memorial Rds (sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article) ou des groupes boneheads refusant cette dérive commerciale. C’est le cas d’une partie des boneheads du Nord posant la question la plus simple qui soit : «Qui tire tous les liens de ces groupes ? Les sous des concerts, maillots, qui en bénéficie ? Depuis 20 ans tous ces gens se disant pour la race blanche, qu’ont-ils fait de tout l’argent ramassé ? Ils se foutent du mouvement. Leur porte-monnaie est plus important». Ce type de discours n’est pas sans rappeler celui que tenait H. Guttuso en son temps et qui amena les CHS à se rapprocher de la scène Black Metal : «Tous ces habiles marchands sans scrupules au service de leur seul et unique intérêt sont conscients des faiblesses morales du mouvement, ils sont conscients que la scène skinhead est Le Havre[6] de paix des pires matérialistes […]. L’artificielle extase de ces individus primaires est donc assurée au mieux par des catalogues de plus en plus soignés autant en présentation qu’en choix et leur offrant, moyennant des sommes majorées d’une énorme marge bénéficiaire, les derniers gadgets dans le vent pour parfaire leurs panoplies de nazis du dimanche».

Ce constat est bien sûr extensible à tout le commerce White Power européen et nord-américain. Il suffit de consulter quelques catalogues pour remarquer à quel point l’offre de babioles nazies s’est étendue. La production et diffusion française fait heureusement pâle figure et se limite à quelques structures comme ACTE animée par Paul Pittet en Picardie ou Kostia en Normandie. Le catalogue de Pit Rds est emblématique de cette situation. Mis à part quelques pin’s ou T-Shirts… Il faut sans doute y voir la conséquence d’une législation répressive assez ferme de la part de l’État français, contrairement à celle d’autres États comme la Belgique par exemple. De la même façon, les boutiques directement gérées par des skinheads sont rares depuis la disparition des magasins parisiens, du Chelsea au Darklords. Elles se limitent à l’Orange metallique (anciennement Tapé dans le mille) à Cherbourg, le Boys à Béthune et Saint-Omer et enfin le Spirit of London à Limoges. Cette dernière est animée par Michaël Machadier, chanteur du groupe Délit d’opinion.

La tacatacatacatique du gendarme

Cette situation générale du milieu nazi-skin est donc plutôt encourageante et explique que la dizaine de RG travaillant à plein temps sur la mouvance ne soit pas surchargée de travail. Même politiquement, le constat est vite fait. Si le FN reste LA référence politique, c’est surtout parce que le DPS continue de représenter un Eldorado potentiel, une structure amenant reconnaissance et émoluments divers. L’enquête parlementaire sur le service de sécurité du FN, pour aussi incomplète qu’elle soit, a montré succintement que la mouvance bonehead était l’une des filières de recrutement en personnel motivé. Les liens avec le MNR sont globalement inexistants et seul le GUD, ponctuellement, en fonction des situations régionales, parvient à nouer quelques contacts. C’est en particulier le cas à Lille ou Toulouse, mais la méfiance reste latente. L’une des causes en est certainement l’importance des différences sociales entre des gudards issus de la petite et moyenne bourgeoisie et des skinheads à l’origine sociale modeste ou prolétaire. On est donc loin de la grande période du PNFE, lorsque S. Cornilleau était à la tête de quelques dizaines de skinheads politisés. De la même façon, les liens avec l’étranger sont minimes. Mis à part les contacts musicaux, la scène française n’a que peu de relais avec les pays européens, à l’exception des boneheads des régions frontalières, Nord et Alsace. Mais cela reste lié à l’esprit d’ouverture des boneheads allemands ou belges.

De ce point de vue, la palme revient à ces derniers qui ont monté en moins de deux ans un pôle musical efficace à Brugges avec le café De Kastelein. Organisant au moins un concert de Oï par mois, l’équipe du Kastelein se situe à la confluence géographique et musicale de la scène skinhead nord-européenne. Cela rend encore plus manifeste le contraste entre celle-ci et la scène française comme nous allons le voir ci-après.

  1. Quelques concerts de l’année dernière (liste non-exhaustive faute de place dans ces notes !) :
    06 février ; Elsasskorps, Faustrecht et Durandal à une centaine de kilomètres de Strasbourg
    20 mars : Durandal, Bagadou Stourm et Les Vilains à St Amand
    01 mai : Durandal, Londinium SPQR et Mistreat à Chartres
    01 mai : Fraction Hexagone, Sturmtrupp, Involved Patriots à Strasbourg
    19 juin : Panzerjäger dans la banlieue de Lille
    17 juillet : Panzerjäger à Rouvroy (62)
    24 juillet : idem
    07 août : Elsasskorps, Landstorm (le groupe de Jasper), Panzerjäger, Gesta Bellica et Razors Edge dans la banlieue de Strasbourg pour le 6ème anniversaire d’Elsasskorps.
    14 août : Fraction Hexagone, Baignade interdite et Dernier Rempart à quelques kilomètres d’Auxerre
    04 septembre : Panzerjäger à Somain (59)

    11 septembre : Criminal in Feast et The Vero’s (nouvelle formation d’un vieux skinhead issu du groupe Snix dans les années 1980) à Beuvry (62[]

  2. Un peu « grillé » depuis la bagarre survenue entre lui et un membre de Sang & Honneur fin 1998.[]
  3. Dit «Rosco», autrefois animateur du fanzine One Voice et distributeur depuis Segré (Maine-et-Loire) des productions du label nazi et américain Resistance Rds[]
  4. Autrefois l’une des «cibles» de Guttuso et animateur du fanzine Nuits Blanches sur Limoges.[]
  5. Animateur durant trois numéros du fanzine Der Kampf.[]
  6. Allusion pleine de finesse à Greg Reemers.[]
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