REFLEXes

14 Mai 2011 à Lyon : les cochons à masque découvert

19 mai 2011 Les radicaux

Bilan d’un après-midi calamiteux pour les Identitaires dans la capitale des Gaules…

Rebeyne ! ou l’art de créer le buzz…
(Merci Fabrice, bravo Pierre.)

En annonçant près de deux mois à l’avance (début mars) leur « marche des cochons » les identitaires lyonnais entendaient organiser une manfestation d’envergure, au retentissement national, dans la continuité de la manifestation Une Autre Jeunesse du 23 octobre 2010 à Paris. L’appel se voulait large en espérant attirer un public hors des milieux nationalistes. La communication Internet reprenait le modèle des « apéros saucissons pinards », gentillette et bon enfant, afin de ne pas rebuter les sympathisants potentiels et ménager les autorités locales dans un contexte lyonnais tendu depuis près de 2 ans. Pour autant la Préfecture du Rhône ne s’y est, dans un premier temps, pas laisser prendre en interdisant la manifestation par crainte avant tout d’affrontements en plein centre-ville entre cortège nationaliste et cortège antiraciste. Mais une question peut être posée : les identitaires avaient-ils vraiment pour objectif de défiler ? En effet, si l’on considère que leur dépôt de la manifestation n’a été fait que le lundi 2 mai au matin (et l’annonce du point de départ sur le site de l’évènement et le groupe facebook associé, place Saint-Jean, la veille), les identitaires ont pris sciemment le risque que leurs opposants télescopent leur démarche en déposant à la même date une contre-manifestation, ce qui a été fait dès le 29 avril par le Collectif de Vigilance 69. Les identitaires auraient-ils volontairement fait en sorte que la manifestation soit interdite pour pouvoir créer « l’évènement » et se mettre dans la posture de victime du système et de résistant face au politiquement correct ? En tout cas ils auraient voulu le faire qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement.

Les médias lyonnais comme agence de com’

Après avoir attiré l’attention des médias suite à l’annulation par la préfecture, les jeunes identitaires de Rebeyne ont voulu tirer un profit maximal de l’événement. Ils organisèrent alors une conférence de presse dans leur tout nouveau local en invitant avec insistance les journalistes lyonnais. Il ne faut pas l’oublier, le Bloc Identitaire est en campagne. L’organisation de cette manifestation ne devait servir au final qu’à donner de la visibilité médiatique à la candidature d’Arnaud Gouillon qui a pour l’instant bien du mal a attirer les journalistes et à se rendre audible face à l’omnipotence de Marine Le Pen. Quand on est pas « bancable », on crée son propre plan médiatique. Autant dire que cela a marché, de manière limitée certes, puisqu’avant le « Jour J » le rassemblement identitaire ne faisait pas la une des journaux mais générait un relatif buzz par les nombreux articles ou reprises de dépêches AFP parus sur les sites des médias locaux et nationaux.
Ils ont su donner clé en main un sujet aux journalistes, ceux-ci ne sachant fonctionner qu’avec de l’évènementiel. Voilà près de deux ans que la situation face aux droites nationalistes inquiète et mobilise sur Lyon et que les médias locaux s’en désintéressent parce que certainement pas assez rentabilisable. Cela ne fait que quelques mois qu’ils se penchent vraiment sur la question, le goût du sang et de la violence finissant toujours par susciter l’intérêt, et puis une « Une » racoleuse rapporte toujours un peu. Bien plus que de remercier ironiquement les organisations de gauche ou d’extrême-gauche, les identitaires devraient remercier certains journalistes avec qui ils savent entretenir les relations qu’il faut.

La préfecture du Rhône et les services de renseignements dans les choux farcis

Complètement dans les choux ou sombrement incompétents ? La préfecture du Rhône semble ne pas bien connaître la situation réelle des bandes de jeunes apprentis fascistes qui font leurs certains quartiers de la ville. Quand dans les années 1990 les bandes de skins nationalistes polluaient le quartier de Perrache ou d’Ainay, les nouvelles générations occupent les pavés de Saint-Jean ou le quartier du Stade de Gerland les jours de match. Des territoires entiers passés sous un « contrôle » informel, imperceptible mais bien réel si l’on est un peu trop basané ou « potentiellement » de gauche. Un laissez-faire curieux quand l’on connait le développement sécuritaire que vit le quartier populaire et cosmopolite de la Guillotière. Un deux poids deux mesures qui ne surprend guère. Certainement mal informée par les services de renseignements, eux-mêmes visiblement pas trop au fait et plus occupés avec le grand banditisme ou les réseaux islamistes, la préfecture résume la situation à un affrontement entre bandes : fachos contre gauchistes et vice versa. La meilleure manière d’éluder la question et de dissimuler son incompétence. Le laisser-faire donne place à un contexte de tensions et de violences que les autorités locales ne savent plus gérer, et craignant une escalade avec les militants de gauche qui s’en préoccupent, préfèrent miser sur la stigmatisation des deux camps ainsi formalisés par la rhétorique. En cela elles sont bien évidemment aidées par la presse locale et une partie des journalistes qui savent mettre dans leurs articles les informations directement données par des responsables de la SDIG, sans les recouper, comme Elise Blanchard ou Fabien Fournier de Lyon Capitale semblent s’en être fait une spécialité.

L’incompétence des autorités préfectorales s’est affichée de manière concrète le 14 mai. Après l’annonce d’une ville sous total contrôle policier avant et après le rassemblement identitaire, les 400 agents des forces de l’ordre apprêtées pour le week-end n’ont pas empêché une centaine d’activistes nationalistes (une majorité de boneheads et surtout de hooligans, en pointe pour le contact)[1] de tenter la traversée du pont La Feuillée pour rejoindre les pentes de la Croix-Rousse considérées comme le repère des « antifascistes radicaux ». La brève rencontre avec un groupe hétéroclite de 70 « antifascistes » arrêtera leur progression, la marée-chaussée finissant de les reconduire dans le quartier Saint-Paul après avoir pris soin de prendre en étau et d’interpeller quatre des « antifascistes » présents. En retournant dans le vieux Lyon, la meute de boneheads s’en prendra aux commerces tenus par des personnes d’origine étrangère. La préfecture et les services de police étaient au courant des risques et avaient même agité ce chiffon rouge pour prévenir qu’aucune faveur ne serait faite aux « deux côtés », mais au final ils n’ont rien évité et ce qui devait arriver arriva. On appelle ça un beau fiasco, sauf pour Albert Doutre, le directeur départemental de la sécurité publique, qui arrive quand même à déclarer : « On a assuré la paix publique avec des gens déterminés dans les deux camps à mener des actions violentes ». Pas sûr que les commerçants attaqués ou les personnes hospitalisées dans la nuit de samedi à dimanche partagent ce point de vue et il serait légitime qu’ils demandent des comptes à qui de droit.

Identitaires ? Non, plutôt Bones & Hools Party

C’est sur la musique du groupe antiraciste anglais The Clash – la récupération culturelle est devenue une marque de fabrique de ce courant politique ! – que les militants et sympathisants nationalistes ont commencé à se rassembler place Saint-Jean à partir de 13h30. Arrivant par groupes de 10 à 50, par le métro ou par les rues de Saint-Jean, ils furent bien 400 au plus fort du rassemblement. Venus de plusieurs villes, et parfois de très loin (Bretagne, Lorraine, Var, Sud-Ouest…), les participants représentaient les tendances les plus radicales de la droite nationaliste. Comme attendue, la mouvance néo-nazie menée par Lyon Dissident était présente en force, partie à 13h00 du local de l’Impasse de l’Alphate par groupes de 50 ou moins, prenant le tramway ou le métro place Jean-Macé. Visiblement le mot d’ordre de laisser les déguisements ne fut pas entendu par grand monde, le rassemblement ayant des airs de défilé de collection Fred Perry et Lonsdale.

On pouvait noter ensuite une bonne proportion de supporters indépendants et autres hooligans lyonnais, ainsi que des proches des Bad Gones ou de Lyon 1950. A ce titre d’ailleurs, il semble que même chez certains hools ou ultras lyonnais la collusion forte actuellement entre politique et « football » commence à agacer. Ainsi un mot d’ordre là aussi avait été donné par des leaders du groupe Lyon 1950 : pas de marque d’appartenance au groupe de supporters lors du rassemblement identitaire. On a pu remarquer également la présence de supporters parisiens du Kop Of Boulogne, de militants du GUD Paris mais surtout une petite délégation de l’English Defense League qui a du ravir tous les fans locaux du milieux hooligan anglais.

Les Identitaires, bateau ivre de l’extrême droite française

Quel est le bilan politique pour les Identitaires ? Ne leur en déplaise, leur rassemblement est un magnifique échec. D’une part le nombre de personnes présentes n’était pas à la hauteur de ce qu’ils pouvaient attendre. Qu’ils se se gaussent d’avoir rassemblé un peu plus de 600 personnes est une chose, la réalité en est une autre et n’importe quel observateur présent sur place – sauf peut-être la police ? – aura pu constater que ce nombre affiché de 600 est ridicule.
Mais l’essentiel est ailleurs. Très embêtant pour eux, ils n’ont pas mobilisé en dehors de leur famille politique et au contraire, ce sont les éléments les plus ingérables qui ont fourni l’essentiel des troupes. Or, nous aurons l’occasion d’y revenir dans un autre article, il faut rappeler que toute la stratégie identitaire s’est construite depuis 10 ans sur le paradigme de la « rupture » : rupture avec l’extrême droite nationaliste et a fortiori néo-nazie, rupture avec les vieilles lunes thématiques de ce courant, rupture avec les formes connues de mobilisation. Ce 14 mai est venu démontrer que non seulement les identitaires n’avaient pas les capacités pour imposer cette rupture dans leurs propres apparitions d’envergure nationale mais surtout qu’ils étaient les premiers responsables de cette situation par le manque d’intelligence politique de leurs dirigeants. Face au phénomène Le Pen, les identitaires se sont en effet lancés dans une surenchère contre « l’islamisation » de la France dont l’invitation lancée à l’EDL[2] est un signe manifeste. Il y a fort à parier que plus d’un militant identitaire sera resté perplexe devant le décalage entre l’image renvoyée par le calamiteux rassemblement de samedi et les prétentions affichées par la direction du mouvement. La fin de l’après midi dans le quartier Saint-Jean en est l’illustration. D’un côté le cousin un peu bas du front sans un poil sur le caillou et pas grandchose en dessous, de l’autre le cousin éloigné qui rêve d’être champion de MMA. Pas de familles, pas de délégations d’artisans charcutiers, pas de groupe de défenseurs des animaux, non, surtout des skins et des hools, un soupçon de cathos tradis méchus et quelques étudiants de Lyon 2 et Lyon 3. Bref beaucoup d’efforts médiatiques et d’image pour que la réalité de leur auditoire s’exprime dans l’attaque de vitrines de kebabs. Diantre, on est toujours trahi par les siens !

  1. Parmi eux on retrouvait quelques têtes connues comme Bodega, indep de Boulogne ou l’inénnarable Jean-Baptiste Coquelle du GUD, qui après avoir échappé une première fois de façon mystérieuse à une GAV après sa virée nocturne du 9 mai 2011 est de nouveau passé entre les mailles du filet à Lyon samedi dernier lors des affrontements avec les antifas et les flics.[]
  2. Rappelons qu’il y a encore un an le Bloc Identitaire avait décliné l’invitation de l’EDL à participer au rassemblement d’Amsterdam, considérant que l’association avec ce mouvement serait politiquement négatif. Tout change…[]
Cet article est libre de droit, mais nous vous demandons de bien vouloir en préciser la source si vous en reprenez les infos : REFLEXes http://reflexes.samizdat.net , contact : reflexes(a)samizdat.net

Vous aimez cet article ? Partagez le !

Les commentaires sont fermés.