Pour en finir avec le Front national
Le Front national serait, selon A. Bihr «le révélateur et le catalyseur de quelques-unes des fractures [...] majeures de la société française». C’est pourquoi, «penser le FN, c’est [...] dépasser le stade d’une dénonciation qui relève de l’exorcisme. C’est comprendre que le nécessaire combat politique contre lui nous confronte à une tâche d’une tout autre ampleur : refonder un mouvement social émancipateur, capable de faire face aux différentes crises structurelles qui secouent la société française ; réinventer une alternative politique globale qui soit à la hauteur des défis majeurs, écologique, socio-économique, institutionnel, symbolique de notre époque.»
Vaste programme ! Pour atteindre cet objectif, l’auteur décompose son livre en trois parties.
La première est consacrée à l’étude de la base sociale du FN. L’auteur démontre l’existence de deux électorats lepénistes. D’un côté, on retrouve des membres des classes moyennes traditionnelles (commerçants, artisans, agriculteurs) ; de l’autre, des salariés provenant du prolétariat (ouvriers, personnel de service et employés) et de l’encadrement (cadres moyens et employés). Mais ces classes moyennes sont surreprésentées, au contraire des classes salariées. Politiquement, cela traduit une radicalisation à droite de ces classes moyennes, en continuité avec leurs positions politiques, alors que les classes salariées proviennent de la droite mais aussi de la gauche, ce qui occasionne, pour certaines, une rupture avec leur univers politique. En effet, «c’est [...] une part significative de l’ensemble des classes moyennes traditionnelles que le FN est parvenu à mobiliser derrière lui, en profitant du vide créé par la rupture de leur ancienne alliance hégémonique[1] avec la classe dominante.» Mais la montée du FN est aussi liée à la crise du mouvement ouvrier, surtout due à la remise en cause du mode d’exploitation fordiste, mais aussi à l’évolution de la «gauche» durant la décennie écoulée ; c’est pourquoi les idéaux traditionnellement rattachés à la «gauche» (solidarité, égalité, justice sociale) se sont vus totalement discrédités.
Dans la deuxième partie, l’auteur analyse le ciment idéologique et s’intéresse en premier lieu à la crise de l’État-nation. La mise en place de nouvelles formes d’exploitation de la force de travail – instauration de la société duale – , n’a pas uniquement des conséquences au niveau national, mais aussi au niveau international : elle met à mal les rapports internationaux qui présidaient jusqu’alors. En effet, pendant la période fordienne (les Trente Glorieuses), l’État avait une fonction de planification de l’accumulation, c’est-à-dire qu’il tentait d’assurer la cohérence et l’autosuffisance de l’appareil productif. «Cette planification reposait sur la concertation entre l’État et les principaux monopoles industriels et bancaires d’une part, sur l’institutionnalisation du dialogue social d’autre part.» Ce processus impose le passage d’une économie mondiale internationale à une économie mondiale transnationale : «D’une part, la concertation entre État et monopoles n’est plus possible dès lors qu’une part croissante de l’appareil productif national est entre les mains de groupes étrangers sur lesquels l’État n’a que peu de moyen de pression et que, en se multinationalisant, les monopoles nationaux abandonnent toute stratégie purement nationale. D’autre part, avec la transnationalisation du capital, des fractions de la classe dominante [...] ont de moins en moins d’intérêts proprement nationaux, ce qui rend parfaitement inutile à leurs yeux la recherche d’un compromis avec les autres classes nationales autour d’un développement autocentré.» Les conséquences politiques et sociales sont loin d’être négligeables. D’un côté, l’État est de plus en plus libéral envers le capital, aidant au renforcement de l’exploitation de la force de travail (précarisation, remise en cause d’acquis sociaux) ; de l’autre, il devient de plus en plus autoritaire à l’égard des victimes de l’exploitation et de l’exclusion, renforçant un arsenal de plus en plus répressif. En deuxième lieu, A. Bihr s’intéresse à la crise culturelle, ou crise du sens, qui secoue en particulier la société française, mais aussi l’ensemble des sociétés contemporaines. «Par crise du sens, j’entends l’incapacité, propre aux sociétés contemporaines, d’élaborer et de proposer à leurs membres un système de références (idées, normes, valeurs) qui leur permettrait de donner un sens stable et cohérent à leur existence : de construire leur identité, de communiquer avec les autres, de participer à la production du monde, en le rendant subjectivement vivable et habitable.» En effet, «en soumettant l’ensemble des rapports sociaux à une série d’abstractions (l’argent, le droit et la loi, l’État, la communication de masse, la rationalité instrumentale), ces fétichismes ont progressivement installé les sujets sociaux (individus, groupes, classes, nations) dans une dépossession permanente de leurs actes, en faisant apparaître la société comme une machinerie dépourvue de sens.» Ainsi, le «chacun pour soi», le «système D» prennent le pas sur les dimensions collectives. Pour renforcer son audience et rendre durable son influence en s’appuyant sur cette crise de sens renforcée par la crise économique, le Front national a entrepris un travail idéologique fondé sur quatre thèmes : le ressentiment, l’insécurité, la décadence et le néo-racisme (racisme différencialiste théorisé par A. de Besnoit). En fait, la force du FN tient essentiellement à sa capacité à construire «un imaginaire politique : faire rêver son auditoire, lui faire croire qu’avec lui tout (re)devient possible, que les lendemains chanteront de nouveau».
Dans la troisième partie de son ouvrage, A. Bihr nous propose les perspectives politiques pour en finir avec le FN. D’emblée, l’auteur écarte l’hypothèse d’une réponse fasciste – rappelant les années 1930 – à la crise actuelle. Plusieurs raisons militent en ce sens :
• «La classe dominante n’a, pour l’instant, nul besoin d’instaurer une forme quelconque de régime d’exception». Le mouvement ouvrier est dans un tel état de faiblesse, qu’elle n’a pas de crainte de ce côté.
• «La crise du vieux bloc hégémonique [...] a rapidement trouvé sa solution dans l’esquisse d’un nouveau bloc hégémonique dont le PS [...] s’est fait le chef d’orchestre [...]».
• Le processus de transnationalisation a engendré l’éclatement de l’ancien bloc hégémonique, «en provoquant du même coup la radicalisation et l’autonomisation politiques d’une partie des classes moyennes». En outre, A. Bihr remarque qu’on ne peut calquer les organisations fascistes sévissant dans les années 1930 en Allemagne et en Italie[2]. Si la crise ne devient pas catastrophique, contraignant les bourgeoisies à recourir à un régime d’exception, le FN se cantonnera dans le rôle d’un «pouvoir de fait»[3], mais dont l’influence est loin d’être négligeable, bien au contraire.
Bihr tente d’analyser les raisons qui sont, jusqu’à présent, la cause de l’échec de la lutte contre le FN et en particulier la faiblesse des opposants (les organisations politiques de droite comme de gauche ont repris plusieurs thèmes prônés par l’extrême droite : racisme, insécurité, etc. Mais il y a aussi la méconnaissance du phénomène frontiste, les luttes qui se sont souvent limitées à la défense du système politique institutionnel en place et la faiblesse d’un rempart éthique fondé sur des principes intangibles).
Pour lutter contre le FN, l’auteur avance quelques pistes. Tout d’abord, il faut faire face à la crise du mouvement ouvrier, et ce, d’un côté, par des actions défensives, comme «la dénonciation du programme économique et social du FN» mais aussi par la lutte contre l’exclusion économique et sociale. C’est ainsi qu’il faut tenter de redévelopper la convivialité et la solidarité de classe en brisant les barrières raciales, sexistes, etc. Ensuite, par des propositions offensives : réduction du temps de travail, sur le thème «travailler tous, travailler moins, travailler autrement» ; relancer les luttes pour un Revenu social garanti. En outre, le mouvement ouvrier doit faire en sorte de «casser le front de la réaction, c’est-à-dire empêcher l’ensemble des classes moyennes traditionnelles de faire corps derrière le FN.»
Selon l’auteur, il importe de répondre aussi à la crise de la démocratie que nous connaissons – la démocratie devenant de plus en plus autoritaire – et ce, en poussant jusqu’au bout les principes démocratiques : par exemple, en instaurant le référendum d’initiative populaire, en déprofessionnalisant la vie politique, en introduisant la proportionnelle, en redynamisant l’action municipale et locale, en introduisant la démocratie dans l’entreprise, les médias, etc. mais aussi en développant les contre-pouvoirs en vue d’impulser des alternatives. Cela suppose de mettre le FN hors jeu démocratique.
Pour faire face à «la crise du sens», l’auteur propose de «créer les conditions qui permettent à chacun selon sa situation et ses choix, de se construire une image cohérente du monde, des autres et de lui-même, de manière à rendre l’existence subjectivement vivable et même désirable [...]. Il s’agirait de réaffirmer l’utopie d’une humanité réconciliée avec la nature et avec elle-même, sans pour autant ni fétichiser la nature ni prôner on ne sait quelle uniformité totalitaire.»
En ce qui concerne la crise de l’État-nation, nous avons publié dans le dossier citoyenneté (voir REFLEXes n°38) l’ensemble de ce sous-chapitre, il n’est donc pas utile d’y revenir.
Force est donc de constater que l’ouvrage d’A. Bihr est un outil précieux pour qui veut lutter contre la montée du FN en particulier, et contre les idéologies autoritaires et sécuritaires en général. Il est intéressant que l’auteur articule connaissances, luttes défensives et perspectives. Mais c’est à propos de ce dernier aspect que nous formulerons quelques critiques. Nous avons montré dans le dossier citoyenneté (REFLEXes n°38) que certains fondements de la philosophie politique d’A. Bihr reposaient sur une conception évolutionniste de l’Histoire (par exemple, sa volonté de «parachever l’État démocratique») qui relève d’options dans lesquelles nous ne pouvons nous retrouver. L’idée de rupture, d’alternative révolutionnaire que nous défendons, suppose de rompre avec tout le carcan de l’organisation institutionnelle du pouvoir politique (gouvernement, parlement, etc.) ; ainsi, on ne peut avoir comme objectif, par exemple, de vouloir parachever l’État démocratique comme le propose l’auteur. L’expérience des luttes de l’immigration est à ce sujet suffisamment éloquente, tant par leurs échecs que par les effets qu’ont engendrés ces stratégies au sein des mouvements. On ne révolutionne pas une société par étapes, en lui faisant subir jusqu’au bout un processus correspondant à une étape donnée. Au contraire, il importe d’instaurer délibérément des ruptures, et ce en fonction de finalités non pas déterminées par un «absolu» historique, mais bien selon des utopies élaborées par des individus agissants, en vue d’autres organisations sociales qu’ils tentent d’inventer dans les mouvements politiques, sociaux, culturels auxquels ils participent ; en créant des espaces politiques, sociaux et culturels (autrement dit des pôles, cf. «Pour une citoyenneté active», dossier citoyenneté REFLEXesn°38), lieux de confrontations, d’échanges, d’apports réciproques et de convivialité.
JC
Pour en finir avec le Front national, Alain Bihr, Éditions Syros, 1992. 110 Frs.
La revue Hérodote a consacré son numéro 68 du premier trimestre 1993 à «la question allemande» : parmi les nombreux articles, on peut noter celui d’Étienne Sur : «À propos de l’extrême droite en Allemagne : de la conception ethnique de la nation allemande» qui à partir de l’analyse régionale du nombre d’attentats d’extrême droite (recensé par l’Office fédéral de protection de la Constitution), analyse la xénophobie et le racisme en Allemagne et montre que leurs victimes sont bien sûr les étrangers mais aussi les Aussiedler (population d’Europe de l’est de souche allemande). Cette observation fait dire qu’«il ne suffit pas d’être de sang allemand pour trouver sa place dans la société allemande». Michel Korinman dans «La longue marche des organisations de réfugiés allemands de 1945» retrace l’histoire des réfugiés allemands en RFA depuis 1945, leurs organisations, leur poids politique, avant de présenter la polémique entre ces organisations et le gouvernement à propos de l’acceptation de la ligne Oder-Neisse. Jean François Tournadre, «Extrême droite, nationalisme et problèmes d’identité dans l’ex-RDA», germaniste à l’université de Paris III, analyse le caractère particulier du développement de l’extrême droite en ex-RDA : les mouvements sont moins structurés dans la partie orientale, ce qui les rend plus difficiles à infiltrer et à contrôler, les agressions seraient plus «spontanées», l’intervention de la police est plus tardive… Mais la xénophobie à l’Est serait moins idéologique. L’accumulation des déceptions et des ressentiments nés de l’unification raviverait le thème identitaire (de la spécificité de la RDA), ou exacerberait le nationalisme allemand xénophobe.
Le mystérieux Docteur Martin,Pierre Péan (Fayard, 145 f)
Il s’agit d’une passionnante biographie des comploteurs les plus obstinés des Troisième, Quatrième et Cinquième République : Henri Martin, qui avait la «France (royaliste et chrétienne) chevillée au corps». D’abord adhérent à quatorze ans du mouvement royaliste l’Action française, il anime ensuite la Cagoule où il s’occupe pricipalement du renseignement politique. Cet obsédé du fichage politique rallie un temps la Révolution nationale du maréchal Pétain avant d’être interné en 1942, pour avoir comploté contre Laval et les autres ultras de la collaboration. En prison, il se lie avec des hommes de gauche comme Roger Stéphane, André Blumel (l’ancien chef de cabinet de Léon Blum) ou centriste comme Édouard Herriot. Il termine la Seconde Guerre mondiale comme opposant à De Gaulle et agent des Américains. La Libération et la Quatrième République le voient ferrailler contre le Parti communiste français. Pendant la guerre d’Algérie il prend évidemment le parti des ultras puis de l’OAS et passe son temps à comploter contre De Gaulle. Il s’éteint la même année que le général honni.
Le Front national, l’argent et l’establishment, Hennion Blandine – Paris, La Découverte, 1933, 140 f.
Blandine Hennion avait une bonne idée : enquêter sur les relations entre le Front national et les entreprises. Sur ce sujet d’enquête, de nombreux journalistes et inspecteurs du fisc se sont cassé les dents. Malheureusement, Blandine Hennion n’a pas soulevé de très gros lièvres, mis à part le groupe Accor qui a rué dans les brancards et l’a traînée en procès (elle vient de le perdre avec son éditeur). Son éditeur La Découverte a préféré retirer le livre et supprimer les passages litigieux. Mis à part ce scoop, le livre reprend d’anciennes pistes sans les approfondir suffisamment. C’est un honnête rappel des différents pourvoyeurs du FN mais malheureusement cela ne va pas plus loin.
Extrême droite et xénophobie en Allemagne
En réaction à la vague de violence d’extrême droite et de xénophobie en Allemagne depuis la réunification, sont parus ces derniers mois de nombreux ouvrages qui essaient de donner des explications et des réponses politiques à l’un ou l’autre des aspects de ce phénomène sinistre qui a secoué la vie politique de l’Allemagne.
En effet, il s’agit aussi d’une question de conjoncture : l’actualité du sujet et les difficultés de l’État allemand et du grand public à trouver des réponses convenables à ce qui s’est passé ces derniers temps, promet des ventes importantes aux éditeurs.
Druck von rechts – « Poussée de la droite »
Claus Leggewie, professeur de science politique à l’université de Giessen (Hesse) et auteur de plusieurs ouvrages sur l’extrême droite et notamment sur les Republikaner, vient de publier un essai intitulé Druck von rechts. Wohin treibt die Bundesrepublik ? (« La pression de la droite. Où va la République fédérale ? »)
Cet essai ne servira pas à approfondir des connaissances déjà avancées sur l’extrême droite allemande de ces dernières années. Il donne plutôt une synthèse qui tente de prendre en compte tous les aspects du sujet et notamment la droitisation du paysage politique allemand depuis la réunification, loin au-delà de l’extrême droite. Le consentement du SPD, parti social-démocrate, qui a rendu possible la suppression de facto du droit d’asile garanti jusqu’ici par l’article 16 de la Constitution, est pour l’instant l’exemple le plus frappant de cette droitisation.
Leggewie retrace d’abord les événements de Rostock, vus surtout sous l’angle de la responsabilité de la police pour les erreurs commises lors des attaques contre des foyers de demandeurs d’asile et de travailleurs immigrés à Rostock-Lichtenhagen en août 1992.
Le chapitre sur les jeunes et l’extrême droite (pp. 40-68) est trop court pour donner plus qu’une synthèse assez sommaire. Leggewie reprend d’ailleurs le débat auquel il avait déjà participé avec un article dans l’hebdomadaire intellectuel Die Zeit : la responsabilité de la génération des soixante-huitards dans l’orientation vers l’extrême droite de jeunes dont ils ont souvent été les éducateurs. Il reproche aux soixante-huitards un manque de «courage à l’éducation». Ce reproche est pourtant redoutable : les adeptes de «l’anti-éducation» ont toujours été minoritaires parmi les soixante-huitards. C’est plutôt une éducation émancipatrice, écologique et responsabilisante qui a été favorisée par les gens de cette génération dans leur rôle de parents, d’instituteurs, de professeurs, etc. d’ailleurs avec des résultats considérables. Les jeunes que vise Leggewie, par contre, ont échappé à cette éducation émancipatrice en raison soit de leur exclusion sociale, soit d’une orientation restreinte de leur entourage social vers les valeurs de la consommation.
S’y ajoutent des chapitres sur les crises de la droite établie autour du chancelier Kohl et de l’opposition sociale-démocrate (pp. 69-87) et sur l’extrême droite parlementaire, surtout sur les Republikaner de Franz Schönhuber. Le chapitre sur le renouvellement de l’idéologie de la droite est lui aussi digne d’intérêt : il contient les commentaires de Leggewie sur le débat qu’avait déclenché un article du dramaturge Botho Strauss dans l’hebdomadaire Der Spiegel au début de l’année. Leggewie met le lecteur en garde contre une surestimation, mais aussi contre une négligence arrogante de ces tendances.
Dans un petit article à la fin du livre, Horst Meier résume les débats sur les réponses de l’État et de sa justice face à l’extrême droite. Sa position est d’ailleurs partagée par la plupart des experts de gauche dans ce domaine : les sanctions d’un État sécuritaire ne peuvent ni ne doivent remplacer les changements de culture politique qui seraient nécessaires pour combattre l’extrême droite.
Celui qui aimerait lire un résumé des divers aspects du processus de droitisation entamé par l’Allemagne depuis la réunification trouvera dans ce petit livre une bonne synthèse qui n’hésite pas à prendre des positions claires – mais souvent discutables.
Claus LEGGEWIE, Druck von rechts. Wohin treibt die Bundesrepublik ?, avec un article de Horst Meier, Munich, éditions CHBeck (Beck’sche Reihe n°1017) 1993, 168 pages, 16,80 DM. ISBN 3-406-37407-7.
Skinheads
Klaus Farin et Eberhard Seidel-Pielen, journalistes de gauche et auteurs de plusieurs ouvrages sur les mouvements violents de jeunes, ont publié deux nouveaux livres cette année sur les diverses tendances de skinheads.
Ces deux livres constituent une présentation réussie d’éléments intéressants pour le débat sur les raisons de la violence des jeunes xénophobes et extrémistes de droite en Allemagne. En effet, ce débat était plutôt pauvre, notamment en ce qui concerne la responsabilité de la génération des soixante-huitards dans l’éducation «ratée» de ces jeunes-là. Les livres de Farin et Seidel-Pielen pourront aider à rapprocher le débat des réalités sociales.
Dans leur livre intitulé Skinheads, ils essaient de peindre ces mouvements d’une façon beaucoup plus précise et complexe que la plupart des médias ne l’ont fait ces derniers temps dans leurs reportages qui donnaient une image martiale et hyper-brutale de ces jeunes. Farin et Seidel-Pielen montrent que ces skinheads-là ne sont en fait qu’une minorité parmi de nombreuses tendances moins violentes ou même parfaitement paisibles, sans pour autant nier que les groupes de skins violents appelés «nazi-skins» par la presse internationale existent.
Les auteurs commencent leur livre par un résumé des mouvements de skins depuis les années 1960 à l’époque où les premiers groupes apparurent en Grande-Bretagne. Ce chapitre donne des informations intéressantes, même si une certaine nostalgie peut irriter le lecteur. Suivent des reportages et des commentaires sur les différentes tendances et groupes skins et sur leur forme d’expression. Ainsi, ils présentent d’une façon très instructive les groupes de musique skin, mais aussi les tendances de skins résolument antiracistes comme par exemple le mouvement des SHARP (Skinheads against racial prejudice) qui compte un nombre important d’adhérents en Allemagne.
Des interviews reflètent l’ampleur du mouvement skin et ses diverses attitudes. Farin et Seidel-Pielen soulignent à plusieurs reprises la proximité existant entre les mouvements punks et skins pendant une période (vers la fin des années 1970) et le caractère totalement apolitique d’une partie importante des adeptes de la «mode skin».
Les auteurs arrivent ainsi à relativiser l’image sombre que beaucoup de reportages ont donnée des skins. Ils ne négligent pourtant pas les tendances violentes. Les interviews de skins ayant participé à des actions violentes, qui ont des convictions xénophobes ou qui ont même été adhérents d’un groupe néo-nazi ou habité le squatt néo-nazi qu’il y avait à une époque à Berlin-Est ne cachent rien et sont en plus très instructives. Pour trouver des réponses appropriées à ce que font les skins, ces informations sont bien utiles.
Certes, il est important d’arrêter de considérer tous les skins comme l’incarnation du mal et de la haine. Mais, bien que les auteurs soient profondément ancrés à gauche, ils n’arrivent pas toujours à s’abstenir d’une certaine complicité avec leurs «objets de recherche» quand ils tentent de faire comprendre leur culture et leurs attitudes. C’est peut-être pour eux une nécessité afin de garder l’accès à la scène des skins, leur «terrain de recherche». Une distance critique de la part des lecteurs est donc à conseiller. En outre, cette critique ne met pas en cause la qualité remarquable de ce livre qui constitue une source particulièrement riche en informations et une contribution importante à un débat public qui ne s’appuie pas toujours sur des informations bien précises.
Le deuxième nouveau livre de ces deux auteurs, intitulé Ohne Gewalt läuft nichts ! Jugend und Gewalt in Deutschland (« Sans violence, rien ne marche ! La jeunesse et la violence en Allemagne ») paru chez Bund, maison d’édition proche de la fédération des syndicats allemands, donne moins d’analyse, mais beaucoup plus «d’information directe», sous forme d’interviews qui sont en partie très intéressantes. Le lecteur qui a déjà lu l’autre livre s’ennuiera pourtant lors de la lecture de certaines des interviews dont les partenaires jouent un rôle important dans l’autre livre.
En accord avec le programme de l’édition plutôt orienté vers des activités concrètes, Farin et Seidel-Pielen discutent à la fin de ce livre sur les possibilités de réagir contre la xénophobie et les jeunes violents, notamment dans le milieu scolaire (pp. 191 et suivantes). Certaines des interviews sont particulièrement remarquables, comme par exemple celle de Rüdiger Bredthauer, sociologue travaillant dans la police de Hambourg, qui donne une image précise des différents types de violence des jeunes et du contexte politique de leurs actions.
Ces deux livres de Farin et Seidel-Pielen sont donc intéressants et méritent un grand nombre de lecteurs.
Hartmut Aden
Klaus Farin et Eberhard Seidel-Pielen
Skinheads, Munich (édition CH Beck, Beck’sche Reihe n°1003) 1993, 225 pages, 17,80 DM (ISBN 3-406-37393-3)
Ohne Gewalt läuft nichts ! Jugend und Gewalt in Deutschland, Düsseldorf, (édition Bund) 1993, 304 pages, 24,90 DM (ISBN 3-7663-2430-6)
Lexique de l’extrême droite
Rainer Fromm a publié ce recueil qui livre des informations très utiles. Dans une quarantaine d’articles, l’auteur donne un résumé des plus importants parmi les groupes et groupuscules d’extrême droite en Allemagne. En combinaison avec le registre des personnages et des publications d’extrême droite, il s’agit là d’une source exhaustive et très utile.
Hartmut Aden
Am rechten Rand. Lexikon des Rechtsradikalismus, Rainer Fromm Édition Schüren (Marburg/Berlin) 1993, 233 pages, 28,- DM, ISBN 3-89472-080-8
Mis en ligne le 3 janvier 2007
- L’auteur reprend ici le concept d’hégémonie développé par Gramsci. Il consacre une longue analyse aux évolutions des alliances de classes qu’impose la gestion du pouvoir par les classes dominantes.
[↩]
- Voir aussi REFLEXes n°36, l’article «Le Front national : fascisme ou réaction ?»[↩]
- Organisation politique faisant pression dans le champ politique et / ou idéologique, mais ne pouvant accéder au contrôle de l’État si la situation donnée perdure (cf. Burdeau).[↩]
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