La section allemande de Blood and Honour compte environ 250 membres Elle est en contact avec des organisations similaires en Suède, en Norvège, en Grande-Bretagne et au Danemark.
Selon l’Office de Protection de la Constitution allemande, équivalent des Renseignements généraux français, 105 concerts néo-nazis ont été organisés en Allemagne en 1999, dont un tiers par Blood and Honour. 33 de ces concerts ont eu lieu exclusivement en Saxe.
En 1999, il y avait environ 100 groupes de rock néo-nazi en Allemagne. Depuis 1991, ils ont produit 500 CD différents (dont 200 sont interdits), ce qui représente une production globale de 1,5 million de CD.
Il existe par ailleurs une cinquantaine de maisons de productions et autres labels responsables de la fabrication et de la distribution des CD, ainsi que 20 magasins proches de la scène néo-nazie sur l’ensemble du territoire allemand.
Après avoir débattu tout l’été de l’extrême droite, le gouvernement allemand, en la personne du ministre de l’Intérieur Otto Schily (SPD), a décidé de frapper un grand coup contre la scène néo-nazie. En effet, au vu de la recrudescence d’attentats et d’agressions à caractère raciste et antisémite, il y a eu de nombreux débats au sein du gouvernement et de la société allemande au sujet de l’extrême droite. C’est ainsi que les analyses et les propositions les plus variées sont apparues dans la presse allemande : fallait-il interdire le NPD[1], priver les responsables d’agressions racistes de leur permis de conduire, privilégier l’enseignement de la citoyenneté dans les écoles, convoquer la France, la Suisse, l’Autriche, l’Italie et le Liechtenstein à une réunion internationale sur ce thème, financer des initiatives antiracistes, restreindre encore une fois le droit d’asile[2] ? Les avis divergeaient, jusqu’à ce que Otto Schily décide d’interdire la section allemande de Blood and Honour[3] ainsi que son groupe de sympathisants, White Youth, le jeudi 14 septembre 2000 pour « refuser que Blood and Honour empoisonne les esprits et les cœurs, en particulier chez les jeunes[4] ».
Comment Blood and Honour s’est développé en Allemagne
Les premiers contacts entre Blood and Honour[5] et des groupes de musique néo-nazis allemands remontent à 1991. Cette année-là, le groupe Kreuzritter für Deutschland et Skrewdriver entament une collaboration qui prend la forme du Skrewdriver-Service (une boîte de distribution qui doit prendre en charge la diffusion des disques du groupe anglais) et du projet German-British-Friendship (GBF) qui veut organiser des tournées internationales et produire des compilations. Aujourd’hui, GBF-Records est l’un des plus gros labels et boîte de distribution d’extrême droite du Sud de l’Allemagne.
Par ailleurs, des contacts se nouent à la même époque entre le Gesinnungsgemeinschaft der Neuen Front[6] (GdNF) de Michael Kühnen et divers groupes scandinaves tels que Vitt Arisk Motstand (VAM), Danmarks National Socialistike Bevaegelse (DNSB) et la boîte de distribution NS 88 qui sera le point de départ de la section danoise de Blood and Honour.
De fil en aiguille, la section allemande de Blood and Honour se monte et en 1993, son QG est au Danemark, tandis que son adresse est celle de la Nationale Liste (NL) de Hambourg, autre organisation-écran du NSDAP-AO. Au même moment en Basse-Saxe, le FAP[7] prend, à l’initiative de Torsten Heise, des contacts étroits avec Combat 18 en Angleterre. Torsten Heise fait partie de ces cadres qui servent de repères dans le mouvement néo-nazi allemand et profitent des structures établies, comme le FAP à son époque, pour essayer de dépasser le stade du groupuscule.
À cette époque-là, la section allemande de Blood and Honour est un rassemblement assez informel, composé cependant de militants chevronnés parmi les plus radicaux de la scène néo-nazie qui n’ont pas leurs pareils pour organiser des concerts. Dès 1994, l’organisation s’est structurée et centrée sur Berlin : elle s’adresse en majorité aux nazis-skins de l’Est et s’enracine donc logiquement dans les länder de l’Est, à savoir le Brandebourg, la Saxe, la Saxe-Anhalt, la Thuringe et le Mecklembourg-Poméranie.
À la mort de Ian Stuart Donaldson, le chanteur de Skrewdriver et leader de Blood and Honour en Angleterre, le développement de la section allemande de l’organisation s’infléchit quelque peu, mais ses activités ne tardent pas à reprendre dès 1995-1996.
Les activités commerciales et politiques de la section allemande de Blood and Honour
Avant tout, la section allemande de Blood and Honour est, à l’instar de l’organisation-mère anglaise, un réseau de militants dont l’activité consiste à produire, distribuer et faire jouer en concert des groupes de rock néo-nazi allemands. Les concerts, pour lesquels Blood and Honour parvient à rassembler jusqu’à 2000 personnes au nez et à la barbe de la police, en les dirigeant d’un lieu intermédiaire à l’autre jusqu’à la salle réservée soi-disant pour un anniversaire ou des fiançailles par le biais des téléphones portables, sont certes des sources de revenus non négligeables pour l’organisation, mais ce sont eux surtout qui ont donné à Blood and Honour sa réputation de réseau insaisissable.
Blood and Honour-Allemagne fait également le commerce de CD interdits (acheminés par différentes filières, soit par le Nord, c’est-à-dire la Scandinavie, soit par l’Est, c’est-à-dire la République tchèque, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie), ce qui s’est avéré jusqu’alors extrêmement lucratif[8], ainsi que la production de CD. La plupart des labels allemands d’extrême droite sont liés à l’organisation, ainsi que les nombreux fanzines et magasins qui y sont rattachés. La région de Hambourg est particulièrement touchée par ce phénomène, surtout depuis que Christian Worch et Thomas Wulff travaillent à maintenir ouvert le Club 88 à Neumünster. La section allemande de Blood and Honour est donc un réseau difficile à appréhender, très mouvant, dont les groupes de musique, labels, boîtes de distributions et de vente par correspondance, magasins et fanzines qui le composent ne cessent de changer de noms, de fusionner, se dissoudre, se quereller et élaborer de nouveaux contacts. De plus, le lien de tous ces groupes avec Blood and Honour est souvent très souple, qu’il s’agisse de contacts commerciaux ou d’une appartenance éprouvée au réseau.
Cependant, et l’initiative de Worch et de Wulff à Hambourg le montre bien, la section allemande de Blood and Honour ne limite pas son activité politique à la musique, et elle se joint aux autres partis néo-nazis dans leurs apparitions publiques.
S’il est vrai que, jusqu’à il y a peu, les nazis-skins se retrouvaient volontiers derrière les banderoles des Junge Nationalisten (JN) et du NPD comme à Passau en février 1998 pour le “ Jour de la Résistance nationale ” (5000 participants, à 90% des nazis-skins), on assiste depuis deux ans à une évolution du NPD, qui, depuis que ses défilés sont régulièrement interdits et que le gouvernement fédéral se pose la question de son éventuelle interdiction, n’hésite pas à évacuer les nazis-skins de ses rangs, dans les défilés comme dans l’appareil du parti.
Par conséquent, Blood and Honour a repris en main l’organisation de nombreux défilés, en usant des mêmes moyens que ceux utilisés pour organiser des concerts de musique néo-nazie. Le réseau comble ainsi le vide laissé par le NPD et les JN, davantage occupés à se refaire une virginité en excluant les nazis-skins du parti en Saxe par exemple, avec un atout supplémentaire : son authenticité culturelle. Les militants apparaissent donc désormais derrière leurs propres banderoles. Le réseau allemand Blood and Honour diffuse également un skinzine du même nom qui en est déjà à son neuvième numéro : à côté des articles consacrés à la musique, on trouve des textes qui font l’apologie de Waffen SS et autres militants nationaux-socialistes et exposent des théories racistes, ainsi que des interviews de terroristes néo-nazis emprisonnés. Les militants allemands de Blood and Honour ne sont pas les derniers quand il s’agit de menacer ou d’agresser leurs opposants, qu’ils soient Juifs ou immigrés. Ils utilisent également leurs contacts internationaux pour partager leurs expériences politiques et terroristes, en particulier en ce qui concerne les actions anti-antifascistes. Ainsi en novembre 1999, une rencontre eut lieu en Norvège entre les membres européens du réseau Blood and Honour : des néo-nazis allemands, suédois, anglais et norvégiens ont parlé de coordonner leurs activités anti-antifascistes au niveau international, si bien qu’un mois plus tard, la police criminelle de Basse-Saxe a dû mettre en garde de nombreuses maisons habitées par des gens de gauche ainsi que le président du syndicat DGB d’éventuelles lettres piégées.
Le concept de Blood and Honour est simple en fin de compte, mais il a déjà fait ses preuves un peu partout en Europe : « Il n’est pas de meilleur moyen que la musique pour gagner la jeunesse à nos idées », disait Ian Stuart Donaldson. Et de fait, le rock néo-nazi a rencontré un écho remarquable chez la jeunesse allemande, si bien qu’aujourd’hui, il constitue en son sein une véritable tendance. Selon certains journalistes, l’interdiction de certains CD a même contribué à renforcer l’intérêt des jeunes pour cette musique, les titres interdits devenant les titres préférés dans certaines cours d’école.
Les conséquences de l’interdiction
Jeudi 14 septembre 2000 a donc été prononcée l’interdiction officielle de Blood and Honour Allemagne par le ministère de l’Intérieur… S’en sont suivies les perquisitions d’usage, étonnamment ciblées : par exemple, les dirigeants de Blood and Honour Sektion Nordmark (région nord) n’ont pas été réveillés à six heures par les policiers. La manifestation qu’ils avaient prévue en soutien au Club 88 de Neumünster, un bar connu pour être le point de rencontre des néo-nazis du nord de l’Allemagne, a bien eu lieu malgré l’interdiction de leur organisation, et les 450 néo-nazis ont pu tenir le pavé et faire la fête dans leur club le samedi soir, pendant que les 1300 policiers convoqués dans cette petite ville du Schleswig-Holstein s’occupaient des 800 antifascistes, avec pour consignes de cibler les « antifascistes violents » de Hambourg, dont ils avaient une liste de 40 noms. Heureusement que Blood and Honour est censé avoir été interdit… on n’ose pas imaginer ce qui se passerait sinon !!!
La police s’est montrée un tantinet plus ferme avec les quelques 500 nazis-skins qui s’étaient retrouvés à Laave (Nord de l’Allemagne) le samedi 23 septembre pour un concert. Les néo-nazis ont saisi tout ce qu’ils avaient sous la main pour le jeter sur les policiers : bouteilles, pierres, bombes lacrymos, meubles, etc. les policiers, qui avaient bien identifié les membres du réseau pourtant interdit de Blood and Honour, n’ont pas hésité à dire qu’ils étaient intervenus parce qu’ils avaient été agressés… L’auraient-ils fait sinon, ou bien auraient-ils simplement veillé à ce que le concert se passe sans problème ?
Si ce dernier concert (en date !) montre bien une chose, c’est que la scène rock néo-nazie allemande n’a pas été véritablement handicapée par l’interdiction de la section allemande de Blood and Honour, ni même surprise d’ailleurs. Depuis le temps que le gouvernement et les intellectuels parlaient de faire quelque chose contre l’extrême droite, les membres de Blood and Honour avaient bien eu le temps de se préparer à l’interdiction officielle et aux perquisitions et enquêtes qui devaient immanquablement suivre. Et de fait, dès l’annonce de l’interdiction, les cadres du mouvement ont commencé à restructurer le réseau néo-nazi. Le principe est en effet toujours le même : les organisations-écrans focalisent l’attention sur elles et se préparent à l’interdiction (dans le but d’éviter au maximum les condamnations individuelles) tandis que les cadres, organisés de façon plus souple, peuvent surmonter l’interdiction en se réorganisant le plus rapidement possible. Ainsi à Berlin, avant même l’interdiction de Schily, il y avait déjà les signes d’une réorganisation de Blood and Honour, sous la forme de contacts plus étroits avec le NPD.
Cet article a été réalisé par REFLEXes avec le concours de l’Antifaschistisches Infoblatt
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Paru dans REFLEXes N° 2, automne 2000
- Nationaldemokratische Partei Deutschlands, parti d’extrême droite allemand qui organise la plupart des défilés néo-nazis et rassemble les éléments les plus durs de l’extrême droite allemande.
[↩] - Car c’est bien ce qui s’est passé après le pogrom de Rostock en 1992 : le gouvernement allemand n’a rien trouvé de mieux que de limiter de façon drastique le droit d’asile afin d’éviter que ne se reproduisent de tels agissements !! Cherchez l’erreur…
[↩] - Après avoir prononcé quelques semaines auparavant l’interdiction de Hamburger Sturm, groupe et journal dirigés par Christian Worch, un vétéran de la scène néo-nazie hambourgeoise, et où les sections du nord de Blood and Honour et des Hammerskins ont décidé de travailler ensemble.
[↩] - taz Bremen, 18.09.2000.
[↩] - Cf. encart sur l’histoire de Blood and Honour.
[↩] - Organisation-écran du NSDAP-AO (parti nazi en exil et en reconstruction), interdit en Allemagne et basé aux États-Unis.
[↩] - Freiheitliche Arbeiterpartei Deutschlands, Parti libéral des ouvriers allemands
[↩] - Il faut savoir que les profits sont si juteux que certains cadres de Blood and Honour vivent de leurs activités, et plutôt bien. Par ailleurs, ce commerce permet souvent de blanchir de l’argent sale, car Blood and Honour, dans sa recherche de pouvoir, est en lien avec le “ crime organisé ”.
[↩]
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