AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR : le texte qui suit a été initialement publié dans la revue de lexicologie Mots en 1998. Depuis, Nouvelle Résistance est devenu Unité radicale. Sauf modifications insérées dans la version corrigée (novembre 2001) ici publiée, l’ensemble de l’analyse reste valable pour Unité radicale. Le mouvement national-bolchevik est, au plan de l’idéologie et de la pratique politique, une des composantes les plus originales des droites radicales françaises. Il a été représenté en France par le groupe Nouvelle Résistance, fondé en août 1991, qui faisait suite aux nombreux groupes «tercéristes» des années 1970-1980, notamment Troisième Voie[1], dont il est directement issu. Sa spécificité, par rapport au Front national, comme celle d’Unité radicale par rapport tant au FN qu’au MNR, était de refuser le «nationalisme hexagonal» et de situer son action dans un cadre supra-national : celui de l’Europe-continent.
Le courant national-bolchevik se réclame de certains théoriciens de la Révolution conservatrice allemande appartenant, pour reprendre la classification de Armin Mohler, soit à la mouvance nationaliste-révolutionnaire (en particulier Ernst Niekisch) soit à celle des nationaux-bolcheviques (Karl-Otto Paetel ; Fritz Wolfheim ; Heinrich Laufenberg) qui ont tenté dans l’Allemagne de Weimar d’élaborer une synthèse entre national-socialisme et communisme (une sorte de «communisme national»), avant de passer dans l’opposition au nazisme ou d’être liquidés par lui. Il faut également mentionner l’influence sur Nouvelle Résistance, comme sur une partie de la «Nouvelle Droite» d’ailleurs, d’un autre auteur allemand de cette période : Hans Bluher, qui place au centre de son idéologie la notion de «communauté masculine» (communauté de combat dont l’Eros masculin est le lien) qui était le fondement du mouvement Wandervogel[2]. L’autre référence idéologique majeure de Nouvelle Résistance est le groupe Jeune Europe (1960-1969) créé par le Belge Jean Thiriart (1920-1992)[3]. Celui-ci a été le premier, dans l’univers des droites radicales européennes (Francis Parker Yockey, aux États-Unis, avait défendu la même thèse), à abandonner toute référence à l’État-nation et au nationalisme classique pour élaborer un «nationalisme européen», s’engager au côté du mouvement national palestinien et des pays arabes et témoigner une sympathie active pour l’organisation partisane et étatique de l’Union soviétique. Depuis cette époque, les ennemis prioritaires de Nouvelle Résistance puis d’Unité radicale n’ont pas changé : ce sont le libéralisme économique et social, et leur incarnation détestée, les États-Unis, vilipendés à la fois pour leur «impérialisme» économico-politique teinté de messianisme et parce qu’ils incarnent la société du «melting-pot», qui selon Nouvelle Résistance détruit les identités racio-culturelles par métissage généralisé. Nouvelle Résistance est un mouvement numériquement très limité[4] qui cherche à substituer au clivage idéologique droite/gauche un clivage «centre»/«périphérie», par lequel, au sein du «peuple», toutes les forces d’opposition (périphérie) au système (centre) se coaliseraient pour abattre ce dernier. Cela a pour conséquence, dans le discours, un mélange de références, empruntées aussi bien à des auteurs traditionnels de la mouvance nationaliste (Codreanu, Evola, Mosley, mais ces références diminuent avec le temps et sont devenues mineures) qu’à des théoriciens des luttes de libération nationale du Tiers-Monde (Mariategui, Che Guevara), aux situationnistes ou à différents courants de l’extrême gauche européenne. On peut objecter que Nouvelle Résistance et UR ne sont pas des groupes populistes, puisqu’il s’agit d’avant-gardes militantes, non de mouvements de masse, et que leurs discours s’adresse d’autant moins directement au peuple qu’il ne participent pas aux élections. Cependant leur populisme est indiscutable : simplement, il s’agit d’un discours sur le peuple et non pas d’un discours destiné au peuple. D’autres groupuscules du «camp national» (Œuvre française ; Parti nationaliste français ; Parti nationaliste français et européen …) tiennent eux aussi ce discours sur le peuple sans s’adresser au peuple : mais cette attitude est chez eux le résultat d’un échec politique, alors que NR agit ainsi par choix tactique.
Nouvelle Résistance a en effet décidé de s’adresser au peuple en diffusant son message de manière indirecte : soit par l’entrisme au sein de formations ou d’associations dont l’objet recoupe certains de ses objectifs (écologie ; régionalisme ; luttes de libération nationale du Tiers-Monde) ; soit par la formation de cadres qui essaiment ensuite au sein du Front national. Dans cette optique, le discours de NR sur le peuple remplit une fonction précise : être diffusé à l’intérieur du FN pour convertir au populisme l’encadrement de ce parti, que NR juge «réactionnaire» et/ou partisan d’une économie ultra-libérale qui sacrifie les intérêts du peuple.
Le peuple et l’ethnie contre la nation
Dans le discours des droites radicales, le terme peuple désigne généralement la communauté des individus dotés d’un substrat ethnique commun et vivant sur le territoire d’un même État, alors que la nation est le cadre historico-institutionnel qui assure, en particulier au moyen de ses attributs de souveraineté, la pérennité du peuple en tant que collectivité vivante. Si la nation se meurt (thème de prédilection de la rhétorique lepéniste) le peuple se dissout et disparaît.
Or NR et UR sont des mouvements qui se distinguent du Front national et du MNR en ce qu’ils ne font presque jamais référence à l’idée d’État-Nation et qu’ils valorisent au contraire celles de «communauté», «ethnie(s)» et «peuples» qui fondent la vision du monde des droites ethno-différencialistes. Ainsi, le bulletin du mouvement s’appelle successivement Lutte du peuple (1991-1996) puis La voix du peuple (1996-1997)[5]. Dans leur discours, le terme peuple est certes souvent utilisé comme synonyme d’«ethnie». Mais, fait exceptionnel dans les droites radicales, le groupe ne nie pas l’existence de conflits sociaux, voire «de classe», au sein du peuple, et même il s’appuie sur eux pour développer une problématique dite «révolutionnaire» : «Le chômage s’est avéré être un phénomène structurel du capitalisme moderne et un point d’appui pour le patronat pour faire capituler les travailleurs sur toutes leurs revendications» (LDP, 23, septembre-octobre 1994, p. 5). En revanche, dans le texte idéologique fondateur du mouvement, intitulé «Pourquoi nous combattons» (LDP, 8, juillet 1992, p. 16), le mot «nation» n’est jamais utilisé : il n’apparaît que lorsque, à l’automne 1997, NR réaffirme sa ligne de collaboration avec le Front national et l’ensemble du «mouvement national», adoptée lors de son congrès d’octobre 1996 : «Alors que notre nation vit des heures décisives, alors que l’on assiste à la croissance d’un grand mouvement national et populaire qui répond aux inquiétudes et aux attentes du peuple français, alors que se mobilisent contre celui-ci les forces du système antipopulaire, de l’extrême gauche à la droite conservatrice et réactionnaire, la mouvance nationaliste-révolutionnaire et révolutionnaire-conservatrice est absente au rendez-vous de l’Histoire» (Cf. «L’Appel des 31 pour 1′unité» dans Résistance !, n°1, sept.-oct. 1997, p. 18). Encore le contenu du terme est-il défini comme étant en opposition totale avec la définition communément retenue par les droites nationalistes radicales : «Quelle nation? Pas les États-nations que nous connaissons actuellement et dont la réalité en termes de mythe mobilisateur est de plus en plus faible. Non, les nations qui nous intéressent sont celles de la tête et du cœur.» (La Voix du peuple, oct.-nov. 1996, p. 2). Cette nation est définie comme un espace supra-continental (une sorte de «grande patrie») à l’intérieur duquel l’individu se définit par rapport à une identité ethnique, une «petite patrie» : «Celle de la tête, c’est la Grande Europe, I’Empire Eurasiatique de Galway à Vladivostok, la nation impérative, la nation à construire. Celles du cœur ce sont nos patries charnelles, nos régions, notre Flandre, notre Bretagne, notre Corse, etc.» (ibid.)
En cela, ce discours diffère de celui d’une autre branche du mouvement national-bolchevik qui se dit, elle aussi, héritière idéologique de Jean Thiriart et qui est actuellement représentée par le Parti Communautaire National-européen (PCN), qui récuse l’appellation d’extrême droite et est surtout actif en Belgique. En effet, dans l’Europe telle que la conçoit le PCN, il n’existe même plus de place pour des entités étatiques fondées sur l’adéquation territoire, de la langue et de l’ethnie : c’est une «Europe unitaire», (le groupe veut «l’unification de notre patrie continentale») à pouvoir politique unique, gouvernée par un parti unique organisé en «sections régionales» qui ne correspondent nullement au cadre des États-nations. Alors que NR et UR entretiennent des contacts en Europe au sein d’une structure appelée «Front Européen de Libération» (FEL)[6], avec d’autres groupes organisés sur une base nationale, le PCN est constitué en «réseaux d’expression» linguistiques (francophone, néerlandophone, magyarophone). Dans cet espace, le citoyen n’est plus lié par aucune attache à l’ethnie ou au groupe national ; il n’est plus qu’européen, suivant en cela ce qu’écrivait Thiriart : «Dans l’Organisation, le militant aura renoncé à son petit nationalisme d’origine jusqu’au plus profond de son esprit [...] À titre d’exemple, les hommes qui peuvent encore se passionner pour le flamingantisme ou pour le Sud-Tyrol ne sont absolument pas prêts moralement à entreprendre la lutte pour l’unification de l’Europe.» (J. Thiriart, Jeune Europe, n°29, novembre 1963).
Identité(s) : la logique ethno-différencialiste
L’ethno-différencialisme, totalement opposé à l’universalisme, consiste à prôner non plus le racisme hiérarchisant qui établit la supériorité d’une race sur une autre, mais le développement séparé des peuples et des cultures: c’est comme l’explique Pierre-André Taguieff, une phobie du métissage. Le discours ethno-différencialiste absolutise les identités et défend un modèle social dans lequel chaque communauté ethnique (ou religieuse) peut s’organiser de manière autonome autour de ses propres normes éthiques et juridiques.
Le programme de NR défend ainsi «la reconnaissance des autres en tant que tels, que nous devons aider à redevenir eux-mêmes et le refus de toute logique assimilationniste ou génocidaire (ethnopluralisme)» («Pourquoi nous combattons», LDP, n°8, juillet 1992, p. 16). Cette formulation est l’euphémisation de celle, plus radicale, que contenait le programme de la tendance dirigée par Christian Bouchet au sein de Troisième Voie avant la création de Nouvelle Résistance et qui déclarait «s’opposer au métissage généralisé de notre peuple par l’immigration» («Un combat pour la révolution européenne», Alternative tercériste, n°25, septembre 1990, p. 8).
C’est aussi au nom de l’ethno-différencialisme que NR puis UR considèrent certaines communautés, dont le mouvement pense qu’elles refusent de s’assimiler, comme des alliés objectifs. Ainsi des musulmans :
«Face au nouvel ordre mondial, face à l’Occident, face au sionisme, ainsi que contre l’immigration et l’assimilation, les musulmans peuvent être des alliés précieux dans notre combat.» (LDP, n°20, février 1994, p. 4) L’adhésion à l’ethno-différencialisme entraîne dans le discours national-bolchevik, I’omniprésence du terme «identité» : NR défend les «identités populaires» et l’«affirmation identitaire». Cette identité, non définie précisément, est toujours décrite comme aliénée par ce qui est l’exact opposé de l’ethno-différencialisme, à savoir le modèle universaliste dominant, tandis que le peuple est décrit comme soumis à un processus de confiscation des pouvoirs qui doivent lui revenir dans une «vraie démocratie». Ce thème du complot mondialiste contre les identités est partie intégrante d’un discours largement fondé sur la logique conspirationniste ou le vocabulaire de la manipulation : il existerait des forces occultes qui détruiraient les peuples (le «lobby sioniste international» ; les «cosmopolites») et surtout un système qui les broierait. Ainsi pour Jeune Résistance, «le système agit sur les peuples comme un virus sur les tissus affaiblis du corps humain [...] Dominer, asservir, parasiter et piller par tous les moyens les peuples, sont les constantes du système.» (JR, n°7, juin-juillet 1997, p. 1). Le moyen principal de cette domination est «l’occupation», qui n’est pas tant celle de l’espace territorial (par exemple, I’existence de bases militaires américaines en Europe ou de la force de l’ONU en Bosnie) que celle des esprits : «Le seul souci des pouvoirs dans tout l’Occident américanisé comme dans l’Europe occupée, consiste actuellement à dépolitiser les masses.» (Napalm Rock, Aix-en-Provence, n°5, mars-avril 1996, p. 16).
Dès lors, celui qui s’oppose à cette dépossession entreprend un travail de réappropriation identitaire : «Nous voulons redevenir nous-mêmes en luttant contre toutes les aliénations qui nous ont faits autres que nous sommes.» («Pourquoi nous combattons», Lutte du peuple, n°8, juillet 1992, p. 16).
Un cadre politique : l’Europe des ethnies
Partisan du «refus de toute logique assimilationniste ou génocidaire», et donc de «l’ethnopluralisme», le courant national-bolchevik adopte une attitude favorable aux régionalismes autonomistes ou indépendantistes qui veulent faire éclater l’État-nation; ainsi du nationalisme corse, ou flamand (NR était très lié à la revue flamingante Wij Zelf, publiée en France; UR a donné la parole au Mouvement régionaliste de Bretagne créé par Xavier Guillemot, cadre du MNR et de Terre & Peuple), la branche espagnole du FEL a même soutenu la cause de ETA et de Herri Batasuna[7] :
«Le peuple corse, sa culture, son identité, son intégrité sont en danger. En fait, les choses sont simples : d’un côté, une idéologie mondialiste, cosmopolite dont les représentants détiennent les pouvoirs dans tout le monde occidental. De l’autre, une conception du monde enracinée, communautaire et populaire.» (Cf. Rupture, organe du groupe Septentrion, Bastia, n°2, 1997). L’espace d’épanouissement des identités absolutisées n’est pas l’État-nation mais une Europe fédérale dans laquelle chaque ethnie possèderait son autonomie étatique et culturelle: «Nouvelle Résistance envisage une reconstruction de l’Europe par la base conformément à la tradition communaliste dont elle est l’héritière. Une reconstruction politique à partir de communes autonomes fédérées en régions autonomes, elles-mêmes associées en confédérations ethniques ou géopolitiques incluses dans une fédération européenne.» («Pourquoi nous combattons», Lutte du peuple, n°24, novembre-décembre 1994, p. 15 ; dans la version du même texte publiée dans le numéro 8 de juillet 1992, NR fait référence à la «tradition libertaire dont elle est l’héritière»). Au sein de cet espace, les peuples ont des rapports définis par une hiérarchie des solidarités : d’abord celle des individus, dans le cadre de «l’autonomie des diverses composantes territoriales et ethniques de ces blocs» et de «la solidarité au sein de chaque peuple entre ses membres». Ensuite, celle «des peuples au sein d’un même bloc continental» ; enfin, «la solidarité de tous les peuples en lutte contre l’impérialisme» («Pourquoi nous combattons», ibid.).
Enfin, si le mot race est quasiment absent du vocabulaire national-bolchevik, alors que les appartenances de classe sociale ne sont jamais niées (NR possédait une filiale intitulée «Résistance ouvrière»), certaines formulations montrent bien que, pour NR, et plus ouvertement encore pour UR, la notion de substrat biologique commun aux ethnies vivant dans l’espace territorial français est valorisée : ainsi Thierry Maillard parle de la «défense de l’unité biologique du peuple français dans sa diversité», (Jeune Résistance, n°8, octobre-novembre 1997, p.11).
La figure de l’immigré dans le discours national-bolchevik
Une des spécificités de ce courant est sa position sur la question de l’immigration : au nom précisément de l’ethno-différencialisme et d’une logique communautariste, le mouvement est à la fois hostile à l’immigration extra-européenne déclarant que «l’immigration non-européenne doit cesser» (LDP, 29, novembre-décembre 1995, p. 2) et allié «avec les immigrés contre l’immigration».
Son idéologie repose sur une nette distinction entre «patrie» (terre d’origine au sens culturel du terme) et «sol» (lieu de résidence temporaire de l’immigré déraciné) : «Pour Nouvelle Résistance, assimilation ou intégration sont les deux faces d’un même racisme. La solution à l’immigration et au racisme ne pourra passer que par une autonomie culturelle et religieuse des immigrés installés sur notre sol. Elle seule pourra garantir le maintien de leur culture et de leur identité, donc la possibilité pour eux de s’intégrer de nouveau dans leurs patries et sur leurs terres d’origine» (LDP, n°19, décembre 1993 / janvier 1994).
Souvent, le terme pays est utilisé en tant que synonyme de patrie. «Le retour des immigrés dans leur pays d’origine», «le droit pour tous de vivre et travailler au pays» figurent ainsi dans le programme de NR sur l’immigration. Pour ceux des immigrés qui demeureront sur le territoire français, NR proposait «le respect du droit à la différence grâce à l’organisation des immigrés en groupes autonomes et à l’arrêt des politiques d’intégration et d’assimilation» (LDP, n°26, mars-avril 1995, p. 5). Il n’existe dans le discours de NR et d’UR qu’un seul groupe ethnico-religieux auquel est explicitement nié le droit de disposer de sa souveraineté territoriale : les Juifs. Ainsi Israël est toujours nommé comme étant «l’entité sioniste», jamais comme un État ; les organisations juives sont toujours décrites comme a-nationales et supra-nationales, la plupart du temps sous le vocable de «lobby sioniste international» (cf. en particulier l’article «Nous ne sommes pas coupables !» dans Jeune Résistance, n°7, juin-juillet 1997, p. 1). On trouve dans d’autres publications de la mouvance nationale-bolchevique, des qualificatifs délégitimants appliqués à Israël : «duplicité israélienne», «intolérance israélienne», «crime contre l’humanité» (cf. World report, II, 11, 4 juin 1996, p. 6). La position d’UR sur cette question apparaît aujourd’hui plus radicale que celle d’autres organisations d’extrême droite, Terre & Peuple ayant admis la nécessité de la coexistence de deux États palestinien et israélien, et le FN comme le MNR étant traversés par une fracture qui va s’amplifiant entre antisionistes et partisans d’une alliance tactique contre l’islamisme avec l’État hébreu.
Peuple et avant-garde
NR et UR sont des mouvements de cadres délaissant le champ électoral, et qui valorisent en conséquence le rôle de l’avant-garde combattante, politiquement consciente, par rapport à celui de la masse, supposée décervelée par le système : «Aux confins du nouvel ordre mondial, dominé par le lobby américano-sioniste, une fraction d’insoumis s’est regroupée derrière l’étendard identitaire. Renégats du système, ils ont engagé une lutte sans merci contre ses plus fidèles serviteurs. Asservissement des peuples, hypocrisie, démagogie, corruption généralisée, scandale du sang contaminé. La justice du peuple doit s’exprimer. [...] Dissidents de l’ordre établi, ils ne forment qu’une poignée, mais bientôt une division, et demain une armée»[8]. «Le combattant politique, à l’heure où les individus, la masse n’ont plus de raison de mourir (et donc plus de raison de vivre) est plus que jamais l’avant-garde»[9].
Les deux groupes n’ont pas l’ambition d’être des mouvements de masse, mais s’attribuent un rôle de guide et veulent être «un aiguillon, une avant-garde, une force de proposition» (Christian Bouchet, secrétaire général de NR, dans La voix du peuple, n°34, décembre 1996 / janvier 1997, p. 2). Ils admettent même que leur action peut être organisée d’une autre manière que par le travail de propagande politique directe en direction du «peuple» : NR, reformulant ainsi le «gramscisme» de la nouvelle droite, était favorable à la constitution de «méta-réseaux», c’est-à-dire de liens laches entre individus ou groupes appartenant à une même scène culturelle qui cherchent à faire progresser les idées nationales-bolcheviks de façon diffuse et subreptice.
Nation, État, dans le discours des alliés étrangers de Nouvelle Résistance
Il est, pour finir, indispensable de mentionner que le désintérêt marqué des nationaux-bolcheviks français pour le concept de nation n’était pas partagé par certains des groupes étrangers avec lesquels Nouvelle Résistance était en contact régulier. Ainsi, l’optique ethniste était explicitement rejetée par le groupe Ulster Nation, qui prône une indépendance de l’Ulster sur une base multi-confessionnelle (cf.
Ulster Nation
, n°18, 1997, p. 5: «Ulster nation seeks freedom for our nation and social justice for our people»), par les péronistes dissidents dont les publications étaient diffusées en Europe par NR[10], avec toutefois une ambiguïté, puisque le terme de nation est utilisé par eux à la fois pour décrire un cadre étatique (l’Argentine) et supra-étatique (le continent latino-américain face à l’ennemi américain) et aussi par les Roumains du Clubul Acoladelor, qui ne se déclarent pas adversaires de l’homogénéisation des différences ethniques mais de celle des «différences nationales»[11].
Le soutien apporté par la mouvance nationale-bolchevik française à un ethno-différencialisme radical qui est à la fois nationaliste-européen, anti-israélien / pro-arabe et qui veut l’éclatement des États-Nations au profit d’entités fondées sur le sentiment d’une identité fondée sur la mémoire ethnique collective (ce que Pierre Vial appelle les «peuples longs-vivants») est certes encore une position minoritaire dans l’espace des droites radicales. Il entre néanmoins en résonance avec la progression des idées völkisch dans les groupes périphériques au Front national et au MNR après la scission de 1998 (Terre & Peuple, en particulier, qui est en compétition avec UR pour le leadership de la scène radicale) et avec la récupération par ceux-ci de la thématique régionaliste. Ainsi, tout indique que ces formulations sont appelées à gagner en visibilité dans le discours des extrême droites toujours dépourvues d’une définition cohérente et unanimement acceptée de la nation.
- Pour une description de ces mouvements, cf. Jean-Yves Camus, René Monzat, Les droites nationales et radicales en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon 1992, pp. 329-341.[↩]
- Sur ces courants, cf. Armin Mohier, La Révolution conservatrice en Allemagne 1918-1932, Puiseaux, Éditions Pardès, 1993, pp. 574-618 en particulier.[↩]
- Sur le discours de Jeune Europe, cf. l’étude, rédigée par un militant, de Yannick Sauveur, Jean Thiriart et le national-communautarisme européen, mémoire de DEA, Institut d’études politiques de Paris, 1978. Sur la notion essentielle chez le Thiriart des années 1980-1990, d’Empire eurasiatique, cf. son texte Evropa da Vladivostoka, Moscou, 1992 (en russe), 34p., abstract dans Rousskyi Viestnik, 3031, Moscou, 19 août 1992.[↩]
- Environ 200 militants présents lors du cortège du 1er mai 2001 et un journal théoriquement bimestriel vendu à 1000 exemplaires. Source : entretiens avec Christian Bouchet, secrétaire général de NR[↩]
- Pour devenir Résistance ! , 1, septembre-octobre 1997.[↩]
- Lequel entretenait des relations régulières avec des mouvements dont le nom n’évoque presque jamais l’idée de nation (Third way ; Altemativa europea ; Sozialrevolutionäre Arbeiterfront), à l’exception des Polonais de Przclom Narodowy (le réveil national).
À noter que le Front Européen de Libération, fondé en 1993 en tant qu’association loi de 1901, a depuis 1996 son siège à Bruxelles et constitue désormais une filiale du PCN.[↩] - Ce tournant était annoncé par un entretien en décembre 1996 de Fernando Marquez, animateur de la revue Punto de vista operatiro, au fanzine Mundo brutto, se fonde sur l’idée que «le mouvement de libération national basque et le bloc national galicien sont aujourd’hui les seuls espaces de rupture réels et possédant une base populaire significative dans l’espace espagnol.» (F. Marquez, Punto de vista operativo, Madrid, 7, printemps 1997, p. 11.[↩]
- Extrait de « Manifeste», titre du compact-disc de Fraction hexagone (devenu Fraction), auto-production, 1996. Ce groupe, basé à Nice et officiant dans le genre musical hardcore, est dirigé par Fabrice Robert, dirigeant de NR puis d’UR et responsable du bulletin Jeune Résistance.[↩]
- Cf. «Jalons pour une démarche révolutionnaire», Jeune Résistance, n°4, oct. 1996, p. 2.[↩]
- Cf. par exemple, le texte de Juan Peron, «Declaraciones del general Peron a la Nacion europea» dans supplément à El avion negro, 4, mars-avril 1996.[↩]
- Cf. le texte de présentation du groupe dans Clubul Acoladelor, «Refuzul americanizarii », Bucarest, Editura Leka-Brancusi, 1995, p. 30.[↩]
Les commentaires sont fermés.