REFLEXes

Le fil identitaire

29 novembre 2004 Les radicaux

Si donc la communication nationaliste est finalement assez contrastée dans ses modes d’action et ses résultats, il est un secteur qui a connu un certain développement, à savoir le créneau identitaire. Revues, boutiques, ateliers de création, groupes musicaux : le terme est utilisé par tous les supports possibles et imaginables et cette inflation n’est pas innocente. La notion présente en effet des avantages politiques tout autant qu’idéologiques. Les avantages les plus évidents sont sur la neutralité du terme. Il est en effet peu connoté et ne renvoie pas de prime abord aux «heures les plus sombres de notre histoire» comme diraient nos chers démocrates. Contrairement au mot nationalisme qui est associé dans l’imaginaire européen à la violence et à la fermeture aux autres, «identitaire» est plutôt dans l’air du temps. Il évoque le «terroir», les «racines», le «ressourcement», bref toutes ces notions qui sont la base du marketing commercial depuis une dizaine d’années et que l’on retrouve dans de nombreuses publicités télévisées. Et à qui reprocherait-on de vouloir avoir une identité ?
Par ailleurs, le terme correspond également assez bien à l’évolution idéologique d’une fraction du courant nationaliste français, à savoir tous ceux pour qui le combat prioritaire et légitime n’est plus tant dans la défense de la nation française que dans celle du peuplement blanc européen. Cela englobe Terre & Peuple, Unité radicale dans une certaine mesure mais également toute une série de petites structures qui font passer le combat culturel avant le combat purement militant. L’étiquette de «nationalistes européens» leur conviendrait bien mais elle n’est pas très parlante et peut prêter à confusion. Aussi le terme d’identitaire leur va-t-il à merveille, ce que Jean Mabire traduisait parfaitement à la dernière table ronde de Terre & Peuple début octobre en recommandant d’abandonner définitivement le terme de nationaliste, trop ambigu. En outre l’adoption du mot traduit parfaitement le repli politique prôné par ses utilisateurs. Au début du Contrat social, Rousseau établit une distinction importante entre agrégation et association. Pour lui, la société ne saurait être le résultat d’une multitude d’individus poursuivant chacun des buts particuliers mais d’une association d’individus s’unissant par un acte volontaire. Il allait en cela contre certains auteurs libéraux comme Bernard Mandeville qui considérait que le bien commun provenait de la réalisation des biens individuels. Pour lui, la volonté générale, indispensable à toute société, ne saurait jaillir de la multitude et de l’agrégation. Or il faut bien constater que le système capitaliste a «réussi» en deux siècles dans les pays européens à substituer l’agrégation à l’association, tant par la diffusion de valeurs individualistes et hédonistes que par des mouvements migratoires nationaux dans un premier temps et internationaux dans un deuxième temps. Le développement de la thématique «identitaire» dans une partie du courant nationaliste n’est donc finalement pas si éloignée que cela dans sa démarche de la thématique «républicaine» dans d’autres courants politiques, chevènementistes en particulier. Ces thématiques visent à retourner à un âge d’or de la vie en société, quand tout le corps social, pour hétérogène qu’il soit, avait une véritable volonté générale, qu’elle soit politique ou ethnique.

Mer & Poulpe

C’est donc cette thématique que l’on retrouve dans Terre & Peuple – La revue qui marche de plus en plus sur les brisées du GRECE ancienne mouture. On y trouve une rubrique qui figurait autrefois dans Éléments sur les traditions populaires européennes. Il est d’ailleurs à noter que la revue multiplie les hommages et clins d’œil au GRECE, que ce soit avec un compte rendu élogieux des derniers numéros d’Éléments, en particulier celui consacré à l’Europe, ou des encarts consacrés au château de Roquefavour (Ventabren), propriété du GRECE, à partir duquel M. Rollet, «greciste» historique, anime le bulletin L’Âtre. Mais c’est aussi la thématique des premiers ouvrages publiés par la nouvelle SARL de presse lancée par Pierre Vial, les Éditions de la Forêt. Mais il existe bien d’autres structures diffusant ce type de discours du «retour aux racines» :
- journaux «enracinés» comme le bulletin Alternative Europe[1] ou le trimestriel Utlagi [2], Montségur [3] ou Le Lansquenet [4] à Aix, Gwenn Ha Du en Bretagne ou Solaria en Alsace, trimestriel animé par Jean-Christophe Mathelin et rattaché à la Maison du Soleil[5] (centre d’études solaires) à Diedendorf ;
- petites maisons d’édition comme le Veilleur de Proue, affiliée au Mouvement de la Jeunesse Normande (MJN, lié au Mouvement normand dont le président est Didier Patte, ancien membre de Nouvelle Résistance) et qui éditent des brochures de paganisme nordique;
- ateliers artisanaux comme l’Atelier de l’Elfe ou l’Atelier des Léopards d’Or à Remiremont ou les «boutiques d’artisanat enraciné» comme Lou Paradou à Nice ou Terres celtiques à Grenoble. Cette boutique animée par de vieux militants NR grenoblois déjà à l’œuvre du temps de la revue Noir & Rouge se veut à la fois pôle de diffusion de vêtements (surplus, T-Shirts mytho, fringues skinheads), de bibelots pour «décorer son petit bunker» (sic) (emblèmes médiévaux, fanions nazis, etc.), de livres et de CDs, de boissons et enfin d’armes (matraques, poings américains…) et pôle de regroupement NR autour de l’association La Bagaude. D’après eux, tout cela ne vaut pas «une charge de panzers au petit matin» mais apparemment ils s’en contentent… Le gérant-propriétaire Christian Mollier ainsi que d’autres militants MNR de l’Isère ont d’ailleurs été poursuivis l’année dernière pour l’attaque d’un meeting sur l’immigration algérienne en novembre 1999. Même si le tribunal correctionnel a été obligé d’abandonner les accusations de coups et blessures, port d’armes, en raison de l’imprécision des témoignages, les inculpés ont été jugés pour «entrave concertée à la liberté de réunion» et surtout pour «incitation à la haine raciale» pour divers slogans. Ils ont été condamnés les uns et les autres à des amendes, à des peines de prison avec sursis (10 mois) et à la privation de leurs droits civiques (5 ans). Le lâchage par le MNR a aussitôt poussé Mollier dans les bras du FN, ce qui a valu de nouvelles poursuites au responsable local de ce parti, Georges Theil, pour des propos négationnistes.

L’Oreille cassée

On ne saurait conclure ce bref panorama sans un mot sur le bien nommé Rock Identitaire Français. Le RIF apparaît en tant que tel avec le groupe Vae Victis, monté par des militants du Renouveau étudiant en 1993. Brocardée à ses débuts, l’expérience finit par s’avérer concluante et suscite la création d’autres groupes, sans pour autant qu’il y ait de ligne politico-musicale bien claire et sans même que la notion de RIF constitue autre chose qu’une définition par défaut. Nationaliste, le RIF rassemble tous ceux qui veulent sortir du ghetto bonehead et essayer de faire de la musique un média militant comme a pu l’être le rock alternatif pour le milieu libertaire à la fin des années 1980. De l’extérieur, le pari semble réussi. Deux labels, Memorial Records et Bleu-Blanc-Rock, parviennent à produire une dizaine de groupes comme Aion (Lorraine, musique indus), Basic Celtos (région parisienne, fusion), Brixia (région parisienne, rock), Elendil (région parisienne, rock), Fraction (PACA, metal), Ile-de-France (région parisienne, rock), In Memoriam (région parisienne, rock), Kaiserbund (région parisienne, musique indus), Vae Victis (région parisienne, rock), Insurrection (Châteauroux, rock limite RAC). Chaque label a une démarche spécifique qui lui permet d’exploiter un créneau. Dans le cas de Memorial Records, la démarche est clairement commerciale puisque le label est une SARL montée avec l’aide de Gilles Soulas. Memorial s’appuie essentiellement sur In Memoriam, les membres étant les mêmes : Julien Beuzard, Matthias Briccage ou Xavier Schleiter. Lié de façon militante au MNR, In Memoriam bénéficie de fait de ce créneau. Bleu-Blanc-Rock est clairement plus militant et rassemble à présent les deux tiers des groupes. Lancé en 1998 par Fabrice Robert, Jean-Christophe Bru et Paul Thore entre autres, BBR a adopté dès le début une politique de promotion du RIF visant clairement à en faire un outil politique, copiant en cela la démarche des Italiens du groupe Zetazeroalfa, avec qui ils ont des liens très étroits. Le principal support a été une cassette-compilation vendue 10 francs et qui a été diffusée à 5000 exemplaires, lors de fêtes de la musique par exemple. Souhaitant rééditer l’expérience, le label s’apprête à faire la même chose avec un CD-Rom vendu deux euros et centré sur la lutte contre la mondialisation. BBR a par ailleurs mis en place un site Internet efficace qui pratique la tactique du «cheval de Troie». Le site chronique en effet des groupes non nationalistes, voire d’extrême gauche, ce qui lui permet d’apparaître dans les sélections des moteurs de recherche lors de recherches portant sur ces groupes, et de toucher ainsi un public qui lui aurait totalement échappé. Enfin, le label a mis en place des relais locaux, en général une ou deux personnes, pompeusement appelés «cellules militantes». Mais en creusant un peu, on peut s’apercevoir que le bilan de l’expérience est heureusement moins positif. D’une part, faute de stratégie bien définie, le RIF reste confiné à un petit public et, pire pour ses promoteurs, à un public largement bonehead ! Celui-ci compose en effet une bonne part du public des concerts. Le constat vaut aussi pour les musiciens qui sont sur la brèche depuis quelques années et ne sont finalement qu’une bonne quinzaine. On retrouve en effet Julien Beuzard, Fabrice Lauffenburger ou Thibaud Lamy dans plusieurs groupes à la fois. D’autre part, le milieu est très divisé et multiplie les embrouilles internes, en particulier entre les musiciens d’In Memoriam et les autres. Enfin, la politique de confinement des antifascistes a porté ses fruits en empêchant le RIF de devenir cet outil politique que voulaient en faire ses promoteurs. On peut rappeler à titre d’exemple l’affaire du Podium Rock du Gibus au printemps 2000. Ayant franchi en douce la première élimination qui avait vu l’élimination de 120 groupes sur 200, Ile-de-France comptait faire de même pour la deuxième. Finalement, cette deuxième compétition a eu lieu sans eux à la suite des pressions exercées sur le Gibus et de l’annonce d’un rassemblement à côté de la salle. Même si le groupe et ses fans se sont réfugiés sous un pont avec un groupe électrogène, la manœuvre a échoué. Néanmoins, il est évident que la neutralité du terme identitaire ne peut que permettre ce type de tentative et il serait bien étonnant qu’on n’assiste pas dans les années à venir à des tentatives de prise de contact avec des organisateurs de spectacle ou des groupes non nationalistes, mais séduits par la thématique identitaire et antimondialisation. Après tout, il existe déjà des activités de ce type dans le domaine intellectuel. C’est le cas des conférences annuelles de la revue Politica Hermetica publiée par L’Âge d’Homme, ou du festival européen des mythes et légendes de Carcassonne, dont le vice-président est Christophe Levalois, proche du GRECE et fidèle alter ego d’Arnaud Guyot-Jeannin dans le cercle Sol Invictus. Comme quoi tout est tristement possible…

  1. Ancienne scission alsacienne de Nouvelle Résistance, dont les animateurs s’affirment «militants européens convaincus, pour qui l’Alsace ne pourra se développer pleinement uniquement dans le cadre d’une Europe fédérale des régions, où la conscience identitaire européenne sera affirmée face à l’impérialisme américain et face à l’immigration extra-européenne».[]
  2. Cela signifie hors-la-loi. Ce journal est implanté en Bretagne, en Normandie et dans le Maine.[]
  3. Né en 2000 de la réunion des anciennes équipes de l’Avant-Garde Jeunesse (Stéphane Parédé, responsable MNJ et UR à Nîmes), Parcours d’Europe (Bruno Favrit), Auda Isarn et des militants occitans isolés[]
  4. Assez curieusement, sans doute parce qu’ils n’y connaissent rien, les rédacteurs encensent le CCI (Courant Communiste Internationaliste) c’est-à-dire l’ultra-gauche conseilliste, ce groupuscule étant traditionnellement hostile à l’antifascisme.[]
  5. Ce centre produit des bijoux, posters, calendriers, etc. Il est vivement recommandé aussi bien par Ratier que par les NR ou encore par Terre & Peuple.[]
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