Apparue en 1991, l’organisation Combat 18 (C18) a longtemps rassemblé, à la marge de l’extrême droite parlementaire, les néo-nazis britanniques à vocation terroriste. Depuis que C18 est en perte de vitesse, la scène néo-nazie a certes perdu en terme d’organisation, mais pas en potentiel de violence comme l’ont montré les attentats meurtriers commis à Londres en 1999.
Il y a presque deux ans, un homme de 22 ans a posé trois bombes remplies de clous à Londres, faisant ainsi trois morts et plus d’une centaine de blessés. En choisissant comme cibles les communautés noire, indienne et homosexuelle, David Copeland espérait déclencher une guerre raciale en Grande-Bretagne. L’été dernier, il a été condamné pour ces trois attentats à la bombe à six fois la peine à perpétuité.
Copeland est un néo-nazi inspiré par la théorie de la guerre raciale. Il a été élevé dans une famille et dans un environnement où le racisme était banal, il a rejoint le British National Party (BNP)[1] à l’été 1997 mais s’est vite lassé de leur stratégie trop modérée à son goût. Finalement, il a rejoint le National Socialist Movement (NSM)[2], une scission du groupe Combat 18, dont l’un des militants-clés n’est autre qu’Hervé Guttuso[3], le chef des Charlemagne Hammerskins (CHS), qui vit en Angleterre depuis fin 1995. Copeland était donc membre du NSM lorsqu’il a posé ses bombes.
Et pourtant, il a agi seul, après avoir téléchargé le manuel de fabrication des bombes sur internet. Deux ans plus tôt, il avait essayé de fabriquer une bombe plus puissante au moment où il avait quitté le BNP, mais il n’y était pas parvenu. Il n’a pas non plus réussi à déclencher une guerre raciale en Angleterre comme il le souhaitait, mais ses attentats ont ébranlé toute la ville de Londres, créant un climat de peur et de panique dans de nombreux quartiers de la ville.
Cette série d’attentats racistes était la première en son genre en Grande-Bretagne. Il y avait certes déjà eu des attentats commis par des néo-nazis, mais il ne s’agissait généralement que d’incidents mineurs, qui ne visaient qu’un individu ou des bâtiments précis. Les attentats de 1999 étaient des attaques aveugles, qui visaient des pans entiers de la population.
Les racines du terrorisme d’extrême droite
Malheureusement, il fallait s’attendre à ce genre d’attaques terroristes d’extrême droite. Depuis le début des années 1990, les idées des théoriciens américains de la guerre raciale ont été peu à peu intégrées par l’extrême droite britannique. Combat 18 (C18), le groupe néo-nazi terroriste britannique, fut créé à l’initiative de Harold Covington, un néo-nazi installé aux États-Unis dont le livre intitulé A March Up Country est un véritable plan de campagne terroriste. Une publication de C18 était d’ailleurs intitulée The Order, du nom du groupe terroriste américain d’extrême droite éponyme. Dans l’un des numéros de ce journal, on pouvait lire un article de Louis Beam sur la leaderless resistance[4], un grand classique du terrorisme néo-nazi actuel. Les concepts de ZOG («Zionist Occupation Government») et de guerre raciale, importés des États-Unis par C18, sont maintenant monnaie courante au sein de l’ensemble de l’extrême droite britannique, y compris au sein du BNP.
En 1995, William Pierce, le chef d’un groupe néo-nazi américain extrêmement radical, la National Alliance, a assisté au congrès du BNP. Son livre, les Turner Diaries, est aujourd’hui considéré comme la bible de l’extrême droite britannique. David Copeland a d’ailleurs dit à la police que ce livre l’avait influencé et qu’il s’était efforcé de faire éclater la guerre raciale qui y est décrite.
C18 et le terrorisme
Depuis sa création en 1992, C18 a toujours été à l’avant-garde de ceux qui prêchent pour le terrorisme au sein de l’extrême droite britannique. En 1997, un petit groupe d’activistes de C18, dont son leader actuel, Will Browning, ont essayé d’organiser une campagne de lettres piégées à partir du Danemark. Trois sympathisants danois de C18 emmenés par Thomas Nakaba furent alors arrêtés et emprisonnés. Des querelles internes ont par ailleurs éclaté lorsque les camarades de Charlie Sargent, l’ancien leader de C18, ont appris que ce dernier informait la police sur les activités de C18. La participation à cette campagne terroriste ainsi que les querelles internes qui ont suivi les révélations faites à la police par Charlie Sargent ont mis le groupe en péril, qui est d’ailleurs passé de 500 membres en 1995 à 60 aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, C18 existe toujours et reste une menace. En automne 1998, ils ont tenté une nouvelle fois de lancer une vague d’attaques terroristes, cette fois-ci à partir de l’Allemagne. Récemment, ils ont essayé de prendre des contacts avec des groupes paramilitaires loyalistes d’Irlande du Nord, au départ avec la Loyalist Volunteer Force (UVF)[5] et plus récemment avec des sections de l’Ulster Defence Association (UDA)[6]. Un des sympathisants les plus tristement célèbres de C18 au sein de l’UDA est Steve Irwin, qui est récemment sorti de prison l’été dernier dans le cadre d’un plan de libération de prisonniers spécifique à l’Irlande du Nord : il avait été condamné à une peine de 7 ans de prison pour le meurtre de 6 catholiques, qu’il avait abattus dans un pub de Greysteel durant la nuit de Halloween après leur avoir crié : «Tricks or treats[7] !»
Plus inquiétant encore, C18 fait partie d’un réseau international relativement lache de fanatiques néo-nazis qui semblent prêts à passer au terrorisme.
En Scandinavie, C18 est lié à un certain nombre d’incidents terroristes où plusieurs personnes ont trouvé la mort ces dernières années.
En Allemagne, C18 est en contact avec un petit groupe de néo-nazis très violents qui gravitent autour de Torsten Heise.
On observe également le développement de groupes C18 en Slovaquie et en Serbie.
Une nouvelle étape
Les attentats de Londres ont montré que l’extrême droite britannique est entrée dans une nouvelle phase : en effet, alors que Copeland s’est impliqué dans de nombreuses organisations néo-nazies, il a perpétré ses attentats seul. Il n’est cependant pas le seul dans ce cas : deux semaines avant la première bombe de Copeland, un jeune homme de 19 ans, Stuart Kerr, avait posé une bombe dans un magasin asiatique dans le Sussex, avant d’incendier une voiture de police. Le jour où Copeland a posé une bombe à Brick Lane, la police a arrêté un homme de 57 ans, James Shaw, lors d’une intervention pour une bagarre dans un bus de Londres. En perquisitionnant son domicile, la police a trouvé de la propagande néo-nazie et trois bombes rudimentaires. Le jour où Copeland a posé sa troisième bombe dans Soho, la police a retrouvé le matériel nécessaire à la fabrication d’une bombe dans une voiture volée stationnée à Chesterfield, dans les East Midlands. Cela ne s’est produit que quelques jours après que les fachos ont averti qu’ils passeraient à l’attaque au moment du festival du 1er mai qui se tiendrait à Chesterfield.
Aucune organisation ne fait le lien entre ces différents incidents : ces derniers montrent simplement le succès que rencontre la théorie américaine de la guerre raciale auprès d’une certaine frange de l’extrême droite britannique qui ne se fait plus d’illusions sur le processus électoral. Ils sont également révélateurs de l’éclatement de la scène néo-nazie britannique depuis le déclin de C18. Tandis que le BNP attire les gens sur la voie électorale dans des proportions toujours plus grandes et tente, de ce fait, d’accéder à toujours plus de respectabilité, des individus isolés ainsi que de petits groupes agissent dans le vide politique qui en résulte, allant donc logiquement toujours plus loin dans leur positionnement à l’extrême droite.
Les attentats de Copeland ne constituent donc qu’un autre indice de l’internationalisation et de la normalisation croissantes de l’extrême droite. Les idées, tout comme les stratégies, sont de plus en plus fréquemment inspirées par des événements qui se produisent quelque part dans le monde ; et sur internet, des images, des encouragements peuvent arriver en quelques secondes de l’autre bout du monde.
Copeland avait certes de graves problèmes imputables à une enfance malheureuse et perturbée, qui l’ont rendu sensible à la propagande des groupes néo-nazis avec lesquels il est entré en contact, mais s’il a été le premier à choisir la voie du terrorisme raciste en Grande-Bretagne, il ne sera certainement pas le dernier, d’autant qu’il est devenu, à son tour, une source d’inspiration pour bien d’autres.
Nick Lowles pour Searchlight
- Parti national britannique.[↩]
- Mouvement national-socialiste.[↩]
- Guttuso a fui la France parce qu’il était poursuivi pour incitation à la haine raciale et risquait par conséquent la prison ferme. En effet, à son retour des États-Unis où il avait intégré les Hammerskins et d’où il avait, sans succès, essayé de téléguider une section française de cette organisation, il a finalement animé cette branche française des Hammerskins ainsi qu’un fanzine, Terreur d’élite, pour lequel il a été poursuivi pour incitation à la haine raciale.[↩]
- Résistance sans chef.[↩]
- Force des Volontaires loyalistes.[↩]
- Association de Défense de l’Ulster.[↩]
- Ce que crient les enfants qui sonnent au porte des maisons la nuit de Halloween pour avoir des bonbons.[↩]
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