REFLEXes

Les bastions de la FPIP

L’influence de la FPIP se confirme de manière éclatante lorsque les élections professionnelles de décembre 1992 du Secrétariat Général pour l’Administration de la Police (SGAP) de Marseille sont annulées après la plainte de deux syndicalistes de l’Union des Syndicats Catégoriels (USC). Les résultats de l’enquête de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) mettent à jour toute une série de fraudes patentes : votes doubles, prénoms erronés, noms mal orthographiés, faux matricules, signatures imitées… Certains policiers avaient truqué les résultats comme de vulgaires politiciens. Du coup, de nouvelles élections sont convoquées pour octobre 1993.

Publié en juin 1995

Les résultats démontrent la solide implantation de la FPIP dans ses terres du Sud. C’est ainsi que sur l’ensemble du SGAP de Marseille (soit 11 000 policiers disséminés sur treize départements), la FPIP progresse, passant de 8,11% à 9,06%. Dans le seul département des Bouches-du-Rhône, elle obtient une moyenne de 15,7% des voix. À Marignane, elle est majoritaire avec 43% des voix tandis qu’elle obtient 24% des voix à Tarascon et 22% à Vitrolles. À Marseille, elle fait un score de 17% en moyenne. Avec 31%, elle est majoritaire dans le sixième arrondissement. Dans le seizième, elle obtient 27% des voix et 26% dans le troisième arrondissement. Le parallèle avec le vote FN n’est pas difficile à faire. La FPIP obtient ses plus gros scores à Marignane, une ville où le FN arrive depuis cinq ans en tête au premier tour de toutes les élections. Quant à Vitrolles, une victoire de Mégret aux municipales de cette année ne sera pas une grosse surprise. À Marseille, c’est dans les quartiers nord et au centre-ville que la FPIP fait ses meilleurs scores, tout comme le parti de Jean-Marie Le Pen. Il est vrai que la FPIP trouve à Marseille un terrain particulièrement favorable à ses thèses : le souvenir de la Guerre d’Algérie, puis l’arrivée de policiers rapatriés après 1961, qui ont emmené avec eux leur rancœur envers la population immigrée installée dans la ville, l’influence du Service d’Action Civique (SAC) des années 1960 à la fin des années 1970 (lors de l’enquête sur la tuerie d’Auriol, on découvrit que sur les 145 membres du SAC dans les Bouches-du-Rhône, on comptait 45 fonctionnaires de police dont 17 CRS, 16 gardiens de la paix, deux brigadiers chefs…), et enfin la peur de la gauche au pouvoir. C’est ainsi qu’en mars 1993, la veille du premier tour des municipales, et dans la ville-même du ministre de l’Intérieur Gaston Deferre, sous les ordres du commandant Le Folch et du commissaire Weinstein, des CRS assuraient, munis de leurs armes de service, le service d’ordre d’une réunion publique du RPR présidée par Jacques Chirac.

La FPIP peut aussi compter sur de nombreux sympathisants adhérents au Cercle national de la Police, une association créée par deux membres de la FPIP de Marseille, Jean Bergé et Philippe Brunetti : ce soutien n’est pas seulement idéologique, il est aussi financier. Plus de 50% des publicités qui financent le journal du syndicat Police et Sécurité Magazine sont payées par des entreprises ou des petits commerces de Marseille et de la région. Un poids qui explique la représentation importante accordée aux membres marseillais de la FPIP au sein du syndicat. C’est ainsi qu’au cinquième congrès de la FPIP en mai 1990, pas moins de six policiers marseillais ont été élus au conseil d’administration du syndicat. Il s’agit de Thierry Balint, Philippe Brunetti, le secrétaire régional adjoint Philippe Carles, le délégué du corps urbain Patrice Puech, le délégué régional du IXe groupement de CRS Didier Estrade et le délégué de la CRS 54 de Marseille Rémi Ruszczak. C’est au vu des dernières élections que la FPIP retrouve début février 1994 l’enveloppe budgétaire et les dotations de facilités de service (autorisations spéciales d’absences pour activité syndicale) qui lui avaient été supprimées sous la gauche. Désormais considéré comme un syndicat qui compte, la FPIP est même reçue au ministère de l’Intérieur fin avril 1994 dans le cadre de l’analyse des résultats du questionnaire envoyé aux policiers par Pasqua pour connaître leur demande. La valse des réintégrations suit son cours avec celles de Patrick Extrême et de Gérard Hamid Saïdi. Mieux encore, le ministre de l’Intérieur se désiste en appel du recours qu’avait déposé son prédécesseur contre un jugement du Tribunal administratif de Lyon annulant l’arrêté de révocation de Michel Tridon, un des quatre révoqués de novembre 1991, ce qui signifie à plus ou moins long terme sa réintégration dans la police. De quoi donner espoir aux trois autres révoqués, dont le président de la FPIP, Philippe Bitauld.

Il est vrai que celui-ci et son syndicat semblent avoir définitivement choisi le camp de la majorité actuelle au détriment du Front national. Pour preuve, les manœuvres qui eurent lieu durant l’élection législative du XIXe arrondissement de Paris fin janvier et début février 1994. En effet, Jean-Pierre Pierre-Bloch, élu en mars 1993, est invalidé peu après pour avoir dépassé le budget de campagne autorisé par la nouvelle loi sur le financement des partis. Du coup, il ne peut se représenter et c’est sa femme qui le remplace. Déjà en 1993, la lutte a été chaude et l’élection s’est jouée entre lui et le candidat du PS à 500 voix près. C’est dire si toutes les voix valaient cher. À cette époque déjà, la sécurité avait été un thème majeur dans la campagne. C’est pourquoi nul ne s’étonne quand se présente une liste intitulée Sécurité pour tous. Elle est dirigée par un journaliste, Arnaud Folch, qui a pour suppléant un sous-brigadier de police, Didier Lin. Folch est le directeur de publication de Police et Sécurité magazine, ainsi que le trésorier de l’association des Amis de Police et Sécurité. Lin est un militant de la FPIP du XVIIIe arrondissement. Arnaud Folch est aussi journaliste à Minute, il a pour lui d’être très bien introduit à la fois dans les milieux d’extrême droite et dans les milieux policiers. Ainsi en 1987, il avait été le seul journaliste autorisé à prendre des photos du congrès du PNFE au château du Corvier, photos qu’il avait ensuite vendu à VSD et à L’Événement du Jeudi. Une partie de cet argent était revenue au PNFE. Les mauvaises langues affirment aussi que sur cette affaire il aurait travaillé pour un troisième client, les Renseignements généraux. Mais quel est le but de sa candidature ? Officiellement, il s’agit de faire connaître «le scandale des révocations dont ont été victimes les policiers de la FPIP», officieusement, il s’agit en fait de prendre des voix aux deux autres listes sécuritaires présentes, celle du Front national et celle de Louis Girard «la France aux Français», pour les amener au deuxième tour à la candidate UDF-RPR, comme le prouve un document publié par L’Événement du Jeudi de janvier 1994 intitulé «Proposition pour un protocole d’accord entre le CNI et Arnaud Folch candidat pour Sécurité pour tous». Ce document définit quelle doit être l’action de Folch : «afin d’optimiser les chances de succès du candidat RPR-UDF dans le XIXe arrondissement, le candidat Sécurité pour tous aura pour tâche d’atteindre un double objectif : obtenir entre 3 et 5% des voix au premier tour (électeurs du FN, abstentionnistes, ex-électeurs sécuritaires de Jean-Pierre Pierre-Bloch) et assurer un bon report de ses suffrages en faveur du candidat de la majorité lors du deuxième tour». Le CNI quant à lui promet de soutenir la candidature de Folch, mais sans apparaître publiquement et se charge «des garanties à obtenir, transactions du suivi des contacts et négociations avec ses partenaires du RPR et de l’UDF, qui lui auront au préalable donné toute latitude d’organiser cette liste d’appoint au service de la majorité». En contrepartie, Arnaud Folch promet «le soutien actif (financier, militants et structures) de l’association Police et Sécurité très bien implantée sur la circonscription, et qui avait assuré la victoire de Jean-Pierre Pierre-Bloch entre les deux tours en mars dernier». Au premier tour, la liste Sécurité pour tous obtient 221 voix tandis que Mme Bloch est battue au second tour.

Longtemps marquée à l’extrême droite, la FPIP semble aujourd’hui avoir rejoint le camp de la droite dure tendance RPR ; elle y gagnera sûrement la réintégration de ses dirigeants, tandis que l’autre partenaire retrouvera ainsi des voix précieuses à la veille d’échéances importantes, où la sécurité reste un des thèmes majeurs de ces campagnes électorales. Pillé par la droite au plan des idées sur les questions d’immigration et de sécurité, concurrencé sur le terrain du populisme par Tapie, et sur celui des valeurs par de Villiers, Jean-Marie Le Pen ne peut plus crier qu’au voleur, sans même pouvoir aller se plaindre à «ses amis» de la FPIP. Entre le cœur (Le Pen) et la raison (la sécurité de l’emploi), ceux-ci semblent avoir définitivement choisi le second.

Paru dans REFLEXes n° 46, mai 1995

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