REFLEXes

Les pets & la plume

Un mouvement ou un courant politique ne peut vivre sans communication. Et plus ce courant est marginal, plus celle-ci devient un impératif. Lénine, obsédé par les questions de tactique politique, avait bien identifié l’enjeu en considérant qu’avoir un organe de presse était le premier devoir du parti révolutionnaire. L’extrême droite n’échappe pas à cette règle, d’autant plus qu’elle est, à l’instar d’autres mouvements politiques marginaux (le nôtre par exemple !), globalement exclue des grands médias[1].

Cet état de fait s’est renforcé depuis la scission du FN fin 1998 et nous avons déjà eu l’occasion de dénoncer cette situation qui nous paraît fort dangereuse. Nous allons donc essayer de dresser un panorama tout aussi rapide que non exhaustif du Paysage Communicant Fasciste (PCF) pour constater, si besoin en était, que l’extrême droite n’est pas morte et qu’elle communique encore…
De ce PCF, nous avons volontairement exclu les royalistes dans leurs différentes versions organisées, même si de nombreux militants nationalistes peuvent se définir comme maurrassiens, tout autant que les catholiques dans leur non moins très grande variété. Ce n’est pas par manque d’intérêt, et J.-Y. Camus et René Monzat en leur temps[2] s’y sont essayés. Mais mis à part certains titres de presse que nous signalerons, cette communication fonctionne en circuit fermé, en particulier quand il s’agit de la multitude de petits bulletins traditionalistes ou intégristes, schismatiques ou ralliés à Popaul II. Or c’est la communication ouverte à la société (ou du moins celle qui fait vœu de l’être) qui nous intéresse. De la même façon, mises à part quelques exceptions, nous n’avons pas travaillé sur le fond c’est-à-dire sur le discours porté par cette communication. Nous avons déjà eu l’occasion de le faire, nous l’aurons encore dans le futur. Nous allons donc nous attacher à la forme de cette communication et ce en trois volets : la presse et l’édition, puis les lieux de diffusion et enfin le créneau de l’identitaire.

Ne pas prendre les canards du führer pour des enfants du Bon Dieu

Il est souvent dit que la culture anarchiste est une culture de l’écrit. Ce constat s’applique parfaitement au courant nationaliste, même si cette communication écrite est particulièrement protéiforme. Elle s’appuie sur un bloc dur de structures directement liées au mouvement militant. C’est en particulier le cas de la presse[3] : Minute, Présent, National Hebdo, Rivarol. Il est globalement de bon ton d’entendre les responsables de cette presse se plaindre : de l’ostracisme de la «grande presse», des embûches de l’État, des procès des «lobbies», des difficultés financières…

Or, force est de constater que cette presse nationaliste diffusée en kiosque ne se porte pas si mal que cela. Tout du moins qu’elle ne se porte pas plus mal que toute autre presse politique, en particulier d’extrême gauche, et même pas plus mal que la «grande presse» centriste si on tient compte du fait qu’elle n’a que fort peu accès aux recettes publicitaires. C’est en effet toute la presse politique qui est en crise en France et les journaux nationalistes, hebdomadaires ou quotidiens, n’échappent pas à la règle. Il n’en reste pas moins vrai que le créneau est étroit et que toute nouvelle tentative de création est plus ou moins vouée à l’échec. Ce fut particulièrement le cas du Français, quotidien lancé en octobre 1994 et dirigé par Philippe Colombani, transfuge de Présent. Ses initiateurs avaient pourtant des ambitions modestes : maquette claire, rubriques classiques, des articles au ton plus mesuré que ceux de Minute ou de National Hebdo, pas de reportages ni d’enquêtes, aucune recherche du sensationnel. Officiellement, Colombani annonçait vouloir faire le quotidien d’une «vaste force politique nationale et populaire», des «cinq millions de personnes, qui, à droite, ont refusé l’esprit de système» en votant, lors du scrutin européen pour les listes Le Pen, Villiers et Goustat[4]. Or s’il se plaçait incontestablement à droite du Figaro, Le Français n’a pas donné de signes tangibles de sa volonté de rassemblement. L’équipe du journal était proche du Front national et plusieurs rédacteurs venaient du mensuel Le Choc du Mois. La société éditrice, Carnix[5], était une SA au capital de 1 500 000 francs où on trouvait des actionnaires proches de la Nouvelle Droite (ND) et de Bruno Mégret. Les préoccupations politiques et culturelles du journal faisaient écho, sans ostentation, à celles de la ND. C’était net en matière de géopolitique avec de nombreux articles opposant Europe et Occident ou présentant les pays arabes comme des alliés incontournables de l’Europe. Mais on y trouvait également des entretiens avec Jean Mabire, Michel Marmin ou Dominique Venner. Le problème était sans doute là, à savoir que Le Français, en étant un instrument de communication et d’influence aux mains d’une équipe liée à Bruno Mégret, s’est coupé l’herbe sous le pied. Jean-Marie Le Pen a tenu à préciser dès le début qu’il n’était en rien engagé dans cette aventure et Présent a réagi très négativement au lancement d’un autre quotidien sur le créneau très étroit du lectorat lepéniste. En moins de deux ans, Le Français disparaissait des kiosques.

On a pu encore une fois vérifier le rôle indirect du FN dans la presse nationaliste avec les conséquences de la crise de 1998. Sentant le danger d’être entraînés dans une guerre de clans commercialement suicidaire, les différents journaux ont essayé de se tenir au-dessus de la mêlée. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’y sont pas parvenus, Le Pen ne leur en laissant pas la possibilité. 1999 a ainsi été une annus horribilis : National Hebdo a connu une hémorragie de lecteurs et de rédacteurs, en particulier son rédacteur en chef Martin Peltier, passé aux mégretistes. Présent est passé à 4 pages et a licencié du personnel, la diffusion en kiosque semblant être tombée de 3000 à 1200 exemplaires et les abonnés de 7000 à 4000 environ. Le besoin de liquidités (environ un million de francs !) l’a amené à vendre un immeuble de sa filiale Difralivre pour regonfler son capital. L’hostilité du FN s’est en effet traduite par des gestes de malveillance comme la consigne transmise aux militants de se désabonner, le refus de louer un stand aux BBR[6] 99 ou même l’édition d’un pastiche intitulé Pesant par l’équipe du journal Béret Baguette. Le quotidien n’est d’ailleurs toujours pas cité comme «presse amie» par le FN. Minute, appartenant au vieux routier nationaliste Gérard Penciolleli depuis 1993, a quant à lui carrément déposé le bilan en avril 1999. Même si cette situation n’est pas directement imputable à la crise du FN, celle-ci n’a évidemment rien amélioré. Cette liquidation judiciaire fut l’occasion pour une partie de la rédaction de laver son linge sale en public par le biais d’un pastiche de quatre pages, Un Faux Minute, dans lequel étaient dévoilées les frasques politico-financières de Penciolleli et ses liens avec les Renseignements généraux. L’équipe attaquait également Nicolas Miguet, escroc notoire qui sans attendre la décision du tribunal de commerce avait essayé de faire main basse sur le titre. Cela n’a pas empêché le tribunal de désigner Catherine Barnay comme repreneur, malgré ses liens connus avec Penciolleli et un passé de militante néo-fasciste particulièrement chargé. L’hebdomadaire vivote donc de nouveau depuis janvier 2000, d’abord sur abonnement et à présent en kiosque. Le seul à avoir tiré son épingle du jeu est finalement Rivarol. Non seulement le vieil hebdomadaire a récupéré une partie du lectorat des autres titres, mais il apparaît de nouveau comme le porte-voix le plus radical de la droite nationaliste, ce qui n’est pas usurpé… Le titre a de fait fêté ses 50 années d’existence début 2001. Dans ce contexte, certains journalistes dont Martin Peltier et François Brigneau ont cru pouvoir essayer d’atteindre la viabilité économique en remplaçant le papier par l’électronique. Intitulé Le Quotidien de France, ce projet devait prendre la forme d’un quotidien diffusé sur Internet par abonnement. Las ! Le montant prohibitif de cet abonnement, plus de 900 francs, n’a convaincu que… neuf courageux lecteurs et après quelques semaines d’activités en 2000, le projet a avorté.

Mais ce secteur de la presse de kiosque n’est sans doute pas le principal support de la communication nationaliste. Car en matière d’écrit, celle-ci est surtout portée par une myriade de bulletins et de revues, indépendantes ou militantes, pour lesquelles l’abonnement est vital. On retiendra entre autres pour les principales Le Libre Journal de la France Courtoise de Serge de Beketch, Jeune Nation du groupe homonyme lyonnais, Reconquête de Chrétienté-Solidarité, Jeune Résistance et Résistance ! d’Unité Radicale (UR), Le Chêne du MNR, Français d’Abord du FN, Éléments[7] du GRECE[8] auxquelles il faudrait rajouter tous les bulletins de moindre envergure comme Fier de l’être (région parisienne), L’Épervier (Châteauroux) ou les fanzines, boneheads en particulier[9]. Cette presse est souvent fragile et repose très largement sur l’engagement humain et financier de ses rédacteurs. Jeune Résistance a ainsi connu depuis un an un gain qualitatif lié à l’injection de fonds par ses concepteurs et quelques généreux donateurs.
C’est également le cas de la dernière sortie en date, Relève politique, lancée et animée par Christophe Dungelhoeff.

Papier gâché

Le deuxième gros secteur de la communication nationaliste est l’édition. Celle-ci repose sur un nombre limité de structures, en général assez fragiles. Deux font exception : Faits & Documents et Deterna. La première n’est plus à présenter pour les lecteurs assidus de REFLEXes. Cette maison d’édition a été créée et dirigée par Yann Moncomble jusqu’à sa mort en 1990 et reprise par Emmanuel Ratier[10]. Elle permet à ce dernier d’approfondir ce qui constitue son fonds de commerce et qu’il développe déjà dans sa lettre confidentielle homonyme : la dénonciation des Juifs et des francs-maçons. Indépendant, Ratier a relativement bien manœuvré lors de la crise du FN. Bien que touché lui aussi par une certaine désaffection du public et un taux de réabonnement en baisse, il a réussi à retrouver sa situation d’avant la crise. Présent chaque année aux BBR, il a également retrouvé sa rubrique dans National Hebdo sous le pseudonyme de Michel Limier. La mort récente d’Henri Coston (voir portrait ci-dessous) vient évidemment à point nommé pour consolider son monopole des «informations confidentielles». Il semblerait par ailleurs qu’il ait réussi à placer deux de ses livres en traduction arabe en… Syrie. L’éditeur est les Éditions DarTlass, obscure petite maison d’édition si elle n’appartenait au très antisémite général Tlass qui est ministre de la défense syrien et dont les liens avec l’extrême droite (en particulier certains gudards) sont[11]. Les deux livres sont bien sûr consacrés au pouvoir occulte des organisations juives. Il s’est également associé en 2000 aux directeurs de National Hebdo (Jean-Claude Varanne), du Libre Journal de la France courtoise (Serge de Beketch), de Rivarol (Camille Galic) et de Monde & Vie (Claude Giraud) pour exiger que le gouvernement revienne sur sa décision d’accorder une subvention de 15 millions de francs à L’Humanité (et un effacement de la dette de 13 millions de francs). Les cinq directeurs réclament aussi le rétablissement de l’aide de 700 000 francs à Présent, supprimée par Jack Lang depuis 1997.

L’autre pôle est la maison Randa, dont le principal fleuron est Deterna. Né en 1960, Philippe-André Duquesne, alias Philippe Randa du nom de son père Peter Randa, est l’un des piliers de l’édition nationaliste comme auteur et comme éditeur. Cela fait en effet 20 ans qu’il compense un talent médiocre par une activité débordante, parfois dans certaines maisons d’édition commerciales comme les Presses de la Cité et la collection Fleuve Noir qui éditait déjà son père. Parmi une tripotée de romans SF et policiers dont il ne revendique plus vraiment la paternité pour certains[12], ses fleurons restent Poitiers demain et Apocalypse Yankee qui imaginent des conflits sanglants dans lesquels les Européens finissent toujours par gagner. Doté d’une morale simple, Randa présente la même simplicité politique. Interrogé en 1989 dans Alternative[13] sur les raisons de la sortie le 20 avril de la même année de la réédition d’Apocalypse Yankee, il déclarait : «Oh comme ça, pour le centenaire [d'Adolf Hitler, ndlr]». Après avoir animé l’Æncre et le magazine «satirique» Pas de panique à bord ! puis s’être fâché avec Gilles Soulas, il a lancé les éditions Deterna qui lui permettent de diffuser tous les auteurs dont il est proche : Jean Mabire, Roland Gaucher, Philippe Gauthier, Jean-Paul Bourre, Jacques Borde alias Yag Bazhdid… et ses propres «œuvres». Il a également essayé de relancer une revue généraliste, Dualpha, dans laquelle on retrouve exactement les mêmes auteurs et dont l’intérêt et le prix étaient tels qu’elle s’est arrêtée cet été pour devenir un site Internet.

Mais il existe une multitude d’autres petites structures travaillant sur des créneaux étroits et donc fragiles. On peut citer les Éditions de L’Homme Libre, animées par William Bonnefoy, qui, après une année 2000 sans publication, ont sorti quatre ouvrages dont l’orientation est assez simple : racialiste, antisémite et nostalgique du nazisme. Malin comme un singe, le caractériel Bonnefoy a pris la peine de doter l’un de ces livres, Avant qu’Hitler ne vienne de Rudolf Von Sebottendorff, d’un avertissement hilarant qui a beaucoup fait rire le petit milieu néo-nazi : «Nous vivons en des temps malheureusement marqués par un retour des idées nauséabondes qui ont failli emporter l’Europe au siècle dernier. Des esprits malfaisants [il parle de lui ! ndlr], issus du ventre fécond d’où est déjà sortie la bête immonde, tentent à nouveau de nous faire croire aux bienfaits du nationalisme et des théories fumeuses sur l’inégalité des races. Voilà pourquoi il est nécessaire de rappeler à des esprits ouverts comment ces théories ont vu le jour et quels contenus et idéologies répugnants les caractérisent. Le livre proposé contient, dans sa dimension criminelle et inhumaine un contenu pédagogique incontestable. L’ignominie des théories proposées, l’incohérence des raisonnements politiquement incorrects, leur caractère sinistre et aberrant frapperont tous les cerveaux normalement constitués et même les autres. [...] Félicitons-nous, alors que les nazis brûlaient les livres interdits par leur fanatisme politique que la démocratie soit suffisamment courageuse et forte pour tolérer la diffusion d’un tel livre.» Dans la même orientation, il y a également les éditions lyonnaises Irminsul créées par Lionel Bosserelle. Ce dernier est également le gérant d’Irminsul Diffusion dont le nom commercial est la Librairie Lyonnaise et qui a été lancée en 1997 avec l’aide de Denis de Bouteiller. La dernière publication d’Irminsul est un album souvenir sur les Waffen SS écrit par Jean Mabire et vendu 1500 francs. Ce livre aurait dû être édité par les éditions des frères Prost, les Éditions Gergovie, si elles n’avaient pas déposé le bilan en septembre 2000. Issus d’une famille faf de faf, Grégory et Karl s’étaient spécialisés dans la publication d’anciens Waffen SS comme Louis Levast ou d’anciens Malgré-Nous comme Roger Mouminou alias Guy Sajer alias Dimitri, l’auteur de la BD Le Goulag. Bien qu’ayant essayé de relancer l’entreprise avec ce qui ressemble furieusement à un prête-nom, les deux frères ont jeté l’éponge et ainsi confirmé la mauvaise réputation commerciale de la famille (en cas de faillite, les auteurs publiés peuvent s’asseoir sur leurs droits d’auteurs).

Toujours sur le même créneau, on trouve l’association éditrice Les Amis de la Culture Européenne animée par Éric Fornal et fondée par Franck Petit, dont le fonds d’édition est essentiellement composé des livres de l’ancien Waffen SS Robert Dun et des romans d’Éric Lhomme alias Erik Robert, qui tire son inspiration de la situation, bien réelle, du peuple Kalash, petit peuple d’origine indo-européenne vivant dans le nord Pakistan. Plus généralistes, on peut citer les éditions Godefroy de Bouillon proches du FN et animées par Richard Haddad ou les éditions Rémi Perrin du nom de son propriétaire. Plus militantes, il existe les auto-éditions de Christophe Picard alias Henri de Fersan, qui s’est spécialisé sur le «racisme anti-Français» et dont le dernier livre est largement inspiré, à la limite du plagiat, des écrits d’Emmanuel Ratier. Enfin le FN et le MNR se sont chacun dotés d’une maison d’édition. Le FN d’avant la scission pouvait en effet compter sur les Éditions nationales mais celles-ci sont passées dans le camp des «félons». Quatre de ses jeunes cadres, Philippe Rouger, Thomas Lagane, Louis Alliot et Guillaume Vouzellaud, ont donc lancé une SARL de presse, les éditions Objectif France, qui diffusent la littérature FN, comme Crime contre le FN par exemple, petit ouvrage antimégretiste écrit par Xavier Cheneseau alias François Delancourt. De son côté le MNR n’est pas demeuré en reste et s’est doté des éditions Cité-Liberté, nom commercial de la SARL Publi-Sites.

Mais le tableau de la communication nationaliste ne serait pas complet si on n’évoquait pas d’autres outils comme Radio Courtoisie dont la présentation n’est plus à faire, les conférences diverses et variées dont la majeure partie se fait à Paris à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale (SEIN), les tracts et autocollants anonymes comme celui provenant de l’équipe de l’Épervier et dont nous avons déjà parlé dans No Pasaran (cf. ci-dessous) ou les multiples petites structures de communication comme Riwal de Frédéric Châtillon. Le même s’est d’ailleurs doté d’une autre structure, petite SARL de presse, Unité et Développement d’une Vision Symphonique, fondée avec Thomas Lagane, Jildaz Mahé O’Chinal et… Roger Garaudy ! Il est assez amusant de constater que les initiales de la SARL UDVS conviennent tout à fait à un autre sigle comme Union et Défense des Victimes du Sionisme par exemple… Union et Défense des Victimes du Sionisme qui était le sigle utilisé pour signer les «mystérieuses» grandes affiches apparues en région parisienne en 1996[14]. Mais tout ceci n’est évidemment que pure coïncidence !

Les «idiots utiles»

Cependant, malgré toute cette richesse de publication, certains lecteurs ou lectrices pourraient nous objecter avec raison que cela ne touche que deux nazis trois rasés et que c’est donc leur accorder beaucoup d’importance. L’objection est valable et a d’ailleurs été moult fois prononcée. Aussi faut-il nous pencher sur les «idiots utiles». On sait que cette expression fut utilisée par Lénine (un tel mépris ne pouvait d’ailleurs venir que de lui !) pour désigner les compagnons de route intellectuels du parti bolchevik puis communiste. Cette notion peut parfaitement s’appliquer à un certain nombre de structures qui de façon plus ou moins volontaire servent la soupe aux auteurs nationalistes et donc à leurs idées. Quoi de mieux en effet pour sortir du ghetto que d’utiliser des maisons d’édition peu ou pas connotées ?

La principale à jouer ce rôle est depuis quelques années l’Âge d’Homme. C’est à l’origine une petite maison d’édition suisse, fondée en 1966 par un dissident yougoslave ayant fui le régime communiste : Vladimir Dimitrijevic. Pendant 30 ans, l’Âge d’Homme a fait un énorme travail de diffusion de la littérature slave contemporaine, souvent méconnue du fait des dictatures communistes d’Europe de l’Est. Puis l’Âge d’Homme dérive lentement à partir du début des années 1990 vers un soutien sans faille au nationalisme grand-serbe à la faveur de la guerre civile yougoslave et avec l’objectif officiel de «rétablir la vérité». Longtemps proche des catholiques traditionalistes en France, Dimitrijevic se rapproche alors de tous ceux qui affichent leur soutien aux Serbes ou leur opposition à l’Islam. Cette orientation se confirme lors du conflit au Kosovo et des bombardements massifs menés par l’OTAN en Serbie. De fait, l’Âge d’Homme est à présent la principale maison d’édition de la Nouvelle Droite française, en particulier de sa branche «greciste»[15] (Alain de Benoist, Arnaud Guyot-Jeannin, Jean-Claude Albert-Weil, Eric Werner) mais également du courant païen emmené par le Belge Christopher Gerard, proche de la ND dans ses différentes versions (GRECE, Terre & Peuple, Synergies européennes). Gerard est d’ailleurs à présent directeur de collection au sein de l’Âge d’Homme. L’antenne française de l’éditeur attire enfin autour d’elle des personnages fantasques comme Jean Parvulesco, ancien dissident roumain, longtemps proche du GRECE après avoir côtoyé l’OAS dans les années 1960 et les milieux nationalistes-révolutionnaires dans les années 1970, ou encore Patrick Gofman, ancien de l’OCI passé au nationalisme. Par ailleurs la librairie parisienne est devenue un diffuseur zélé d’autres productions comme les livres de Guillaume Faye parus à l’Æncre (voir portrait ci-dessous). L’Âge d’Homme contribue ainsi à banaliser un petit milieu qui profite de son caractère prestigieux pour toucher un public qui sinon lui échapperait. Le GRECE a en effet ses propres éditions, les éditions du Labyrinthe, mais leur aire d’influence ne dépasse guère celle du GRECE, c’est-à-dire de moins en moins de monde, et la technique du coucou est donc bien plus rentable pour peu que les auteurs aient un minimum de talent (comme c’est d’ailleurs le cas).

Autre tactique rentable : prendre carrément le contrôle d’une structure existante d’apparence neutre. C’est ce qu’a fait Philippe Randa avec les Éditions Didro. Celles-ci sont une petite structure fondée en 1994 qui édite des revues diffusées en kiosque, traitant essentiellement d’Histoire. Composées de plusieurs titres de collection : Boulevard du Crime, Visages de l’Histoire, Aventures de l’Histoire, Le Journal de l’Insolite et Dossiers secrets de l’Histoire (ces derniers sont dirigés par le Français d’origine tunisienne Philippe Aziz, ami de Philippe Randa), les publications gérées par Jacky Perroy permettent à Randa de placer ses écrits et ses amis. Boulevard du Crime est en effet constituée chaque mois par les romans policiers de l’auteur Philippe Randa et de son père, ce qui en fait un produit très bon marché pour le rédacteur en chef Philippe Randa. Dans Visages de l’Histoire et le Journal de l’Insolite, on retrouve des signatures connues du petit monde «randanien» déjà entrevues précédemment : Jean-Paul Bourre, Henri de Fersan, Guillaume Faye, David Gattegno, Bruno Favrit, Micheline de Peyrebonne, Nicolas Gauthier, Jean-Jacques Matringhem, Christian Bouchet entre autres. Ces monuments de sous-littérature ne servent pas forcément en soi à diffuser des idées même si ces auteurs mettent un malin plaisir à tout placer sur le même plan en ce qui concerne la deuxième guerre mondiale ou si «l’insolite» surfe sur un certain racolage, quitte à inventer certaines informations. En revanche, ces collections ont un but alimentaire indéniable et y parviennent car le créneau historique en kiosque se porte assez bien. Sans rouler sur l’or, les éditions Didro sont bénéficiaires et complètent leur chiffre d’affaire par de la VPC dans laquelle on retrouve les ouvrages publiés par les éditions Deterna et Dualpha. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !

Dernier moyen pour se faire connaître : publier une collection grand public assez anodine pour entrer dans les circuits de diffusion tout en véhiculant une vision du monde spécifique. C’est ce qu’ont fait les éditions Pardès avec la collection B.A.-BA. Fondée en 1982 par Georges Gondinet, cette maison d’édition occupe le créneau assez étroit de la pensée traditionnelle sous tous ses aspects : politique, ésotérique, philosophique, sexuelle… Même si certains auteurs comme Julius Evola ont un succès qui ne se dément pas chez une fraction du public nationaliste, il est certain que ce type de littérature n’est pas susceptible de toucher les masses. Pardès a donc eu l’idée de génie de sortir une collection de vulgarisation, à un prix modéré et avec une présentation attrayante tant dans la maquette que dans l’iconographie. Cela a donné la collection B.A.-BA : il s’agit d’une soixantaine de titres qu’on peut trouver n’importe où et en particulier dans les FNAC. Les thèmes sont tout aussi variés que les auteurs : Les Fées, Les Lutins, La Diététique, Les Templiers, Le Yi King, Les Indo-Européens, etc. Si un certain nombre d’auteurs n’ont jamais fait parler d’eux, on retrouve plusieurs signatures connues pour leur engagement militant dans les sphères nationalistes ou néo-fascistes: Christian Bouchet, Bernard Marillier (militant d’UR), Jean-Paul Bourre, David Gattegno, les époux d’Apremont[16], Thierry Jolif, Jean-Paul Ronecker, etc. Au-delà d’une certaine neutralité affichée, ces synthèses de qualité inégale diffusent une vision du monde qui ne se caractérise pas par un amour immodéré de l’égalité sociale ou de la démocratie libérale. Comme en plus la collection marche bien, c’est tout bénéfice pour ces auteurs. La même description pourrait être faite avec les éditions normandes Heimdal, présentes par le passé aux BBR et qui élargissent leur créneau militaria par deux publications diffusées en kiosque : 39-45 magazine et Moyen-Age.

Mais un panorama des «idiots utiles» ne saurait prétendre être un tant soit peu complet si on n’y ajoutait toutes ces petites maisons d’édition droitières qui publient à intervalles plus ou moins réguliers des auteurs nationalistes militants : les éditions Grancher chez qui on retrouve Jean Mabire, Dominique Venner, Thierry Bouzard ou Jean-Paul Ronecker ; les éditions Jean Curutchet, très «Algérie Française» ; Jean Picollec Éditeur chez qui on retrouve Roland Gaucher, Philippe Randa ou des personnages plus flous comme Roland Jacquard ; Guy Trédaniel Éditeur sur le créneau ésotérico-païen ; les éditions des Scyrtes enfin, fondées par le fils de Dominique de Roux et qui ont contribué à lancer Alexandre Del Valle (voir portrait ci-dessous). Enfin on pourrait ajouter à ces éditeurs tous les auteurs qui, à l’instar de Gérard de Villiers (le père de SAS) ou Xavier Raufer, véhiculent des thématiques servant objectivement l’extrême droite. Toutes ces structures suppléent donc au principal handicap de la communication nationaliste qui est la faible visibilité extérieure au milieu militant et sympathisant.

Mais on ne saurait finir sans faire une remarque évidente : quid de l’audiovisuel ? Il sautera en effet aux yeux du lecteur que nous n’avons évoqué comme vecteurs de communication que les supports écrits. Cela s’explique par le fait qu’il faut bien constater que l’extrême droite est globalement exclue de toute intervention autre qu’écrite. Aussi peut-on s’interroger sur le rôle de personnages comme Michel Houellebecq ou Bertrand Burgalat. Il n’est pas question ici d’affirmer que ces deux personnages sont des militants nationalistes puisque ce n’est pas le cas. Mais on peut rappeler un certain nombre d’éléments troublants. Il est connu que Bertrand Burgalat a été dans les années 1980 un cadre dirigeant du MNR de Jean-Gilles Malliarakis puis de Troisième Voie lorsque le MNR s’est agrégé au GUD. Il en a été le représentant à Assas et s’occupait de la presse du mouvement. Christophe Bourseiller dressait de lui en 1989 ce portrait complaisant[17] : «“Je ne suis pas quelqu’un de droite et je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un de droite”. Venant d’un des responsables du mouvement Troisième Voie, ces paroles ont quelque chose de surprenant. Mais celui qui les prononce est sans doute l’un des plus brillants militants d’extrême droite jusqu’ici rencontrés. Allons bon ! Bertrand est d’extrême droite mais pas de droite. Il appartient à un courant politique en plein développement [on reconnaît là la qualité d'analyse de Bourseiller ! ndlr] qu’on pourrait appeler “nationaliste-révolutionnaire de gauche”. Âgé de 25 ans, Bertrand a toutes les caractéristiques du “branché”. Élégant, cultivé, il connaît par cœur les moindres raffinements du rock alternatif et tous les lieux nocturnes de la capitale. Le contraire du fasciste de base. Il habite chez ses parents, dans un gigantesque appartement bourgeois du XVIIe arrdt de Paris. [...] Cet ancien écologiste a rejoint le MNR en 1982. Mais aujourd’hui Bertrand milite moins. Il mène une carrière professionnelle dans les milieux du rock.» Burgalat semble en effet avoir abandonné toute activité politique au début des années 1990 et a reconnu son engagement lors d’une interview des Inrockuptibles, en considérant que c’était une erreur de jeunesse. Il s’est reconverti dans l’easy listening et son label Tricatel marche du feu de Dieu. Soit. Nous ne pouvons malgré tout nous empêcher d’être sceptiques devant cet abandon total de convictions et nous ne serions pas surpris si un jour on apprenait que Burgalat est toujours sympathisant NR et qu’il aide financièrement ses anciens amis… Surtout lorsque c’est vers lui que Michel Houellebecq se tourne lorsqu’il veut pousser la chansonnette. Houellebecq qui exècre le monde arabe et l’Islam et peut être considéré par ses provocations comme l’un de ceux qui actuellement fait le plus pour banaliser des points de vue racistes rebaptisés abusivement «politiquement incorrects». Ce n’est donc pas pratiquer l’amalgame que d’exprimer toute notre perplexité face à ces deux personnages qui ont sans doute bien plus en commun que leur simple activité d’artistes. Un rôle d’idiots utiles par exemple ?

  1. L’importance de cette question est évidente comme en témoigne la conférence organisée par la revue autrichienne d’extrême droite Zur Zeit le 10 novembre dernier avec la crème de l’extrême droite européenne et autour du thème «Les médias & les droites».[]
  2. Les droites nationales et radicales en France, PUL, 1992.[]
  3. Il n’est pas question de refaire l’historique de ces titres et nous renverrons les lecteurs intéressés à des ouvrages traitant de ce point. À titre de rappel, Rivarol a été fondé en 1951, Minute en 1962, Présent en 1975 dans sa version mensuelle et 1982 en quotidien, National Hebdo en 1984.[]
  4. Candidat des chasseurs cette année-là.[]
  5. Ce nom a refait surface au moment de la scission du FN, puis cette structure a été accusée par Le Pen d’être une des bases du complot mégretiste.[]
  6. Bleu-Blanc-Rouge : fête annuelle du FN.[]
  7. Le rédacteur en chef depuis le début des années 1990, Charles Champetier, a été débarqué du GRECE en fin d’année dernière. Faisant trop d’ombre au gourou Alain de Benoist, il était inévitable qu’il soit éliminé comme bien d’autres le furent avant lui.[]
  8. Groupement de Recherches et d’Études sur la Civilisation Européenne, fondé en 1968 et longtemps principal représentant de la Nouvelle Droite en France.[]
  9. Cf. REFLEXes n°1 nouvelle série.[]
  10. Cf. supplément Méfaits et Documents dans ce numéro de REFLEXes.[]
  11. anciens Cf. REFLEXes n°51.[]
  12. C’est le cas de L’assassin sentimental paru chez Fleuve Noir en 1987 qui est vraiment de la très grande littérature.[]
  13. Titre repris à la fin des années 1980 par Roland Helie et qui était dans les années 1970 celui du journal proche du GUD dans lequel dessinait Jack Marchal, inventeur des rats noirs du GUD.[]
  14. Cf. REFLEXes n°51[]
  15. Du GRECE.[]
  16. Cf REFLEXes n°51[]
  17. La mouvance néofasciste semble bien l’avoir compris et multiplie les articles de soutien, comme dans le dernier Terre & Peuple. Par ailleurs le MNR s’est désolidarisé de la démarche de l’association Promouvoir qui a attaqué Houellebecq en justice pour obscénité.[]
Cet article est libre de droit, mais nous vous demandons de bien vouloir en préciser la source si vous en reprenez les infos : REFLEXes http://reflexes.samizdat.net , contact : reflexes(a)samizdat.net

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