REFLEXes

Sur la toile, qui va régner ?

29 novembre 2004 Les institutionnels

Si l’amateurisme ne peut être reproché aux sites des nationalistes radicaux, qui ont déjà le «mérite» d’exister, il va de soi que le FN et le MNR, en tant que partis institutionnels, se doivent de présenter sur la Toile un visage professionnel et moderne. Si, on le verra, les apparences sont sauves, les contenus ne répondent pas vraiment aux exigences qu’on pouvait en attendre… Mais qui s’en plaindra ? En octobre 2001, dans une interview donnée à des journaliste du site LaPolitique.com, Jean-Marie Le Pen considérait Internet comme «un élément qui peut changer la donne politique» et précisait qu’il mettait «un grand espoir dans les moyens nouveaux de communication qui permettent de contourner les édifices institutionnels de l’information». Cette déclaration, qui pourrait apparaître comme une simple concession à l’air du temps, s’intègre en réalité dans la lignée d’options stratégiques anciennes au Front national en terme de communication et de propagande politiques.

Propagande high-tech

En effet, le FN, suivant en cela une certaine tradition d’extrême droite, a toujours accordé une grand eplace à la propagande et à ses outils, avec en prime une certaine fascination pour les nouvelles technologies. Dans le champ politique, il a même souvent été novateur : cassettes de propagande audio puis vidéo, meetings retransmis par satellite… Tout est bon pour faire passer le message. Il investit également très tôt le Minitel et les services audiotel : «Les moyens techniques les plus modernes pour communiquer directement et sans trucages avec les Français», claironnait Martial Bild dans une publicité parue dans National Hebdo au début des années 1990 pour le service audiotel du FN. Actualités, programme «en ligne», dialogue avec des élus, agendas, jeux (avec des badges de Maurras à gagner !), possibilité de recevoir par fax les communiqués : le 3615 LePen, animé en son temps par Gérard Fraysse, proposait un ensemble de services conséquent, facturé quand même au prix fort. Ces services existent toujours aujourd’hui.
En 1995, premiers pas dans le monde de l’informatique : à l’occasion de la fête annuelle des BBR, Philippe Le Gallou, fils de Jean-Yves (aujourd’hui n°2 du MNR), sous le pseudonyme transparent de Philippe Blanc, proposait pour cinquante francs un jeu vidéo reprenant le principe de Pac Man, dans lequel, sur fond d’opéra wagnérien, un minuscule Le Pen doit ramasser de petites flammes tricolores en évitant les «anti-FN» représentés par Mitterrand, Jospin, Chirac et Fodé Sylla, le président de SOS Racisme… Ce jeu avait à l’époque été présenté par Le Gallou père comme le signe d’une «volonté d’utiliser les moyens de communication les plus modernes». Manque de chance, trois mois plus tard, suite à une plainte de Fodé Sylla, les exemplaires du jeu étaient saisis et le tribunal de Nanterre condamnait Le Gallou fils à 1000 francs d’amende.

Front.nat.com

Quelques semaines plus tard, au milieu de l’année 1996, le Front national ouvrait son site officiel sur Internet, inaugurant ainsi le premier site d’un parti politique français, suivi de près par les Verts. C’est une fois encore à l’occasion des BBR, en septembre 1996, que les militants furent invités à prendre connaissance de la chose, dans le cadre de la présentation de l’organisation du parti. On retrouve Martial Bild comme responsable du site, en tant que secrétaire national à l’information et à la communication interne, et la réalisation en est confiée à la société Arobaz, dont le gérant est Guillaume Fiquet, l’adjoint de Bild. Le site s’enrichit un peu plus chaque année, mais sans jamais véritablement développer les nouvelles possibilités offertes par Internet : ni forum, ni interactivité, le site se contente d’aligner textes et images (photos puis vidéos), et de rénover régulièrement l’habillage du site, jusqu’à arriver à une présentation «professionnelle», mais plutôt conventionnelle. Dans la nuit du 29 au 30 janvier 1999, le FN connaît son premier piratage, signé «Raptor 666». La page d’accueil est remplacée par une photo de Le Pen ainsi légendée : «Cet homme incarne une valeur… le racisme.» et l’on trouve sur le site des textes appelant à la dissolution du parti et du DPS. Quelques mois plus tard, le site est hacké une seconde fois, par Spacewalker de BHZ.org.

Piratage contre Mégret

Mais le Front national n’est pas non plus le dernier à bidouiller sur Internet. Ainsi, en pleine crise FN/MN (pour Mouvement National, le premier nom du MNR), au printemps 1999, Fiquet eut l’idée de souffler sous le nez au MN des noms de domaines tels que «mouvement-national.com», «megret.org» ou encore «megret.net» (sites qui ne proposaient pour seules informations que le nom et les coordonnées d’un militant FN !), espérant ainsi dans la confusion récupérer des internautes mégrétistes. Mais Bruno a vu rouge : une plainte a été déposée, le MN a gagné son procès en référé le 31 juillet 1999 et le FN a été condamné à 8000 francs de dommages et intérêts. À l’époque, le Front avait présenté ces indélicatesses comme une réponse à la tentative du MN de s’approprier de façon exclusive le nom et le logo du FN…
En retard sur ses homologues européens (le Vlaams Blok par exemple), le FN n’avait pas tout de suite pris la mesure des possibilités offertes par Internet. Aujourd’hui, boosté par l’indifférence des médias, il a décidé de faire de son site une machine de guerre électorale Quant au MNR, sa présence sur Internet est un gage de survie (au moins virtuelle !). Reste à savoir si l’un et l’autre ont les moyens de leurs ambitions.

Les sites du FN et du MNR à la loupe

Le site du FN et celui du MNR cohabitent donc aujourd’hui. Nous nous contenterons ici d’étudier le site officiel de chacun des deux partis. Les sites ouverts par les fédérations locales, éphémères, sont souvent gérés de façon autonome, et ne s’inscrivent pas véritablement dans les choix stratégiques des partis sur la question d’Internet.
Pour en revenir aux sites officiels, ils sont l’un et l’autre construits sur un modèle similaire. On retrouve d’ailleurs un air de famille dès la page d’accueil : une dominante bleu et blanc, un bandeau en haut de page avec le nom du parti, l’omniprésence du logo à chaque page, la photo du chef, l’accès direct aux derniers communiqués… Le FN propose en plus en introduction une animation flash plutôt longue et sans intérêt. Le MNR, quant à lui, propose dans un recoin de son site un «clip» vidéo. Ces tentatives pas très heureuses d’exploiter au maximum les possibilités «multimédia» d’Internet, tout comme les extraits vidéos, sont les seules concessions véritables à la surenchère technologique, car pour le reste, le texte reste le support privilégié.
Le plan de chaque site reprend les rubriques attendues : une page d’accueil (qui renvoie directement aux pages d’actualités : communiqués, campagne en cours, nouvelles publications, agendas), une présentation du parti (historique, programme, contact des fédérations, communiqués), une présentation des dirigeants et des élus, la mise à disposition de la propagande (discours, publications, tracts, affiches, «boutique», photos et vidéos, liste de diffusion), une sélection de liens, un contact e-mail. Cependant, des différences assez révélatrices peuvent être constatées dans chacune de ces rubriques.
Pour ce qui est de la présentation du parti, le FN met en avant sa structure interne : l’organigramme y est détaillé service par service, secrétariat par secrétariat, tandis que le MNR se contente de listes de noms du bureau ou du conseil national… En revanche, la présentation des fédérations par le biais d’une carte de France donne l’avantage au MNR, tandis que le FN se contente d’aligner les adresses ou de proposer des pages vides. Quelques rares fédérations locales, en général grâce à un militant par ailleurs professionnel d’Internet, ont ouvert leur propre site. À noter que les mouvements de jeunesse ont aussi leur propre site : mais celui du FNJ n’est pour ainsi dire jamais remis à jour, et celui du MNJ se contente d’y mettre en ligne sa feuille de choux Robur. Seuls quelques sites locaux témoignent d’un semblant d’activité. De la même façon, les cercles nationaux, les associations-satellites du FN, dont on trouve la liste sur le site, n’ont pas de sites web.

Le Pen à poil sur Internet

Concernant les dirigeants, si on trouve dans les deux sites une hagiographie des leaders respectifs, Le Pen a également son propre site, improprement intitulé Lepen.tv, qui propose de longs textes romancés relatant la vie du chef depuis sa petite enfance, qui sont également abondamment illustrés. Signalons à ce propos que les photothèques proposées sur les sites du FN et du MNR sont elles aussi révélatrices. Celle du FN, extrêmement fournie, est scindée en quatre rubriques : «Le parcours de Jean-Marie Le Pen» (des photos de famille et de jeunesse), «Les rencontres importantes» (Le Pen et le pape, Le Pen et Saddam Hussein, Le Pen et Alain Delon, Le Pen et Alain Prost…), «Le Président du Front national», et enfin une rubrique «divers FN» dont la moitié représente… Le Pen, et l’autre des photos de foules galvanisées, une photo de sa femme, quatre ou cinq photos de Gollnisch. La photothèque du MNR, qui rassemble une vingtaine de clichés seulement, représente certes en majorité Mégret, mais c’est sa femme qui est représentée sur la première, et les photos de groupes sont préférées aux portraits. Enfin, si le MNR propose en ligne les discours prononcés par l’ensemble des responsables du parti, la vingtaine de discours en ligne sur le site du FN sont, à deux exceptions près, des discours de Le Pen.
Pour ce qui est des publications, le FN a ouvert un site dédié à sa seule publication officielle, Français d’Abord !, qui propose les textes principaux du numéro en cours, sans archives consultables. Ce site est resté plusieurs mois sans mise à jour, mais semble avoir repris son activité. Le MNR, lui, se contente de proposer en téléchargement l’édito et un extrait du dossier de son mensuel Le Chêne, au format PDF (le texte ne peut être copié) ; les archives sont certes téléchargeables, mais elles aussi limitées et d’une taille (environ 1 Mo) assez décourageante. Cette mesquinerie est compensée par la mise en ligne de l’intégralité des livres de Mégret d’avant et d’après la scission (La Flamme, Le Chagrin et l’Espérance…).
Mais seul le FN a réussi la mise en place d’une information quotidienne sur la durée, tirant parti d’un des avantages principaux d’Internet, à savoir l’immédiateté. Tandis que le MNR a tenté en vain de proposer, sous forme d’édito, un commentaire jour après jour de l’actualité, et se contente de faire circuler sur sa liste de diffusion ses communiqués de presse, le FN envoie depuis mars 2000 à tout internaute inscrit sur sa liste un bulletin d’informations quotidien, rédigé par un certain George Moreau : à l’origine simplement intitulé Quotidien-Presse, il change de nom en juillet 2001, pour devenir Français d’abord ! Quotidien, signe de sa reconnaissance en tant que bulletin officiel du FN. La formule a peu évolué depuis son lancement : de courts articles sur l’actualité française, principalement politique, sur les prises de positions du FN, sur des faits divers, et toujours une brève concernant l’international en guise de conclusion. Les principaux rendez-vous du Front ainsi que les communiqués de presse du parti sont joints à la lettre. Signe du succès de ce bulletin, de nombreuses remises à jour techniques perturbent de temps à autre l’envoi du bulletin, probablement afin de faire face au nombre de demandes…

Tapis de souris FN

La propagande proposée en ligne est également à l’image de chacun des partis : livres, CDs (la fine fleur du RIF) et épinglettes plaqué or en forme de feuille de chêne (le logo du parti) pour le MNR, et tous les objets possibles et imaginables dans la «boutique» FN : jeu de tarot, écharpe en tergal, eau de toilette (!), tapis de souris, pince à billet et autres ciseaux pliants siglés «FN» sont disponibles à la commande (mais par courrier). Pour le reste, rien qui ressemble à de l’interactivité : ni jeux (type quizz), ni cybervote, tout juste quelques pétitions à faire signer et tracts ou fond d’écran à télécharger. Le visiteur n’est pas invité à participer, mais à consommer. Pas de forum de discussion non plus (le site du FN de Sevran, mené par Roger Holleindre, avait ouvert un forum en mai 2001 : il existe toujours, et ne contient que trois messages, dont deux du webmestre…). Les deux sites ne proposent même pas un livre d’or.
Autre incontournable sur tout site web, la rubrique «liens» met visiblement mal à l’aise nos deux partis en quête de respectabilité : si chacun y renvoie vers les sites des villes qu’ils dirigent ou vers les sites des fédérations, les liens vers l’extérieur sont bien rares, voire, dans le cas du MNR, inexistants. Quant au FN, outre une liste des sites de tous les autres partis politiques français (on y trouve le Parti de la Loi naturelle et tous les partis régionalistes, mais pas le MNR !), s’il propose des liens vers l’étranger (FPÖ autrichien, Alliance nationale italienne, Front nouveau de Belgique, Phalanges libanaises…) et vers des journaux nationalistes en ligne (National Hebdo, Action française, Gazette de France…) de façon assez cohérente, la sélection de sites qualifiés d’«intéressants» laisse songeur : un site à la gloire des marsouins (les militaires, pas les animaux), un consacré à Napoléon et un autre à Céline, un site «contre la frénésie autoroutière», celui d’un élevage de dobermans alsaciens… Un ensemble pour le moins hétéroclite, mais qui surtout néglige les sites nationalistes français les plus actifs, ou les sites plus spécialisés (sur la sécurité par exemple). La peur de perdre le contrôle d’un média qui sent encore le soufre est palpable dans ces choix, et ne témoigne pas de l’esprit d’ouverture auquel il est généralement associé. Pourtant, le FN fait un effort visible pour prendre en compte la dimension mondiale d’Internet, en proposant une version light de son site en anglais.

Cyber-campagne

Mais ce sont surtout les élections qui ont motivé les partis d’extrême droite dans leur investissement sur Internet, d’autant que les médias leur ont fait la tête pendant les années 2000 et 2001. Pourtant, le FN ne s’est pas réveillé plus tôt que les autres partis politiques dans ce domaine : rien en 1997 en dehors des résultats obtenus, et il a fallu attendre les européennes de 1999 pour voir émerger un site dédié, avec liste des candidats, profession de foi sur l’Europe, liens vers les «amis» européens, mais le tout est resté bien pauvre. Pour les municipales de 2001 en revanche, c’est l’explosion, et de nombreux candidats FN ont leur site perso, qui ne seront plus remis à jour pour la plupart des le lendemain des élections… Enfin, c’est vraiment avec la perspective de l’élection présidentielle de 2002 qu’Internet est pensé comme «machine de guerre électorale» : Le Pen, officiellement candidat depuis septembre 1999 (!) ouvre son site très tôt, avec «lepen.tv» : en plus de sa biographie détaillée, Le Pen a eu la bonne idée d’y placer les offres d’emploi du FN, équivalent de la rubrique «Front anti-chômage» de National Hebdo, plutôt que de les mettre sur le site du parti, ce qui aurait été plus logique. De la même façon, dans la mesure du possible, les innovations sont d’abord placées sur le site perso du président. Tout est fait pour éviter ce qui arrive généralement aux sites des candidats (cf. le site de Mégret, ouvert à la hâte en novembre dernier) : n’être qu’une coquille vide, pâle copie du site officiel. Mais pourtant, là encore manque l’interactivité, qui pourrait avoir sa place dans le cadre d’une campagne : pas de cybersondage, pas de cybervote, pas de jeux, pas de forums de discussion thématiques (comme sur le site de Démocratie libérale), rien qui puisse donner l’impression à l’internaute de ne pas être qu’un simple bulletin de vote.
Ainsi, malgré tous les beaux discours sur la «modernité», sur «l’ouverture aux nouvelles technologies», les partis d’extrême droite, restant en cela fidèles à leurs principes, continuent à se méfier un peu d’un moyen de propagande qui ne soit pas à sens unique, et pour l’heure, Internet est avant tout utilisé comme une vitrine par le FN comme par le MNR, et non comme un moyen de communication susceptible d’instaurer un nouveau rapport avec leurs militants et leurs sympathisants.

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