REFLEXes

RIFifi à Vitrolles

25 avril 2002 Les radicaux

Dans sa lutte pour la conquête du terrain culturel, l’extrême droite s’est découvert un nouveau vecteur, le Rock rebaptisé Identitaire Français (RIF). Depuis un an, une demi douzaine de groupes émergent, qui se revendiquent de ce courant musical. Dans un premier temps, seul le courant national-révolutionnaire, représenté par Nouvelle Résistance (l’organisation de Christian Bouchet) s’intéressait à ce mouvement. Il était pour eux un porte-voix du mouvement nationaliste en direction de la jeunesse. Mais très vite, certains au sein du Front national se sont rendu compte de l’intérêt qu’il y avait à contrôler un tel mouvement.

L’intérêt pour ce type de rock n’est pas innocent, il permet de développer une culture de droite en direction des jeunes, mais il peut aussi permettre de créer des structures amies et donc de faire travailler des militants à temps partiel ou à plein temps. C’est ainsi qu’ont été réactivés les anciens réseaux du GUD. Cette stratégie s’inscrit aussi dans le cadre de la prise de pouvoir des mégrétistes au sein du Front national qui s’appuient sur la frange jeune proche des NR contre un FNJ «maréchalisé».

C’est ainsi qu’en octobre 1998, la mairie de Vitrolles annonce dans son bulletin municipal la tenue d’un concert de rock identitaire pour le 7 novembre au Stadium avec Vae Victis, In Memoriam et Île de France.

Cette initiative n’a pas immédiatement déclenché l’enthousiasme de toute l’équipe municipale. L’image qui colle au rock d’extrême droite (skin, baston, bras tendus et apologie de la race blanche…) effrayait certains qui pensaient que ce concert risquait de donner une image de la mairie trop marquée. C’est Mégret et son bras droit Fayard qui ont fait le forcing pour que le concert ait lieu. On verra ainsi qu’à chaque stade de l’organisation de ce concert ce sont des proches de Mégret que l’on retrouve.

C’est courant juillet que des contacts sont pris entre la mairie de Vitrolles et une société parisienne intitulée Memorial Records. C’est elle qui produit et diffuse les groupes qui se revendiquent du RIF. Ses principaux animateurs sont Julien Beuzard, le gérant et Mathias Bricage, le directeur administratif et financier. Mais en fait le principal patron n’est autre que Gilles Soulas, un pilier de l’extrême droite activiste française. C’est l’un des propriétaires de la librairie néo-nazie l’AEncre. Cet ancien du Front de la Jeunesse, branche jeune du PFN et du GUD, s’est reconverti dans un business très lucratif : le minitel rose. On le retrouve derrière (c’est le cas de le dire) le 3615 FAF (Femme aime Femme) mais aussi des minitels moins marqués comme 3615 Castings et le 3615 Boukin. Dans la galaxie Mégret, il joue un rôle important, un rôle de financier, mais il a aussi pour tâche de mettre au service de ce dernier ses anciens camarades du GUD aujourd’hui bien installés. Il lui faut aussi récupérer dans l’orbitre mégrétiste les NR comme la revue Réflechir et Agir qui est domiciliée par la société qui gère l’AEncre. Depuis la scission du FN, Soulas est élu au conseil national et responsable du service d’ordre de Mégret, rôle qui n’est pas usurpé puisqu’il est allé combattre en son temps avec les Phalanges chrétiennes au Liban.

Memorial Records et la mairie tombent rapidement d’accord et trois groupes sont proposés : In Memoriam, Vae Victis et Île de France, le tout pour un montant de 80 000 francs (dont 30 000 francs de frais de transport en avion pour 27 personnes, 11 000 francs pour la sécurité et 14 400 francs de cachet). La boîte de sécurité chargée du concert est Ambassy Sécurité domiciliée 84 rue de Wattignies dans le douzième à Paris. À sa tête, on trouve un certain M. Serreau qui n’est autre que l’associé de Soulas à la librairie l’AEncre. L’autre fondateur d’Ambassy est Michel Schneider, un nationaliste révolutionnaire ami des ultranationalistes serbes et russes qui est le bras droit de Jean-Jacques Susini à Marseille, chargé par Le Pen de faire la chasse au Mégret… Serreau a été candidat du Front national et Ambassy a plusieurs fois assuré la sécurité pour des manifestations du FN. Il est intéressant de noter que le contrat est signé entre Memorial et la Sarl GG Organisation, représentée par Michel Gaudin. Or dans l’orbitre de Mégret, il existe une autre société GG Conseil, qui a contribué en 1994 pour 67 000 francs au budget du Front national, ce qui en faisait le deuxième contributeur après Plastic Omnium[1].

À la mairie de Vitrolles, on voit les choses en grand, on prévoit de mettre à la disposition du public des cars au départ de Paris, Lyon, Nice et Toulouse ; le prix d’entrée du concert est faible (50 francs). Le but est d’attirer un maximum de spectateurs. Au service culturel, on parle même de plusieurs milliers de jeunes. La réalité sera heureusement moins rose. Tout d’abord, la FNAC refuse de prendre les billets du concert en location, l’affichage est inexistant sauf à Vitrolles. Les cars prévus ne seront jamais remplis (les deux cars de Paris ne prendront pas la route). La pub fonctionne à l’envers, personne n’a envie de bosser sur un tel concert.

Dans la nuit du 29 octobre 1998, une charge explosive détruit l’installation électrique de la salle louée (le Stadium), la rendant inutilisable pour le concert. L’attentat est d’abord revendiqué au nom du groupe FTP puis démenti quelques heures plus tard. Pour les enquêteurs, l’opération s’apparente à une opération «menée par des professionnels» à l’inverse des autres attentats de ce groupe.

Or le Stadium s’est trouvé être un enjeu électoral durant la campagne des municipales, Mégret en faisant le symbole du gaspillage de l’argent public de l’ancien maire PS Jean-Jacques Anglade. Dans les tracts de Mégret, le Stadium était comparé à la pierre noire de la Mecque (dont il a la forme), un lieu destiné aux «Arabes et aux pédés». De plus, le contrat d’exploitation liant la mairie à la société en charge de gérer le Stadium arrivait à expiration. On peut se poser beaucoup de questions sur les auteurs et les motivations de cet attentat. Évidemment, Mégret se pose en victime et annonce que le concert aura quand même lieu. Mais ses ennuis ne sont pas finis. La mairie décide que le concert se passera sur le parking du Stadium et veut installer un chapiteau. Comme par hasard, les candidats ne se bousculent pas pour louer leur matériel. Seule une boîte de Géménos, Azur Chapiteaux, accepte. Reste le problème de la sono, là encore aucune boîte de matériel de sononorisation, tout semble loué. Le jour du concert à quatre heures de l’après midi, toujours pas de sono et les balances ne sont pas faites.

En désespoir de cause, la mairie décide de se servir de la sono de la salle des fêtes de Vitrolles et envoie une équipe d’employés municipaux la chercher. Là encore, il y a un contretemps lorsqu’ils veulent démarrer le camion, l’antivol a été cassé et le camion ne veut pas partir. Après ces nombreux contretemps et une balance expédiée en quatrième vitesse, la soirée commence. La zone autour du concert est quadrillée d’une part par la police nationale, par la police municipale mais aussi par la sécurité du Stadium. Ces derniers semblent trop métissés aux yeux du responsable du concert qui demande au chef de la sécu du Stadium de relever ses vigiles trop «bronzés» du parking. Le responsable de la sécu promet de lui éclater personnellement la tête s’il arrive quoi que ce soit à un de ses gars. Du coup l’autre préfère ne pas insister. Sur le parking, il y a peu de voitures, et encore moins de voitures immatriculées en dehors de la région (deux de la Seine-Saint-Denis et une bande de skins lyonnais au drapeau tricolore).

À l’entrée du chapiteau, les appareils photos sont interdits, l’équipe de France 2 qui voulait filmer le concert est refoulée. Tous les journalistes sont obligés de présenter leur carte de presse, de décliner leur nom et le titre de leur journal. C’est ainsi qu’une journaliste de L’Humanité se fait bousculer par quelques courageux sous les yeux impassibles de la sécu d’Ambassy et d’Yvain Pottiez, un contractuel à qui la chasse aux journalistes a dû rappeler des souvenirs.

À l’intérieur, c’est le désert, pas plus de 300 personnes à vue de nez, et parmi elles pas mal de représentants de la municipalité, certains mêmes ceints de leur écharpe tricolore. D’autres plus âgés accompagnent leur progéniture. Parmi les plus jeunes, on pouvait reconnaître des fachos aixois regroupés autour de Damien Leclère, responsable de Renouveau étudiant, Ombruck et ses acolytes de Impact (la revue qui remplace Napalm Rock[2], les Niçois de Fraction Hexagone accompagnés de leurs copines, quelques Italiens. Le bide complet. Fraction Hexagone demande à jouer, mais le staff de Memorial refuse. Ils ont juste droit à quelques dédicaces de la part des groupes sur scène. Question stands, peu de choses, à part la boutique grenobloise Terres Celtiques. Question ambiance, c’est froid. Les plus excités sont les skins de Lyon, qui n’arrêtent pas de lever le bras mais on calme rapidement leur ardeur intempestive, trop politiquement incorrecte. La soirée s’étire jusqu’à deux heures du matin, devant un public de plus en plus clairsemé. Ils ne sont qu’une centaine à tout casser à la fin.

Le concert a été un bide et un crash financier, il a coûté 150 000 francs en comptant les groupes, la location du chapitau, les groupes électrogènes, les sonorisateurs et les techniciens. Il n’a réussi à attirer que 300 personnes (en comptant le fort contingent de conseillers municipaux), ce qui fait 500 (15 000) francs par entrée payante (50 francs). Un concert de rock nazi subventionné à 90% est un bel exemple de gestion mégrétiste. Pour le RIF, l’opération financière est plutôt positive (80 000 francs) mais politiquement il se sont compromis avec Mégret. Ce n’est peut être pas le cheval idéal…

Ce qu’en ont dit les intéressés…

Pas de surprise. Pour la municipalité de Vitrolles, le concert du 07 novembre a bien sûr été un pur succès et a attiré près d’un millier de jeunes de Vitrolles et de ses environs. Son Bulletin municipal lui consacre une page entière, dont une large partie consiste en un descriptif des groupes musicaux participants. Ce communiqué triomphal est évidemment de bonne guerre. Las ! Il était démenti peu de temps après par un petit article dans Français d’Abord qui montrait un peu plus de lucidité dans sa présentation de la soirée. Le nombre de participants était ramené à 300, le concert s’était «étiré de 21 heures à 2 heures du matin». Restait «le courage de Catherine Mégret, Gilles Soulas et des groupes musicaux invités», confrontés aux «sabotages au sein des services techniques de la ville où sévissent encore quelques syndicalistes zélés et allergiques au verdict du suffrage universel». Sans doute des gens qui ne savent pas reconnaître la vraie kultur et la bonne musique…

Par ailleurs, Le Lansquenet, magazine du Renouveau Etudiant aixois, a consacré une page au concert, sur un ton dithyrambique cela va de soi. Ne se posant aucune question sur l’origine de l’attentat, l’auteur de l’article entonne le traditionnel refrain de la persécution et du courage des nationalistes. Mais c’est une chanson que l’on connaît…

RIF & boneheads

Non moins sans surprise, le FN-MN oppose le gentil RIF à la musique de brute skinhead, dénonçant lors du concert une «campagne de presse mensongère amalgamant musique skinhead et RIF». Il faut dire que depuis un Premier mai de triste mémoire qui vit l’assassinat d’un homme d’origine marocaine par des boneheads, les relations entre ces derniers et les FNs se sont pour le moins distendus… De fait, à première vue, peu de rapports entre les gentils Vae Victis, leur princesse gauloise et leurs «chansons évoquant la terre ancestrale, les épopées lyriques et épiques de nos aïeux» et les affreux de la 9°Panzer Symphonie, boneheads de la région parisienne dont on retrouve l’humour pince-sans-rire dans le fanzine Engrenage infernal. Pourtant, on retrouve ces deux groupes sur une compilation de 1995, France explosion vol.1, en compagnie d’autres lascars. Mais la concurrence musicale est rude et face à une scène bonehead qui reprend du poil de la bête, le RIF a intérêt à marquer sa différence. Le créneau «rock dur» étant occupé par les groupes Oï ou RAC, les groupes de RIF essayent de profiter du regain d’intérêt pour la musique d’inspiration celtique en mélangeant certains accords. Mails il est évident que le soutien qu’ils rencontrent au sein de la jeunesse nationaliste est avant tout idéologique, plus que qualitatif. Le RIF profite des réseaux de distribution mis en place par les FNs et joue la carte de l’ouverture en se moquant éperdument du soutien bonehead. Il n’est pas évident que celui-ci soit dupe longtemps…

Encadré de l’édition papier

Tout passe par le service culturel de la mairie ; à sa tête se trouve Brigitte Marandat, déléguée à la culture. C’est une militante de longue date, sa famille aussi. On retrouve des membres de la famille dans l’OAS dans les années 1960, puis au PFN dans les années 1970. Les deux frères ont vécu les beaux jours du Groupe Union Droit : Bernard, le docteur, était responsable du GUD à la faculté de médecine de Marseille. Il intègre vite le Front national quand celui-ci devient porteur et il s’occupe un temps du FNJ. Avec l’âge et les diplômes, il devient le responsable du Cercle National Santé Phocéa, une structure FN créée en direction du monde médical, longtemps en sommeil. Il est actuellement conseiller municipal de Marseille. Au moment de la scission, il a choisi Mégret, et il était présent au congrès de Marignane. Il est un des maillon essentiels dans la stratégie municipale de Mégret, comme responsable des Cercles Marseille Renouveau, une structure destinée à faire passer le message mégrétiste chez les décideurs économiques de la ville. Son frère Jacques était lui responsable du GUD à la faculté de droit d’Aix-en-Provence. En 1976, à la sortie d’un cinéma sur le cours Mirabeau il se retrouva nez à nez avec un responsables des JC locaux qui lui mit un coup de tête et l’envoya à l’hôpital. Le GUD national décida de le transformer en martyr et décréta une journée d’action à Assas le 9 avril 1976.

Aux côtés de Mme Marendat, on trouve Sandrine Lagardère, qui présente la particularité de porter en pendentif une croix celtique. Toujours dans l’organisation du concert, il y a Yves Bovero, président de l’association Marseille Liberté, association qui servait à recueillir les chèques pour la création de la SCI Liberté 13. Cette SCI était chargée d’acquérir le nouveau siège du Front national pour les municipales de 2001. Avec la scission, les fonds se sont taris et il n’est plus question de SCI pour le moment.

Publié à l’automne 1998

  1. cf. REFLEXes n°50[]
  2. cf. REFLEXes n°50[]
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