REFLEXes

Autriche : les Burschenschaften, la conservation des élites à la mode autrichienne

LesBurschenschaftenen Autriche

Le système des corporations nationalistes pangermaniques en Autriche

Sous le concept de corporations nationalistes pangermaniques ou national-libérales, on regroupe les Burschenschaften, les chorales, les associations de chasseurs, les associations patriotiques communautaires, ainsi que les associations sportives universitaires, les associations d’étudiants allemands et les différentes corporations. Malgré les similitudes qu’ils peuvent présenter dans leur structure hiérarchique et strictement masculines, ces regroupements organisés en associations déclarées se différencient nettement des organisations catholiques par leur nationalisme pangermanique, leur scepticisme à l’encontre de la démocratie parlementaire, le lien qui les unit au national-socialisme et leur attachement au principe du duel (obligation de se battre à l’épée, Pflichtmensur). Dans cet article, nous nous limiterons à l’étude des Burschenschaften, du fait de leur force et de leur position particulière dans ce milieu-là, et avant tout du fait de leur organisation politique explicite, qui facilite leur classification idéologique.

Le rapport publié en 1994 par le ministère de l’Intérieur autrichien fait état de « deux Burschenschaften de Vienne, et d’une de Innsbruck […], qui ont le rôle d’écoles de cadres »[1]. Dans le rapport portant sur l’année 1999, les autorités constatent qu’il émane des Burschenschaften autrichiennes « une idéologie d’extrême droite habilement dissimulée. On reconnaît également dans l’agitation de ces structures étudiantes une volonté de faire accepter d’une certaine façon, par des chemins détournés, l’idéologie national-socialiste. »[2] L’Office de Protection de la Constitution allemand s’est également déclaré contraint en 1996 « de surveiller à l’avenir les signes de l’activisme d’extrême droite au sein des Burschenschaften. »[3] Selon l’Office de Protection de la Constitution de Hambourg, il semblerait qu’au sein de la Deutsche Burschenschaft (DB), la confédération regroupant des Burschenschaften allemandes et autrichiennes, certaines « forces, qui présentent des affinités prononcées avec le camp nationaliste, soient en train de gagner en poids politique. »[4] La Burschenschaft Olympia de Vienne y est évoquée nommément.

Il n’est pas question de se livrer ici à une description sans nuances de toutes les corporations nationalistes pangermaniques : en effet, elles ne présentent pas toutes les caractéristiques des organisations d’extrême droite. Nous essaierons plutôt de définir l’orientation politique de ces organisations en analysant leurs publications et leur politique générale d’apparitions publiques, tout en gardant à l’esprit le rôle considérable qu’elles jouent en terme de reproduction des élites masculines dans la société autrichienne.

Le rôle desBurschenschaften

Au moment où, au début des années 1990, l’extrême droite organisée connaissait une complète restructuration, le rôle joué par les corporations nationalistes pangermaniques s’est considérablement accrû. Elles ont en effet renoncé à leurs apparitions martiales, à l’agitation qu’elles menaient dans la jeunesse (chez les skinheads, les hooligans, etc.), et pas seulement sous la pression officielle, pour les remplacer par un travail de subversion touchant à l’idéologie et au recrutement de personnalités.Du fait de la rigidité de leurs critères de recrutement et de leur politique de rassemblement souvent exclusive, elles offrent une protection contre les curiosités indésirables. Ainsi, la proximité idéologique tout autant que cette fonction protectrice[5] attirent les extrémistes de droite les plus violents dans les rangsdes Burschenschaften.

Alors que, auparavant, des Burschenschafter comme Gottfried Küssel, Gerd Honsik ou Franz Radl junior[6] s’éloignaient de plus en plus de leurs corporations ou étaient déchus de leur titre de Burschenschafter, on constate depuis quelques temps une adhésion plus massive de néo-nazis condamnés ou bien connus. Il ne faut certes pas oublier de mentionner les discussions internes qui ont lieu au sein des Burschenschaftenlorsque de telles adhésions se produisent : on peut néanmoins émettre de sérieux doutes quant à l’effet resocialisant ou modérateur qu’est censée produire l’adhésion à une Burschenschaft, comme les Burschenschafter aiment à le répéter à leurs détracteurs.

L’importance accrûe des corporations national-libérales dans l’extrême droite est aussi favorisée par les efforts répétés entrepris pour intellectualiser le rôle qu’elles y jouent. Pourtant, il ne serait guère approprié de coller en toute hâte à ce petit milieu l’étiquette de nouvelle droite, car les Burschenschaften se caractérisent justement par leur résistance à toute innovation programmatique. C’est en tout cas ce que Jürgen Hatzenbichler, un représentant important de la droite en voie de modernisation, n’hésite pas à avouer : ce Burschenschafter de Carinthie pense ainsi que « malheureusement, les positions de la vieille garde de la droite […] font encore partie du discours des corporations. »[7]

La radicalité du nationalisme pangermanique en Autriche, qui fait immédiatement de toute innovation modératrice une trahison du patriotisme « allemand », est effectivement un obstacle à toute mise à distance de la « vieille garde de la droite ». À côté de cela, la fidélité masculine et le principe du Lebensbund (lien contracté pour la vie) soudent les générations entre elles et empêchent toute approche critique du passé nazi de très nombreux « Alte Herren ». Ainsi, la Burschenschaft Arminia de Graz continue aujourd’hui encore à honorer la mémoire de l’un de ses « frères »: Ernst Kaltenbrunner, qui fut l’un des principaux responsables de l’extermination organisée par les nazis et fut exécuté à Nuremberg. De la même façon, le premier commandant du camp de Treblinka, le médecin nazi Irmfried Eberl qui pratiqua l’euthanasie, a toujours le titre de Alter Herr de la Burschenschaft Germania de Innsbruck. Un autre criminel de guerre condamné à la prison à vie, Rudolf Heß, fut même proposé par la Deutsche Burschenschaft in Österreich (DBÖ, Confédération des Burschenschaften autrichiennes) pour le prix nobel de la paix.

Malgré tout, le rôle des Burschenschaften ne se réduit pas à celui que oue une école de cadres ou un lieu de repli pour l’extrême droite violente ; le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ, Parti libéral autrichien) qui n’a de libéral que le nom, recrute aussi ses dirigeants dans le milieu fermé des corporations. Ce furent ainsi avant tout des membres de Burschenschaften qui imposèrent Jörg Haider (membre de l’association de collégiens et de lycéens Albia de Bad Ischl et de la Burschenschaft étudiante Silvania de Vienne) en 1986 à la tête du parti. Cependant, il y a eu, en réaction à l’escalade de violences racistes qui ont marqué la fin de l’année 1993, du côté de la direction du FPÖ un mouvement pour se distancier de sa propre mouvance estudiantine organisée en corporations. Haider lui-même prit ses distances au début du printemps 1995 avec l’organe des Burschenschafter, Aula: lorsque, durant l’été 1995, Herwig Nachtmann (de la Burschenschaft Brixia), le responsable de la revue, fut condamné en vertu de la loi sur l’interdiction du national-socialisme, le fossé se creusa encore un peu plus entre le FPÖ et Aula. Mais le FPÖ continue à voir dans les Freiheitliche Akademieverbänden (associations universitaires libérales) et dans Aula l’une de ses organisations-satellites.

Après que la consigne donnée par Haider de se distancier de toute agitation pangermanique s’est déjà heurtée à une certaine résistance dans le milieu des Burschenschaften, la même réaction s’est manifestée lors des débats sur le programme du parti. En particulier le passage sur la «défense de la chrétienté » est apparue comme un véritable affront pour tous les anticléricaux dans la tradition d’un Georg Ritter von Schönerer, qui est à ce jour « membre d’honneur » de nombreuses corporations. La présence du groupe de Vienne dominé par les Burschenschafter et surtout de feu leur président Rainer Pawkowicz (des Burschenschaften Aldania et Vandalia) à ce débat montre la place qu’occupe le milieu des corporations au sein du FPÖ.

Définition et caractérisation desBurschenschaften

La conceptionvölkisch de l’homme et du monde

Elle est au centre de la définition que les Burschenschaften donnent d’elles-mêmes : cette conception fut développée dans le contexte des guerres de « libération nationale » contre l’armée napoléonienne, au début du XIXe siècle. Se fondant sur les écrits de Fichte, Jahn, Fries et Arndt, elle s’oppose de façon agressive à l’idée de nation comme communauté politique reposant sur une volonté en élevant le « peuple » (Volk en allemand) à une communauté naturelle de l’origine. Ainsi, les pères fondateurs du mouvement des Burschenschaften définissaient leur « peuple allemand » par exclusion des « Juifs » (Judentum en allemand). Doté de caractères et d’intérêts collectifs, le « peuple » fut également érigé en sujet politique, par opposition à l’individu. L’antilibéralisme völkisch, c’est-à-dire celui qui prône cette définition du peuple, place cette catégorie irrationnelle qu’est le peuple au dessus de toute réflexion et de toute action politiques. En conséquence, l’individu se trouve déconsidéré : il doit se soumettre intégralement aux « intérêts dupeuple ».

Bien avant le national-socialisme, les Burschenschaften refusaient de faire coïncider les frontières de l’État et celle du peuple, et faire correspondre les citoyens de l’État et les membres du « peuple » (appelés plus tard Volksgenossen, les compagnons du peuple). Cette conception se perpétue jusqu’à aujourd’hui dans le concept de patrie ramené au peuple (Volkstum en allemand), dans lequel la « nation allemande [existe][8] indépendamment des frontières de l’État ». Dans les conditions politiques et juridiques actuelles, le nationalisme völkisch ne saurait se traduire de façon immédiate en revendications se réclamant d’une nouvelle « réunification » du « peuple allemand ». L’objectif de l’engagement des Burschenschaften autrichiennes doit alors faire l’objet d’un décodage: il consiste désormais à « garder vivace l’idée d’unité allemande »[9]. Le refus de la nation autrichienne s’associe à une reconnaissance fondamentale de l’État autrichien. Ils essaient en même temps de conserver l’idée de la Grande Allemagne en faisant référence au droit à l’autodétemination et au soi-disant arbitraire des frontières actuelles. Ainsi, on peut lire sur la page d’accueil des Oberösterreiche Germanen la présentation des principes de cette Burschenschaft: « Notre patrie est la patrie héréditaireculturelle et spirituelle de tous les Allemands, et ce indépendamment des frontières des États. Il est du devoir de tous les Allemands de préserver, de faire vivre et de protéger la patrie et son identité culturelle sur la base du droit à l’autodétemination des peuples. »[10] Martin Graf, du FPÖ et de la Burschenschaft Olympia a également quelques difficultés avec le tracé des frontières : « Les frontières actuelles ont été tracées de façon arbitraire ; le peupledoit pouvoir s’épanouirlibrement en Europe. »[11]

Alors qu’aujourd’hui, les implications racistes et expansionnistes des principes völkisch ont été pour la plupart gommées, elles continuent cependant de transparaître derrière les concepts ethnopluralistes de « diversité culturelle » et les revendications revanchistes, certains persistent à miser ouvertement sur la force intégratrice de l’idéologie antilibérale de la Volksgemeinschaft. Dans une brochure de la Burschenschaft Olympia s’exprime en outre le contenu irrationnel et presque religieux de cette idéologie völkisch: « Cette foi placée dans la définition et la signification particulières du peuple s’élevait contre les tendances individualistes exagérées des Lumières. On savait, ou on sentait tout au moins, que c’était le mythe de la communauté qui donnait à la société sa cohésion en tant que nation. Mais le libéralisme occidental, dont l’idéal se résume à la seule liberté et qui veut de ce fait réduire l’action de l’homme à ses conditions d’existence détruit la communauté en lui faisant systématiquement perdresa dimension profonde. »[12]

la reproduction des élites masculines

Depuis la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire depuis que la tendance libérale a été étouffée, les corporations nationalistes pangermaniques ont la fonction sociale de reproduire les élites masculines. En paradant en uniforme et en exhibant fièrement leurs « balafres », les membres des corporations national-libérales se distinguent de la masse des étudiants. La réglementation stricte et la hiérarchie qui organisent les communautés dans chacune des maisons où se trouvent les corporations éduquent en outre l’individu à des façons de penser et de se comporter qui sont d’ordinaire autoritaires. Le sociologue Norbert Elias a décrit précisément ce processus de formation des caractères dans son Étude sur les Allemands : « L’homme qui était passé par l’entraînement des duels avait besoin d’une société qui le soutienne afin de dompter ses pulsions agressives socialement accrues, […], avec une hiérarchie reposant sur l’ordre et l’obéissance. Il développait une structure de la personnalité dans laquelle les contraintes qu’il s’imposait, et donc également sa propre conscience avait besoin d’être soutenues par la contrainte extérieure d’une domination forte pour fonctionner. L’autonomie de la conscience personnelle était limitée. »[13] Non seulement des vertus secondaires telles que le courage et l’obéissance mais aussi cette rudesse et cette indifférence morale que Elias décrivait comme « un habitus humain sans pitié » étaient ainsi inculquéesau travers du duel, véritable outil pédagogique des Burschenschaften.

Dans la description que les Burschenschaften font des duels, on retrouve le mépris professé à l’encontre de l’individu et que nous évoquions déjà tout à l’heure : « Lorsqu’au cours d’un rituel, le sang est versé en connaissance de cause, cela signifie en règle générale que la valeur en l’honneur de laquelle ce sang est versé est davantage respectée que la vie de celui qui saigne. »[14] La valeur en question ici, à laquelle il faut sacrifiert la vie de l’individu est immanquablement la « patrie » (allemande).

LesBurschenschaftensont-elles néo-nazies ?

l’antisémitisme (avant et après 1945)

Outre le nationalisme völkisch et une image bien particulière du mâle, l’antisémitisme fut un élément constitutif dans l’histoire du mouvement des Burschenschaften. En 1815 déjà, l’ancêtre des Burschenschaften actuelles déclarait que « seuls les Allemands chrétiens » pouvaient être membres de la Burschenschaft. En 1820, les Burschenschafter exigèrent au cours d’un congrès (secret) qui se tenait à Dresde l’exclusion des « Juifs apatrides ». Dans les années qui suivirent, il y eu des débats houleux au sujet d’une telle décision, appelée « paragraphe aryen » qui, en Autriche au moins, avait été mise en application de façon anticipée. La Libertas, qui compte parmi ses Alte Herren le secrétaire général du FPÖ de Haute-Autriche, Hans Achatz, a dès 1878 refusé d’accepter des Juifs dans ses rangs, et elle fut la première Burschenschaft autrichienne à entériner le « paragraphe aryen ». En 1890, toutes les Burschenschaften avaient suivi cet exemple et se revendiquaient «pures de toute influence juive » (judenrein en allemand). Pour finir, le droit de demander « réparation » en duel (à l’épée) fut dénié étudiants juifs lors d’une autre rencontre des corporations en 1896. La Silesia de Vienne justifia cette décision non seulement en invoquant la « lâcheté congénitale des Juifs » mais aussi ne s’appuyant sur le principe d’après lequel « il faut isoler une race qui met en péril notre existence en tant que nation ainsi que notre morale germanique. » En conséquence, ce furent surtout les Burschenschafter autrichiens qui tentèrent également d’imposer leur antisémitisme, qui reposait désormais sur des fondements racistes, au sein des confédérations regroupant plusieurs Burschenschaften. Avec succès : lors du congrès de 1920 de la DB, l’antisémitisme le plus radical s’exprima, selon lequel « les caractéristiques raciales héréditaires des Juifs demeuraient intactes même après le baptême. »[15]

L’antisémitisme des Burschenschaften qui devançait celui du national-socialisme, a développé une certaine continuité après 1945 : certains membres de ce milieu le reconnaissent volontiers de façon isolée. Ainsi, Harald Seewann regrette que « les conceptions de certains Burschenschafter semblent ne pas avoir été au-delà des résolutions de Waidhofen. »[16] Effectivement, des Burschenschafter « allemands » d’Autriche ont défendu le « paragraphe aryen » après 1945. Dans les années 1960, des regroupements se vantaient de s’être « débarrassés des éléments juifs » ou d’être « purs de toute influence juive depuis 1862 ». Une déclaration des pennale Waffenstudenten[17] de Vienne fixe ainsi qu’ « il faut accorder réparation à tout homme aryen honorable. »

La Suevia de Innsbruck argumentait ainsi en 1960, face à des camarades plus modérés : « Nous devons […] souligner qu’il est impossible pour le mouvement des Burschenschaften en Autriche d’accepter des membres qui ne soient pas allemands. Nous […] restons ainsi attachés au point de vue de Burschenschafter qui veut que de cette façon, le Juifs n’ait pas sa place dans la Burschenschaft. »[18])

Les Burschenschaften face au nazisme ou comment se refaire une virginité

L’ « Anschluss », qu’une brochure[19] éditée par Herwig Nachtmann caractérisait en 1988 à plusieurs endroits de « réunification » fut salué en 1938 par les Burschenschaften, qui hissèrentles drapeaux portant des croix gammées. L’installation au pouvoir du NSDAP fut acclamée auparavant dans l’organe de presse de la DB : « Ce que depuis des années nous avons désiré et appelé de nos voeux et ce à quoi nous avons travaillé bon an mal an dans l’esprit de la Burschenschaft de 1817 est devenu réalité. »[20] Afin de se déculpabiliser aujourd’hui, les Burschenschafter essaient volontiers d’alléguer que leurs corporations furent dissoutes en 1938 sous la contrainte. Cette affirmationne se justifie que pour les corporations catholiques ; bien au contraire, les Burschenschaften autrichiennes se sont solennellement auto-dissoutes pour s’intégrer pour la plupart aux Kameradschaften du Nationalsoziaslistischer Studentenbund[21]. En ce qui concerne en tout cas la démarche de l’Olympia, pas question de contrainte : « Au cours de la cérémonie imposante qui eut lieu dans la grande salle de concert à l’occasion de l’intégration des Burschenschaften dans les structures du NSDAP, les couleurs de la Burschenschaft furent portées pour la dernière fois en public. »[22]

Malgré tout, l’argument selon lequel les Burschenschaften ont été « interdites » par le NSDAP fait toujours partie du répertoire habituel des Burschenschaften. Il y a eu effectivement des interdictions de corporations national-libérales en Autriche assez souvent, mais pas en 1938 : En 1896 et dans les années suivantes, les autorités ont dissout quelques corporations qui avaient adopté le principe antisémite de Waidhofen. En 1933 et 1934, de nombreuses Burschenschaften furent interdites parce qu’elles étaient des organisations avancées du NSDAP allemand, alors interdit en Autriche ; en 1945, c’est en tant que parties du NSDAP qu’elles furent de nouveau interdites pour une courte période. L’Olympia dut en outre entre 1961 et 1973 à nouveau avancer masquée: les activistes d’extrême droite autour de Norbert Burger qui prirent part à cette époque aux attentats dans le Sud-Tyrol provoquèrent son interdiction.

À côté de cela, les actes de résistance isolés de quelques membres de corporations nationalistes pangermaniques sont utilisés pour blanchir tout ce milieu. Mais cette autocensure n’a pas toujours été dominante : en 1955, ils refusaient de « nommer les « soi-disants résistants » présents dans [leurs] rangs et de s’en servir comme autant de boucliers. »[23] Dans Aula, on note le même refus face à ces tentatives visant à « construire une résistance nationaliste. »[24])

L’oubli volontaire des compromissions des Burschenschafter avec le pouvoir nazi, la négation ou bien la banalisation des crimes nazis et de la responsabilité allemande dans la guerre (révisionnisme) sont très répandus dans le milieu des Burschenschaften. Les membres de la Brixia de Innsbreuck avaient ainsi prévu le 9 novembre 1989 d’aller écouter les éructations révisionnistes de l’historien néo-nazi britannique David Irving. Un seul hic, l’intervenant fut déclaré indésirable par le ministère de l’Intérieur et dut ainsi se replier sur la Bavière toute proche, avec toute sa clique de supporters. L’Olympia de Vienne déplore ce type de démarche des autorités contre la négation de la Shoah et contre les autres tentatives de falsifications historiques, les taxant de « retour à une époque, qu’on croyait depuis longtemps révolue, où régnait l’absence de liberté intellectuelle. S’il n’est permis aux Allemands de penser et de parler de sujets particuliers « sensibles » de l’Histoire que dans les limites prévues par les tenants de la rééducation et de leurs auxiliaires allemands, cela signifie clairement un manque de liberté d’opinion et d’expression, et par là-même une lacune de la science et donc de son enseignement. »[25]

En 1993, l’Olympia s’est faite la championne d’une victime de cette liberté d’expression soi-disant défaillante : dans une lettre adressée à la revue d’extrême droite fakten, Mathias Korschil et Volker Lindlinger ont fait part à l’éditeur de la revue, Horst-Jakob Rosenkranz de leur « déception et [de leur] préoccupation » au sujet de ce qu’il avait déclaré « devoir se taire » au moment où Gottfried Küssel avait été condamné. Les deux membres de l’Olympia l’enjoignaient à adopter une tout autre attitude : « Personne n’a le droit de se taire, chacun doit, dans la mesure de ses possibilités, prendre position par rapport à cette injustice. »[26]

Face à de tels accents, on n’est pas surpris d’apprendre qu’en 1988, l’Olympia avait durant le congrès de la DB déposé une motion contre la loi qui interdit les organisations d’inspiration nationales-socialistes. Mais au lieu d’adopter cette motion, le congrès leur confia la tâche d’organiser un séminaire sur ce thème. Au début de l’année 1999, le séminaire en question eut lieu, animé entre autres par Horst Mahler et Thor von Waldstein ; il aboutit à la formulation d’une nouvelle motion, adressée au congrès de 1999. Cette motion constitue visiblement un compromis, car elle exprime des doutes assez vagues sur la constitutionnalité de l’interdiction de l’apologie du nazisme et de l’agitation populaire[27].

L’Olympia est par ailleurs représentative du milieu des Burschenschaften, quand elle formule son refus des bouleversements qui ont suivi la chute du fascisme : « Immédiatement après la fin de la guerre a commencé la rééducation systématique menée par les vainqueurs qui s’étaient fixés pour objectif un changement radical de la pensée, des sentiments et des comportements, et qui l’atteint effectivement. Toutes les idées, toutes les convictions qui, de l’avis des vainqueurs, avaient abouti à une corruption politique, morale et caractéristique des Allemands, devaient une fois pour toutes être éliminées. […] Le vide intellectuel et culturel qui en résulta dans les consciences fut « comblé » par la mise en place de la forme pluraliste de la société occidentale. »[28]

De fait, les Burschenschafter se considèrent encore aujourd’hui comme des « vaincus » et pour eux, le 8 mai 1945 est une « défaite totale »[29]. Étant parties prenantes de la structure du NSDAP, les Burschenschaften et autres Kameradschaften ont été dissoutes en 1945, les duels tout autant que les défilés avec casquettes ou calots et couleurs de la Burschenschaft dans l’enceinte des universités ont été interdits. De même, les corporations masculines changèrent de nom afin de ne pas montrer les continuités existant avec les Burschenschaften compromises sous le Troisième Reich.C’est ainsi que l’Olympia se reconstitua en 1948 sous le nom de Akademische Tafelrunde Laetitia. Engagés à des degrés divers dans l’appareil nazi, de nombreux Burschenschafter ont eu à se débattre dans les affres de la dénazification : « Une grande partie des survivants », disait-on dans l’Olympia, « faisait l’objet de persécutions politiques et était frappée d’interdiction professionnelle. »[30] Mais bientôt, les Burschenschafter sentirent le ralentissement de l’ardeur mise dans la dénazification et reprirent ainsi du poil de la bête. À partir de 1948, le milieu des Burschenschaften se reconstitua en même temps que l’ensemble du camp conservateur[31]. En 1952, les duels à l’épée, rituels des Burschenschaften, furent à nouveau autorisés, et deux ans plus tard, les Burschenschaften purent à nouveau parader dans les universités avec leurs couleurs et leurs calots.

Le système des corporations nationalistes pangermaniques a rencontré, après son âge d’or dans les années 1950 et 1960, des difficultés croissantes dans le recrutement. Avec l’ouverture partielle des universités et leur démocratisation, l’influence du nationalisme pangermanique et de l’extrême droite dans le milieu universitaire a connu un recul constant. Une expression significative de ce déplacement des forces se manifeste dans le déclin que connut le Ring Freiheitlicher Studenten (RFS)[32] : la branche politique universitaire du système de corporations nationalistes pangermaniques passa ainsi dans les suffrages des élections de 32% en 1953 à 2% en 1987. Même si la mouvance semble s’être depuis reconstruite à l’image de l’évolution globale de la société, elle reste malgré tout bien éloignée de la force qu’elle a pu avoir autrefois.

Petit lexique à l’usage de ceux qui veulent comprendre le petit monde des Burschis

Burschenschaft n. fém. Burschenschaften n. pl.

Corporation nationaliste pangermanique, réservée exclusivement aux jeunes hommes (Burschen en allemand).

exemple : Olympia (Vienne), Brixia (Innsbruck), Suevia en Autriche

Danubia (Munich) et Germania (Hambourg) en Allemagne

Il existe des Mädelschaften (de Mädel, jeune fille), où se retrouvent les filles et les femmes des Burschenschafter, essentiellement pour se livrer à des activités passionnantes comme le tricot.

Burschenschafter

Membre d’une Burschenschaft. On le reste toute sa vie.

Alter Herr n. masc., Alte Herren n. pl

Ancien membre d’une Burschenschaft, qui rend des services (professionnels, politiques ou autres) aux membres de sa Burschenschaft.

Fuchs (renard en français)

C’est le jeune apprenti qui vient de rentrer dans la Burschenschaft, et qui pendant un an n’a pas le droit d’assister aux réunions, ni de voter lors de prises de décisions concernant la Burschenschaft. Il est sous la coupe d’une sorte de grand frère (Lebbursch), qui le forme. Cela peut-être lui ou un autre membre de la Burschenschaft que le Fuchs affrontera lors du duel (Bestimmungsmensur) qui déterminera s’il peut être membre à part entière de la Burschenschaft.

Lebensbund

Il s’agit de l’engagement pour la vie que prend le Burschenschafter dans sa Burschenschaft, qui fait qu’il en fera partie jusqu’à sa mort, avec l’obligation de fidélité à cette institution, se traduisant par l’aide concrète qu’il apporte à la corporation et à ses membres, passés et futurs.

Pflichtmensur

Il s’agit de l’obligation de se battre en duel (à l’épée).

C’est un rituel d’initiation, où le degré de protection du Burschenschafter dépend de la radicalité politique de la Burschenschaft (protection des yeux, des oreilles). Un arbitre est présent, éventuellement un médecin pour recoudre les blessures, ou alors pour conduire le(s) blessé(s) dans le service d’un hôpital où un alter Herr est justement de service ce jour-là (au cas où un nerf du visage serait touché).

  1. Ministère de l’Intérieur, groupe C, département II / 7 : L’extrême droite en Autriche. Rapport 1994, Vienne, 1995, p. 11.[]
  2. Ministère de l’Intérieur, groupe C, département II / 7, L’extrême droite en Autriche. Rapport 1999, Vienne, 2000, p. 10.[]
  3. Ministère de l’Intérieur (éd.), Rapport de l’Office de Protection de la Constitution 1995, Bonn, 1996, p. 165..[]
  4. Office régional de Protection de la Constitution (éd.), Rapport 1996, Hambourg, 1997, p. 116.[]
  5. L’exemple le plus frappant concerne les procès instruits pour NS-Wiederbetätigung, c’est-à-dire pour condamner la réactivation de l’idéologie par les Burschenschafter. Ainsi, le juge Hans Peter Januschke (adhérent du Verein deutscher Studenten Studetia) provoqua un scandale en 1996 au cours d’un procès qu’il instruisait contre un professeur d’un lycée professionnel de Vienne : après s’être déclaré à plusieurs reprises « nationaliste », et ce, de façon fracassante : « […] le camp de concentration de Dachau était pour les asociaux, les Tsiganes et les gens de cette sorte », il a été relevé de ses fonctions. Tandis que le ministre de la Justice se déclarait « ébranlé et choqué » par le comportement du juge, le conseil de l’ordre s’est borné à prononcer une mise en garde et une suspension avec sursis de Januschke.[]
  6. Dirigeants de la VAPO, responsable indirecte des attentats à la lettre piégée qui ont secoué l’Autriche dans les années 1990, voir REFLEXes n°X, XXXXX. Küssel fut d’ailleurs condamné à 10 ans de prison, dont il ne fit qu’une partie.[]
  7. Jürgen Hatzenbichler : Korporation, Tradition und Neue Rechte, in Mölzer Andreas (éd.) : Pro Patria. Das deutsche Korporations-Studentum – Randgruppe oder Elite ?, Graz, 1994, p. 262.[]
  8. Interview de la Burschenschaft Olympia dans Junge Freiheit, 4/1990, p. 8.[]
  9. Wiener Coleur-Szene, octobre 1991, p. 5.[]
  10. Page d’accueil de la Burschenschaft Oberösterreiche Germanen à Vienne, 2 mai 1998.[]
  11. Citation tirée du Spiegel, 24/1997, p. 54.[]
  12. Wiener akademische Burschenschaft Olympia (éd.) : Wahr und treu, kühn und frei ! 130 Jahre Burschenschaft Olympia, Vienne, 1989, p. 56.[]
  13. Elias Norbert : Studie über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort sur le Main, 1989, p. 128.[]
  14. Wiener akademische Burschenschaft Olympia, ibid., p. 113.[]
  15. Cité par Heither Dietrich et al. (éd.) : Blut und Paukboden. Eine Geschichte der Burschenschaften, Frankfurt am Main, 1997, p. 92.[]
  16. Aula 9/94, p. 5.[]
  17. Ce sont des lycéens, et non des étudiants comme semble l’indiquer leur nom.[]
  18. Cité par Gehler Michael : « Rechtskonservativismus, Rechtsextremismus und Neonazismus in Österreichischen Studentenverbindungen von 1945 bis in die jüngste Zeit. » in Bergmann W., Erb R. Lichtblau A. (éd.) : Schwieriges Erbe. Der Umgang mit Nationalsozialismus und Antisemitismus in Österreich, der DDR und der Bundesrepublik Deutschland, Frankfurt am Main / New York, 1995, pp. 236-263 (ici p. 243[]
  19. La brochure éditée aux éditions Aula-Verlag de Graz était intitulée 1938. Mensonge et vérité, ni victime, ni coupable. Elle fut distribuée en mars 1988 avec le tampon de Brixia de Innsbruck, à partir de l’université de cette même ville.[]
  20. Burschenschaftliche Blätter, 6/1993, p. 130.[]
  21. Regroupement des Étudiants allemands nationaux-socialistes.[]
  22. Wiener akademische Burschenschaft Olympia, ibid., p. 30.[]
  23. Burschenschaftliche Blätter 7-8/1955, p. 218.[]
  24. Wrabetz Peter : « Das nationalfreiheitliche Lager in Österreich », in Aula 5/1973, pp. 3-6 (ici p. 6[]
  25. Wiener akademische Burschenschaft Olympia, ibid., p. 2.[]
  26. fakten 27/1993, p. 15.[]
  27. Voir les Burschenschaftliche Blätter 2/1999, p. 114.[]
  28. Wiener akademische Burschenschaft Olympia, ibid., p. 76.[]
  29. ibid., p. 79.[]
  30. ibid., p. 1.[]
  31. « Das dritte Lager » en allemand : avant 1900, courant politique national-libéral, violemment opposé à la social-démocratie, et majoritairement antisémite.[]
  32. Cercle des Étudiants libéraux.[]
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