REFLEXes

La taupe qui venait du Nord

3 janvier 2007 Les radicaux

L’histoire de Tim Hepple est une histoire banale. Un jeune homme bien éduqué, mais en décalage avec son propre style de vie et la société, recherchant quelque chose où il pourrait s’engager et qui trouve sa voie dans le camp nazi. Un jeune homme avec des vues élitistes sur le monde et qui croit que, d’une manière ou d’une autre, la violence a des effets curatifs sur les gens et sur les maladies de la société.
Au bout de cinq ans, Hepple, qui était devenu de plus en plus actif dans des organisations néo-nazies, commence à être désillusionné. Il y a à peu près trois ans, il approche Searchlight et offre de travailler comme taupe à l’intérieur de l’extrême droite britannique. Son offre est acceptée et jusqu’au printemps, il fournit à Searchlight une grande quantité d’informations importantes de l’intérieur du British national party et d’autres groupements néo-nazis.
En avril, il apparaît publiquement dans un programme national sur le groupe nazi ultra-violent Combat 18. Devant des millions de téléspectateurs, il révèle comment Combat 18 cible les antifascistes, les personnalités juives et n’importe quelle personne détestée par les nazis en utilisant la violence, l’incendie ou les menaces de mort. De son expérience, il a tiré un livre commenté par Gerry Gable et publié par Searchlight, où il raconte comment il s’est retrouvé chez les nazis, son activité, donnant par là même une vision remarquable de ce qui se passe dans la tête d’un jeune nazi. C’est la première fois qu’on publiait un compte-rendu de la vie à l’intérieur du British national party depuis The Other Face of Terror, par Ray Hill et Andrew Bell, qui (il y a cinq ans) avait décrit les premières années du BNP, de 1980 à 1983.
Ray Hill était un homme mature qui avait passé la moitié de sa vie chez les nazis, et qui avait pris le temps de réfléchir à ses erreurs politiques avant de décider de travailler contre les nazis, ce qu’il a fait avec succès pendant des années. Hepple est un homme beaucoup plus jeune, qui est encore par de nombreux côtés assez immature, et les raisons de sa défection ne sont pas aussi tranchées que celles de Hill. La brochure est le récit de Hepple mais elle donne aussi un éclairage sur les problèmes que peut entraîner le travail de quelqu’un comme Hepple pour Searchlight. En dépit des réserves de Searchlight par rapport à son comportement politique ou dans la vie, nous ne pouvons nier qu’il ait fait preuve d’un grand courage sans jamais demander de compensation financière.

Hepple est né en 1967 et a été élevé par un couple de maîtres d’école. Il est sur le point de retourner à l’Université pour finir ses études en musique classique. C’est un musicien doté d’un talent considérable, qui a gagné de nombreuses récompenses et concours tout au long de son éducation. Il n’est pas le type de jeune que l’on s’attend à trouver parmi les plus violents des hooligans dans les matchs de football du sud de Londres, et c’est pourtant parmi eux que Hepple eut sa première expérience politique.
À l’école, il passa du sentiment général que la gauche est inutile, que les conservateurs sont faibles, à la recherche d’une organisation élitiste. D’abord, il s’engagea dans les rangs du National front mais rapidement, alors qu’il étudiait en Écosse, il préféra le British national party.
En Écosse, racisme, sectarisme protestant (soutien à l’Ulster) et hooliganisme vont ensemble. Des loyalistes et des membres du BNP, y compris des gens qui combattent aujourd’hui comme mercenaires en Yougoslavie, et des activistes de droite extrême venant de la branche jeune du Parti conservateur sont à des centaines de milles de la violence pendant les matchs de football entre clubs catholiques et protestants écossais. Mais c’est sur ce dernier terrain que Hepple se retrouva engagé dans les activités du BNP. Il quitta l’Écosse pour commencer des études à l’université de Sheffield et fut le fer de lance du travail nazi contre la gauche sur le campus aussi bien qu’en ville, militant avec des fascistes et néo-nazis locaux qui avaient une longue liste d’affaires criminelles liées à leurs activités politiques.
Hepple nous raconta l’épisode du rassemblement du BNP dans l’ancienne cité de York, dans le nord de l’Angleterre. C’est à York qu’eut lieu un des pires pogroms contre les Juifs en Angleterre, au XIIème siècle. Le BNP a choisi exprès cet endroit pour organiser son rassemblement. À un moment, le drapeau du BNP fut hissé et les autres drapeaux locaux furent agités. C’est exactement ce qu’Hitler et Himmler avaient fait à leur rassemblement de Nuremberg dans l’Allemagne d’avant-guerre, utilisant le drapeau du parti, le Blut Fahne, teint avec le sang des martyres nazis du putsch avorté de 1923. Ceci montre clairement comment on peut rattacher le BNP à l’histoire sanglante du nazisme.

Le récit de Hepple révèle aussi que les différents niveaux d’engagement dans le parti nazi entraînaient de nombreuses pressions, des conflits politiques parfois violents. Il montra aussi la couardise des nombreuses grandes gueules de certains partis quand ils sont en face de leurs chefs comme par exemple le leader du BNP, John Tyndall : de nombreux coups de poignards dans le dos quand le chef n’est pas là, mais en face de lui, bien peu ont le courage de défendre leur point de vue.
C’est lorsque Hepple travailla au siège du BNP à Welling dans le sud-est de Londres qu’il donna certains de ses meilleurs éclairages sur les activités criminelles des nazis. À ce moment là, il a été capable de surveiller le courrier et les coups de téléphone, de noter les noms des personnes qui donnaient les plus larges contributions financières au BNP pour la campagne des élections législatives de 1992 ; il suivit les activités en Angleterre du nazi américain Harold Covington, et il donna les premiers avertissement sur la mise en place de Combat 18. Il a aussi raconté comment des gangs de nazis, de jeunes et plus âgés de l’est et du sud-est de Londres allaient à la «chasse», et comment les cadres du parti méprisaient la main d’oeuvre skinhead mais la préparaient à être les gardes du corps des officiels du parti ou des candidats. Hepple compléta la connaissance qu’avait Searchlight du Ku Klux Klan en Grande-Bretagne et du groupuscule extrémiste British movement.

Ce qui a fait le plus de dégâts dans le parti, ce sont les phrases enregistrées par Hepple des cadres du BNP exprimant comment ils voient le monde et les gens. Richard Edmonds, qui dirige le siège du BNP, vient récemment d’être engagé pour être le représentant du Nouvel ordre européen, un groupe international de nazis dirigé par l’ancien général SS Léon Degrelle, par ailleurs recherché pour crimes de guerre. Edmonds est obsédé par sa haine des Juifs. Sa propre femme décrit les activistes comme des losers antisémites forcenés. Ces mots que Hepple cita n’ont pas eu bonne presse à l’intérieur du parti.
Cette brochure montre les problèmes quotidiens qu’entraîne une opération comme celle-ci, et dans le cas d’Hepple, son association avec des éléments du mouvement «anarcho-écologiste» entraîna sa découverte. L’apparition publique d’Hepple dans l’émission documentaire World in Action le 19 avril confirma ce que le BNP savait, car des cadres de Combat 18 avaient eu un tuyau provenant du milieu anarchiste indiquant que Hepple avait, au moins une fois, travaillé pour Searchlight.
Les activités de rue d’Hepple dans les premiers jours de Combat 18 et sa volonté d’apparaître à l’écran pour parler de son expérience ont causé d’importants torts au groupe, non seulement aux yeux du public mais aussi aux yeux de leurs militants qui ont eu le sentiment, malgré leurs déclarations à propos de nouvelles mesures de sécurité, que Searchlight s’était montré plus malin qu’eux. Une des conséquences de l’apparition publique de Hepple les plus désastreuses pour le BNP fut la suivante : la crédibilité de John Tyndall fut ruinée. Depuis des mois, il racontait aux membres du parti que Hepple n’avait accès ni au siège du BNP, ni aux listes des adhérents et des souscripteurs, ni à aucun autre papier important. Il avait même publié des communiqués sur ce sujet dans les publications du BNP. Avec la publication de At War With Society, les protestations de Tyndall ont montré ce qu’elles étaient : des mensonges.
Les répercussions de la brochure d’Hepple ne sont pas finies. Une massive chasse aux sorcières a commencé dans l’extrême droite pour trouver les autres taupes, mais en vain ; cela n’a pas empêché les fuites d’être toujours plus nombreuses. Les nazis sont affolés, comme des rats hystériques coincés dans une pièce. Ce que Searchlight aimerait, c’est que le mouvement antifasciste en profite pour purger de ses rangs les infiltrés et autres fantaisistes.

Mis en ligne le 3 janvier 2007

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