REFLEXes

Russie : les meurtres continuent

18 décembre 2007 International, Les radicaux

En août dernier, une vidéo nazie particulièrement sanglante a provoqué un scandale national en Russie. Deux hommes masqués et camouflés, membres d’une organisation jusqu’ici inconnue se faisant appeler Parti National Socialiste de Russie (PNSR), ont ligoté et bâillonné deux hommes (originaires du Daghestan et du Tadjikistan) dans une forêt et les ont contraint à s’agenouiller devant un gigantesque drapeau Nazi. Ils ont ensuite décapité le premier et tué le second d’une balle dans la tête.Les tueurs ont envoyé le film sur internet par l’intermédiaire de sites de fascistes russes. Les images, accompagnées par du heavy metal, était tellement brutales, que certains ont cru à un faux, ce qui s’est effectivement avéré quelques semaines plus tard. Mais nul ne sait aujourd’hui qui sont les personnages filmés dans le rôle des victimes, s’ils ont été ou non assassinés plus tard, et si oui, quand le crime a été commis, et enfin quand le film lui même a été tourné…

Le 16 août, le ministre de l’Intérieur russe a annoncé l’arrestation du responsable de la diffusion du clip vidéo et a affirmé qu’il serait jugé pour incitation à la haine raciale. Viktor Milkov, un étudiant de 23 ans qui diffusait du matériel nazi sur internet depuis 2 ans, serait membre du PNSR.

On ne sait si le PNSR a été inventé pour l’occasion, mais la capacité de cette avant-garde militaire auto-proclamée à transmettre son film à une multitude de groupes fascistes indiquent une prise de contact préalable. Une note accompagnant le film appelait à la démission du président Vladimir Poutine et à la mise en place d’un gouvernement dirigé par Dmitri Rumyantsev, leader de la Société National-Socialiste. Etait également demandée la libération de Maxim Martsinkevich, chef d’un autre groupe nazi (Format 18), qui est détenu pour incitation à la haine ethnique et violence.

L’apparition de la vidéo coincide avec l’attentat contre l’Express Moscou-Saint Peterbourg qui a déraillé le 14 août faisant 27 blessés. Les extrémistes nationalistes font parties des principaux suspects et la police a interrogé les membres de la branche de Novgorod du Mouvement contre l’Immigration Illégale.

S’il est impossible d’affirmer qu’il existe un lien direct entre l’exécution filmée et l’attaque contre le train, il est clair, par contre, que le meurtre de sang froid est le dernier d’une série d’attaques meurtrières orchestrées par les nazis contre les russes et les immigrés. Les principales cibles sont les populations des Républiques de l’ex-URSS (sud et Asie centrale), les Roms, les Juifs, les gays et lesbiennes, les étudiants venant d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, mais aussi de plus en plus des militants des droits de l’homme et des antifascistes. Les coupables ont, par ailleurs, de plus en plus tendance à se glorifier de leur crime par le biais de vidéos sur téléphone portable et sur internet.

Maureen Byrnes, dirigeante de Human Rights First, explique ainsi : « La violence raciste est déjà depuis longtemps un sérieux problème dans la Fédération Russe, mais si les actes horribles de ces vidéos sont authentiques, ils marquent le début d’une inquiétante escalade. »
L’accélération de la violence raciste et fasciste en Russie inquiète au niveau international. Alors que les autorités russes ne recensent pas les « crimes de haine », seul, le centre SOVA basé à Moscou, principal organe de contrôle russe, suit et analyse les tendances. Le centre recense au minimum 31 meurtres racistes en 2005 et 415 attaques contre des individus motivées par la haine raciale. En 2006, 541 cas de violences racistes sont comptabilisés, dont 54 meurtres.

L’augmentation se poursuit depuis. Pendant les 7 premiers mois de cette année, la SOVA a enregistré 310 attaques racistes, qui ont fait 37 morts. A Moscou, 24 personnes ont été assassiné et 93 blessées; à Saint Petersbourg, 5 tués et 63 blessés.

Les autres villes n’ont pas échappé à la violence. A Nizhny Novgorod, au moins 34 personnes ont été blessé dans les derniers mois par des gangs de skinheads qui se sont renforcés. En outre, des étudiants étrangers ont été assassinés à Voronezh, un des plus gros bastion de skinheads estimés à 70 000.

Malgré les difficultés pour accéder au niveau exact de violence raciste et fasciste car la plupart des attaques ne sont pas reportés, le Centre SOVA a également pointé un autre phénomène inquiétant. La violence envers les jeunes antifascistes, les sous-cultures alternatives et les campagnes progressistes ont tellement augmenté au printemps et à l’été que cela ne peut être que le résultat d’une décision des fascistes russes de déclarer la guerre à ceux qui sont le plus aptes à résister.
Ainsi, au petit matin du 21 juillet, une bande de skinheads nazi a lancé une attaque vicieuse contre un camp de protestation contre le nucléaire à Angarsk en Sibérie. Les nazis ont violemment attaqué les activistes dans leur tente et duvet avec barres de fer, couteaux et pistolet à air comprimé. L’un des campeurs, Ilya Borodaenko, 21 ans, qui souffrait d’une blessure à la tête est mort à l’hôpital. Au moins neuf autres, dont un avec les deux jambes cassés, souffre de blessures sevères. Cette attaque en suivait une autre, perpetrée quelques jours plus tôt par une bande de 20 nazis contre des jeunes qui distribuaient de la nourriture aux sans-abris à Novosibirsk et qui s’est soldée par les graves blessures d’un jeune de 13 ans qui passait par là. Les activités de « Food no bombs » organisées par des antifascistes et des anarchistes sont souvent la cible des violences nazies.

A Moscou et à Saint Petersbourg, il est de plus en plus dangereux pour les jeunes de porter des insignes antifascistes, car ils les rendent visibles à l’ennemi.

La plupart des actes de violences fascistes reste sans opposition et sans enregistrement. La réponse des autorités russes a été faible et sans efficacité car la justice criminelle ne s’occupe que de peu de cas. Même quand ils agissent, ils se contentent de poursuivre pour hooliganisme au lieu d’avoir recours à l’Article 282 du code pénal qui couvrent les crimes raciaux. Le mouvement antifasciste est, lui, courageux mais trop peu nombreux.

Rachel Denber, directrice adjointe de la section Europe et Asie Centrale de Human Right Watch, explique que qualifier les crimes fascistes d’ « hooliganisme » cache leur existence et les rend difficile à combattre. Cela conduit également à réduire les peines lors des jugements.

Au début du mois d’août, Alexander Barkashov, fondateur de l’organisation nazi illégale Unité National Russe, a été condamné à deux ans de sursis pour avoir mené une attaque féroce contre un officier de police en 2005. Barkashov et trois de ses nervis nazis ont battu leur victime avec des pelles, après l’avoir surpris entrain de filmer la maison de Barkashov. Bien qu’un procureur de la région de Moscou ait demandé une peine de 4 ans ferme, Barkashov est sorti libre du tribunal. Barkashov, qui n’a fait aucun effort pour cacher son flagrant nazisme et qui était clairement motivé par une haine bien ancrée, a été poursuivi principalement pour hooliganisme, chef d’accusation pour lequel il a été acquitté.

La faiblesse du système judiciaire s’est confirmé en août, quand une cour de Saint Petersbourg condamna Andrei Shabalin à 12 ans de prison pour avoir battu à mort un militant antifasciste et pour tentative de meurtre sur Maxim Zgibai en 2005, lors d’une attaque en bande. Shabalin et six autres personnes ont été reconnu coupable de « hooliganisme » et d’incitation à la haine raciale. Trois ont été condamné à deux ans de prison ferme et les autres ont eu du sursis. La clémence de peines données aux complices de l’homicide de Shabalin laisse la mère et les amis de Kacharava perplexe et démuni.

Poutine et son gouvernement sont parfaitement conscients de la propagation des crimes fascistes en Russie. Poutine en a parlé publiquement à de multiples occasions et à appeler à la « destruction de l’extrémisme ».

Il y a encore peu de preuves d’une répression de l’Etat contre la violence d’extrême droite, hormis quelques refus ponctuels d’une reconnaissance officielle des organisations fascistes et quelques menues actions contre la publication et la distribution de propagande haineuse. Le problème sous-jacent du profond racisme, de l’antisémitisme et autres préjugés haineux n’est jamais évoqué. C’est cet échec qui nourrit la violence effrénée des fascistes.

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