Lorsque paraît le premier numéro de REFLEXes en juin 1986 avec le modeste tirage de 300 exemplaires, beaucoup pensent que se sera le dernier. Car qu’est-ce que REFLEXes ? Prenez un groupe de jeunes, étudiants ou lycéens, de Nanterre ou d’ailleurs en région parisienne, membres d’une structure libertaire relativement restreinte (Coordination Libertaire Étudiante), déçus par le faible travail de fond du mouvement libertaire ou l’absence de liaisons entre différents fronts de lutte, confrontés à une lame de fond autoritaire symbolisée par la montée du FN… Secouez le tout, servez en 1986, vous obtenez REFLEX, Réseau d’Étude, de Formation et de Lutte contre l’Extrême droite et la Xénophobie, vilain petit collectif prêt à lutter sur tous les fronts : mesures sécuritaires, immigration, antifascisme, luttes de libération nationale et sociale, soutien aux personnes incarcérées, antimilitarisme, ce qui reflétait les centres d’intérêt des différents «fondateurs» tout autant que la période politique dans laquelle cette création prenait place. Face à la lame de fond autoritaire, certains ne se posaient plus la question de savoir que faire depuis 1984 et la première réponse radicale contre le FN à Toulouse, à savoir l’attentat contre le palais des congrès qui permit l’annulation du meeting de Jean-Marie Le Pen. L’émergence dans cette ville d’un mouvement autonome antifasciste affirmant qu’il fallait empêcher l’extrême droite de s’exprimer ouvrait la voie à de nouveaux regroupements, qu’ils se nomment SCALP (Section Carrément Anti Le Pen) ou CRAFAR (Lille), Urgence (Lyon), CAF (Marseille) et qu’ils s’appuient sur des conceptions libertaires, léninistes ou tout simplement mal définies. Le journal REFLEXes avait toute sa place dans ce cadre activiste en voulant coordonner différents comités et groupes d’individus. Les vingt pages tapés à la machine de ce numéro 1 passaient en revue les différents axes de lutte : luttes contre les lois sécuritaires, antifascisme, luttes antiracistes et antimilitaristes, appel au soutien pour le réfugié italien Orestino Dominichelli. Dès ce premier numéro l’ouverture européenne est déjà présente avec un article contre la lutte contre le recensement en Allemagne. Les autres numéros de l’année se déclinent de la même manière, publiant de nombreux communiqués d’associations diverses.
Le numéro 4 de décembre 1986, enrichie de 8 pages se branche sur les mouvements sociaux, c’est à dire la lutte contre le projet Devaquet, tout en espérant que ce mouvement élargisse ses cibles : « l’ouverture progressive du mouvement à d’autres champs de lutte (…) tels le code de la nationalité, le plan Chalandon, la remise en cause du remboursement de l’IVG, etc, confirmait (…) que les préoccupations de ce que l’on a appelé “la nouvelle génération” d’étudiants et de lycéens ne se limitaient pas à la culture du look et du vidéo-clip ». Apparaissent dans ce numéro les premières récits et analyses « Violences, provocations et répression dans les manifestations étudiantes » et le premier interview, celui de l’Anti-fascist Action anglais (en fait une traduction de Searchlight). A noter l’initiative de demande pour les femmes du statut d’objecteur (sic) de conscience.
L’année 1987 sera prolifique avec 8 numéros (de 32 à 40 pages). En janvier apparaît en Une l’autocollant vedette de REFLEX des premières années, « Cet homme est dangereux !!! » avec la tête de Charles Pasqua, diffusé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires et qui a eu comme effet de saturer une ligne téléphonique du ministère de l’Intérieur. Les premières enquêtes sur l’extrême droite sont présentes sous la forme d’un article sur la Fédération Professionnelles Indépendante de la Police (une de nos têtes de Turcs favorites) et sur l’extrême droite universitaire (une autre de nos têtes de nœud…). La maquette est toujours aussi approximative mais déjà l’ordinateur avait fait son apparition. On sent quand même dans ces numéros un intérêt pour les luttes de l’immigration surtout pour les initiatives autonomes (collectif « J’y suis, j’y reste »…), l’autre préoccupation majeure étant la police (en particulier sur les violences policières), l’antifascisme n’apparaissant qu’à l’occasion d’interview de collectifs antifascistes locaux comme Urgence de Lyon (dans le n°7 d’avril 1987), le dossier sur Marseille et Lyon (n°8 de mai) ou le Comité de Résistance Antifasciste et Antiraciste de Lille. A noter aussi l’apparition à partir de mai 1987 des dessins de Gil, qui signera les couvertures de REFLEXes pendant des années dont cette année-là « Révisionnistes : toujours plus cons! Les Juifs n’ont jamais existé ! » et « Ma grippe est espagnole, mes chiffres sont arabes, mes capotes sont anglaises, mes godasses sont italiennes et mon berger est allemand… J’ose même pas ouvrir le gaz pour en finir : il est soviétique! ». Dans le numéro de novembre 1987, republication de deux communiqués : celui de l’organisation basque « IPARRETARRAK » et de « l’ex-FLNC » pour protester contre les poursuites intentées contre U Ribombu et contre un magazine basque du Nord, Abil. « Nous pensons que le fait de publier des textes émanant de groupes ayant choisi la lutte armée comme outil politique ne peut en aucun cas être assimilé à une acceptation ou à un soutien (à) ceux qui publient ces textes. La liberté d’expression et d’information ne peut être restreinte au motif que la publication de textes émanant de ces groupes est une apologie de leurs crimes, sinon nous risquons bientôt de n’avoir à publier que les communiqués ou textes émanant d’officines ministérielles ou institutionnelles ». L’année se termine par un [numéro spécial (n°12) de quarante pages présentant la Coordination Nationale Antifasciste créée en novembre à Lyon et rassemblant des collectifs de Lyon, Toulouse (Scalp), Lille et Paris. Les initiatives de solidarité se poursuivent avec des campagnes pour la libération de Jean Philippe Casabonne, « Otage français à Madrid » ou Roberto Gemignani, militant italien menacé par une extradition. Plus de douze pages sont consacrées aux luttes de l’immigration et en particulier à l’initiative Mémoire fertile.
En 1988, l’antifascisme prend de plus en plus de place dans REFLEXes : quatre unes sur sept sont consacrées à Le Pen et ce thème ouvre quasi systématiquement le journal. Interview d’un Redskin, des collectifs Scalp de Bordeaux et Nantes, Lille, Reims, textes d’analyses comme celui d’Alain Bihr dans le numéro 18 de septembre 1988, « Derrière le vote Le Pen, le remodelage des rapports de classe », ou sur « l’implantation du Front national chez les dockers Marseillais » (n°14 mars 1988) mais aussi compte-rendu des nombreuses initiatives antifascistes locales, nationales ou européennes (Congrès antifasciste, antiraciste et antisexiste de Berlin). Les skins (que l’on n’appelait pas encore en Politiquement Correct boneheads) font leur apparition sous la rubrique « Skinhead (aid) : offrez leur un cerveau ! ». Les luttes des jeunes issus de l’immigration sont aussi très présentes ainsi que les luttes de libération nationale (que l’on n’appelait par encore en PC « résistances identitaires «) en Kanaky, Corse et Euskadi. La police tient bien la corde en particulier dans le numéro de juin 1988 avec l’Affaire Black War, une opération policière visant à criminaliser le mouvement radical qu’il soit politique ou musical. Il va sans dire qu’un deuxième septennat mitterrandien ne bouleverse pas d’allégresse la rédaction de REFLEXes : « La victoire de Mitterrand a réjouit les immigrés selon Libération. Pour les Kanaks, elle signifiait au moins une pose (sic!) dans l’engrenage de la guerre coloniale entreprise par Pons. Et pourtant ! Mitterrand dans le débat avec Chirac a été on ne peut plus clair : il n’y aura pas de changement dans la politique menée vis à vis de l’immigration et en ce qui concerne l’affaire d’Ouvéa, lui-même a donné son accord pour la prise d’assaut, même s’il avait demandé comme lors de l’assassinat d’Eloi Machoro que cela se fasse avec le moins de morts possible… Mitterrand a dit qu’il était en accord avec les lois Pasqua, même s’il voulait revenir sur certaines dispositions… ».
L’année 1989 démarre sur une campagne pour la libération de Pantxoa, « guitariste du groupe KGB, condamné à quatre ans de prison, pour avoir jeté deux cocktails molotov sur les volets d’un policier responsable de l’expulsion de son ami Luis, chanteur du même groupe, et qui passe son deuxième Noël en prison ». Les lignes de force du journal varient peu : antifascisme qui garnit souvent les premières pages, luttes de libération nationale, luttes de l’immigration et antimilitarisme. A noter une ouverture de plus en plus grande aux perspectives européennes, bien sûr à propos de l’extrême droite mais pas seulement puisqu’on trouve de nombreux articles sur la question de l’asile politique. Un numéro spécial est d’ailleurs consacré à l’Europe : « Pour une Europe ouverte et solidaire. Contre une Europe de l’exclusion du racisme et du fascisme ». « Cette Europe en construction, si elle ne fera pas disparaître les États nationaux, entraînera néanmoins un certain nombre de modifications dans notre vie quotidienne, en terme de droits et de liberté. En effet, l’Europe en préparation est celle du contrôle social et de la répression. Au centre de ce processus se trouve la question de l’harmonisation des législation entre les différents États liée à la question de la disparition des barrières douanières, et plus largement des frontières. Or cette harmonisation se prépare dans un climat social globalement désastreux : crise économique, développement de la précarisation, restructuration, chômage… Ces facteurs sociaux se répercutent politiquement par une montée généralisée de l’extrême droite au niveau européen, et plus largement par une dérive droitière de toutes les formations politiques ». Ce numéro débute par le récit de l’expédition de la délégation de REFLEXes au congrès antifasciste de Berlin : « Vous prenez cinq militant de REFLEX (ce qui donne deux chevelus, un rasé, un créteux et une caution présentable) que vous mettez dans une voiture convenable (…) Vous choisissez un itinéraire vous permettant de passer un maximum de postes frontaliers, afin de tester au mieux l’homogénéisation des coutumes douanières (…) Après avoir parcouru deux mille kilomètres et surtout passé près de huit heures aux seuls postes frontières, vous avez enfin constaté que les sondages (des voitures aux frontières NDLR) sont à la mode, et l’approfondissement systématique aussi. Vous en êtes presque à souhaiter que l’harmonisation des législations fasse que la prochaine fois, les premiers qui fouillent vous donnent un bon de passage à remettre au poste suivant… » N’ayant peur de rien REFLEX et le Scalp Paris organisent une manifestation le 22 avril « Pour une journée européenne antifasciste, antiraciste et antisexiste », manifestation qui rassemblera Place de l’Europe, à 5 minutes du siège du Front national quelques deux cents personnes. L’autre campagne qui mobilisera une grande partie des Scalp en France sera la tournée Géronimo à laquelle participeront entre autres Laids Thénardier, Dirty District, ND, Brigades, Washington Dead Cats, les Kamioneurs du Suicide… On trouve toujours des enquêtes sur le PNFE, les skins, la FPIP…
1990. Changement de format, REFLEXes passe en A4, d’abord plutôt modestement, puisque le n°27 ne compte que 14 pages et n’est servi qu’aux abonnés. Il faut dire que la période vache maigre s’était aggravée. On ne notera dans ce numéro que la marche caravane pour la libération de Jean Philippe Casabonne qui se termina à Paris début février par une maigre manifestation. Après plusieurs années de mobilisations antifascistes un bilan était nécessaire d’autant plus que, loin de diminuer, les scores du Front national et le racisme ne faisaient que croître. D’où un numéro bilan réalisé avec la revue anarchiste Noir et Rouge, intitulé « Antifasciste pourquoi ? » (n° 28/29, 60 pages). Le bilan est sévère pour l’antifascisme libéral mais pas seulement ; ainsi Vanina du collectif Noir et Rouge conclut son article « Antifascisme : Remède ou poison ? » : « Parler d’«antifascisme» pour désigner la dynamique lancé contre un mouvement type FN est impropre (…) et peut même se révéler gênant dans la mesure où l’appel aux références historiques ne reçoit guère l’écho de l’opinion publique. De plus comme elle permet de ratisser large, cette étiquette peut masquer l’absence de contenu politique dans le message «antifasciste» (…). De plus, la nécessité d’une clarification politique, aussi réelle soit-elle, n’est pas le propre de cet «antifascisme», qui fonctionne actuellement comme un groupe de pression ; c’est celui de l’extrême gauche en général, en mal d’alternative et de stratégie politiques (…) ainsi que de nouvelles formes de militantisme. (…) La clarification politique est nécessaire à court terme, sous peine d’essoufflement, parce que le fonctionnement sur des signes de reconnaissance et des slogan ne fonctionne jamais bien longtemps (…) l’antifascisme radical, lui, doit se structurer comme un mouvement politique, s’il veut se développer réellement. Il doit aussi veiller à ne pas se « ghettoïser « en conservant une attitude défensive ou en se laissant confiner (…) en marge de la société ; il doit au contraire « sortir de sa réserve « en adoptant une autre démarche vis-à-vis de l’extérieur. (…) il faudrait songer à établir de nouveaux réseaux permettant de reconstruire le tissu social et d’éviter à chacun de rester dans sa bulle — autrement dit recréer un autre militantisme, en particulier dans les grandes villes, pour impulser une plus grande dynamique. Réinvestir les quartiers favoriserait une intervention sur la politique du logement, par exemple ». Le collectif REFLEX lui aussi tire son bilan dans l’article « l’antifascisme radical, quesaco ? » : « la notion de travail local continue de poser problème. Elle a vécu jusqu’alors sur un dynamique de développement, et il s’agit maintenant de consolider celui-ci sur la base des acquis, mais aussi en fonction de perspectives à créer. Deux hypothèses se dégagent :
- soit le travail de terrain est considéré comme une occupation en termes idéologiques, une affirmation de son existence, et alors cet objectif a été atteint.
- soit le travail de terrain se comprend en termes d’occupation idéologique, mais indissociablement liée à une occupation politique et sociale : être capable d’initiatives, de peser dans un rapport de forces politiques, de créer des réseaux de sociabilité-convivialité. Bref, être incontournable sur le terrain (thèmes et lieux) choisi, que ce soit en terme de mobilisation (quantitatif) ou d’analyse et de perspective (qualitatif), condition sine qua non d’une véritable autonomie politique ».
REFLEXes continue toujours ses enquêtes sur l’extrême droite (FPIP, PNFE, Nouvel Ordre Européen et un petit nouveau le KKK français) et développe ses contacts à l’étranger (Dossier sur la Grande-Bretagne, dans le n°31 de l’été 1990). L’appel de Gilles Perrault « Le temps de la contre-offensive est venu » est publié (n°31 été 1990), mais l’initiative dite de « l’Appel des 250 » est très vite critiquée (n°32 octobre 1990) : « Poser le problème de la lutte antifasciste de façon structurelle : unité, front uni, front républicain, n’est ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? La proposition des 250 de collectifs unitaires reposant sur de simples agrégations d’organisations n’est-elle pas un échec consommé depuis de longues années ? C’est une des raisons qui avait vu le Scalp apparaître à Toulouse en 1984, et c’est l’absence totale de réactions face au Front national et aux fascistes qui a donné naissance depuis trois ans à des Scalps dans toute la France… L’affirmation d’un discours alternatif et radical sera-t-il noyé par les machineries politiciennes ? Il ne tient qu’à nous qu’il en soit autrement ».
Cette année se termine par un dossier sur le rock alternatif qui entretient des liens avec le mouvement antifasciste radical explicité dans l’édito du dossier : « Chaque mois nous organisons un ou deux concert où musique et politique se mélangent pour former un cocktail détonnant. Les groupes que nous invitons ont tous en commun d’avoir une autre démarche vis à vis de leur public, d’instaurer de nouvelles règles du jeu où le fric ne serait plus maître… Dans ces concerts, les groupes ne sont pas là «pour animer la soirée» ou attirer les gens dans le giron de quelques officines politicardes, mais parce que leurs préoccupations et leur combat convergent avec les nôtres ». « Dans les années 80, le rock, que l’on n’appelait pas encore alternatif, est né, porté par le mouvement autonome. Les concerts se tenaient dans les espaces libérés, des usines squattées. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le militantisme a régressé… Le mouvement alternatif a évolué vers une plus grande prise en charge : autoproduction, labels indépendants, fanzines, réflexion sur le problème de la distribution, etc… Le rock alternatif a joué un rôle incontestable dans la «repolitisation» d’une partie de la jeunesse, notamment par son engagement antifasciste ».
En 1991, toujours la vache maigre pour le magazine (deux malheureux numéros), mais néanmoins une très forte activité militante puisque REFLEX et d’autre individus et collectifs créaient les collectifs « Guerre à la guerre » qui publieront un hebdomadaire pendant un mois, l’objectif n’étant rien de moins que « de briser cette machine de guerre qui n’a d’autre fonction que de renforcer la misère sociale que connaissent les peuples du tiers monde et aussi certaines couches sociales en Occident ». Le numéro 33 de février 1991 tourne autour des questions du contrôle social et de la répression alors que le dossier principal « East side story » s’inquiète de la montée des nationalismes dans les anciennes démocraties dites « populaires ». Le numéro suivant « De Le Pen à Cresson : France terre d’exil » (n°34 été 1991) tourne autour de la situation en banlieue, de l’antifascisme, de la police et de la Guerre du golfe.
1992. L’année démarre pour REFLEXes par la publication avec l’émission de radio Parloir Libre d’un numéro spécial : « l’État assassine ! Meurtres racistes et sécuritaires », actualisant une brochure éditée à la fin de l’année 1986. Un premier article reprend l’ensemble des affaires où un flic ou gendarme a tiré ou tué sur des gens, avec pour chaque meurtre les suites judiciaires. La simple chronologie de 1972 à 1991 qui s’étend sur une quinzaine de pages montre l’impunité dont bénéficient les « forces de l’Ordre ». La brochure analyse ensuite le rôle de la justice et celui des associations. Après ce numéro spécial, REFLEXes reprend ses habitudes : enquêtes sur l’extrême droite (les Cercles du Front national, Nouvelle résistance, skins, Nouvelle Droite) mais aussi réflexion sur le Front national, « Fascisme ou réaction », concluant que « le FN n’est pas un parti fasciste, au sens historique du terme, car il n’a pas pour vocation de proposer « un ordre nouveau «, ayant des finalités totalitaires, motivé par des penchants révolutionnaires ; au contraire, il œuvre plutôt vers un retour des « valeurs traditionnelles «, et ce, pour endiguer la décadence dans laquelle évoluerait actuellement la société française ; il est donc un parti réactionnaire ou ultraréactionnaire (…). Le problème est bien la montée des idéologies et politiques autoritaires et sécuritaires, pendant des logiques d’exclusion sociale ; que le FN représente un courant qui prône ce type de choix politique, surtout qu’il ait permis l’ouverture d’espaces idéologiques les légitimant, certes ! Mais pour l’instant, il n’est pas au pouvoir ; c’est bien le Parti socialiste qui depuis plus de dix ans gère de façon à satisfaire les besoin du Capital, donc qui met en place cette société d’exclusion porteuse en effet d’ordre sécuritaire et donc autoritaire ». Le collectif s’engage aussi sur la double peine c’est à dire « l’expulsion appliquée aux étrangers après leur peine de prison », d’où de nombreux articles, en fait depuis 1991. Les questions internationales prennent elles aussi de plus en plus d’importance dans le magazine : « Nous refusons la constitution du monde en trois pôles économiques dominants : les États-Unis, le Japon et l’Europe. C’est un monde où s’exacerbera la concurrence entre ces trois blocs, et ce sur le dos des pays du Sud et des victimes de l’exclusion sociale au Nord comme au Sud. À cela nous devons opposer les valeurs de solidarité, d’égalité, de liberté, au Nord comme au Sud, mais aussi militer pour la libre circulation des êtres humains et des idées » (édito du n°37 de l’été 1992). A partir de ce numéro est créée une rubrique au centre du magazine intitulée « REFLEXes Europe », ou parfois « REFLEXes étranger ». À noter à partir de novembre la parution régulière de No Pasaran! qui veut « reconstituer un réseau de lutte contre l’extrême droite, les politiques sécuritaires et autoritaires », ce mensuel sera régulier (ce qui n’est malheureusement pas le cas de REFLEXes) et reprendra de fait petit à petit un des rôles originels de REFLEXes : faire de la contre-info, et rendre compte des initiatives de collectifs de lutte.
1993 : REFLEXes peine à trouver sa formule et sa périodicité est toujours aussi erratique (trois numéros pour l’année). Le n°38 de février 1993 tente la formule du dossier en ouverture qui déroutera nombre de lecteurs. Ce premier dossier voulait tenter « de traiter de quelques aspects de la citoyenneté ». Force est de constater que les avis divergent entre les différents auteurs : Alain Bihr propose d’apporter des « éléments pour répondre à la crise d’identité nationale «, Luc Bonnet définit « la citoyenneté comme un outil globalement négatif « et Jean-Christophe tente de réfléchir sur ce que pourrait être une « citoyenneté active ». Le reste du journal est essentiellement consacré à l’extrême droite qu’elle soit internationale ou française. La formule dossier est abandonnée dès le numéro suivant qui revient sur une formule magazine qui est encore actuelle : l’ouverture reste aux enquêtes sur l’extrême droite (Les « anciens fachos qui nous gouvernent » et le début d’une longue enquête sur l’extrême droite à l’université puis dans le n°40 une enquête sur les mercenaires néo-nazis en ex-Yougoslavie et sur le PNFE), supplément Europe, Police, immigration et contre culture (interview d’Assassin dans le n°39, puis du musicien antifasciste allemand J dans le n°40). À noter dans le n°40 un article d’humeur « Nous ne mangeons pas d’antispéciste pour ne pas tuer d’animaux », article qui fera couler beaucoup d’encre (qui n’est pas encore seiche!!), REFLEXes étant même l’objet d’une campagne de pétition et de boycott. Pourtant le ton polémique de l’article mettait le doigt sur une dérive du mouvement radical : « l’antispécisme va plus loin que la simple dénonciation des mauvais traitements infligés aux animaux, et sous couvert de bonnes intentions, invente une nouvelle forme de sectarisme, créant une communauté d’où les « viandistes « sont exclus et considérés comme la cause de tous les maux de la planète ».
En 1994, le magazine continue son bonhomme de chemin, les couvertures et la maquette s’améliorent d’un numéro sur l’autre. Les enquêtes sur l’extrême droite sont de plus en plus pointues (au grand dam de certains de nos lecteurs qui nous reprochent de savoir lorsque Le Pen a un pet de travers…), enquêtes sur les châteaux du PNFE, sur le NSDAP-AO et l’opération Werwolf, les NR de SOS Bosnia, Jimmy Goldsmith, etc… Mais un espace de réflexion s’ouvre également dans le magazine avec des articles sur « La société duale : issue ou impasse ? », d’Alain Bihr ou « Postface de À visage découvert » d’Oreste Scalzone. Très impliqué dans le mouvement anti-CIP de mars et avril 1994, le réseau No Pasaran décide la publication d’un numéro hors série « On a toujours raison de se révolter », qui tire le bilan du « joli moi de mars ». Dépassant le CIP, est analysé le travail et sa fonction : « Il paraît évident qu’en soi, les luttes contre le chômage (exiger le partage du travail ou œuvrer pour la création d’emplois) ne sont guère porteuses de perspectives. Elles doivent obligatoirement s’articuler avec celles portant sur tous les aspects sociaux. En fait, il faut inclure la lutte contre le chômage dans la lutte contre les exclusion, contre la dualisation de la société «. Le dossier aborde aussi les situations locales à Nantes, Paris, Rennes, Grenoble, Lyon, Tours, Poitiers et Angers puis l’attitude des syndicats, de la police et même de l’extrême droite.
À la fin de l’année universitaire, un groupe local du Scalp de l’université de Nanterre est au centre (avec nos camarades de la CNT-FAU) d’un micro-cyclone, « l’affaire Watzal », qui est en fait l’expulsion par des étudiants d’un militant de la droite extrême allemande d’un meeting organisé par le professeur Michel Korinmann sur le thème « Germanophobie, Germanophilie, l’Allemagne en question » ; l’affaire prend des proportions insensées par la campagne de presse qui se développe contre les militants antifascistes locaux dans le Monde et le Figaro puis dans le presse d’extrême droite, et par le soutien qu’apporteront tant de mandarins de l’Université à Watzal et Korinmann, la direction même de l’université songeant un moment donné à réunir un conseil de discipline et prononcer des renvois de l’université. Cette affaire trouvera un écho dans REFLEXes n°44, « Quand les liaisons se font dangereuses ».
1995, l’heure des restrictions budgétaires touche à nouveau le magazine qui ne parait plus que sur 28 pages et uniquement trois fois cette année-là, alors que No Pasaran paraîtra 11 fois et passera de 16 à 24 pages. Ceci est annoncé ironiquement dans l’éditorial du n°45 : « Après Libé, REFLEXes ! À la nouvelle formule de 80 pages, nous répondons par une offre plus alléchante encore : 8 pages de moins pour le même prix! Nous parlons peu de nous dans nos éditos : mais les variations qu’a connu notre journal tant au niveau du contenu et de la maquette qu’au niveau de la périodicité, méritaient une explication. Nous essayons depuis longtemps de concilier les impératifs financiers et rédactionnels ainsi que les exigences des délais, tout en tâchant de ne pas réduire la qualité du journal » tout en promettant la fin « du REFLEXes-Arlésienne » : enquêtes (le FN et l’argent, le GUD, les intégristes, la FPIP, les skins, les Hooligans en Europe, la FPIP (encore!!)). Interviews sur les Roms avec Claire Auzias, sur l’affaire Guingouin avec Michel Taubmann, sur la Yougoslavie avec Patrick Lecorre mais aussi Raymonde et les Blancs Blecs. On trouve toujours dans le cahier Europe des articles traduits de Searchlight ou de l’Antifa Info Blatt. C’est à cette date que REFLEXes cesse d’être la revue du groupe REFLEX de Paris pour devenir la revue, hypothétiquement trimestrielle, du réseau No Pasaran.
En 1996, deux numéros pour les premiers mois de cette année : un numéro spécial « Face au sexisme, au machisme, au patriarcat… » réalisé par des militant(e)s du réseau No Pasaran est entièrement consacré, comme son nom l’indique, à l’antisexisme : « Depuis un certain temps, des débats sur le sexisme, le machisme, le patriarcat, l’homophobie, traversaient nos groupes. De la lutte contre les cathos intégristes à la volonté d’installer entre nous des relations égalitaires, du ras-le-bol des pogos machos dans les concerts à la lutte des femmes algériennes, chiapatèques ou tibétaines, la nécessité de développer nos positions et une réflexion plus approfondie se faisait sentir. Nécessité également de connaître l’histoire des luttes féministes, de s’interroger sur l’ordre patriarcal et son rapport avec la société dans laquelle nous luttons ». Après cinq mois d’attente paraît le n°49 de REFLEXes consacré à « La xénophobie au pouvoir » qui analyse la législation anti-immigrée française. Une double enquête dans ce numéro, l’une sur le Mouvement Initiative et Liberté et l’autre sur la police i ntitulée « Le clan des Marseillais ».
1997 va inaugurer une longue période d’incertitude de trois ans au cours de laquelle ne sortiront que trois numéros. Pourtant, à l’origine, il n’y a nulle raison à cette brutale dégradation des délais de parution, les caisses du réseau étant aussi vides en 1997 qu’en 1996. Mais les ennuis du journal vont naître d’un simple changement de maquettiste pour le n°50, changement qui devait être totalement ponctuel. Bien que Grec et fort doué, le nouveau maquettiste va s’avérer également fort lent, submergé qu’il est par de multiples travaux militants, consécutifs à des centres d’intérêt multiples. Les semaines, les mois vont passer sans qu’une amicale pression ne parvienne à débloquer la situation. L’année 1997 va ainsi s’écouler sans aucune publication et donc sans aucun abonnement ou même réabonnement, la plupart des lecteurs croyant le journal mort et enterré, alors même qu’il devait sortir pour fêter les 10 ans du collectif REFLEX fin 1996. Il faudra donc attendre 1998 pour que la situation se débloque, le maquettiste poilu acceptant de transmettre la maquette qu’il retenait en otage.
Le n°50 va donc sortir durant l’été 1998 dans le contexte d’élections régionales où le FN a fait un carton, mais avec des articles tout autant intéressants que défraîchis (et pour cause !) : « Comme un indien métropolitain… » (10 ans de lutte antifasciste radicale), « Cops en stock » et « Eurocops » (10 ans de politique sécuritaire en France et Europe), mais aussi 10 ans de retour de l’ordre moral, 10 de politique de l’immigration… Ce numéro comporte cependant quelques enquêtes sur l’extrême droite : sur le financement 1997 du FN et sur le Black Metal nazi, suite à la profanation de Toulon. La couverture de ce numéro devait être une cible et la tête de Jean-Marie Le Pen. Mais la crainte de poursuites fit disparaître la cible pour ne laisser que la bobine de J.-M. Le Pen éructant sur la candidate PS à Mantes-la-Jolie, fameuse altercation de 1997 qui lui coûtera une inégibilité de 2 ans.
La sortie du n°51 en octobre 1998 semble montrer que la revue est repartie d’un bon pied, d’autant plus que la qualité est au rendez-vous, tant dans la forme que le fond. Ce n°51 est en effet sans aucun doute l’un des meilleurs de tous. Portant sur la « marge », il s’intéresse aussi bien à certains individus ou groupes marginaux de l’extrême droite française (Christian Bouchet, quelques individus du GUD des années 1990, Éric Rossi et le magazine Réfléchir & Agir) qu’au monde carcéral et d’internement.
Mais la trimestrialité n’est pas au rendez-vous et il faut attendre de nouveau six mois pour voir sortir le n°52. Celui-ci qui paraît en juin 1999 est publié dans un contexte lourd, la guerre ayant éclaté au Kosovo et l’avenir semblant être à un embrasement généralisé des Balkans. L’intervention de l’OTAN déchire l’extrême gauche et le mouvement libertaire en particulier. Même si ce numéro s’ouvre sur deux enquêtes sur l’extrême droite (« Gilles Soulas, faf de petite vertu » et « Rock identitaire, RIFifi à Vitrolles »), l’essentiel du dossier porte sur la guerre au cœur de l’Europe avec un point de vue clairement pacifiste, dossier réalisé par un militant du réseau No Pasaran travaillant depuis des années sur l’Europe de l’Est. Mais son agacement face aux habituels slogans de la 25ème heure des gauchistes parisiens lance la polémique au sein du réseau No Pasaran ainsi qu’avec quelques personnalités du mouvement libertaire. En outre, les caisses sont vides et le réseau s’interroge sur la nécessité de publier deux revues : No Pasaran et REFLEXes. Enfin, la scission au sein du FN survenue début 1999 donne l’impression à certains militants que l’antifascisme perd un peu de son caractère prioritaire. 1999 va donc s’achever sans nouveau numéro.
En 2000, quelques militants du réseau, en particulier de province mais aussi parisiens, décident de recréer une nouvelle équipe pour relancer un REFLEXes nouvelle formule qui ne soit plus un magazine antifasciste mais une revue d’articles de fond et de réflexion, approfondissant des thèmes que No Pasaran n’aurait pas la place de traiter. Mais quelques maladresses et incompréhensions mettront vite un terme au projet. Malgré tout, le travail engagé n’aura pas été perdu puisqu’il sera publié sous la forme d’un No Pasaran hors-série consacré à l’agriculture. Reste que l’expérience est vécue comme un échec par le réseau No Pasaran qui décide alors durant l’été 2000 de se désengager de REFLEXes, aussi bien financièrement que structurellement. Le titre semble alors condamné.
Mais tel une mauvaise herbe (certains, moins modestes, auraient évoqué le phœnix !), le journal va renaître à l’automne 2000, suite à l’obstination de quelques membres vétérans de REFLEX. Simplement cette reparution va se faire dans un cadre bien précis afin de ne pas faire « doublon » avec No Pasaran. REFLEXes nouvelle formule va donc porter spécifiquement sur les mouvements prônant le repli nationaliste et /ou communautaire ainsi que sur les structures répressives à l’échelon national ou européen. Le journal gardera par ailleurs son ouverture sur la lutte antifasciste en Europe, la dimension continentale étant fondamentale.
Le n°1 (53) est lancé à l’automne 2000 et en cet automne 2002, cinq numéros ont donc paru en respectant une périodicité globalement semestrielle. L’aventure continue !
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