C’est dans l’air du temps, d’un bout à l’autre de l’échiquier, les politiciens rabâchent leur discours sur l’insécurité, renchérissant toujours les uns sur les autres. L’extrême droite, précurseur en la matière, n’échappe pas à la règle. Comme leurs homologues européens, les fachos anglais sont particulièrement friands des politiques autoritaires et de la relation insécurité-immigration.
Le British National Party et le National Front ont un programme assez similaire en matière de lutte contre le crime et la délinquance. On y retrouve la rhétorique de la tolérance zéro, avec quelques mesures phares :
-les deux partis sont bien sûr favorables au rétablissement de la peine de mort, insistant surtout sur les cas de pédophilie, de terrorisme et les meurtres avec préméditation.
-au programme des réjouissances, cette fois pour les petits délinquants et les vandales, ils inscrivent le retour aux châtiments corporels[1].
- le BNP propose le renforcement du pouvoir des juges, de celui de la police, mesures somme toute assez classiques. Un peu moins classique, les points qu’ils y ajoutent : abandon du politiquement correct (ce qui en d’autres termes signifie l’établissement d’un régime de discrimination raciale[2] ) et augmentation des policiers sur le terrain « et non à remplir de la paperasse ou à prendre des cours de “ racism awareness ” »[3].
- les deux partis se font les ardents défenseurs des victimes contre les criminels.
Mais, la criminalité en soi n’est que la face émergée de l’iceberg : la véritable menace pour le Royaume-Uni, c’est, accrochez-vous bien, le « britocide ».
Les ennemis à combattre
En effet, la décadence et les invasions barbares menacent le peuple britannique. Quel pourrait donc être l’avenir d’une nation dont l’enseignement est gangrené par des professeurs « ultra-libéraux » (dans le sens social et non économique) et pro-homosexuels, sans compter que la télévision, en particulier Channel 4, propose des émissions « pro-homosexuels, anti-famille, et anti-blancs »[4] ? On arrive ici à la principale cause de l’insécurité : la société « multiraciale ». La lutte contre l’insécurité passe donc par l’immigration zéro et le retour des immigrés « chez eux », ce qui n’est pas sans rappeler un discours bien connu. Le thème du racisme anti-blanc dans le discours sur l’insécurité est d’ailleurs une quasi-obsession La majeure partie du site internet du National Front est ainsi consacrée à des témoignages et à un recensement des victimes de « crimes racistes » anti-blancs, notamment au travers de la Fallen List[5]. Le caractère raciste ne découle que d’un seul critère : la victime est blanche, le coupable ne l’est pas, quitte à tomber dans le ridicule le plus total. On découvre ainsi qu’un homme d’origine pakistanaise, condamné pour « conduite dangereuse », est coupable d’un crime raciste car la victime était blanche. Le BNP, quant à lui, a mis en place une association de soutien aux victimes de discriminations et de crimes « anti-blancs », le FAIR (Families Against Immigrant Racism), qui propose une aide juridique. C’est ainsi une posture de défense qui est adoptée, dans un renversement des positions, qui n’est pas sans rappeler le racisme « anti-français » auquel Jean-Marie Le Pen se réfère. Or se placer en victime présente un avantage inestimable : « dans le mode courant de raisonnement, une victime est innocente et donc “ morale ”.[6] » , on ne peut donc remettre son jugement en question, eu égard à ce qu’elle subit. Ainsi, poser le « Noir » ou le « Pakistanais » comme un criminel ne constitue plus de problème, car il est coupable, il est bourreau et non plus une victime injustement accusée. Placer le « racisme anti-blanc » comme base de l’argumentation permet de justifier l’emploi des stéréotypes habituels de la xénophobie et du racisme, de barrer la route à un contre-argumentaire basé sur l’emploi de préjugés. En effet, les actes de discrimination et les crimes commis envers les « Blancs » permettent de transformer les préjugés en vérité, en réalité observable et démontrable. Le discours raciste nourrit celui sur l’insécurité et inversement.
De même, les événements du 11 septembre ont fait émerger sur le devant de la scène un anti-islamisme virulent, qu’il paraissait facile à justifier. Le site du NF s’ouvrait ainsi sur une photo de Tony Blair portant un keffieh, tandis que le BNP a fait de l’anti-islamisme le point d’ancrage d’une de ses campagnes. Certes, pour le BNP, il existe de « bons musulmans » qu’il ne faut pas blâmer pour les crimes des intégristes. Reste que l’Islam est devenu un ennemi, cherchant à dominer l’occident, par une stratégie de colonisation, dans une logique qui rappelle le thème du « complot juif ». Il ne s’agit plus en effet de présenter l’autre comme « inférieur » mais comme un ennemi qui s’infiltre partout et pourrait nous dominer[7]. Et quoi de plus pratique que la menace terroriste pour jouer sur la peur des Britanniques ?
Ce discours, prenant ses racines dans la peur de l’autre, se développe, c’est un fait. Mais il ne faudrait pas non plus en exagérer l’importance, le National Front compte à peine 300 adhérents. Quant au British National Party, il est certes en forte progression mais ces résultats restent inexistants au niveau national, pour le moment.
Encadré
Le BNP : celui qui voulait être le FN anglais ?
Le BNP est né en 1982, d’une scission avec le National Front. Pour le National Front, le déclin, déjà bien entamé avec l’offensive conservatrice, se poursuit. Le destin du BNP est légèrement différent, et si ses résultats restent faibles, il peut s’arroger sans contexte le titre de plus grand parti d’extrême droite que le Royaume Uni ait pu avoir. Dès le début, la volonté de son leader John Tyndall est de privilégier la voie parlementaire. Cependant, c’est loin d’être un fait acquis. Certes, en 1993, le parti enregistre son premier succès électoral avec l’élection d’un conseiller municipal à Millwall. Mais, à la même époque, le parti développe aussi un sympathique service d’ordre, qui devint autonome par la suite pour devenir Combat 18, groupe néo-nazi à tendance plutôt violente ;mais surtout, le parti conserve un discours ouvertement fasciste. Le véritable changement apparaît cependant en 2000. Tyndall est alors évincé de la tête du parti, après la diffusion de photos de celui-ci en uniforme nazi, ce qui rappelle le passé de l’homme au Greater Britain Movement, un groupuscule peu recommandable. Le BNP comprend enfin l’importance de l’image. Pourtant, on ne peut pas dire que l’homme qui le remplace, Nick Griffin ait eu de meilleures fréquentations dans sa jeunesse. Il aurait notamment aidé Fiore, membre de la Troisième Position recherché pour « constitution de bandes armées », qui avait fui l’Italie après l’attentat de Bologne. Mais, il cherche à donner au parti une apparence très respectable. Il reconnaît devant les Amis américains du BNP, une association dirigée par David Duke , que le slogan du parti (Liberté, Sécurité, Identité, Démocratie) vise ainsi à rendre celui-ci plus sellable (facile à vendre). Le changement, net, apporte des résultats, avec en prime plusieurs sièges de conseillers municipaux ; notons tout de même qu’il est difficile d’attribuer ces bons scores au seul gommage des références nazies ou fascistes trop flagrantes, l’implication du parti dans le déclenchement d’émeutes « raciales » n’y étant peut être pas non plus étrangère. Et puis, chassez le naturel, il revient au galop. Le parti est actuellement secoué par une affaire d’importance : un membre est en passe d’être exclu car son petit-fils est noir.
- Le châtiment corporel à l’école n’a été aboli qu’en 1986 en Grande-Bretagne. Cela n’a été étendu aux établissements privés qu’en 1998 sur décision de la Haute Cour de Justice.[↩]
- Critiquant le Race Act, Nick Griffin a fustigé par le passé le fait qu’ « aucune relation ne puisse être dénoncée entre crimes sexuels et minorités ethniques ».[↩]
- Source : BNP website[↩]
- The Flame, journal du National Front, mars 2002[↩]
- Le nom donné à la liste veut suggérer qu’une véritable guerre raciale a lieu.[↩]
- Loseke Donileen, Constructing conditions, people, morality and emotion, G. Miller.[↩]
- Campagne contre l’Islam, site du BNP.[↩]
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