(Article publié en octobre1993 dans le n° 40 de la revue REFLEXes)
Profitant de la tenue du Congrès Métropolis 1993 réunissant les grandes métropoles du monde à Montréal du 21 au 24 septembre dernier, le Front national a tenté une percée outre-Atlantique. Grâce au Conseil régional d’Île-de-France, deux membres du FN, Jean-Yves Le Gallou et Patrick Delmas, ont participé à ce congrès international en tant que membres de la délégation multipartite de ce Conseil, qui regroupait vingt-sept délégués dans un congrès en réunissant 800. Les deux élus du FN ont également été rejoints au Québec par Jacques Dore, chargé de missions aux Affaires étrangères du FN et conseiller de Bretagne.
Dès l’annonce de la tenue d’une rencontre publique du FN au Québec à la fin juillet, plusieurs organismes ont réagi. Une coalition contre la présence du Front national et la montée de l’extrême droite s’est constituée pour s’opposer aux plans du FN. L’Association des hôteliers de Montréal a même invité ses membres à la prudence en les invitant à reconsidérer l’impact qu’aurait la location d’une salle au FN pour la tenue d’une rencontre. Malgré les garanties de M. Roger Alacoque, ex-bottier de Lyon et représentant du FN au Québec, que «50 malabars assureront la sécurité et qu’ils sont prêts à tout pour moi», l’Hôtel Maritime de Montréal a annulé sa réservation avec le FN à la fin juillet.
À la suite des déclarations du représentant du FN au Québec voulant que le Ku klux klan soit un allié occasionnel du FN et le leader du KKK un «bon garçon», la véritable nature de cette assemblée est devenue évidente pour tous. Le FN voulait regrouper les membres xénophobes, ultra-nationalistes et racistes du Mouvement pour une immigration restreinte et francophone (MIREF), Jeunes Nations, SOS Génocide, le KKK sous sa bannière unifiée. Des représentants du Heritage front, un groupe suprématiste blanc canadien, allaient également faire partie de la rencontre. Bref, le Front national allait permettre aux racistes et aux néo-nazis de se rencontrer et de former une alliance pour faire progresser leur programme politique au pays.
C’est plutôt une bannière unifiée contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie qui s’est constituée, avec plus de 38 organisations-membres, recevant l’appui de 39 organismes provenant des milieux syndicaux, antiracistes, politiques, de femmes, de gays et de lesbiennes, d’immigrants et de communautaires. En fait, la plus grande coalition antiraciste des trente dernières années au Québec !
Une arrivée houleuse
Dès l’arrivée des délégués FN, une trentaine de manifestants antiracistes les ont «chaleureusement» dénoncés à l’aéroport de Montréal. Par la suite, Le Gallou s’est dit amusé de la réaction ! Le maire de Montréal a ensuite annoncé son intention de refuser l’accès au cocktail officiel de la ville aux délégués du FN. Le lendemain, 250 personnes manifestaient à l’ouverture du Congrès Métropolis en dénonçant la présence du FN. Mais, le lendemain, la récréation était terminée pour le FN.
Le 22 septembre 1993, le Front national organise une conférence de presse pour énoncer ses thèses politiques et répondre à la campagne de «diabolisation» dont il se dit victime. Encadré par une vingtaine de militants néo-nazis du KKK et du Heritage front, le Front national tente de présenter sa plate-forme politique. L’arrivée de manifestants antiracistes provoque une certaine nervosité chez le service d’ordre des chemises brunes, assemblé pour assurer la sécurité du FN sous la «gouverne» du leader du Ku klux klan, Michel Larocque. Alors que les médias ne cessent de questionner Le Gallou et Dore sur les liens qu’entretiennent le FN et le KKK, et après plusieurs tentatives pour éluder la question, Dore tient à se distancer du KKK. Alors, le cirque du FN s’emballe.
Le leader du KKK dénonce l’hypocrisie du Front national en soulignant qu’il a reçu le mandat d’assurer le service d’ordre, que lui et ses «amis» sont membres du CFRE et qu’il n’admet pas que les skinheads néo-nazis soient maintenant rejetés publiquement. «Nous avons les mêmes idées, vous nous utilisez, vous n’êtes qu’un bourgeois, Monsieur Le Gallou !» s’exclame le leader du KKK du Québec, alors que les représentants du FN prennent la fuite en voiture, sous le feu nourri de questions des représentants des médias.
Remis de ses émotions, le leader du KKK en profite pour aller menacer les antiracistes, réunis à l’extérieur, en affirmant : «Faites attention, si vous revenez ce soir, on est armés !». Et tout cela sur les ondes d’une chaîne de télévision nationale !!! Michel Larocque avait même sorti son complet-cravate pour l’occasion, le même qu’il porte lorsqu’il doit se rendre devant les tribunaux pour répondre à des accusations…
Mais, malgré les apparences de Larocque, les membres du KKK arboraient «fièrement» leurs chemises brunes pour ce qui devait être un véritable «gala» mais qui s’est transformé en farce monumentale pour le FN au Québec.
La mobilisation populaire annule la rencontre du FN
En soirée, plus de 1.000 personnes ont formé la plus grande manifestation antifasciste depuis des décennies à Montréal et ont marché vers la salle où devait se tenir la rencontre du Front national. Dès que cette information a été transmise aux néo-nazis réunis dans la salle et aux environs, Monsieur Le Gallou a préféré demeurer dans sa chambre d’hôtel. Le leader du Heritage front, Wolfgang Droege, et ses trois sbires de Toronto ont rapidement quitté la ville. Les principaux leaders des groupes racistes du Québec ont également fui dans leurs voitures et le KKK n’a réussi à retenir qu’une quinzaine de skinheads sur place pour attendre le message de la population montréalaise, en leur promettant qu’ils seraient protégés par la force anti-émeute de la police de Montréal. La réunion était annulée !
À l’arrivée de la manifestation, les fascistes ont bien tenté de faire quelques saluts hitlériens, mais ils ont dû partir rapidement sous le flot ininterrompu des manifestants. Ces «défenseurs de la race blanche» ont rapidement pris la fuite en offrant leur postérieur pour cible, dévoilant ainsi leur vrai visage. Malgré quelques gestes de provocation de la part du KKK, la seule arrestation opérée sur les lieux par les forces de l’ordre fut celle d’un sympathisant du FN, accusé d’agression armée contre un policier.
Dès le lendemain, les élus du FN ont pris le premier vol pour Paris, en ne prévoyant pas de remettre les pieds au Québec de sitôt, selon les dires de leur dirigeant au Québec. Ce même dirigeant, Roger Alacoque, a même soumis sa lettre de démission pour l’embarras causé et l’échec de la sortie du FN. Cette démission a été rejetée par le Front national ! Le 28 septembre, le FN a fait volte-face et accepté la démission de son responsable canadien…
Les plans du FN ont donc été carrément annihilés par la mobilisation populaire. Nous devons nous inspirer de cette réussite pour bâtir un mouvement antiraciste encore plus fort dans les prochains mois.
Centre canadien sur le racisme et les préjugés
Mis en ligne le 3 janvier 2007
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