Les résultats des élections russes ont provoqué un choc dans l’opinion publique russe et internationale : une chambre basse, la Douma, où les nationalistes de toutes obédiances sont ultramajoritaire et une quasi-disparition des démocrates (sociaux-libéraux et libéraux). Ces élections se sont déroulées comme à chaque fois dans un climat de propagande univoque en faveur du parti du pouvoir et de tensions : un attentat dans un train de banlieue à Stavropol dans le Caucase (42 morts) le vendredi 5 décembre, deux jours avant le vote et un attentat suicide deux jours après à une centaine de mètres de l’Assemblée (au moins six morts dont la kamikaze).Les élections en Russie sont un modèle de démocratie formelle, elles ressemblent plus à une désignation qu’à autre chose. Comme dans le système soviétique, le plus important pour le candidat n’est pas le jour de l’élection mais celui de l’investiture officielle. Une fois obtenu ce précieux sésame, il est quasiment élu : la justice, aux ordres du pouvoir (pléonasme) se charge de le débarasser des opposants les plus dangereux, l’administration locale fait ouvertement campagne pour lui, c’est le personnel municipal qui collera ses affiches à côté des affiches officielles, radio, télévision et journaux locaux le présente sur son meilleur jour et se charche de déterrer les cadavres chez ses opposants. Les entreprises présentes dans la circonscription se charge des factures en échange d’un intense lobbying au moment des votes cruciaux dans la future législature. Au cas où les électeurs refusent de choisir le bon candidat, comme en Tchétchénie par exemple, aucun problème, l’administration se charge de bourrer les urnes et de tout maquiller. Une autre variante est de faire bien voter les conscrits, ainsi à St Petersbourg pour faire battre un député démocrate qui tentait d’organiser une commission d’enquête indépendante sur les attentats de 1999, les officiers d’un collège militaire ont vérifiés que leurs 400 étudiants avaient bien votés pour le parti au pouvoir avant de déposer les bulletins dans l’urne.
Une chambre nationaliste et patriotique
Le parti de Poutine, Edinnaia Rossia (Russie Unie) obtient 37% des voix au niveau national et 222 députés, soit près de la moitié des députés, suivit du Parti communiste 12,7% et 53 députés, du parti de Jirinovski LDPR 11,6% et 38 parlementaires et Rodina, la Mère patrie, 9,1% et 37 élus. Les deux partis libéraux Iabloko (la Pomme) et SPS (Union des Forces de Droite) ne passent pas la barre des 5% (4,34 % et 3,96 %) et n’obtiennent respectivement que 4 et 2 élus directs. Les points communs des quatre premiers partis (plus des 3/4 des élus à la Douma) sont une conception de l’État fort, un nationalisme souvent xénophobe et le soutien à la poursuite de la guerre en Tchétchénie. Rien de très réjouissant. Alexandre Doughine, le leader du parti eurasien, chef de file de la nouvelle droite russe et très introduit dans les cercles politico-militaires proches du pouvoir central, n’a pu caché sa voix en résumant « Russie Unie est le parti du natrionalisme modéré. Le Parti libéral démocrate de Vladimir Jirinovski est celui du nationalisme ostentatoire. Le parti communiste de Guenadi Zouganov est patriotique de gauche et Rodina-Union patriotique est patriotique chauviniste».
Le parti de Jirinovski double quasiment son pourcentage, le KPRF perd la moitié de son pourcentage de voix par rapport à 1999 et retrouve son plus mauvais score des élections de 1993. Russie unie obtient le même pourcentage que Unité et Patrie-Toute la Russie en 1999, qui étaient les deux partis à vocation majoritaire qui ont fusionné après les élections. Mais la vraie surprise est venu du score du parti Rodina-Union patriotique, un parti vieux de trois mois, créé avec le soutien du Kremlin et du complexe militaro-industriel pour diviser le Parti communiste. L’opération a réussi au point même d’inquiéter d’autres factions du Kremlin.
Le Moscow Times du 17 décembre 2003, a publié le récit d’un des participants à l’opération de manipulation. Trois factions se sont successivement occupées de cette affaire. La première équipe voulait créer un clone du parti communiste, qu’ils pensaient même appeller Tovarich (Camarade), puis un autre groupe surnommé les Tchéquistes orthodoxes notant que l’électorat du Parti communiste étaient sensibles à la réthorique nationaliste, orienta le projet dans ce sens. Un troisième groupe, d’orientation libéral, était intéressé par la création d’une coalition anti-communiste, mais était moins impliqué dans l’opération. Des trois groupes, c’est le second qui prit les rênes de l’opération, d’où l’orientation plus nationaliste que sociale du programme de Rodina. Cette volte face idéologique lui fit perdre quelques plumes comme le libéral du parti Slon (l’Éléphant), l’eurasiste Alexandre Dougine ou un banquier ancien des services spéciaux qui se présenta comme indépendant contre le maire de Moscou.
On compte parmi les leaders de ce tout nouveau parti un économiste communiste en rupture de ban, Sergueï Glaziev, le représentant de Poutine pour l’enclave de Kaliningrad, un eurasiste convaincu Dimitri Rogozine et l’un des auteurs du putsch d’août 1991 contre Gorbatchev, le général Valentin Varennikov. Sergueï Glaziev est un économiste, entré en politique dès 1991, ministre du commerce extérieur en 1992, député de la Douma en 1993. En 1995, il devient le chef d’une organisation national-patriotique, le Congrès des Communautés russes. Il travaille un temps avec le général Lebed et en 1999, il est réélu à la Douma sur les listes du parti communiste. Mais en 2002 à la suite d’un désaccord avec Guenadi Zouganov, il quitte le KPRF et fonde une Union du peuple orthodoxe. En juin 2003, Glaziev initie la fondation d’un bloc électoral Communistes-Agrariens-Patriotes, mais le KPRF refuse d’y participer, néanmoins près de 30 organisations acceptent la plateforme électorale dont le Parti des régions russes, le Partie socialiste unifié de Russie, Narodnaïa Volia(la Volonté populaire). Tous se définissent comme nationalistes et patriotes et forment le bloc électoral Rodina dont « le principal but est de construire une société juste. Pour cela il est nécessaire d’unifier la nation par le patriotisme». Dimitri Rogozine et Valentin Varennikov sont aussi connus pour respectivement diriger le Congrès des Communautés russes et l’Union de l’officier russe. Rodina est aussi très proche du complexe militaro-industriel, comme le résume la formule de Rogozine : « La Russie a trois alliés : son armée, sa marine et ses missiles stratégiques».
Toute la propagande du parti était centrée contre les oligarches, comparés à une hydre. L’imagerie rappelait une certaine propagande soviétique. L’arrestation de Mikhail Khodovkorski, le président de Ioukos, fût du pain béni pour ce parti. Rodina a aussi bénéficié comme le parti du pouvoir d’une couverture bienveillante des chaînes de télévision, toutes aux ordres du Kremlin, alors que le parti communiste était systématiquement dénigré. L’électorat national-patriotique qui est un électorat important en Russie a semble-t-il été dérouté par la présence sur les listes de nombreux entrepreneurs rouges et a préféré voter pour un parti qui semblait plus dynamique. Pourtant le KPRF avait cru bien faire les choses en présentant en deuxième position sur sa liste nationale l’ancien gouverneur de Krasnodar, le très nationaliste et antisémite Nikolaï Kondratienko. Les électeurs de Rodina sont des retraités ou des actifs de plus de quarante cinq ans ans, ayant fait des études secondaires plutôt techniques : « La majorité des gens qui avait une bonne éducation et un bon statut dans l’Union soviétique et qui ont été laissé de côté par les réformes. Ils n’ont pas la capacité de s’adapter et ils ont le désir de retourner dans le passé» selon les mots du directeur de l’institut ROMIR.
L’autre force nationaliste est le LDPR de Vladimir Jirinovski qui ne fait plus peur à grand monde en Russie tant est connu sa capacité à accepter des espèces sonnantes et trébuchantes pour voter ce que le Kremlin souhaite. Il obtient néanmoins un score bien plus important qu’aux dernières élections, son électorat est composé de chômeurs, de militaires, et d’habitants des contrées les plus éloignées du centre. Le principal slogan de Jirinovski était « Je suis pour les Russes, je suis pour les pauvres».
Les «démocrates» sont les grands perdants du scrutin, évidemment ils ont été l’objet de nombreuses manipulations mais les leaders des deux partis SPS et Iabloko ont une grande part de responsabilités. SPS (L’Union des Forces de Droite) en présentant Anatoli Chubais, un oligarche honni et ancien allié de Poutine, responsable du grand conglomérat public de production d’électricité, symbolise tout ce que refuse une grande partie de la population : l’argent facile et clinquant. Ces élections marquent aussi l’incapacité pour l’opposition à présenter un programme réellement social, cantonné à moins de 8% des voix sans groupe parlmentaire, ils ne sont plus crédibles dans un pays qui a succombé aux sirènes nationalistes.
Jean Raymond avec Mara Vladimirovna, Moscou.
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