Dans le genre NS mytho, il est difficile de faire mieux que Combat 18. L’ensemble de l’argumentation de ce groupe néo-nazi repose, en effet, sur la construction de mythes et de légendes.
Des leaders post-mortem
En effet, Combat 18 ne valorise pas son chef mais les “héros et martyrs” de la lutte, tant est si bien que le mouvement donne l’impression de n’avoir que des leaders post mortem.
Bien entendu, le leader incontesté de Combat 18 est le Führer lui-même. Hitler est le Dieu, Mein Kampf, la Bible. Cependant, si le dictateur nazi est une référence politique pour C18, c’est également une référence humaine mythifiée, C18 allant même jusqu’à vanter les talents de peintre du Führer (que l’on compare à ceux d’un peintre Juif autrichien de l’époque).
Second dans la lignée des Héros, Ian Stuart Donaldson était le chanteur du groupe Skrewdriver, un groupe de Rock Against Communism (RAC). Il a été membre du National Front avant de s’en éloigner pour créer la revue Blood and Honour. Il est mort d’un accident de voiture en 1993 et fait l’objet d’un véritable culte dans le milieu national-socialiste anglais mais aussi européen. Combat 18 contredit d’ailleurs la thèse de l’accident : selon eux, il a été assassiné par l’Etat car il constituait un trop grand danger pour le système. Ce point est loin d’être anecdotique, car cela lui permet d’accéder au rang des “ morts pour la cause ”, de construire le mythe du héros, héros dont le mouvement a besoin pour s’incarner. Pourtant le héros n’a pas fait grand chose à part chanter.
Si ces deux personnages, mythifiés, ont le statut de Héros, d’autres se trouvent aussi valorisés mais ne sont que des martyrs. Un hommage est ainsi rendu à Marcel Schift, qui dirigeait NS Records et participait à la branche scandinave de Blood and Honour (B&H). Ceci dit le véritable martyr est Chris Castle, militant de C18, tué par Charlie Sargent, un ancien leader du mouvement. Les circonstances de la mort importent peu, il s’agit de mettre en valeur leurs “ états de service ”, car il est important de montrer qu’ils ne sont pas morts pour rien, qu’ils étaient de “ bons soldats ”. Chris Castle, qui a été tué en raison de sa proximité avec Will Browning, le principal rival de Charlie Sargent, devient ainsi une victime de ZOG, l’ennemi juré du groupe. Il faut bien maintenir la cohésion du groupe et donner des repères à ces jeunes en déshérance.
La “ Cause ”, le “ Combat ” perd donc son contenu réel pour s’incarner dans des êtres mythiques : Combat Adolf Hitler et tout est dit. On y associe une vague idée de “ guerre des races ” et de “ supériorité de la race aryenne ” et le tour est joué, ne reste que l’image. L’icône remplace les idées.
Images et mythes
L’ensemble de l’affichage extérieur de C18 met, en effet, en oeuvre une logique de représentation de la violence et du nazisme. Sur la page d’entrée du site internet se succèdent avec des variantes selon les dates, des hommes masqués et armés sur fond de croix celtique, un homme levant une arme devant une croix gammée dans une ambiance flamboyante, une jeune femme blonde armée d’une mitraillette, et bien sûr la photo d’Adolf Hitler entourée de croix gammées. Swatikas, têtes de mort (logo de C18, qui reprend le symbole de la SS Totenkopfverbande ), armes et soldats en armures, symboles runiques (la “ Three Sevens Swatika ” de B&H, la croix celtique) et le poing blanc levé font partis du folklore obligé. Quant aux morts, on les accueille à Walhalla, la cité d’Odin où les héros se retrouvent pour festoyer et faire la guerre. On entre ainsi dans un monde mythique, mélange de références celtiques, nationales-socialistes, odinistes et “ aryanistes ”, un univers dans lequel le militant se conçoit comme un soldat de la “ race blanche ”, un combattant de l’ombre qui doit être prêt à subir l’isolement et l’incompréhension de tous, de ceux qui sont incapables de voir la vérité: il doit être prêt à tout quitter comme le souligne le “Manuel de Combat” qu’ils proposent .
Mais si l’on parle de jeu sur l’image, c’est aussi que C18 n’a pas, à proprement parler, de programme politique. En effet, l’ensemble des objectifs du groupe se résume à l’instauration d’un régime national-socialiste et au combat contre ZOG. En d’autre terme, C18 est engagé dans une logique de combat révolutionnaire et terroriste, dans lequel la “ Cause ” devient un référent mythique, plus qu’un réel projet. Le programme de Combat 18 est la guerre et la destruction de l’ordre existant. Tout est fait pour amener au passage à l’acte “le guerrier national-socialiste”, l’acte qui fera de lui un héros. L’absence de programme doit être vue comme une conséquence de la posture des militants de Combat 18 : ce sont des résistants à l’ordre actuel, avec ses martyrs, qui donnent une dimension quasi-religieuse à leur combat, la question d’un programme politique réaliste n’est donc pas à l’ordre du jour.
Le discours de Combat 18 comprend en cela les caractéristiques du fanatisme : simplification, certitude, personnalisation, refus des autres systèmes idéologiques. La tautologie tient lieu de définition : “Le National Socialisme est l’idéologie des mouvements Nationalistes Révolutionnaires que Blood & Honour représente. Il ne peut y avoir ni doute ni discussion à ce sujet. Pourquoi? Parce que c’est la seule idéologie qui non seulement reflète les éternelles lois de la Nature et nos intérêts en particulier, mais aussi contient la force énergétique nécessaire pour amener ses partisans au mieux à la victoire, au moins à un combat honorable. Le National Socialisme n’est pas seulement le Bien, c’est surtout la seule alternative qui n’est pas vouée à l’échec.” Ce n’est pas tant le contenu du national-socialisme qui est important mais sa nature. Le combat se conçoit, en effet, dans une dimension millénariste. Il ne sert dès lors plus à rien de définir le but du combat car il est nécessaire et inévitable.
Lutte armée : mythe et réalité
Plus encore qu’être violent, l’important est d’être perçu comme tel, de faire peur. Le groupe joue véritablement la carte de l’image et en ce sens, on peut considérer que sa stratégie est un succès. Cependant, en dehors des bastons de hooligans et de sorties de pub, du passage à tabac d’antifascistes et de quelques agressions envers des immigrés, on ne trouve pas grand chose. Certes, ce type d’actes n’est pas à minimiser, mais on attend quand même autre chose d’un groupe qui se dit terroriste à l’échelle mondiale. Une partie du groupe, sous l’influence de Will Browning, avait décidé de passer un cran au-dessus et de faire ce dont ils avaient toujours parlé, commencer à détruire le système, pour que puisse émerger le national-socialisme. En 1997, ils ont donc décidé de lancer une campagne de colis piégé depuis le Danemark. Cependant, la campagne de terreur a été arrêtée avant qu’elle ne commence par les policiers danois, alors qu’ils faisaient des essais d’explosifs dans un cimetière. Ce qui devait être le début de la guerre fut donc un échec. Elle a même coûté plus au groupe qu’elle n’a rapporté, coût financier pour la préparation mais aussi coût en terme de soutien, car cette campagne n’était voulue que par une petite minorité et elle a suscité de nombreuses critiques à l’extrême droite. Ainsi, on peut citer les commentaires de Georges Hawthorne (dirigeant du label Resistance records, l’un des plus grands labels de White Noise, concurrent direct de ISD Records, le label de Will Browning, membre de C18) : “ C18 se considère comme des sortes de “terroristes”, et se comporte exactement comme dans un navet d’Hollywood avec le mouvement White Power. Le seul problème est que les “terroristes” qui aime à raconter combien ils sont “terribles” ne font jamais ce qu’ils promettent.” D’ailleurs, beaucoup ont quitté C18 suite à cet épisode, d’autant qu’au même moment, Charlie Sargent assassinait Chris Castle. Les chefs de C18 se sont donc retrouvés en prison et Darren Wells, qui faisait partie du petit groupe de Browning est passé à l’ennemi (il a commencé à donner des informations à Searchlight), tout en prenant la tête de C18. Le groupe s’est donc retrouvé affaibli, mais il a continué à beaucoup parler autour d’une bière, ne rien faire en attendant que des allumés passent à la pratique.
The “ Leaderless Resistance ”, nouvelle forme d’activisme
Le concept de “ leaderless resistance ” a, en fait, été développé par le colonel Ulius Louis Amos, un agent des services secrets américains, en avril 1962. Ses théories sur l’organisation concernaient à l’origine la menace communiste qu’il considérait pouvoir venir de partout. L’idée a, ensuite, été reprise et popularisée par Louis Beam, un militant racialiste américain, qui expose son idée dans The Seditionist en 1992. L’idée est de casser l’organisation hiérarchique des mouvements et de favoriser les actes individuels. Un moyen particulièrement efficace pour une organisation, qui se veut terroriste, car elle-même ne risque rien, elle capitalise sur les actes des autres. Le site de C18 consacre à cet effet de nombreuses pages à expliquer comment être un bon militant, et même un bon terroriste, dans son chapitre appelé The National Socialist Political Soldiers Handbook. On y recense des conseils pour se maintenir en forme, à côté des moyens de “ ZOG ” pour surveiller le monde, des méthodes d’enquête de police ainsi que des conseils de base aux futurs terroristes (par exemple, ne pas rester pour regarder une explosion, car certains sont morts de cette façon). Le “ guerrier politique ” est encore une fois à l’honneur.
La mise en valeur de la “ leaderless resistance ” est consécutive à l’“ affaire Brunerie ”. Quel rapport entre ce membre d’Unité Radicale, qui a cherché à tirer sur Jacques Chirac et C18 ? Aucun lien réel, effectivement, mais un lien virtuel. Combat 18 s’est ainsi réapproprié l’acte de sieur Maxime Brunerie qui avait écrit sur leur forum : “ Regardez la télé dimanche, je serais la star… Mort à zog,88! ”. Le 15 juillet, on pouvait lire en ouverture du site: “À tous les leaders européens et leurs collaborateurs qui cherchent à faire passer C18 pour un groupe de racistes sans cervelle, nous espérons que les événements du 14 juillet 2002 leur rappelleront que C18 et ses sympathisants veulent et sont capables d’agir dans tous les pays d’Europe.” Ainsi, C18 exploite l’acte avorté de Maxime Brunerie comme un acte du mouvement. Voilà comment ils ont cherché à transformer un acte isolé, d’amateur en acte international de guerre, une bataille contre ZOG. Maxime Brunerie voulait être un héros de la “ race blanche ”, le site de C18 lui en a donné la possibilité et peu importe que l’acte ait échoué.
Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que C18 utilisait un acte individuel pour se faire de la publicité. Ainsi, en 1998, David Copeland organisait une campagne de plasticage dans les quartiers noirs de Londres . Or, si le jeune homme entretenait des relations avec le BNP, aucune relation n’a pu être trouvé avec C18. Le premier a condamné les actes, les seconds ont approuvé et même revendiqué la campagne. Enfin, la “leaderless resistance” est le concept qui guide l’opération Redwatch. Il s’agit en fait de mettre en ligne nom, adresse, photos des ennemis à abattre. Rien de mieux pour attirer quelques fondus près à en découdre.
Alors C18 des mythos? Darren Wells revenant sur son passé et notamment les lettres piégées, explique “ tout n’était que fantaisie, mais nous avons commencé à vivre dans notre propre monde irréel ”.
En résumé : comment devenir un “bon à rien”
1 – se faire tatouer des swatikas sur le corps, parler en “codes secrets” et boire de la bière en fantasmant sur la guerre des races
2 – taper sur ses ennemis (en racontant qu’ils sont dirigés par ZOG)
3 – faire sauter des explosifs dans un cimetière
4 – essayer de tirer sur un président
5 – se faire tirer dessus par un copain (qui était en fait un agent de ZOG)
6 – chanter en faisant des Zieg et mourir jeune dans un accident (qui est en fait un grand complot de ZOG)
7 – être l’Unique, Adolf Hitler
Encadré
Les chiffres et les lettres
Petit glossaire des codes secrets (non exhautif) à l’usage du mytho
5 : pour 5 mots : I have nothing to say. (je n’ai rien à déclarer, en particulier utilisé face à la police)
311 : pour 3×11, trois fois la onzième lettre de l’alphabet. KKK … ça ne vous dit rien.
33 : devinez, c’est aussi 3×11, le Ku Klux Klan.
83 : pour la 8eme lettre de l’alphabet H et la 3eme, C : Heil Christ ! Ah ça, vous ne vous y attendiez pas!
4/20 : l’anniversaire du Maitre, le seul, l’unique, Le Führer Adolf Hitler.
23 : la 23eme lettre de l’alphabet, W pour White
100% : 100% Aryen.
Et bien sûr, les classiques, beaucoup plus répandus :
18 : 1ere et 8eme lettre de l’alphabet : Adolf Hitler
88 : sur le même principe, Heil Hitler !
14 : pour les 14 mots de David Lane, raciste notoire, notamment condamné pour avoir dynamité une synagogue : “ We must secure the existence of our people and a future for white children. ” (Nous devons sécuriser l’existence de notre peuple et le future des enfants blancs.)
Rahowa : Racist Holy War (Guerre sainte raciste)
SWP : Supreme White Power
CI : Christian Identity (Identité Chrétienne)
DOC : Disciple of Christ
ORION : Our Race is Our Nation. (Notre race est notre nation)
KIGY : Klansman, I Greet You. (Homme du Klan, je te salue !)
WPWW : White Power World Wide
ZOG : le grand classique forgé par William Pierce, auteur du célèbre Turner Diaries et ancien membre du parti nazi américain ; Zionist Occupation Government (Gouvernement sioniste d’occupation), “L’ ennemi”.
Note de lecture :
White Riot. The violent story of Combat 18. Nick Lowles. Milo Books, 2001, 338 p.
Le livre relate l’histoire de Combat 18 de sa naissance en tant que service d’ordre du British National Party, jusqu’aux coulisses des émeutes de 2001. Très bien documenté, le livre regorge d’anecdotes et dresse un tableau clair de la mouvance néo-nazie à travers les réseaux internationaux de Blood & Honour et le White Noise. Il permet d’en finir avec les mythes sur C18. Seul inconvénient : il n’est pas traduit et n’est quasiment disponible qu’en Angleterre.
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