(Article publié en octobre1993 dans le n° 40 de la revue REFLEXes)
Après l’augmentation des effectifs de la police nationale (PN), voilà que se multiplient un peu partout des polices municipales. Toutefois, si les seconds font tout pour se faire connaître et reconnaître, ils ne sont d’après la loi que de simples employés de mairie avec des pouvoirs de police relativement limités (Art. L 131-15 du Code des Communes).
Même si le texte qui règlemente les activités des polices municipales est assez flou, il est clair qu’en tant qu’adjoints de police judiciaire, ils n’ont qu’une compétence limitée aux domaines qui dépendent du maire et de ses adjoints (qui sont eux, de par leur fonction, élevés au rang d’officiers de police judiciaire), à savoir :
• les questions de police générale, comme la surveillance des foires, la sécurité à la sortie des écoles et les mesures contre la divagation des animaux ;
• la rédaction des procès verbaux relatifs à certaines infractions au Code de la Route ;
• la propreté et l’hygiène publique.
De plus, leur autorité est limitée au seul territoire de la commune (entre 7h00 et 20h00).
Pour ce qui concerne d’éventuelles interpellations, elles ne peuvent avoir lieu qu’en cas de flagrant délit et pour des actes punis d’une peine d’emprisonnement (Art. 73 du Code de Procédure Pénale).
Par contre, si les moyens juridiques sont restreints, il n’en est pas de même du matériel mis à leur disposition ; on citera pour mémoire les voitures de patrouille avec rampes lumineuses, les sirènes deux tons, les brigades cynophiles, les systèmes de radio communication dernier cri. Bref, tout est fait pour faire ressortir les lettres magiques devant lesquelles l’insécurité s’enfuit ventre à terre, P.O.L.I.C.E.
Certaines polices municipales sont tellement pénétrées de leur mission de défenseur de la veuve et de l’orphelin qu’elles poussent la conscience professionnelle jusqu’à s’habiller de la même manière que leurs collègues de la police nationale. Au point qu’il est parfois difficile de les distinguer.
Un cran au dessus dans le mimétisme : les armes, autorisées depuis le décret 73-364 du 12 mars 1973. Elles équipent de plus en plus de polices municipales surtout dans le sud-est et la région parisienne (Hyères, Cannes, Nice, Levallois-Perret, Asnières/Seine, etc.) ; cela va des armes non légales genre Gom-Cogne, au 9mm Parabellum (armes de 1ère catégorie, qui regroupe les armes et munitions de guerre) en passant par les 357 Magnum.
Ils sont 9.361 à alimenter le discours sécuritaire de maires pas uniquement de droite. Et si leur équipement laisse rêveur, il n’en est pas de même de leur connaissance du Code de Procédure Pénale. Mis à part les anciens policiers ou gendarmes qui rempilent, les policiers municipaux sont peu ou pas formés. Il existe bien un centre de formation dénommé École nationale de police municipale à Orange (84), mais apparemment, les 10.810 francs (admirez la précision du chiffre) par agent que demande cet organisme semblent refroidir les candidats. Alors, restent les cours du CNFPT (Centre national de formation de la fonction publique territoriale) qui sont censés assurer «une formation théorique et gratuite des policiers municipaux. Mais les structures de cet organisme ne permettent pas qu’un enseignement pratique soit dispensé.»[1] En pratique, on envoie un agent en formation, à charge pour lui de former ses collègues par la suite. Quand on sait que ces mêmes agents peuvent être porteurs d’une arme, on peut se poser des questions.
D’autre part, au vu des sommes, parfois vertigineuses, engagées par les municipalités, on peut se demander à quoi sert donc une police municipale. Pour se convaincre de leur utilité toute relative, prenons le cas du Vésinet, 16.500 habitants, 45 fonctionnaires de la police nationale, 7 gendarmes, 30 policiers municipaux, soit un policier pour 201 habitants. Comme le Vésinet est une commune très bourgeoise – c’est un euphémisme – on peut douter que les 175.111,96 francs du budget de fonctionnement 1993 et les 3.212.417 francs[2] des salaires des gardiens de police municipaux soient vraiment en adéquation avec les besoins de sécurité.
Le but est bien ailleurs : souvent, les polices municipales sont un peu comme les vigiles que l’on voit traîner un peu partout devant les administrations, les banques, dans les parkings, etc. Ça ne sert pas forcément à grand-chose, mais ça rassure les électeurs. D’ailleurs, elles l’avouent elles-mêmes, leur rôle «est de défendre la crédibilité des maires qui [les] emploient.»[3]
Parallèlement se sont développées des polices municipales, qui, si elles ne négligent pas le rôle d’hommes-sandwichs des maires, aimeraient que leurs pouvoirs soient étendus. Autrement dit, certains maires comme celui de Cannes, Michel Mouillot, voudraient voir leur rôle d’officier de police judiciaire revalorisé en matière de sécurité publique. Bref, ils se verraient bien avec une étoile de shérif accrochée au revers de leur veston[4]. D’ailleurs, même si la loi ne lui en donne pas (encore) le droit[5], M. Mouillot est «très souvent [...] en écoute radio de [sa] police municipale dans [sa] voiture ou même chez [lui].», et déclare : «Je ne me retranche pas derrière le directeur de ma police en lui laissant porter le poids des responsabilités, au contraire, je me place en première ligne lorsque c’est nécessaire, j’assume mes responsabilités de maire et d’OPJ»[6]. Mais les nostalgiques du Far-west ne se cantonnent pas à la côte méditerranéenne. Ainsi, à Asnières-sur-Seine, le maire, M. Bokanowski, a fait installer un poste de police municipale «en plein secteur «chaud» du Quartier des Fleurs, les dealers ne se méfient pas. Ils ne savent pas encore que 31 policiers municipaux vont bientôt occuper le quartier et leur donner la chasse.»[7] L’utilisation d’un vocabulaire guerrier n’est pas fortuite. Les policiers, municipaux dans le cas présent (mais on peut étendre l’analyse à l’institution policière dans son ensemble), se pensent comme les irréductibles Gaulois encerclés par les légions «barbares». Il s’agit de rétablir l’ordre dans des zones dites de non-droit. Le schéma d’enfermement et de démonisation des individus qui se trouvent face à eux entraîne une vision des problèmes complètement coupée des réalités. Ainsi, la précarité qui crée l’insécurité (ne pas savoir de quoi demain sera fait, ne plus savoir comment on s’insère socialement dans une communauté qui vous nie, etc.), se trouve renforcée par des considérations policières qui assimilent des communautés précarisées (surtout si elles sont immigrées) aux classes dangereuses. De plus, dans le cas d’Asnières, le fait de construire un poste de police dans une cité où il n’y a pas d’autres services publics montre bien la nature des relations que le maire veut mettre en place : c’est la guerre[8]. Le 16 octobre 1992, après la mort d’un adolescent pendant sa garde à vue dans les locaux de la police nationale, le poste d’Asnières est incendié. Suite à cet événement, M. Bokanowski arme sa police municipale. Là encore, on ne fait pas dans la demi-mesure : Riot-Gun (fusils à pompe, calibre 12) et pistolets 9mm. On peut noter que l’arme choisie n’est pas banale : il s’agit du Glock 17, qui est en dotation réglementaire dans l’armée autrichienne. Or sur ce pistolet «on a beau chercher, il n’y a aucun levier de désarmement ou de sécurité.»[9]
La société de contrôle qui se met en place ne cherche plus comme au siècle dernier à regrouper les déviants dans des lieux d’enfermements (prisons, asiles psychiatriques), mais plutôt à gérer leurs déplacements dans le temps. Ainsi, à Los Angeles comme à Asnières, si les événements ont marqué les mémoires à des degrés différents, on peut constater que dans les deux cas, ce sont leurs quartiers que les gens ont brûlés. Si l’on envoie la cavalerie dans les cas les plus graves, il y d’autres moyens, plus discrets. L’implantation de caméras de surveillance à Levallois-Perret en est un exemple. Le maire de Levallois, Patrick Balkany, se défend de vouloir espionner ses concitoyens puisque «les images recueillies sont numérisées, cryptées et transmises par câbles aux écrans de contrôle de la police municipale. Elles ne sont pas enregistrées. Aucun fichier n’est constitué.»[10]. Même la CNIL[11], qui a été consultée par quelques citoyens inquiets (j’ai les noms !), n’a rien trouvé à redire. Puisqu’on vous le dit : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Encart Glock
Le GLOCK est donc la nouvelle arme qui équipera la police municipale. En quoi se choix est-il révélateur des intentions des municipalités en ce qui concerne le traitement réservé désormais aux fauteurs de troubles en tous genres ? Laissons la parole aux spécialistes[12].
Il s’agit donc du GLOCK 17 standard, classé arme de première catégorie (armes de guerre) qui équipe depuis 1983 l’armée autrichienne. D’un calibre 9mm parabellum et d’un prix de 2.100 francs, l’arme en question se caractérise surtout par son système de sécurité qui se résume à un petit levier au milieu de la détente : tant qu’il n’est pas effacé, ce levier interdit le départ du coup. Voilà qui rassure… «Il y a un avantage considérable à cette détente si différente des autres : l’arme est toujours prête à faire feu. Il suffit de la sortir de l’étui et de l’aligner sur la cible pour que, bang t’es mort (sic), le coup parte [...]. Le GLOCK présente deux caractéristiques qu’il faut absolument et impérativement maîtriser par la formation des hommes qui la portent. La première, c’est que le coup peut partir avant que le tireur n’ait pris la décision d’ouvrir le feu, ce qui provoque des «bavures» lamentables en action de police, et des explications non moins lamentables. La seconde, c’est que si le malfrat qu’on «serre» au corps à corps parvient à extraire l’arme de l’étui du policier, il aura la plus grande facilité à en coller deux dans les tripes du défenseur de la loi. [...] Sur le GLOCK, on a beau chercher, il n’y a aucun levier de désarmement ou de sécurité. [...] J’aurais quand même une hésitation à en équiper une police municipale sans faire subir à ses membres un entraînement poussé et sans l’équiper d’un étui conçu pour éviter l’arrachage d’arme.»
Que même des allumés de la détente osent émettre des réserves sur le choix de cette arme en dit long sur les conséquences du tout nouvel armement de la police municipale.
Mis en ligne le 3 janvier 2007
- L’officiel de la sécurité, janvier 1993, p. 39.[↩]
- op. cit., p. 38.[↩]
- Les Dossiers du Canard, «Attention sécurité ! », n°19, avril 1986, p. 71[↩]
- M. Mouillot a d’ailleurs fondé une association : SOS Police municipale, regroupant des maires du littoral méditerranéen, qui a proposé une loi sur les polices municipales modifiant le projet Quilès de janvier 1993. Cette proposition de loi permettrait entre autres aux policiers municipaux de jouir de prérogatives semblables à celles des policiers nationaux, notamment en matière d’interpellation et de contrôle d’identité.[↩]
- A priori, «le maire en tant qu’OPJ peut :
• rechercher et constater les infractions
• recevoir les plaintes et dénonciations, etc.
Mais un maire qui voudrait, de plus, exercer serait immédiatement dessaisi par le Procureur de la République.» Cité dans L’officiel de la sécurité, janvier 1993, p. 69.[↩]
- L’officiel de la sécurité, septembre 1993, p. 51.[↩]
- L’officiel de la sécurité, janvier 1993, p. 40.[↩]
- «Une police municipale en état de guerre – ASNIERES» op. cit., p. 40.[↩]
- Action Guns, n°156, juin 1993.[↩]
- Le Médiateur public, n°3 , juillet-août 1993, p. 16.[↩]
- Commission nationale informatique et libertés. Elle n’a aucun pouvoir d’injonction et n’intervient qu’à titre consultatif. Dans le cas de Levallois, étant donné le vide juridique, elle a été consultée par défaut.[↩]
- Action Guns n°156[↩]
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